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Risques et opportunités de l’intelligence artificielle dans la métallurgie
Une grande enquête au cœur de l’industrie française
Le Learning Lab Human Change du Cnam a récemment dirigé une étude sur l’impact de l’intelligence artificielle dans le secteur de la métallurgie. Menée auprès des acteurs du dialogue social, l’enquête révèle que l’IA suscite certaines réserves. Mais elle nous apprend aussi que le sujet n’est pas aussi clivant qu’on pourrait l’imaginer… à condition qu’on en discute et que tout le monde soit gagnant!
IA et métallurgie
Cette enquête interroge la relation entre préservation du travail dans l’entreprise et essor de l’intelligence artificielle sur des postes où la substitution de l’homme par la machine pourrait être à la fois utile et même souhaitée. Au menu : 16 entretiens individuels, 4 000 répondants à un questionnaire et des ateliers de restitution. Tout cela pour aboutir à une analyse détaillée sur la thématique de l’IA dans le dialogue social sous forme de livre blanc.
Aujourd’hui, l’IA n’est pas un sujet moteur de ce dialogue social. On en parle peu et, pourtant, les responsables syndicaux sont tout à fait ouverts à la discussion. L’intelligence artificielle est vecteur d’inquiétudes sociales, mais elle amène aussi un certain espoir dès lors qu’elle peut permettre une optimisation de la production sans sacrifier les effectifs, diminuer les risques d’accidents, voire faire évoluer les métiers vers des tâches plus valorisantes.
Cette étude est publiée dans un contexte particulier : celui de la réindustrialisation programmée de la France. Et la métallurgie comme l’IA sont au cœur de cette stratégie. En témoigne l’annonce récente de la construction de la méga-usine de batteries Verkor, à Dunkerque, destinées à équiper les voitures électriques. Si les Hauts-de France ont déjà comme surnom la « vallée de la batterie », le pays ambitionne, via le plan France 2030, de faire émerger les champions technologiques de demain et accompagner les transitions de nos secteurs d'excellence : automobile, aéronautique et espace.
Entretien avec…
Cécile Dejoux, professeure des universités au Cnam, experte en GRH et directrice du Learning Lab Human Change du Cnam, qui a dirigé l’enquête « Risques et opportunités de l’intelligence artificielle dans la métallurgie »
ET
Olfa Gréselle-Zaïbet, maîtresse de conférences au Cnam, qui a contribué à l’étude et à la rédaction du livre blanc.
Les réponses apportées aux questions ci-après sont le fruit d’une réflexion mutualisée des deux intervenantes.
Pour commencer, dans quel contexte votre étude a-t-elle été conduite ?
Cette étude a été menée au sein de l’Observatoire des transformations managériales, le Learning Lab Human Change du Cnam, à partir d’une commande de Malakoff Humanis qui veut accompagner les transformations sociales des entreprises. Nous l’avons pilotée avec Olfa Gréselle-Zaïbet, maîtresse de conférences au Cnam, Isabelle Galy, directrice opérationnelle du Learning Lab Human Change, et les équipes de Malakoff Humanis dirigées par Siham Harroussi, directrice Veille, prospective et culture innovation. Il est important de souligner l’excellent accueil que nous avons reçu de la part des entreprises du domaine de la métallurgie et des partenaires sociaux lorsque nous les avons sollicités pour explorer les champs de l’IA, car c’est l’un des tout premiers livres blancs dans le domaine.
Peut-on faire un état des lieux à ce jour de la cohabitation entre IA et métallurgie dans les usines françaises ?
L’intelligence artificielle est présente à plusieurs niveaux dans l’entreprise. Dans les usines 4.0, on peut la repérer dans les machines, les processus, les objets connectés qui aident à réaliser les tâches avec les cobolts (lasers), par exemple. Dans le travail des fonctionnels, elle existe également dans l’optimisation de la productivité, par exemple pour classer, trier, organiser des agendas et optimiser les délais. Enfin, l’intelligence artificielle permet de proposer de nouveaux services et produits en intégrant de nouvelles fonctionnalités, mais aussi en promouvant de usages neufs comme l’alerte ou la prédiction.
Votre étude se focalise en particulier sur la notion de dialogue social autour de la question de l'intelligence artificielle. Il y a cette peur que le robot remplace l'homme. Que retenez-vous des entrevues que vous avez menées ?
L’étude s’appuie sur une quinzaine d’entretiens de partenaires sociaux et de managers dans le domaine de l’industrie, sur une enquête auprès de 4 000 managers, ainsi que sur une revue de littérature et des ateliers collaboratifs afin de recueillir les perceptions face au sujet. Ainsi, les données ont été recueillies de multiples façons et permettent de faire ressortir 5 tendances de fond
- L’IA n’est pas un sujet d’actualité dans le dialogue social. On parle beaucoup de transformation numérique, de télétravail et peu d’IA alors qu’elle est introduite dans les produits et services proposés aux clients ou dans les usines pour les moderniser.
- La complexité du sujet de l’IA rend le dialogue social difficile. Il est important de commencer par la définition de l’IA et ses usages pour avoir un vocabulaire et un niveau de compréhension communs.
- Les partenaires sociaux sont prêts à parler d’IA dans l’entreprise. Ils demandent explicitement aux dirigeants quel va être l’impact de l’IA sur le travail, les travailleurs, la relation au travail.
- L’IA n’est pas un sujet clivant quand il est abordé dans le dialogue social. C’est un sujet qui prolonge les discussions et les plans d’actions mis en place sur la thématique de la transformation numérique.
- Les partenaires sociaux alertent sur les risques d’une absence de concertation sur l’IA. La concertation amène la transparence qui est un fondement de la confiance.
À l’heure actuelle, le robot peut remplacer la caissière ou le machiniste et de tels exemples poussent les entreprises et les partenaires sociaux à réfléchir à la façon d’accompagner la transformation, l’évolution des métiers et l’apparition de nouveaux métiers comme l’éducation de robot ou le certificateur de data. En d’autres termes, l’IA ne va pas remplacer l’homme. Elle va remplacer des tâches précises automatisables dans tous les métiers, et c’est sur ce sujet qu’il est important d’entamer une concertation avec les partenaires sociaux sur le diagnostic et les mesures d’accompagnement des collaborateurs.
À quel(s) niveau(x) l'IA peut-elle ou doit-elle intervenir dans l'industrie sans qu'elle concurrence la main-d’œuvre humaine ? D'ailleurs, est-ce si facile d'introduire l'IA dans ce type de secteur ?
Le livre blanc répond à toutes ces questions ! (disponible ci-contre)
Ce que l’on peut retenir, c’est qu’il y aura nécessairement des métiers à risque, des tâches à risques. Cela nécessite une montée en compétence rapide et continue des opérateurs et des fonctionnels. Mais il ne faut pas négliger l’arrivée de nouveaux métiers avec l’IA. Ce sont des métiers spécialisés accessibles à des ingénieurs, mais pas seulement. Quel que soit son métier, il sera concerné par l’IA. C’est pour cette raison que nous préconisons des formations pour que chacun devienne IA et data compatible !
Par exemple, au Cnam, nous avons développé un cours « Digital RH et IA » car l’important, ce n’est pas d’être un expert en IA, c’est d’avoir le socle de compétences nécessaires pour participer à un projet IA, transformer son métier avec l’IA et savoir utiliser les outils qui intègrent l’IA, quel que soit son métier, pour ne pas être manipulé par elle.
Toujours en lien avec votre enquête, comment les experts que vous avez interrogés voient-ils l'évolution de leurs métiers dans les années à venir avec l'inéluctable évolution des technologies ?
L’étude montre que les partenaires sociaux souhaitent être associés à la réflexion stratégique sur l’IA car elle concerne à la fois les changements de modèle économique, l’évolution des métiers et la modernisation des usines 4.0. Pour réussir cette étape, il leur faut acquérir le vocabulaire, les concepts, avoir une large connaissance des usages, des biais, des risques et des opportunités. La question de fond est de savoir comment l’IA va-t-elle être encadrée et intégrée dans la RSE, la raison d’être et la mission de l’entreprise. Faut-il des chartes ? un comité éthique ? une certification ? une labélisation ? Toutes ces questions peuvent être abordées avec les partenaires sociaux.
Pour terminer, où en est-on du dialogue social dans notre pays, cette fois au sens large ?
Ces dernières années, le dialogue social a connu de nombreuses réformes qui ont affecté le corps social. Ce dernier vit une véritable mutation à travers l’évolution de ses missions et de ses acteurs. La coexistence de cultures distinctes fondées sur des idéologies différentes est enrichissante mais rend la pratique du dialogue social complexe. Le fonctionnement efficace du Comité social et économique (fusion des instances représentatives du personnel) constitue ainsi un enjeu essentiel dans les années à venir.
Le dialogue social suscite de nombreuses problématiques assez sensibles. Il est au cœur d’enjeux très différents et souvent contradictoires, qui demandent une certaine adaptabilité de l’ensemble des parties prenantes. Toute négociation collective ne peut être comprise sans intégrer sa dimension conflictuelle (Adam & Reynaud, 1978), à savoir la confrontation entre les intérêts et logiques des employeurs et des salariés. Il devient fondamental que cette discussion sur le travail s’inscrive également à l’échelon managérial afin d’avoir un regard croisé et complet de cette réalité.
Le contexte actuel (social et pandémique) a été le terrain de nombreux mouvements sociaux. Le conflit social traduit toujours un malaise que des textes législatifs et réglementaires ne peuvent résoudre sans faire appel au dialogue social. Aujourd’hui, les tensions sociales au sein des organisations se manifestent de façon moins visibles mais autrement plus coûteuse, sous la forme d’une tendance au désengagement des salariés, une sorte « d’absentéisme moral » (Landier, 2015).
Depuis la pandémie, et même avant, les préoccupations des salariés se cristallisent davantage sur la qualité de vie au travail. La cohérence du cadre juridique de l’entreprise avec sa réalité actuelle questionne donc… Auparavant orientée sur les salaires, c’est aujourd’hui la question de la qualité du dialogue social qui est interrogée (celles des relations sociales, de l'information, de la formation des acteurs et de la négociation - Anact, 2018). Toute la difficulté pour les ressources humaines réside ainsi dans leur capacité à articuler les diverses dimensions du dialogue social (stratégique, législative, économique, opérationnelle et, de nos jours, surtout humaine et durable) de manière cohérente, efficace et pérenne.
Enquête sur les risques et opportunités de l’IA dans la métallurgie
Nouveau MOOC de Cécile Dejoux : l'IA pour tous!
C’est quoi le Learning Lab Human Change du Cnam?
Le Learning Lab Human Change propose de réunir au Cnam des entreprises, des startup, des écosystèmes, des élèves et des enseignants-chercheurs de toutes disciplines afin de réfléchir, partager, tester et apprendre de l’évolution des métiers, des compétences et des pratiques induite par la révolution numérique.
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