LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Philippe Gouault
DESS 202 : "Stratégie, Pilotage, et Contrôle"
2000-2001

 

Entretien avec

Pierre ROSANVALLON

"Sortir de la crise"

 

 

Il y a une dizaine d’années, vous avez fait le constat d’une crise de la représentation. Reformuleriez-vous aujourd’hui un tel diagnostic ?

Nous sortons d’un modèle qui s’est forgé progressivement depuis la Révolution française et que j’ai appelé la "démocratie d’équilibre". Ce modèle s’appuyait sur un système d’identités sociales et politiques relativement stables, auxquels correspondaient un système de partis ou des institutions comme le Plan. Tous ces éléments contribuaient à donner forme et substance à la représentation. Or, toute une série de facteurs, et au premier rang la crise économique, ont contribué à épuiser l’efficacité relative de ce modèle français.

La "mondialisation" de l’économie n’aggrave-t-elle pas le sentiment de cette crise ?

De fait, la "mondialisation" est souvent présentée comme une menace pour nos démocraties et nos formes d’organisation sociale. Je me méfie toutefois de la condamnation trop rapide d’un phénomène complexe et multiforme. La mondialisation signifie aussi l’accès de nombreux pays du Sud au développement économique et je vois comme un paradoxe que, tout en tenant un discours généreux sur les rapports Nord-Sud, on puisse accueillir cette nouvelle de la réduction de la pauvreté dans le monde comme une blessure ou comme une injure à notre puissance. Il faut sortir de la dramatisation à propos de la "mondialisation". A terme, elle peut être un facteur de croissance et il convient en ce sens de mettre en place des mécanismes réels de coopération internationale.
Mais il est vrai que la dynamique induite par la "mondialisation" est aussi profondément inégalitaire car elle atteint dans nos sociétés ceux qui sont le moins qualifiés. Il faut donc aussi affecter une part de la richesse produite au renforcement de la cohésion sociale et, par exemple, offrir à chacun, tout au long de sa vie, la possibilité d’user d’un service public de l’éducation et de la formation.

Comment sortir de la crise ?

Je crois qu’il y a des voies et des tentations à éviter. D’abord, celle qui consiste à céder à l’utopie d’une démocratie immédiate, à laquelle le système médiatique encourage parfois complaisamment. La démocratie a besoin de temps et de patience. Il faut aussi écarter la tentation d’une nostalgie régressive. Etre républicain aujourd’hui, cela doit passer par la recherche de solutions nouvelles à la crise du modèle républicain, et non par la lamentation permanente autour d’un modèle qui n’est plus. Il faut enfin éviter les risques d’un populisme qui passe par la dénonciation facile de boucs émissaires – l’immigré, le responsable politique, la mondialisation, etc.
Le plus difficile, mais aussi le plus urgent, aujourd’hui, c’est de redonner à la société les moyens de se connaître et de se représenter. C’est une tache difficile, car les instruments à notre disposition ont justement été élaborés dans le contexte d’un modèle qui s’épuise sous nos yeux. D’où les difficultés de la société française qui peine aujourd’hui à se représenter, à se connaître et à se projeter dans l’avenir. Je crois pour ma part qu’on ne sortira par le haut de cette phase de transition qu’en œuvrant pour une "réinstitution des individus", préalable d’une reconstruction du lien social. C’est l’une des taches majeures et un défi lancé au travail intellectuel et politique contemporain.

Propos recueillis par
Goulven Boudic

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Pierre Rosanvallon :
Né en 1948 à Blois, il est maître de conférence à l’EHESS et à l’ENA. Il est également secrétaire général de la fondation Saint-Simon.
Le nouvel âge des inégalités, Le Seuil, 1996
La nouvelle question sociale, Le Seuil, 1995

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  FITOUSSI J.P. & ROSANVALLON P. "Le nouvel âge des inégalités"

 

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