LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

CHEKKAR Rahma

 

John RAWLS

"Justice et Démocratie" 

 

 

 

1. John RAWLS

1.1. Un auteur reconnu

Né en 1921, John RAWLS enseigne la philosophie à l’université de Harvard. Il est célèbre pour son ouvrage A Theory of Justice (1971) qui a eu un immense succès dans le monde entier et qui synthétise les concepts clés de la démocratie libérale. Cette ouvrage a été en effet traduit en Allemand, en Espagnol, en Français, en Japonais, en Coréen, en Portugais…
Il a écrit de nombreux articles et ouvrages .

1.2. Une bibliographie surprenante

1950

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1955

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1979

1980

1981

1982

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1991

1993

1994

1995

1.3. Justice et Démocratie

Ce livre est composé de plusieurs articles écrits par John Rawls depuis Théorie de la justice. Ces articles sont introduits et présentés par Catherine Audard, enseignant la philosophie à la London School of Economics, qui avait quelques années plutôt traduit Théorie de la Justice.

"Les articles contenus dans ce volume (tous fondés, en partie ou en totalité, sur des conférences que j’ai faites) ont été écrits pendant une période où je retravaillais l’interprétation de la conception de la justice que j’ai appelée la théorie de la justice comme équité et que j’ai présentée dans mon livre Théorie de la Justice. La question principale y est de savoir s’il faut la comprendre comme une partie d’une doctrine compréhensive, religieuse philosophique ou morale, qu’on pourrait appeler celle du juste comme équité ; ou s’il faut y voir une conception politique de la justice valable pour une société démocratique. Seul le texte le plus ancien dans ce volume, "La structure de base comme objet" (1978), ne porte pas sur cette question, mais sur ce que signifie et sur ce qu’implique le fait de prendre la structure de base de la société comme objet de la justice. Tous les autres textes, à commencer par la série de conférences que j’ai faites à l’Université Columbia en 1980 et que j’ai intitulées ( malencontreusement) "Le constructivisme kantien dans la théorie morale", portent spécifiquement sur ce problème. Ils visent à montrer en quel sens la théorie de la justice comme équité doit être comprise comme une conception politique de la justice et une forme de ce que j’ai été amené à appeler le libéralisme politique, expression qui apparaît pour la première fois dans "L’idée d’un consensus par recoupement" (1987)."

Cette ouvrage apparaît, en effet, comme la traduction d’une série d’articles :

 

La structure de l’ouvrage est la suivante :

1 . La structure de base comme objet (1978)

2. Le constructivisme kantien dans la théorie morale (1980)

  1. Autonomie rationnelle et autonomie complète
  2. Représentation de la liberté et de l’égalité
  3. Construction et objectivité

3. Les libertés de base et leur priorité (1982)

4. La théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique (1985)

5. L’idée d’un consensus par recoupement (1987)

6. La priorité du juste et les conceptions du bien (1988)

7. Le domaine du politique et le consensus par recoupement (1989)

 

2. Justice et Démocratie

 

2.1. La théorie de la justice comme équité

John Rawls adopte une conception contractualiste de la justice.

2.1.1. Le point de départ : la structure de base comme objet

L’idée qu’il développe dans le première article de l’ouvrage est une idée déjà présente dans "Théorie de la justice", à savoir que la structure de base de la société est l’objet premier de la justice. Rawls fait, en effet, systématiquement référence à la structure de base pour désigner l’objet premier de la justice. Il donne une définition de ce qu’il entend par structure de base (Basic Structure).

"On entend par structure de base la manière dont les principales institutions sociales s’agencent en un système unique, dont elles assignent des droits et devoirs fondamentaux et structurent la répartition des avantages qui résulte de la coopération sociale"

Déjà, dans Théorie de la justice, il écrivait :

"Ce serait une erreur d’attirer l’attention sur les positions relatives et changeantes des individus et de demander que soit juste en lui-même chaque changement , envisagée comme une transaction isolée. C’est l’organisation de la structure de base qui doit être jugée et ce d’un point de vue général"

Tout au long de son article, Rawls essaie d’expliquer pourquoi la société est prise comme objet premier de la justice et comme point de départ de son raisonnement. Il cherche effectivement à montrer "pourquoi la structure de base a un rôle spécial et pourquoi il est raisonnable de rechercher des principes spéciaux pour le gouverner".

2.1.2. les principes premiers de la justice

Cette structure de base est gouvernée par ce qu’il appelle les principes premiers de la justice (First principles of justice). Le contenu de la justice est en effet établi par les principes qui seraient adoptés
Rappelons-le : l’objet de la théorie de la justice, qu’il tente d’élaborer, est de "parvenir à une conception dont les principes premiers fournissent des réponses raisonnables aux questions classiques et familières de la justice sociales, rapportées à ce complexe d’institutions."

Dans la théorie de justice comme équité, les institutions de la structure de base sont considérées comme justes dès lors qu’elles satisfont aux principes que des personnes morales, libres et égales, et placées dans une situation équitable, adopteraient dans le but de gouverner cette structure.
Les deux principes les plus importants sont les suivants :

" 1 – Chaque personne a un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous.

2 – Les inégalités sociales et économiques sont autorisées à condition (a) qu’elles soient au plus grand avantage du plus mal loti , et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances . "

Le concept de justice est, en effet, constitué par une ensemble de principes. C’est l’aspect idéal de la justice.

2.1.3. La justice comme équité

L’idée principale de la justice, c’est des principes qui spécifient les formes de la coopération sociale, c’est la théorie de la justice comme équité. De cette coopération découle les choix des droits et devoirs qui déterminent les avantages sociaux. Rawls développe son idée pour le voile d’ignorance (ou il n’y a pas de contingence ou avantage du hasard). De par ce voile d’ignorance personne ne connaît sa place dans la société.

Les principes de la justice sont issus d’un accord conclu dans une situation initiale elle – même équitable. Il faut aussi songer à la coopération consentante et à la capacité à favoriser sa conception du bien, personne n’a de raison de consentir à une perte durable de satisfaction pour lui-même afin d’augmenter la somme totale.
La répartition des avantages doit être telle qu’elle puisse entraîner la coopération volontaire de chaque participant, d’où l’idée intuitive (le bien être de chacun dépend d’un système de coopération sans lequel nul ne saurait avoir une existence satisfaisante, le mérite n’entrant pas en ligne de compte). L’utilitarisme ne va pas avec la coopération, le principe d’utilité est incompatible avec la coopération.

Dans la situation initiale, nous trouvons l’égalité dans l’attribution des droits et des devoirs de base ainsi que des inégalités qui ne sont justes que si elles sont compensées par des avantages pour chacun.

La justice va au-delà de l’individu et refuse l’avantage pour soi-même. L’acte juste ou injuste est posé dépendamment des institutions. Cette théorie a un champ donné. La justice comme acte et attitude individuelle ou arrangements sociaux.

Nous avons une association entre individus pour accroître le bien-être individuel, d’où l’avantage à coopérer. Il est clair qu’à propos de la justice les avis divergent, mais tout le monde sait ce qui est juste. Nous poursuivons les mêmes fins donc nous avons une amitié civique.

Nous tentons d’accroître les avantages de l’ensemble de la société et d’en répartir les avantages. Il est nécessaire de choisir des principes et un concept de la justice pour délimiter les lois et institutions pour obtenir des lois correctes.

La conception de la justice doit être publique.
Dans cette structure de base, les institutions les plus importantes sont politiques et socio-économiques. Ces institutions établissent des lois, déterminent le système politique où nous vivons. Elles définissent la structure sociale – économique et doivent définir les droits et demandes des individus.

2.1.4. La position originelle

La position originelle correspond à un état de Nature, une égalité entre individus, une situation purement hypothétique.

Cette position originelle est une position initiale où nous discutons les principes de la justice appliqués pour tous dans la société.
Pour Rawls, la théorie de la justice est une théorie du contrat qui met en avant la répartition des avantages pour tous les partenaires. Il y a une dimension rationnelle et volontaire des partis, le contrat découle de la volonté des partis.

Dans la position originelle le voile d’ignorance impose que personne ne connaît sa position dans la société ni sa force, ni sa propre conception du bien, personne ne doit connaître sa tendance psychologique particulière. Une différence psychologique serait par exemple être envieux ou ne pas l’être.

 

2.2. Le constructivisme kantien

Dans Théorie de la justice, Rawls s’est placé délibérément sous le signe d’un retour à Kant, plus précisément à la théorie du contrat social, que l’on trouve également chez Rousseau. Ainsi fait t’il preuve d’une certaine originalité en s’opposant à l’utilitarisme qui constitue une culture dominante dans son pays.
L’utilitarisme est une doctrine qui justifie rationnellement le sacrifice d’une minorité au bien-être global du reste de la société, au nom du "plus grand bonheur au plus grand nombre". Rawls, au contraire, proclamait dans Théorie de la justice, ainsi que dans les articles présentas dans cet ouvrage, que " chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l’ensemble de la société ne peut être transgressée". Il insiste sur la nécessité de réaffirmer la priorité de la justice sur le bien-être dans une société se voulant démocratique.

2.2.1. La priorité du juste sur le bien

D’ailleurs, dans son article "La priorité de juste et les conceptions du bien", John Rawls affirme cette priorité du juste sur le bien. Comme dans tous les autres articles, il répond à certaines critiques et tente de se justifier. Il répond notamment à la critique selon laquelle sa conception de la justice soit serait intolérante vis-à-vis de certaines conceptions du bien (comme les doctrines religieuses anti-individualistes), soit conduirait au scepticisme par sa neutralité à l’égard du contenu des croyances présentes dans une société pluraliste.
Pour Rawls, le juste est antérieur au bien : Il affirme que les conceptions du bien ne sont pas toutes acceptables dans une démocratie libérale et qu’il faut les soumettre aux contraintes du juste. Il reprend alors les idées qu’il développe dans Théorie de la justice sur le bien et le juste.
Le juste et le bien sont complémentaires en ce sens qu’une conception politique doit s’appuyer sur différentes idées du bien, à condition que ces idées soient politiques. Autrement dit, les idées acceptables du bien doivent respecter les limites de la conception politique de la justice et y jouer un certain rôle. Rawls co,nsidère cinq idées du bien :

2.2.2. L’inspiration de Kant

Rawls tente d’expliquer en quoi sa théorie est constructiviste et kantienne.

A première vue, la théorie présentée par Rawls est éloignée de Kant.

Sa théorie a pour objectif de formuler les principes de "justice distributive", notamment, comme nous l’avons évoqué antérieurement, l’égalité dans la protection des droits civiques et politiques, économiques et sociaux des citoyens, que , dans nos sociétés contemporaines, tout régime démocratique constitutionnel devrait adopter.
Ce n’est donc pas une théorie morale générale.
Son but est plutôt de mettre en place des lignes directives destinées aux décideurs politiques et sociaux pour éviter les dérapages dans les nombreuses interprétations des lois, de la Constitution. Elle a donc un rôle régulateur et se rapproche plus de la "Doctrine de droit", selon Catherine Audard (1993) dans Magazine littéraire.

Cependant, dans son discours, Rawls fait appel à la tradition du contrat social (Rousseau, Kant). Pour Rawls, la théorie de la justice est une théorie du contrat qui met en avant la répartition des avantages pour tous les partenaires. Il y a une dimension rationnelle et volontaire des partis : le contrat découle de la volonté des partis.
Le contractualisme est en effet l’élément principal de la théorie de Rawls

 

2.3. L’idée d’un consensus par recoupement et le domaine du politique

Dans les derniers articles de l’ouvrage, John Rawls se tourne vers les problèmes politiques. Il répond là encore à plusieurs reproches qui lui ont été faites sur sa difficulté à comprendre les concept de politique. Il développe ainsi l’idée d’un consensus par recoupement.

Il annonce que dans le cas d’une démocratie constitutionnelle, le rôle de la philosophie politique est d’offrit une conception politique à la justice.
Il donne alors quatre caractéristiques de la conception politique de la justice :

Dans son dernier article, Rawls aborde directement la question du politique. Le politique a pour lui un sens descriptif et sociologique.
Rawls s’oppose au non-politique.
Le politique, d’après Rawls, se comprend par contraste avec des groupements humains privés (comme les Eglises), plus où moins librement choisis, où les principes de basse ne sont pas menacés.
Pour Rawls, est politique un groupement humain non choisi où s’exercent la domination et la coercition des uns sur les autres et, où, par définition, les libertés sont menacées.
Le domaine du politique appelle dons des règles et des principes pour faire régner l’ordre.

"Un consensus par recoupement existe dans une société quand la conception politique de la justice qui gouverne ses institutions de base est acceptée par chacune des doctrines compréhensives, morales, philosophiques et religieuses qui durent dans cette société à travers les génération" (Théorie de la justice)

Selon Rawls, l’idée d’un consensus par recoupement doit nous permettre de comprendre comment un régime constitutionnel, caractérisé par le fait du pluralisme (existence de doctrines conflictuelles), pourrait assurer, malgré des divisions profondes et grâce à la reconnaissance publique d’une conception politique raisonnable de la justice, la stabilité et l’unité sociales.

 

3. Rawls et l’utilitarisme

 

Pour Rawls la justice est vertu principale. Dans l’utilitarisme, nous avons le principe de l’utilité, ses vertus morales (justice) entre autres.
L’utilitarisme est la doctrine classique de Bentham et de Mill ; cette doctrine pose qu’une action est bonne si se conséquences augmentent le bonheur du plus grand nombre. Le but de Rawls est de montrer que l’utilitarisme est incompatible avec les principes de la constitution américaine et qu’il faut l remplacer par une doctrine comme la sienne.

Le philosophe est contre l’utilitarisme, car il veut une inviolabilité de la liberté de base (quelque chose d’intuitif , qui fait partie de la conception morale de la plupart des gens, Rawls fonde sa théorie dans cette intuition).

L’utilitarisme ne se préoccupe pas des sources de satisfactions, pour Rawls elles peuvent être bonnes ou mauvaises, il cherche les limites des satisfactions admissibles ou non. Comme nous l’avons évoqué précédemment, pour lui, le concept de justice est antérieur au bien.

En ce qui concernant l’intuitionnisme : il s’agit d’une doctrine selon laquelle un ordre de faits moraux indépendants et antérieurs à notre jugement pourrait être atteint directement ou par approximation. Rawls distingue l’intuitionnisme rationnel de l’intuitionnisme pluraliste de Ross qui conclut à l’impossibilité de découvrir des principes premiers de la justice.

Il y a une famille irréductible de principes premiers que nous devons mettre en balance les uns par rapport aux autres et en nous demandant, par un jugement mûrement réfléchi, quel est l’équilibre le plus juste.

Les fait moraux sont complexes, nous n’avons pas de critère unique, mais une pluralité de critères. En cas de conflit, il faut chercher l’équilibre entre les principes premiers.

C’est l’intuition qui nous oriente vers l’équilibre le plus juste. Cette intuition est influencée par la position dans la société, par exemple une personne au chômage met en avant d’autres critères, elle est influencée par les habitudes et les coutumes. Pour regarder les buts sociaux, nous regardons la cohérence dans les jugements. Les intuitions aident à trouver l’équilibre, puis nous regardons dans le système philosophique (dichotomie). L’intuition n’a pas de règle d’équité. Il faut voir le total des satisfactions avec la répartition de l’égalité. le meilleur, tous les points sont égaux , tous les points sont meilleurs sur une courbe d’indifférence.

Rawls ne s’oppose pas à l’intuitionnisme mais il n’y adhère pas totalement.

Pour Rawls, "Le principe d’utilité est incompatible avec une conception de la coopération sociale entre le personnes égales en vue de leur avantage mutuel". Il ajoute "nous devons imaginer que ceux qui s’engagent dans la coopération sociale choisissent ensemble, par un seul acte collectif, les principes qui doivent fixer les droits et les devoirs de base et déterminer la répartition des avantages sociaux. Les hommes doivent décider par avance selon quelles règles ils vont arbitrer leurs revendications mutuelles et quelle doit être la chartre fondatrice de la société" .
Ainsi, tout individu est d’accord d’avoir une règle contraignante. Il y a une réglementation collective. Et l’individu l’accepte en apportant lui-même sa contribution. C’est le problème de l’isolement ou le problème du "dilemme du prisonnier". La confiance en l’autre apparaît comme la condition nécessaire pour s’extraire de ce dilemme.
Cette exemple met alors en évidence que l’utilitarisme ne peut à lui seul fonder les conditions d’une vie en société. Une part d’intuition est indispensable.

 

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