LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

 

PEYRELEVADE J.

"Le gouvernement d'entreprise
ou les fondements incertains d'un nouveau pouvoir"

(70 pages)

 

 

1) L’auteur

    Jean Peyrelevade est ingénieur et économiste de formation. Il a longtemps enseigné l’économie de l’entreprise à l’Ecole polytechnique (1969-1994). Sa carrière professionnelle s’est déroulée pour l’essentiel dans le monde financier. Il préside le Crédit Lyonnais depuis novembre 1993, après avoir dirigé la Compagnie financière de Suez (1983-1986) et l’UAP (1988-1993).

    Il a été également administrateur de Bouygues, Club Méditerranée, LVMH, Power Corporation of Canada (Canada), Lagardère Group, AGF, ainsi que membre du conseil de surveillance de Suez Lyonnaise des Eaux et représentant permanent de l’Etat dans Renault S.A.

    Cet ouvrage a pour but de présenter un point de vue sur l’actualité des dernières années dans le monde de l’entreprise.

     

2) Postulats

 

3) Hypothèses

 

4) Mode de démonstration

L’auteur développe sa pensée en l’appuyant sur des sources diverses. En l’absence de bibliographie, on constate qu’il fait appel à des articles et travaux universitaires où l’on note une prédominance d’auteurs anglo-saxons.

Pour l’essentiel de cette ouvrage, l’auteur établis un parallèle entre le système français et les systèmes anglo-saxons en s’appuyant sur des arguments essentiellement juridiques et historiques.

Dans le dernier chapitre l’auteur étoffe sa démonstration de façon mathématique ce qui donne plus de précision à son propos.

Globalement la pensée de l’auteur reste à un niveau d’idées très général qui n’a pas besoin de démonstration très rigoureuse.

 

5) Résumé

En moins de dix ans les règles du "corporate governance", nées aux Etats-Unis, ont envahi la Grande-Bretagne et touchent aujourd’hui l’Europe continentale. Cette éclosion brutale révèle plus qu’un simple effet de mode, elle a un vrai fondement.

Les institutions et les lois de l’économie de marché jusqu’ici peu structurées, différentes d’un pays à l’autre et mal coordonnées, surgissent aujourd’hui en pleine lumière et se réunissent en un code universel. Ce code est l’instrument d’un pouvoir nouveau dont il signifie l’instauration.

Dans cette ouvrage, l’auteur défend une thèse suivante : le modèle français de gouvernance est inacceptable, mais le pouvoir que confère le modèle anglo-saxon aux fonds de pension est dangereux et doit être modéré.


1) Le mythe fondateur

L’auteur établi l’existence d’un véritable mythe fondateur du capitalisme autour du concept de l’actionnariat. Dans les relations entre entrepreneurs et actionnaire, Jean Peyrelevade relève du mythe de l’harmonie de leurs intérêts. Les actionnaires, et leur argent, étant indispensables au monde des affaires, on décida alors d’assimiler la gouvernance d’entreprise à une démocratie.

On prétendit alors que leur fonctionnement était similaire :

En conséquence, il semble que les dirigeants de l’entreprise ne peuvent agir qu’en conformité et sous le contrôle étroit des actionnaires.

L’auteur nous explique que cette comparaison relève en fait "du détournement intellectuel, le petit actionnaire n’ayant jamais eu aucun pouvoir". Il nous révèle que les dirigeants d’entreprise opèrent un véritable confiscation du pouvoir et que "seul les grands actionnaires ont l’aptitude de se faire entendre des directions de sociétés voir de leur tenir tête".


2) De l’harmonie au conflit d’intérêts

L’auteur recadre le sujet : le gouvernement d’entreprise concerne donc les relation entre management et investisseurs institutionnels et non pas avec les petits porteurs.

Quel a été le déclencheur du débat sur la légitimité des dirigeants d’entreprise à agir dans le sens des actionnaires ?

D’abord aux Etats-Unis dans les années 80, une série d’OPA hostiles conduisent au changement des équipes dirigeantes et, consécutivement, à un gain substantiel pour les actionnaires et un gain de valeur pour les entreprises. Grâce aux raiders, on découvre alors que de nombreuses entreprises n’ont pas toujours été gérées dans l’intérêt des actionnaires.

Ensuite au Royaume-Uni, dans les années 90, une succession de faillites retentissantes jette une suspicion sur la fiabilité des comptes et des rapports financiers présentés par les équipes dirigeantes. Dans le même temps la suspicion s’étend à la qualité des contrôles exercés par des conseils d’administration abusés par leurs présidents.

Au travers de ces expériences, la croyance dans le mythe de l’harmonie entre actionnaires et gestionnaires avait définitivement vécue. La théorie classique de maximisation du profit des actionnaires fut battu en brèche par la théorie de l’agence qui met en avant l’intérêt personnel des dirigeants dans le cadre d‘une information asymétrique.

L’auteur analyse cette situation comme la conséquence de la séparation introduite juridiquement par la SA entre propriété du capital et pouvoir de gestion. En fait, la complexité des affaires conduit à la délégation de pouvoir et à l’autonomie du chef d’entreprise, celle-ci n’étant pas contrebalancée par un véritable contrôle.

Ainsi le conflit actionnaires – dirigeant peut naître de la divergence des intérêts du dirigeant et de ceux des actionnaires :

De plus, l’auteur constate l’absence de mécanismes externes rapides pour pointer les dysfonctionnements dans la gouvernance d’entreprise et de sanctions appropriées. En conséquence, il estime que "c’est par le jeu quotidien des mécanismes internes que la relation entre actionnaires et dirigeants doit trouver son équilibre". Il propose les solutions suivantes :

Le Conseil d’administration apparaît pour l’auteur comme le lieu où "se noue la dualité du pouvoir" : pouvoir de gérer du dirigeant et pouvoir de contrôler de l’actionnaire via les administrateurs.


3)
L’explosion des gestions collectives

L’auteur pose les deux principes de base de la notion de gouvernement d’entreprise :
- la dualité du pouvoir au sein des conseils d’administration
- la transparence et la discussion de la rémunération des gestionnaires
L’auteur constate que pour que le pouvoir du capital puisse enfin s’exercer, il a fallu que la gestion collective (les fonds de pension) vienne se substituer aux petits porteurs (mythe du capitalisme populaire) pour prendre le pouvoir dans l’entreprise.

L’auteur met en évidence la montée en puissance des fonds de pension dans l’animation des marchés financiers. Il explique ce mouvement et donne des informations chiffrées pour les Etats-Unis et l’Europe. Ainsi l’on apprend que la part des actions dans le patrimoines des ménages américains à fortement augmenté et que le nombre de foyers possédant des actions et passé de 6 millions dans les années cinquante à 52 millions en 99. Dans le même temps les fonds de pension ont considérablement augmentés leurs adhérents et la somme des actifs qu’ils gèrent. A eux seuls les fonds de pensions possèdent 38% du capital des sociétés américaines. "En ajoutant les compagnies d’assurance, le total des actions détenues par les investisseurs institutionnels pour le comptes des épargnants dépasse 50 de la capitalisation boursière américaine. C’est donc à travers les investisseurs institutionnels que s’exerce de plus en plus la défense des intérêts des ménages américains".

L’auteur constate que "alors que la détention directe d’action par les individus s’accompagnait d’une dilution du contrôle exercé par les apporteurs du capital et laissait l’essentiel du pouvoir à la direction de l’entreprise, la concentration de titres dans les mains d’une nouvelle catégorie d’institution, les gestionnaires de fonds soumis par la concurrence et la réglementation à un devoir de bonne gestion des intérêts des épargnants, a transformé profondément la nature des relations entre mandant et mandataire dans le capitalisme anglo-saxon dont les bases financières se sont simultanément beaucoup élargis".

En prenant l’exemple du fond Calpers qui gère plus de 100 milliards de dollars et investi massivement dans des entreprises, l’auteur constate que en présence d’un titre ayant de mauvaises performances boursières, le fond se trouve dans la quasi impossibilité de vendre sous peine de voir s’effondrer le cours. Dans cette situation les fonds n’aurais donc "pas d’autres solution, pour améliorer le rendement de leurs actifs, que de peser sur les décisions d’entreprise".

C’est ainsi que Calpers est devenu l’un des champions du "corporate governance", en publiant la liste noire des sociétés qui ne prennent pas suffisamment compte de l’intérêt de leurs actionnaires, en surveillant les rémunération des dirigeants et des administrateurs, et en demandant le cas échéant le départ des chefs d’entreprises, jugés insuffisants.

Aux Etats-Unis, les gestionnaires des fonds privés, dans l’ensemble moins impliqués dans la gestion des entreprises, sont désormais obligés d’exercer leur vote dans les assemblées annuelles que ce soit pour les sociétés américaines (88) ou étrangères (94).

Face au capitalisme anglo-saxon où les fonds de pension et les compagnies d’assurance dominent le marché, le capitalisme dit continentale ou Nippo-rhénan (Allemagne, France, Italie, Japon) présente une structure différente. "Les actions détenues par l’Etat, les banques et les participations croisées entre sociétés constituent encore le clé de voûte de système, les fonds de pension ne jouant qu’un rôle relativement faible". Rôle cependant en développement dans des grands pays exportateurs tels que les Pays Bas, la Suède mais également la France.


4) La conception dualiste du pouvoir et l’exception française

    Depuis la publication aux Etats-Unis en 1993 des "Principles of corporate governance", qui met en évidence la nécessité par le Conseil de surveiller ceux qui gèrent la société, on voit s’organiser la dualité du pouvoir au sein des Conseils d’administration entre pouvoir de contrôle de l’actionnaire et pouvoir de gestion des dirigeants.

    Le point ultime de cette division du pouvoir est atteint lorsque sont désignés simultanément un président (non-executive chairman) et un chef d’entreprise (chief executive officer) qui sont distincts. 20% des sociétés américaines ont adopté cette solution très claire. Dans celles qui confondent la double fonction de président de conseil et la direction générale sur la même tète, 27% ont cependant tenu à designer formellement un administrateur en chef dont le rôle particulier est de veiller au bon exercice du contrôle et de la surveillance des pouvoirs du PDG. On constate que ce mouvement est en accroissement sensible.

    Au final "80% des sociétés américaines cotées ont mis en place un processus formel d’évaluation annuelle qui compare les résultats atteints aux objectifs fixés au début d’année". On observe un mouvement similaire au Royaume Unis.

    Dans d’autres pays comme l’Allemagne et le Pays Bas c’est la loi qui impose une structure dualiste de pouvoir en distinguant formellement conseil de surveillance et directoire.

    Dans les autres pays, là où la loi est muette, il est frappant de constater que le plus souvent présidence et direction générale sont séparés.

    Dans ce contexte pourquoi les deux pouvoirs sont-ils systématiquement confondus en France ? En effet parmi tous les pays industrialisés la France reste le seul pays à confier juridiquement à un seul homme, par force de loi, l’intégralité des pouvoirs de gestion des grandes sociétés : loi du 24 Juillet 1966, art.13, "le président du conseil d’administration assume, sous sa responsabilité la direction générale de la société".

    L’auteur s’interroge sur l’origine d’une situation aussi exceptionnelle qui trouve son origine sous le gouvernement de Vichy.


5) Le Führer prinzip

Avant 1940, le fonctionnement des sociétés anonymes relevait d’une loi de 1867. Cette loi organisait à la fois la dualité (distinction entre le conseil d’administration et l’administrateur délégué) et la collégialité du pouvoir (responsabilité collective du conseil).

Nommé secrétaire d’état aux finances en 1940 par le régime de Vichy, Yves Bouthillier fait promulguer un ensemble de lois tendant, dans son esprit, à "substituer au système de l’irresponsabilité collective celui de la responsabilité personnelle". Ces textes instaurent une fonction nouvelle, celle de Président Directeur Général.

Ainsi disparaissent la dualité et la collégialité du pouvoir au sein du C.A. Les fonctions de direction et de représentation sont confondues sur une même personne. La présidence de la direction générale sont désormais deux fonctions inséparables, réunies dans les mêmes mains et dont le Président, et lui seul, assume la responsabilité.

Assez curieusement, ces textes furent validés, après la Libération, par le Gouvernement de la République. Le "Führer prinzip", jeu de mot dont nous laissons la paternité à son auteur, met donc en perspective une période historique, l’occupation allemande et le gouvernement de Vichy, avec la toute puissance du P.D.G. organisée par les textes votés à cette époque.

Trois grands modèles s’affirment en matière de pouvoir des dirigeants d’entreprise :

Ainsi la France se retrouve seule, dans le monde développé, à concentrer par la loi tous les pouvoirs d’administration et de direction de ses grandes sociétés entre les mains d’une seule personne. Partout ailleurs règne la collégialité et/ou la séparation des pouvoirs.


6) Les rémunérations : transparence et opacité

A coté de la dualité du pouvoir au sein du CA, la transparence et la discussion de la rémunération est le second principe fondateur du "corporate governance".

Les revenus d’un président de très grande entreprise représente environ 15 fois le salaire moyen au Japon, 25 fois en Europe et 100 fois aux Etats-Unis. Nombreuses sont les études anglo-saxonnes qui s’interrogent sur l’existence d’une corrélation entre performance et rémunération des dirigeants. Qu’en est-il ?

Toutes les études montrent que la rémunération des dirigeants augmente en fonction de la taille des entreprises. Cependant les travaux qui tendent à montrer que, au Japon et aux USA, la rémunération est corrélée à divers indicateurs de performance comme le cours de l’action, les ventes ou le profit, sont nuancés par d’autres études qui pointent l’extrême faiblesse de ce lien supposé. On constate de fait, compte tenu du phénomène d’information asymétrique, que le management est mieux placé que quiconque pour anticiper les variations de profit ou du prix de l’action à son propre profit. Ainsi est-il démontré statistiquement, que les dirigeants américains reçoivent des stock-options avant l’annonce publique de bonnes nouvelles ou après celle de mauvaises, démontrant ainsi leur capacité manœuvrière à défendre leur intérêts matériels.

La transparence est cependant la règle aux Etats-Unis en ce qui concerne le montant des rémunérations. La SEC a rendue obligatoire la publication, dans le rapports annuels soumis aux assemblées d’actionnaires, de la rémunération totale, avantages en nature, cotisations de retraite et stock-options, de chacun des dirigeants membres du conseil. Le débat porte actuellement sur la question du vote formel par l’AG de ces rémunération.

Les britanniques ont suivi le même chemin avec le rapport Greensbury de 1995. Entièrement consacré à la rémunération des dirigeants celui-ci a établi les recommandations suivantes visant à la transparence totale et observées par l’ensemble des sociétés cotées :

Mais qu’en est-il des rémunérations des patrons français ? Cette question ne reçoit pour l’instant que de rares réponses dans la mesure où, là encore, la France impose sa singularité : la fixation et la connaissance de la rémunération des dirigeants sont des attributions du conseil d’administration… sans obligation de "publicité" auprès de l’AG. Juridiquement la loi précise "le conseil détermine la rémunération du président", pour sa part la jurisprudence ajoute " la rémunération doit faire l’objet d’une délibération du CA sur son montant et ses modalités ".

De fait la plupart des CA se sont dotés, en violation des dispositions légales, d‘un comité de rémunération dont la raison d’être est de sortir la discussion du conseil d’administration (où siège entre autres les représentants du comité d’entreprise et des actionnaires), pour en limiter la portée et la publicité. Ainsi deux ou trois administrateurs soigneusement choisis débattent avec le président des questions matériels qui le concernent. Comme le dit l’auteur "on reste donc entre soi" et les CA ne délibèrent ainsi que très rarement de cette question et ne sont pas plus souvent informés de sa conclusion.

En bref, non seulement l’assemblée générale des actionnaires n’a pas a connaître, en France, de la rémunération des dirigeants, mais seconde singularité hexagonale (contraire à la loi), le conseil d’administration se dessaisi lui-même de sa prérogative au profit d’un comité restreint sans existence légale mais "institutionnalisé" par le rapport Viénot.


7) Intérêt des actionnaires ou intérêt social

    Ni division du pouvoir, ni transparence des rémunérations, le "corporate governance" à la française ressemble à une mauvaise contrefaçon de l’original anglo-saxon.

    Une telle déviation trouve, pour sa justification, un fondement théorique basé sur une distinction entre l’intérêt des actionnaires et celui de l’entreprise. Dans cette approche, l’entreprise est perçue comme exprimant un intérêt social qui transcende les intérêts particuliers de ceux qui y participent. Le pouvoir des actionnaires est relativisé au nom d’un impératif plus noble. Les dirigeants sont donc chargés d’une sorte de mission d’intérêt général qui justifie le surcroît l’autonomie et le pouvoir d’arbitrage du management.

    Reprise dans le rapport Viénot, cette notion d’intérêt général (généreuse et opposée à l’âpreté du capitalisme anglo-saxon) sert à conférer au conseil d’administration et à son président un pouvoir tout-puissant qui s’impose, au nom du bien commun, à tous les intérêts particuliers.

    On mesure bien l’intérêt d’une telle conception : dés lors que la création de "shareholder value" est suffisante, le contrôle des dirigeants ne relève que du seul conseil d’administration. Ainsi va la spécificité française : un pouvoir monolithique, une forte opacité sur les rémunérations des dirigeants qui peuvent librement interpréter un intérêt général dont ils sont les seuls jugent.

    La réponse anglo-saxonne est évidente et s’imposera tôt ou tard : le management a pour seule mission de rendre maximale la valeur de l’entreprise pour ses actionnaires.


8) Le triomphe des fonds de pension

    L’auteur met en doute la liberté du dirigeant en ce qui concerne la prise des décisions stratégiques de l’entreprise. Les gestionnaires de fonds de pension vont imposer leurs vues au capitalisme mondial car ils dominent le marché financier. Par exemple, de toutes les bourses occidentales, celle de Paris est déjà la plus investie par des capitaux étrangers (37% contre 12% à Francfort ou 8% à Tokyo).

    Ainsi quelques soit nos résistances, les deux principes de base de "corporate governance" auront triomphé dans un petit nombre d'années sous l’influence des fonds de pension, nouveaux arbitres du capitalisme contemporain. L’auteur se demande si le monde économique n’est pas déjà dirigé dans l’intérêt et par les retraités. La recherche systématique de création de valeur étant l’expression d’une démarche de rentier pouvant aller de façon "schizophrène", jusqu’à sacrifier les emplois des salariés, eux-mêmes futurs bénéficiaires de l’action des fonds.

    Selon l’auteur il est temps, pour la France, de réagir, afin de ne pas être obligé de se soumettre à ce qu’il appelle "un nouveau conformisme". En premier lieu, pour peser dans le jeu capitaliste mondial, notre pays doit se doter des mêmes armes que ses rivaux, c’est à dire à repenser le système des retraites. Il nous faut consentir enfin à accumuler une épargne par capitalisation nécessaire à l’entretien de nos futurs retraités et sortir du jeu pur de la répartition qui pèse trop lourd sur le niveau de vie des actifs. Dans un second temps, cette épargne investi dans nos entreprises sur le mode des fonds de pension protégerait notre indépendance.

    L’auteur s’interroge sur la recherche systématique de la "shareholder value" pour faire croître le plus vite possible la capitalisation boursière des entreprises. Que penser de la prospérité observée ces dernières années sur les grandes places boursières de la planète et des progressions qui se mesurent en centaines de pour-cent  ? Les gestionnaires des fonds de pension s’en réjouissent et y voient les signes annonciateurs d’une prospérité établie. L’auteur en doute fortement car il relève que les capitalisation boursières ne peuvent croître indéfiniment de 10 à 15% par an quand les taux de croissance des économies occidentales sont de l’ordre de 2.5%.


9) L’objectif impossible

L’auteur s’interroge sur le niveau de rentabilité qui serait "raisonnable" d’espérer des entreprises. Cette question anodine apparaît en réalité fondamentale à l’auteur. En effet, désireux de plaire aux gestionnaires des fonds de pension les dirigeants des entreprises cotées annoncent des objectifs de rentabilité du capital après impôt de l’ordre de 15%. Or l’auteur estime que de tels niveaux de rentabilité sont, dans la durée, impossibles à tenir.

L’auteur base sa démonstration sur la théorie financière classique. Il développe quatre arguments pour démontrer le caractère irréaliste et dangereux de telles prétentions.

1. L’auteur démontre qu’un taux de rentabilité de 15% sur la base de taux moyen de distribution des sociétés françaises cotées (environ 40%) détermine un taux de croissance à long terme de 9%. Si l’on retire 2% d’inflation, "il reste une croissance autofinancée de l’ordre de 7% en volume par an, alors que l’ensemble de l’économie ne croit que de 2 à 3%. Le maintient durable d’une telle situation relève clairement de l’illusion"

2. Le second raisonnement mettant en évidence l’absurdité de cette situation est basé sur la notion des arbitrages de la théorie micro-économique. L’auteur postule que dans le cas où le profit après impôt croîtrait de 9%, le bénéfice par action devrait croître au même rythme ainsi que le prix de l’action. Dans ce cas, les actionnaires pourront s’enrichir de manière infinie par un simple arbitrage : il suffit d’emprunter de l’argent, d’acheter des actions et de les revendre plus tard à un prix supérieur. Or en régime permanent et en univers certain, le taux croissance ne peut être durablement supérieur au taux d’intérêt, ce qui démontre l’absurdité de cet objectif.

3. Le troisième raisonnement est basé sur la notion de "price earning". Si l’on part d’un "price earning"  moyen des bourses occidentales de l’ordre de 20 (rapport du prix de l’action au bénéfice par action), nous nous fixons implicitement, en accompagnement d’un taux de croissance de 9%, un taux d’actualisation de 11% supérieur de 2 points au taux de croissance. Or ce taux d’actualisation est précisément le coût du capital. L’auteur observe avec inquiétude que le coût du capital soit aussi élevé d’autant plus que l’on recherche à travers des ambitions de rentabilité trop hautes : une accumulation plus rapide, un taux de croissance plus fort des fonds propres immobilisés dans les sociétés cotées. L’autre inquiétude est liée à l’écart entre taux d’intérêt (4 à 5%) et taux d’actualisation (11 %). On retrouve ici l’idée que l’investisseur a intérêt de s’endetter sans limites et l’on comprend d’où vient le gonflement des bulles spéculatives.

4. Le dernier élément de sa démonstration repose sur le fait que les hypothèses développées précédemment et liées à un objectif de rentabilité de 15% conduirait en régime permanent à une capitalisation boursière des sociétés égale en moyenne à 3 fois leurs fonds propres comptables. Que les entreprises s’ajustent sur un tel niveau de "goodwill" lui paraît très dangereux.

L’auteur dénonce ainsi les exigences des gestionnaires des fonds de pension : "9% de croissance annuelle des capitalisations sur longue période relève de l’utopie, 6% peut être pas. 15 % de rentabilité des fonds propres relève de l’impossible, 10% est sans doute plus réaliste." Il observe d’ailleurs que les rapports entre capitalisations boursières et fonds propres comptables actuellement observés sur les marchés sont en moyenne plutôt inférieurs à 2, ce qui renforce son analyse.

Il se demande donc si le credo des fonds de pension ne les conduit pas à "la fixation d’objectifs dont les marchés, en fait, sanctionnent partiellement l’irréalisme tout en croyant s’y soumettre". Le retour au réel peut s’avérer, selon l’auteur, fort coûteux : un coût de capital, un taux d’actualisation trop élevé finiront par se traduire par des baisses des taux de croissance et donc de rentabilité industrielle. La bourse un temps abusée, se recalera brutalement et l’on retrouvera sans doute, à la fin des taux de rentabilité plus ordinaires.

Un autre danger est qu’à défaut de faire grandir leurs actifs, leurs investissements et leurs capacités de production, pour plaire à leurs actionnaires, certains chefs d’entreprises vont essayer d’augmenter les taux de distribution des dividendes ou diminuer leurs fonds propres pour les distribuer. L’auteur explique que cette évolution est à long terme contraire à l’impératif de croissance et donc antiéconomique.

En conclusion M. Peyrelevade propose aux économistes de s’intéresser à définir une règle qui va permettre d’établir le coût de capital qui va maximiser le taux de croissance à long terme. Il ouvre la polémique en se demandant, si la poursuite systématique de l’intérêt financier de l’actionnaire, est compatible avec l’établissement de cette nouvelle règle et s’interroge sur la pérennité de l’augmentation des capitalisations boursières.

Il se demande également si les richesses accumulées au profit des futurs retraités sont réellement constituées ou si elles ont un caractère largement virtuel.

L’auteur croit qu’il est nécessaire d’apporter une réponse à ces questions avant d’avancer une réflexion sur le "corporate governance". Il pense qu’elles seules justifient la distinction confuse entre intérêt social et intérêt des actionnaires.

 

5) Commentaires

Le livre de Jean Peyrelevade a une double ambition historique et critique :

Cette double prétention introduit un déséquilibre : l’ouvrage hésite entre le manuel et l’essai.

La vision historique qu’il développe ne manque pas d’intérêt mais donne une impression de déjà vu. Ce manque d’originalité est accentué par le fait que ce "grand patron" qui possède une vaste connaissance du monde de l’entreprise au plus haut niveau, ne fait strictement jamais référence à son expérience personnelle.

De plus, on peut estimer que l’auteur manque parfois de rigueur dans le déroulement de son exposé, comme dans ses modes de démonstration.

Au final on a trouvé que ce livre manquait d’originalité, qu’il est trop long pour un contenu qui correspond à un simple article de revue, et l’on regrette que l’auteur ne fasse jamais référence à des situations concrètes et à des anecdotes vécues qui auraient égayées son exposé.

 

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