Mancur OLSON

Logique de l’action collective

PUF 1978


 


Source : http://www.iris.umd.edu/aboutiris/olson.asp

 

A propos de l’auteur

 

Mancur OLSON (1932-1998) est diplômé de North Dakota State University. Il reçoit son Ph.D. en sciences économiques de Harvard University et participe (Rhodes Scholar) également à un programme de recherche à University College, Oxford.

Avant de rejoindre the University of Maryland il traville dans the U.S. Department of Health, Education and Welfare et comme enseignant en sciences économiques à Princeton University. Il a servi aussi dans l’armée de l’Air des Etats-Unis.

Pendant 29 ans il enseigne dans le département de sciences économiques de University of Maryland et en 1979 est nommé Distinguished Professor of Economics.

En 1990 il est le fondateur du Center for Institutional Reform and the Informal Sector (IRIS),créé au sein de l’Université de Maryland, dont l’activité principale est le conseil et l’assistance aux pays en transition. Au travers de l’IRIS Olson est intervenu dans plus de 30 pays pour les aider à établir des structures instittionnelles démocratiques et économiques stables.

Il a reçu de nombreux prix et reconnaissances comme Honorary Fellowship de University College, Oxford ou encore Fellow de the American Association for the Advancement of Sciences et de the American Academy of Arts and Sciences.

 

Source : http://www.inform.umd.edu/CampusInfo/Departments/InstAdv/newsdesk/releases/1998/98026r.html

 

Ouvrages principaux :

Logic of Collective Action, Harvard University Press, 1971

No-growth society, London, Woburn Press, 1975

Rise and Decline of Nations, Yale University press, 1982

How bright are the northern lights?, Institute of Economic Research, Lund University, 1990

A not-so-dismal science, New York, Oxford University Press, 2000

Power and prosperity : outgrowing communist and capitalist dictatorships, New York, Basic Books, 2000

 

Question/problématique

 

Comment les individus s’organisent-ils pour réaliser leurs objectifs communs ?

Est-ce qu’une action collective est possible dans un grand groupe ?

A quelles conditions ?

La fourniture de biens collectifs est-elle optimale dans le groupe ? Pourquoi ?

Economie et Sociologie : quelles différences ?

 

 

Concepts fondamentaux :

 

§             Groupes d’individus et d’entreprises (les différents types de groupes sont présentés dans le résumé de l’ouvrage ch. I, Taxinomie de groupes) :

o       Petit groupe

o       Groupe moyen : intermédiaire ou privilégié

o       Grand groupe : groupe latent

o       Groupes exclusif et inclusif

§             Biens collectifs : des biens qui se caractérisent par la non exclusivité (impossibilité d’exclure quelqu’un de la consommation du bien) et éventuellement l’indivisibilité (la consommation du bien par une personne ne diminue pas la quantité disponible aux autres).

§             Organisation : dispositif mis en place pour fournir un bien collectif à un groupe (celui qui constitue l’organisation)

§             Objectifs/intérêts communs

§             Individus raisonnables et intéressés : individus qui cherchent à retirer le maximum d’utilité pour eux au coût minimal

§             Stimulations/ incitations sélectives : des stimuli individualisables

§             Rationalité : comportement tel que les objectifs individuels sont poursuivis de façon efficace

§             Intérêt spécial : notion explicitée dans le résumé de l’ouvrage

§             Sous-produit : notion explicitée dans le résumé de l’ouvrage

 

 

Postulats

 

Ø      Les individus ont un comportement intéressé, égoïste : homo oeconomicus

Ø      Les individus raisonnables et intéressés ne s’emploieront pas volontairement à défendre les intérêts du groupe

Ø      Toute activité entreprise par ou pour des groupes d’individus se réalise par le biais d’organisations

Ø      Il y a une différence qualitative entre un grand groupe et un petit groupe ;

Ø      Entre l’Etat et les autres grandes organisations dans la société il n’y a pas de différence fondamentale ;

Ø      Chacun préfère voir l’autre payer la totalité du coût d’une œuvre commune ;

Ø      L’action d’un groupe ce sont les actions de ses membres ;

Ø      L’idéal d’une entreprise industrielle est d’être en monopole ;

Ø      Les coûts d’organisation sont fonction croissante du nombre des membres ;

 

 

 

Synopsis

 

Cet ouvrage développe une théorie explicative du comportement des individus dans un groupe. Groupe étant défini comme l’ensemble des individus (ou entreprises) ayant un intérêt en commun, l’étude de Mancur Olson vise à établir les conditions dans lesquelles les individus auront un comportement orienté vers la réalisation des objectifs communs.

Son raisonnement repose sur quelques points principaux :

Premièrement un objectif commun équivaut à un bien collectif pour les membres d’un groupe. Et la spécificité du bien collectif est que personne (du groupe) ne peut être exclus de sa consommation.

Deuxièmement les individus poursuivent toujours leur intérêt propre – ils ne participent dans un groupe que pour satisfaire leurs propres besoins.

Alors un individu dans le groupe aura « logiquement » tendance à éviter de dépenser des efforts pour la réalisation de l’objectif commun, car il sait que si l’objectif est atteint, même sans sa participation, il en bénéficiera quand même (c’est un bien collectif). Donc dès que sa participation n’est pas requise par une contrainte ou une stimulation il fera le passager clandestin. C’est le cas notamment des grands groupes dans lesquels l’individu se dilue dans la foule et son participation n’aurait aucune incidence sur l’action collective.

D’où une distinction qualitative est faite entre les grands groupes et les petits. Les petits groupes sont spécifiques parce que leur organisation est naturelle, ils la réalisent plus facilement et donc sont plus efficaces. Les grands groupes par contre peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l’action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existe, leurs membres doivent donc être incités par des moyens coercitifs ou encourageants.

 

 

Mode de démonstration

 

Le raisonnement de Mancur Olson est basé sur l’approche de l’individualisme méthodologique propre à l’économie. L’administration de la preuve se fait par l’application de la logique économique – l’intérêt individuel moteur de l’action humaine. La démonstration est appuyé par des exemples d’organisations existantes ou ayant existé. Elles sont considérées comme des unités à part entière qui ont des objectifs propres – une sorte de réification est ainsi réalisée, par exemple les syndicats ont comme objectif de préserver l’organisation et d’assurer sa stabilité.

 

Commentaires, Critiques

 

Domaine limité aux organisations économiques (là la théorie s’applique le mieux) qui sont composés par des individus qui ont des intérêts communs égoïstes. Les organisations caritatives sont incluses quand même par l’introduction dans la fonction d’utilité de leurs membres de l’utilité de l’autre.

Les critiques peuvent être nombreuses car la théorie se veut presque universellement explicative – il ne serait pas difficile de lui trouver une faille. Nous nous contenterons de présenter quelques aspects qui nous semblent discutables.

Si la théorie semble cohérente quand l’individu est mû par des motifs économiques, rien n’indique que d’autre types de motifs (psychologiques, sociaux …) sont assimilables aux motifs économiques et se prêtent aussi bien au raisonnement calculatoire.

Il y a également une certaine incohérence quant au raisonnement économique sur un bien collectif : la quantité de bien peut varier, alors que le coût reste visiblement fixe, il y a de même souvent confusion entre un bien non exclusif et un bien indivis.

Enfin, les critiques adressées à l’individualisme méthodologique sont applicables dans ce cas et notamment la vision du groupe comme un ensemble d’intérêts individuels. Vision à laquelle Olson manque quand il essaie d’expliquer certains comportements syndicaux.

 

 

Résumé

 

 

INTRODUCTION

 

En introduction Mancur Olson pose le cadre de son étude. Celle-ci s’intéressera aux comportements des individus en groupe et plus précisément aux actes individuels pour le bien du groupe.

Le postulat que des individus ayant des intérêts en commun tentent d’ordinaire à les défendre, ou encore que si la réalisation d’un objectif est profitable à tous, ils agiront de manière à atteindre ces objectifs est remis en cause. Au contraire – même si les individus étaient raisonnables et intéressés et si l’objectif était profitable à tous il ne s’en suivrait pas obligatoirement une action collective pour atteindre cet objectif.

La raison de cette carence de l’action collective est l’existence de charges et coûts liés à la mise en œuvre de l’organisation. Ce problème pourrait être résolu pourtant en introduisant des incitations sélectives pour les individus.

Ce raisonnement n’est pas valable concernant les petits groupes. La différence quantitative de la taille du groupe (le nombre d’adhérents) implique également une différence qualitative. Olson estime que les petits groupes ont des spécificités qui expliqueraient cette différence : au sein des petits groupes agir dans l’intérêt commun est naturel, or la plupart du temps l’action s’arrête avant d’atteindre un niveau optimal pour le groupe et de plus dans la répartition des charges communes « le petit exploite le grand ».

 

I. THEORIE DES GROUPES ET DES ORGANISATIONS

 

But de l’organisation

L’objectif premier d’une organisation économique est de défendre les intérêts de ses membres. Les intérêts défendus sont nécessairement des intérêts communs : en effet tout intérêt strictement individuel implique une action individuelle et donc l’organisation n’a pas lieu de se mettre en place. Au travers de cette démonstration par le contraire Mancur Olson déduit que tout intérêt défendu par une organisation économique ne peut être que l’intérêt commun de ses membres. Bien sûr ce raisonnement laisse de côté les organisations à but non lucratif – question que l’auteur abordera ultérieurement.

 

Biens publics et groupes importants

L’Etat est un grande organisation. Les objectifs qu’il poursuit sont des objectifs communs à ses membres et donc les biens publics qu’il offre répondent à la poursuite de ces objectifs. A l’image de l’Etat les grandes organisations poursuivent des objectifs qui sont comme des biens publics (biens collectifs) pour leurs membres. La fonction première d’une grande organisation est de fournir des biens collectifs à ses membres. Mais comment un grand groupe, c’est-à-dire un ensemble de personnes qui ont des intérêts en commun, va-t-il mettre en place une organisation pour satisfaire ses intérêts ? Qui va assumer les coûts de mise en place ? A l’image de l’Etat aucune grande organisation ne peut subsister sans offrir un encouragement (attrait spécifique du bien) afin d’inciter les individus à supporter les charges indispensables à la survie de l’organisation.

 

 

La théorie des groupes traditionnelle

Olson tente de faire une brève présentation des théories des groupes existantes. Il les divise en deux grands courants : les théories accidentelles (casual) et les théories formelles. La théorie accidentelle suppose que le groupe répond à un certain instinct – l’homme a une tendance fondamentale à former des associations. La théorie formelle de son côté considère que le groupe est un reflet de la société archaïque  dans la société moderne par ses liens personnels (parenté, voisinage), le groupe aujourd’hui assume certaines des fonctions sociales qu’avait la famille dans la société archaïque.

Le reproche principal que l’auteur adresse à ces théories est de négliger l’importance de la taille du groupe dans l’explication de son comportement. Il faudrait connaître l’influence du nombre d’individus dans le groupe sur la forme de la vie sociale sans oublier que le point commun à tout groupe social est l’intérêt économique de ses membres.

 

Petits groupes

Dans cette section Mancur Olson présente un modèle économique du comportement des individus face à la mise en place d’une organisation pour atteindre leurs objectifs communs. Nous ne présenterons ici que le raisonnement logique et les résultats, sans avoir recours à des outils mathématiques.

« Ce que fait un groupe dépend de ce que font les individus qui y appartiennent, et ce que les individus font dépend des avantages relatifs de leurs choix ». Chaque individu agit en fonction des avantages relatifs que lui offre une alternative, autrement dit il fait une analyse coût/avantages (utilité) et n’entreprend une action que si l’utilité qu’il en tirerait est supérieure à son coût.

C’est au niveau de ce raisonnement coûts/avantages qu’intervient la spécificité des biens collectifs à savoir leur non exclusivité – du moment où un bien collectif est fourni sa consommation est accessible à tous. Alors si une personne se sacrifiait pour assurer individuellement la fourniture du bien collectif (assumer son coût), les autres n’auraient pas à dépenser pour l’avoir. Mais ce cas de figure n’est possible que si la personne en question tire un profit (utilité) du bien supérieur à son coût. De plus la quantité de bien collectif ainsi fournie n’est pas forcément optimale pour le groupe dans son ensemble : à supposer que la personne la plus intéressée par le bien collectif (celle dont la différence entre le coût et l’utilité est la plus importante) assurait sa fourniture en une quantité qui lui convient, alors tous les autres membres du groupe n’auraient aucun intérêt à dépenser pour fournir une quantité supplémentaire de ce bien parce que le surplus d’utilité ne sera pas suffisant par rapport aux coûts supplémentaires – ils disposent déjà d’une quantité qui satisfait le plus désireux parmi eux. En d’autres termes : la quantité du bien collectif fournie par la personne la plus intéressée leur donne déjà une certaine satisfaction, même si elle n’est pas entière, et ils ne sont plus incités à augmenter la quantité du bien collectif parce que « ça ne vaut pas la peine » par rapport à ce qu’ils ont déjà. Donc la quantité de bien collectif ainsi produite n’est pas optimale pour le groupe dans son ensemble. Olson estime (et démontre par un raisonnement économique) que lorsque le coût est partagé dans les mêmes proportions que les bénéfices nets la quantité fournie du bien public est optimale. Le coût discuté ici comprend non seulement le coût du bien lui-même mais aussi le coût (les efforts) de mise en place d’une organisation pour atteindre les intérêts communs du groupe.

De ce raisonnement découlent plusieurs conséquences concernant le comportement des groupes :

§             il n’est pas certain qu’un groupe agira dans son intérêt commun, même si cela correspond aussi à l’intérêt individuel : effectivement si aucun membre ne voit pas son utilité dépasser le coût du bien collectif, il n’a pas d’intérêt à agir tout seul ;

o       une conséquence de la remarque précédente est que dans ce cas tout membre du groupe peut tenir en otages les autres par la menace de non participation au coût ;

o       une autre conséquence : il y a très peu de chances qu’un grand groupe entreprenne une action collective volontairement c’est-à-dire qu’il y a très peu de chances que la fraction des bénéfices qui revient à un membre individuel soit supérieure au coût du bien collectif – l’action collective volontaire est réservée aux petits groupes ;

§             même si une organisation se met en place, la quantité de bien collectif produite sera sous-optimale pour le groupe dans son ensemble ;

§             le coût du bien collectif est assumé arbitrairement : ceux qui ont le plus grand intérêt du bien (et qui ont les moyens de le fournir) assument la plus grande partie du coût – les grands sont exploités par les petits ;

§             un groupe dans lequel les fractions de bénéfice sont réparties de façon inégale produira une quantité du bien collectif moins sous-optimale qu’un groupe à fractions égales.

 

Ainsi la différence qualitative entre petits groupes et grands groupes se trouve expliquée. Mancur Olson appelle ainsi les grands groupes à potentiel non exprimé des groupes latents.

 

 

Groupe « exclusif » et groupe « inclusif »

Une première distinction des groupes à faire est celle entre groupes qui relèvent du marché et les autres. L’on observe toujours un mouvement d’entrée et de sortie dans les groupes. Et en fonction de la distinction ci-dessus l’attitude envers les nouveaux entrants ne sera pas la même. Ainsi toute nouvelle entreprise dans une industrie diminue le bénéfice des autres, alors que tout nouveau membre d’une association à but non lucratif est le bien-venu car il permettra de répartir les coûts sur plusieurs personnes.

Ainsi un groupe exclusif est un groupe dont le bien collectif est épuisable – la quantité consommée par un membre vient diminuer la quantité disponible pour les autres membres. Il s’agit généralement de groupes d’entreprises. Alors qu’un groupe inclusif se caractérise par un bien collectif dont la consommation par un membre ne diminue pas la quantité disponible pour les autres. Ces groupes sont d’ordinaire composés d’individus.

C’est dans les groupes exclusifs que la stratégie de pise en otage des autres décrite dans la section précédente est applicable et donc dans ce groupe les membres sont à la fois des rivaux (parce qu’il peuvent menacer les autres de non participation au coût) et collaborateurs (parce qu’ils ont besoin des autres dans la poursuite de l’objectif commun).

 

Une taxinomie des groupes

Trois grands types de groupes se distinguent :

§             petit groupe : un membre important a intérêt à produire le bien même tout seul car il en tire un grand bénéfice ;

§             groupe moyen : aucun membre ne tire un bénéfice suffisamment grand mais sa décision peut influencer les coûts et bénéfices des autres – situation indécise ;

§             un grand groupe : la contribution personnelle n’a pas d’incidence sur le collectif : le bien collectif n’est pas produit sans un stimulus individuel (privé) ;

Ces différents cas de figure permettent de déterminer quel type d’organisation est nécessaire à chaque type de groupe pour réaliser l’action collective. Tant que l’intérêt individuel suffit pour se procurer le bien l’organisation n’a pas lieu d’être. Alors, dans un petit groupe il n’y a pas besoin d’organisation, dans un groupe moyen l’organisation est tacite et dans un grand groupe l’organisation est formelle. Et encore – plus un groupe est grand, plus il requiert d’accords (ajustement, coopération) et d’organisation, et plus on se heurtera à des obstacles. Alors plus les coûts initiaux sont élevés moins il y a de chances que li bien collectif soit produit volontairement.

A partir de ces réflexions M. Olson introduit une taxinomie des groupes :

a)      Groupes exclusifs

§             Monopole pur : une seule entreprise – seul l’intérêt individuel est présent ;

§             Oligopole : quelques entreprise interdépendantes proposant :

o       Des produits homogènes

o       Des produits différenciés

§             Concurrence atomistique : grand nombre d’entreprises :

o       Concurrence pure

o       Concurrence monopoliste

b)      Groupes inclusifs

§               Monopsone : un seul individu, pas d’intérêt de groupe (le groupe est l’individu) ;

§               Groupe privilégié : il existe un membre qui a l’intérêt de se procurer le bien malgré son coût ;

§               Groupe intermédiaire : un membre a un bénéfice supérieur au coût, mais aucun membre n’est indifférent à la contribution ou non contribution des autres – un minimum d’accord et de coopération est nécessaire ;

§               Groupe latent : un très grand nombre d’individus, indifférence par rapport à la contribution ou non contribution d’un des membres au coût, très faibles bénéfice et incitation à participer à l’action, pratiquement aucune action collective.

 

L’étude de Mancur Olson vise surtout les groupes latents. Il considère que seule une incitation indépendante et « sélective » peut être efficace dans un groupe latent. Cette incitation sélective équivaut à un bien privé (non collectif). Elle peut être coercitive ou bien encourageante.

Il s’en suit que comme les petits groupes s’organisent plus facilement ils sont plus efficaces que les grands groupes.

 

II. DIMENSION ET COMPORTEMENT DU GROUPE

 

Cohésion et efficacité des petits groupes

La meilleure efficacité des petits groupes est démontrée par la réalité. En effet quand il y a trop de gens aucune décision ne peut être prise rapidement et mûrement réfléchie. Alors l’on crée des sous-groupes (comités, conseils …) qui sont les réels décideurs. De même les nombreux actionnaires des grandes entreprises représentent un groupe latent et les décisions ne sont pas prises par eux mais à des niveaux plus restreints. En somme : le petit groupe a des conditions initiales différentes de celles du grand groupe.

 

Problèmes de théories traditionnelles

Si les petits groupes sont plus efficaces que les grands, l’on ne peut pas pour autant, comme le préconisent certaines théories, appliquer leurs caractéristiques aux grands groupes. De plus la formation des grands groupes en tant qu’associations ayant repris une des fonctions des petits groupes archaïques est aussi critiquable : cela n’explique pas comment les membres adhèrent à ces grandes associations. Et il a été démontré qu’aucun groupe latent ne s’emploierait jamais à remplir volontairement une fonction. Une autre critique porte sur l’idée que le consensus sur les objectifs et les moyens à mettre en œuvre implique l’action – ce consensus n’équivaut pas incitations individuelles.

 

Motivations sociales et comportement rationnel

Des motivations non économiques bien sûr peuvent exister sans que cela contredise la théorie de M. Olson. En effet le statut social et la reconnaissance sociale peuvent être considérés comme des biens privés et donc comme des incitations sélectives. De même nous pouvons considérer des motivations érotiques, psychologiques, morales. Ces motivations sont plus ou moins fortes en fonction du cas – les motivations sociales dans un grand groupe où il n’y a pas de liens d’amitié sont beaucoup plus floues.

Alors la logique du grand groupe reste vraie tant qu’elle est rationnelle, quels que soient les motifs.

 

III. SYNDICALISME ET ECONOMIE LIBERALE

Le mouvement syndicaliste est un exemple démontrant la validité de la théorie d’Olson. Il s’en sert pour illustrer le fait que les grands groupes ne s’organisent qu’en présence d’incitations.

 

Coercition dans les syndicats

L’auteur considère que les syndicats tendent naturellement vers une grande taille. Or, historiquement, ils sont apparus d’abord comme de petites structures dans les petites entreprises américaines. Rien d’étonnant – les petits groupes s’organisent plus facilement que les grands. Bien sûr le pouvoir politique d’un grand syndicat est supérieur à celui d’un petit. Alors les petits syndicats avaient tendance à s’organiser, mais en réalité c’était une association d’associations et donc un petit groupe. Les grands syndicats nationaux proposent cependant des incitations sélectives telles l’assurance chômage, facilités d’embauche, mutation, promotion …

 

Développement des syndicats en théorie et en pratique

D’après Perlman les syndicats existent pour garantir à leurs membre d’être les premiers embauchés et les derniers licenciés. Cette vision s’inscrit dans une logique de rareté de l’emploi. Et il devrait y avoir une augmentation des adhésions en période de crise. Or l’histoire démontre le contraire – les syndicats ont eu le plus d’adhérents pendant les deux guerres mondiales, justement quand le plein-emploi était atteint. Pendant ces périodes la législation donne beaucoup de pouvoirs aux syndicats, elle rend même l’adhésion obligatoire, donc en présence de mesures coercitives les grands groupes latents se mobilisent. L’activité du syndicat pour obtenir ces mesures coercitives s’explique par sa volonté de préserver l’organisation, le groupe. Effectivement sans contrainte tous les acquis du syndicat seront accessibles aussi aux non-syndiqués sans qu’ils y aient contribué, et donc personne n’aurait intérêt à contribuer – problème classique du groupe latent.

 

Entreprise fermée aux non-syndiqués et libéralisme économique dans les groupes latents

Le syndicat pourrait être vu comme une entreprise qui s’ouvre, qui est très libre, pour pouvoir attirer le maximum d’adhérents. Dans ce cas les contraintes du type « entreprse fermée aux non-syndiqués » contraires à la liberté devraient jouer à l’encontre des syndicats. Or cet argument est fallacieux à la lumière de la théorie d’Olson, sans contrainte il y aurait toujours des « passagers clandestins ». Le droit et l’ordre sont les conditions de toute activité économique organisée. Ces contraintes légales évoquent la question à savoir si le bien-être du pays serait meilleur avec des syndicats forts ou avec des syndicats faibles. Et ici Olson aborde un problème classique de l’économie – comment mesurer le bien-être.

 

Intervention gouvernementale et libéralisme économique dans le groupe latent

L’approche présentée dans cette étude permet aussi de comprendre l’intervention de l’Etat. Si l’on envisage la liberté économique comme l’absence de tout contrôle sur la vie économique de l’individu, le choix libre de répartir son revenu, l’intervention de l’Etat est une restriction des libertés. Or comme l’Etat fournit des biens publics il a besoin de ces moyens de coercition d’un côté et de plus, comme le bien collectif est accessible à tous il est en quelque sorte imposé à tous. Alors la plus grande restriction de la liberté par l’Etat n’est pas son intervention sur le marché ou dans des entreprises privées, c’est bien la production de services publics.

 

IV. THEORIES ORTHODOXES DES CLASSES ET DE L’ETAT

 

La théorie de l’Etat chez les économistes

Les classiques considèrent que l’Etat a besoin de recourir à la coercition pour assurer les biens publics. C’est fait pour le bien-être de tous. Olson explique ce comportement par le groupe latent et donc le manque de motivation suffisante chez les individus pour contribuer.

 

La théorie marxiste des classes et de l’Etat

Dans la théorie marxiste l’intérêt de classe prime à l’intérêt national (il n’y a pas d’intérêt national). Les actes des classes résultent de calculs purement économiques des membres des différentes classes : l’égoïsme de la classe est à l’image de celui de l’individu. C’est l’intérêt égoïste qui pousse une classe à agir, alors son intérêt est réductible à celui de l’individu. Alors comme les individus ne sont pas « homogènes » l’on ne peut pas définir une seule grande classe – il y a plusieurs classes, il y a une certaine dilution de la classe.

 

La logique du marxisme

Or, les classes de la théorie marxiste peuvent être considérées comme des groupes latents : un intérêt commun existe, mais personne n’a intérêt à agir seul. L’absence de conflit des classes ne vient pas alors de la dilution de l’intérêt collectif dans l’intérêt individuel, au contraire cette absence est due à un comportement rationnel et utilitaire.

 

V. THEORIES ORTHODOXES DES GROUPES DE PRESSION

 

Le point de vue philosophique

Pour plusieurs philosophes les groupes de pression remplissent une fonction bénéfique. Leurs actions s’équilibrent et aucun n’a le pouvoir de porter préjudice à la société.

La théorie du pluralisme notamment propose une voie intermédiaire entre l’Etat – nation et le « laissez-faire » :un grand nombre d’associations privées servant d’intermédiaire entre l’Etat et l’individu. Cela favorise le développement des groupes de pression. Ces association sont supposées être volontaires et indépendantes. Les mêmes idées se retrouvent dans le courant corporatiste en France.

 

Economie institutionnelle et groupes de pression

Pour l’économiste Commons les défaillances du marché sont dues à la disparité du pouvoir de négociation des différents groupes. L’Etat ne peut pas palier ces carences du marché sans l’aide des groupes de pression. Les conflits entre les différents groupes de pression sont le moteur du progrès. Pour Commons la liberté de fonder des groupes de pression est de toutes les libertés la plus fondametale.

 

Théories modernes des groupes de pression : Bentley, Truman, Latham

Pour Latham l’association est l’élément structurel de la société. Ce qui est vrai pour la société est vrai pour la communauté économique. L’intérêt et le comportement des groupes sont des forces primordiales en économie et en politique.

Bentley de son côté insiste sur l’intérêt commun des groupes : il n’y a pas de groupe sans intérêt, et point d’intérêt tant qu’il n’est pas traduit par une action. Un groupe d’intérêt n’a de sens que confronté à d’autres groupes d’intérêt.

Truman complète la théorie de Bentley en avançant que les pressions d’un groupe se manifestent lorsque le besoin s’en fait sentir. Alors quand la taille de la société augmente, le nombre de besoins augmente et le nombre d’associations aussi.

 

La logique de la théorie des groupes

Cependant toutes ces logiques présentent des inconséquences. Les auteurs prennent pour donné le fait que les groupes s’organisent. Ils supposent la primordialité des groupes à intérêt économique par rapport aux groupes à intérêt non économique. Mais si l’intérêt économique prédomine et donc les individus sont mus par des motifs économiques, nous sommes en présence de groupes latents – l’émergence naturelle et spontanée d’organisation n’est pas possible. De plus il n’y a pas d’équilibre juste des pouvoirs des différents groupes, car certains groupes sont grands et d’autres petits et les petits s’organisent plus facilement.

 

VI. THEORIES DU « SOUS-PRODUIT » ET DES « INTERETS SPECIAUX »

 

Théorie du sous-produit et groupe de pression

Dans la réalité existent beaucoup de grands groupes organisés, alors comment expliquer ce phénomène ? La puissance économique d’un groupe de pression n’est que le sous-produit d’une autre fonction – la capacité d’organiser le groupe latent. Cette capacité repose sur :

§         L’autorité et la capacité de l’exercer

§         Les incitations positives : biens privés, bénéfices sociaux ou récréatifs

C’est effectivement la seule façon d’obliger les gens de supporter leur part du coût. Donc on peut observer deux types de groupes de pression – par la coercition et par l’incitation positive.

 

Les lobbies de travailleurs

Les syndicats ont un pouvoir politique parce qu’ils agissent sur un autre front – l’activité industrielle. En effet ils sont les interlocuteurs et les intermédiaires entre les patrons et les ouvriers. Effectivement, par la preuve du contraire, si une organisation politique ne peut pas être coercitive, alors que le syndicat recourt à la contrainte pour exister, donc son pouvoir politique n’est qu’un sous-produit d’une autre activité.

 

Les Lobbies professionnels

Les organisations professionnelles tendent toujours vers une adhésion obligatoire. Elles sont comme des mini-gouvernements : ils disposent de tous les pouvoirs et même si l’adhésion est quelquefois non obligatoire les biens privés qu’elles offrent (ou peuvent refuser) font qu’en sorte que tous les membres potentiels y adhèrent.

 

Lobbies d’affaires et théorie des intérêts spéciaux

Le nombre relativement grand des associations d’affaires en comparaison avec les associations des autres domaines s’explique par le fait qu’elles représentent souvent des industries oligopolistiques (et donc petits groupes). La trait spécifique des associations d’affaires est leur « spontanéité » : les propriétaires n’ont pas besoin d’un sous-produit pour s’associer. L’association est la règle et pas l’exception.

Alors l’intérêt spécial est propre à un petit groupe composé d’unités importantes dans lequel les charges sont supportées par une poignée de gens. Ces personnes donc ont un pouvoir fort sur les questions concernant leur branche, mais restent sans influence considérable au niveau de toute la société.

 

La promotion des politiques de pression

Dans l’histoire des Etats Unis les associations agricoles sont rares. Parmi celles qui subsistent la plus répandue est le Bureau Agricole. Il jouit d’une forte adhésion parce qu’il participe aux programmes de subvention de l’Etat qui se trouvent dans le rôle d’incitation.

 

Coopératives et lobbies agricoles

Un exemple d’organisation qui se maintient et progresse dans le monde agricole et le Bureau Agricole de l’Illinois. Il a inventé un système de coopératives contrôlés directement par lui (contrôle politique et pas économique – donc capable de servir les intérêts des agriculteurs). Ce système donnait de forts pouvoirs au Bureau – exclusion, interdiction de vendre, bénéfices réservés au commerce entre membres. Toutes ces inciataions lui ont garanti une très forte adhésion.

 

Lobbies non économiques

La théorie d’Olson devrait s’appliquer aussi bien au groupes économiques qu’à ceux à intérêt non économique. Portant il y a des groupes auxquels elle est mieux adaptée. Elle est applicable dès qu’on peut trouver une incitation sélective fournie par l’organisation.

 

Les oubliés qui subissent en silence

Il s’agit des groupes inorganisés et qui donc ne sont pas capables d’exercer une pression ou toute autre action collective. En général ces groupes sont les plus grands et donc les plus grands groupes latents. Leurs intérêts communs sont les intérêts vitaux pour l’individu ce qui rend leur potentiel d’action très important.

 

VII. APPENDICE A L’EDITION DE 1971

Dans cette appendice sont présentés certains articles publiés par l’auteur après la publication de son livre et qui traitent du même sujet. Ils arrivent aux mêmes conclusions que celles présentées dans le livre.

Un intérêt particulier représente l’idée que de nouveaux concepts non monétaires doivent être élaborés pour rendre mieux compte du bien-être de la nation.

Et encore que l’harmonie sociale est a priori impossible car à la différence des biens privés pour les quels chacun choisit la quantité et la qualité qui lui conviennent, les biens publics offrent la même quantité et la même qualité pour tout le monde et donc ne sont pas adaptés aux besoins individuels.

Finalement, et là il s’agit d’une idée sous-jacente à tout l’ouvrage, une distinction entre la sociologie et l’économie est faite : la différence entre les deux disciplines n’est pas dans leurs objets respectifs, en fait l’objet est le même, mais dans leur approche de l’objet.