LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

 

CHRISTOPHE MIDLER

"Lauto qui n'existait pas"

TWINGO,
projet original conduit de manière originale.

 

SOMMAIRE

Biographie
Quelles sont les questions posées par l'auteur ?
Quels sont les postulats ?
Quelles sont les hypothèses ?
Comment la démonstration est elle-effectuée ?
Commentaires
Résumé

 

 

Biographie

Christophe MIDLER, est ancien élève de l’Ecole polytechnique et docteur en gestion.

Il est directeur de recherche au CNRS et au Centre de recherche en Gestion de l’Ecole polytechnique dans le domaine de l’organisation industrielle et de la gestion de projet, en collaboration avec de grandes entreprises.

 

Quelles sont les questions posées par l’auteur ?

Beaucoup de questions sont posées dans le livre. L’auteur aborde ici, le processus d’un mode de travail qui est encore en pleine évolution. Les principales questions sont les suivantes :

 

Quels sont les postulats ?

Un postulat c’est un principe premier, indémontrable ou non démontré.

La démonstration faite par l’auteur de la capacité d’une organisation industrielle à créer et à développer les métiers qui fonde l’organisation, ne nous permet pas de poser réellement un postulat.

En revanche, ce qu’il est nécessaire de retenir c’est qu’il ne faut pas tenter de faire rentrer dans un schéma prédéfini les réflexions des hommes et leurs capacités à s’adapter à des situations de plus en plus complexes. Cela mènerait à réduire les champs d’actions et les idées novatrices de solutions. Il faut savoir les développer par un travail de canalisation et de capitalisation des expériences, mais non les restreindre par des méthodes de standardisation.

 

Quelles sont les hypothèses ?

Dans le cadre du récit sur l’aventure Twingo, l’auteur présente plusieurs hypothèses qui ont pu être vérifiées par la suite, la preuve en est la réussite commerciale de la Twingo.

Néanmoins, il est intéressant de se pencher sur l’hypothèse abordée quant au management des acteurs projet, par l’intermédiaire de la Direction projet.

La structure de l’organisation mise en place nous pousse à poser cette hypothèse que l’homme a les moyens d’être concepteur et réalisateur de son ouvrage, si on lui en donne les moyens et si on le soutien dans son effort. Hors dans un souci de rentabilité et d’économie, l’histoire industrielle à diviser le travail de l’homme. Alors est-ce que le travail en mode projet est tout simplement un effet de mode, ou est-ce qu’il représente réellement une modification de comportement vis à vis du travail ouvrier en aval ?

N’est ce pas là également la reconnaissance d’un besoin de créer au sein d’une même organisation des liaisons interactives avec des éléments extérieurs au système créatif ?

 

Comment la démonstration est elle-effectuée ?

 

Commentaires

"L’auto qui n’existait pas", n’est pas seulement un livre sur la façon dont a été mené le projet de la Twingo au sein de l’entreprise Renault, c’est également le témoignage d’une mutation qui s’effectue depuis plusieurs années, sur les modes de fonctionnement des organisations.

Au travers de ce livre on découvre le cheminement entrepris par les organisations industrielles pour apporter une réponse commerciale tant aux clients, qu’aux besoins de la pérennité de l’entreprise elle-même.

Après des années de standardisation, de Taylorisme, l’entreprise prend un virage à 90 degrés, pour retourner à un travail collectif, où les besoins d’échange et de relations sont une réponse aux soucis de l’industrie. Le retour de terme comme autonomie, responsabilisation, marque une séparation très nette avec les habitudes de la séparation des métiers qui a été exercé pendant ces 40 dernières années.

Quand l’auteur se demande si ce mode de travail collectif, n’est pas un phénomène de mode, on peut également se demander si ce besoin de relation inter-métiers, n’est pas également une réponse a un besoin latent des organisations à communiquer. Non seulement les organisations créatrices qui sont particulièrement aborder dans le livre, mais également toutes les organisations, quelles soient industrielles, scientifiques voire même sociales. Accorder une plus grande liberté d’expression aux métiers de l’aval, au-delà d’un discours purement humanitaire, ne serait se pas un moyen de reconnaître des compétences d’apprentissage qui permettrait de réduire les erreurs d’innovations élaborées en amont.

Une des craintes exprimée par l’auteur est de voir ce mode de communication (et par-là d’appréciation des besoins collectifs à tendre vers un même objectif), standardisé, étriqué dans des méthodologies qui empêcheraient l’homme d’obtenir par "un ajustement mutuel" des solutions aux questions auxquelles il se trouverait confronter. N’a-t-il pas raison ?

 

RESUME


L’AUTO QUI N’EXISTAIT PAS

Il y eut beaucoup de scepticisme autour du projet W60, ce n’était pas la première fois qu’on n’arrivait pas au bout d’un projet de petites voitures Renault, il y avait même eu 5 tentatives auparavant.

L’émergence du projet (1986-1987)

Renault est sur le marché de la petite voiture avec la Super-Cinq, sortie fin 1984, et vient de décider de commercialiser en 1989 la Clio. Mais Renault, pourtant leader sur le marché des petites voitures, se fait attaquer par des petites voitures étrangères.

L’enseignement tiré des cinq tentatives précédentes, est bien la difficulté de l’exercice, et le difficile compromis à trouver entre trois préoccupations : faire un projet rentable, faire une voiture attractive et ne pas concurrencer exagérément l’autre petite Renault.

A partir de l’analyse faite des tentatives antérieures, des principes clés semblent évidents pour le projet w60. Ce n’est ni dans la motorisation, ni dans la préciosité de la présentation qu’il faut développer la voiture, mais dans le caractère pratique et innovant de l’aménagement intérieur et dans la non-diversité du programme. Ces principes ont certes donner lieu à des débats, mais ces biens ces arguments qui ont été retenus.

Un projet qui démarre, ce sont donc des réflexions qui se construisent, des expertises qui débattent. En langage de gestion de projet, on dit que les grands projets sont des systèmes ouverts, qu’il est illusoire d’espérer en circonscrire précisément les limites, d’éliminer les influences déstabilisantes de "l’environnement".

L’entreprise Renault passait par une période de conflit interne avec la fermeture de Billancourt. Le projet W60 a été mis de côté pour réapparaître en 1988, alors que la conjoncture s’était apaisée. L’étude reprend, ainsi que les nombreuses questions sur les objectifs économiques du projet. Le projet W60 devient le projet X06.

Après une première présentation de la maquette en 1988, la voiture provoque des réactions contrastées, mais jamais de l ‘indifférence. Sur les questions de non diversité les conclusions d’une étude marketing apporte les réponses attendues : "Le principe de la réduction des choix a été bien accepté et les conditions de cette acceptation sont (...) que le produit soit fort, que l’offre soit claire, que le tout soit économique."

Mais le projet X06 ne cherche pas dans la standardisation et les effets d’échelle la clé de la réduction des coûts. Le projet X06 constitue au contraire un dépassement de la stratégie de diversification des produits telle qu’on la conçoit dans les années 70 et 80 : un dépassement où la démarche de focalisation sur les besoins spécifiques du client ne porte plus seulement sur les accessoires et les versions, mais aussi sur l’identité même du véhicule.

Pendant l’été 1988, le travail d’étude continu, des recherches sont faites sur le plan du design intérieur, mais également sur les coûts. L’étude technique du véhicule s’engage, de même que l’analyse des scénarios d’industrialisation afin d’étudier la faisabilité des objectifs économiques présentés en mars 1988.

En décembre 1988, a lieu la revue, les résultats sont favorables, mais le projet n’est pas officialiser tant que la rentabilité attendue n’est pas atteinte ; prochaine échéance mars 1989. En parallèle se mène une grande transformation au sein de l’entreprise Renault. Un des paris de M. Lévy, PDG de Renault est de mettre en place une nouvelle démarche de conduite de projet. Ceci afin de rendre le processus de développement automobile aussi performant que celui des Japonais.

En janvier 1989, M. Dubreuil directeur des Achats et nommé Directeur du projet X06, une fonction nouvellement crée par la transformation du processus de conduite de projet. L’équipe projet se formera petit à petit.

Le directeur du projet a trois mois pour démontrer que le projet X06 est rentable.

La première bataille à livrer est celles des coûts ; cette recherche d’économie va porter le nom de design to cost, qui sera appliqué sur six fonctions du véhicule. Les résultats de cette consultation sont spectaculaires. Ils font apparaître un potentiel de gain de 17% environ par rapport aux chiffrages précédents de la Direction des Prix de Revient. L’analyse de ces marchés montre que ces offres ne résultent pas forcément de démarches purement commerciales de fournisseurs cherchant à casser les prix, mais bien d’un travail d’étude remettant le coût au cœur de la réponse technique. Appliquer à la lettre sur un grand projet, le "design to cost" revient alors à transformer profondément les rapports entre les acteurs, introduire des dépendances là où la logique de l’organisation avait construit des autonomies, privilégier l’identité du projet sur les processus d’action routinisés.

En mars 1989, la Direction Projet peut se présenter à la revue de projet avec de nouveaux arguments pour la poursuite du X06. Mais l’officialisation n’est pas effective, même si le projet n’est pas suspendu. S’en suit l’élaboration du cahier des charges détaillé de la voiture, et la recherche de réponses à de nombreuses questions qui restent en suspens. Comme par exemple, l’industrialisation de la voiture. La vision dominante dans le monde automobile, fortement marquée par une culture technicienne, est que l’usine la plus rentable est forcément la plus moderne, la plus automatisée. C’est pourtant vers l’usine de Flins, que les choix vont se porter. L’usine est probablement condamnée, à terme, si l’on ne met pas à profit toutes les opportunités possibles pour la moderniser. Le projet X06 sera l’un des leviers de la stratégie de l’entreprise, pour relever l’usine de Flins.

Mais pendant ce temps là, la petite voiture X06 continu d’évoluer. Aussi, en 1989, le style intérieur sera "gelé". La Direction du produit va demander à ce que certains équipements prévus initialement en options, soient intégrés à la version unique. "Le style extérieur était original et fort, il fallait que le client retrouve ces caractéristiques dans l’aménagement intérieur et l’équipement". L’année 1989 est aussi décisive en ce qui concerne la motorisation.

Finalement, entre décembre 1988 et sa sortie commerciale, l’identité de la Twingo a considérablement évolué dans le sens d’un enrichissement du produit, tout en consolidant son homogénéité et son unicité. Un cap délicat car ces choix ont impliqué un enrichissement du produit, alors que les acteurs du projet étaient en même temps mobilisés sur le front des réductions de coût.

A l’automne 1989, le projet rentre dans une phase de stabilisation progressive. Le point de non-retour se situe au printemps 1990.Dans le second semestre 1990, le "verrouillage" du projet franchit une nouvelle étape. Le choix du site de production à Flins est fait en septembre 1990. La direction de projet formalise des contrats avec les différents responsables métiers pour sceller les engagements pris, les stabiliser jusqu’à la sortie de la voiture.

La bataille des validations : vers la "qualité totale", les prototypes constituent assurément les phases les plus spectaculaires, la partie "émergée de l’iceberg" du développement automobile. Ils apportent le support physique indispensable pour révéler la réalité des problèmes, permettent aux techniciens de coopérer. Mais les prototypes sont chers et longs à réaliser. Une fois le projet élaboré, vient toute une phase très longue d’essais et d’analyse critique de l’objet.

La gestion de projet s’est longtemps réduite, à un pilotage de l’investissement technique. Mais l’efficacité d’une unité de production ne dépend pas que du process technique, elle dépend également du système organisationnel et social qui l’exploite : répartition des rôles, compétences individuelles, relations entre les individus, systèmes d’invitation pesant sur les comportements. On retrouve là, le pilotage par l’aval. Et il en a été ainsi pour le projet Twingo, d’ailleurs un responsable ressources humaines a intégré l’équipe projet.

A l’été 1991, le "plateau projet" déménage dans l’usine de Flins. Le barycentre du projet se déplace sur le site industriel. Il faut démarrer et mettre au point les outils industriels. Il faut par ailleurs organiser le lancement commercial. Cette dernière ligne droite est une période de tension et de "stress" intenses. Un lancement industriel est un moment de transition entre deux mondes : le monde du développement qui s’achève et le monde de la production et de la vente qui commence.

Au printemps 1992, la répétition générale que constitue la présérie permet de faire un dernier bilan du "reste à faire" pour amener la voiture à la qualité souhaitée pour sa commercialisation. Finalement, l’accord qualité nécessaire à la commercialisation ne sera acquis qu’au début de janvier 1993. Le projet est retardé sur l’autel de la Qualité Totale.

Pendant que se déroule l’élaboration de l’objet technique et du processus industriel, le versant commercial du projet se précise. Le premier client d’un constructeur, au sens que l’économie a donné à ce terme, est son réseau commercial, constitué pour la plus grande part d’entrepreneurs indépendants (les concessionnaires). Dès lors dans ce domaine, le gel des conditions de commercialisation de la voiture ne peut s’opérer sans négociations avec ceux qui devront la mettre en œuvre.

Les lancements commerciaux sont des moments paroxysmiques dans la vie d’une entreprise. Les campagnes publicitaires constituent l’un des sujets sur lesquels les professionnels de l’automobile ne manquent pas d’être interpellés par leur environnement. Les constructeurs qui sont si soucieux d’économies, n’hésitent pas à consacrer à ces opérations des sommes importantes, d’un ordre de grandeur analogue à l’investissement d’une usine de montage annexe. Pour le lancement de la Twingo, on a gardé le principe de la campagne publicitaire à la télévision, malgré la notoriété acquise par l’accueil médiatique du produit au Mondial de l’Automobile d’octobre 1992.

Pourquoi tant d’argent pour ce lancement médiatique ? La réponse tient à la combinaison de quatre facteurs : l’importance de l’enjeu, l’incertitude des phénomènes en cause, la faible maîtrise que l’entreprise peut avoir sur eux et la spécificité de l’organisation de tels événements.

Il faut prendre en compte l’incertitude des phénomènes qui façonnent l’image d’une voiture dans le public. L’image s’installe dans le public avant que celui-ci ait eu le loisir d’apprécier objectivement les caractéristiques du produit. Ne pas imposer un puissant message au lancement de la Twingo, c’est risquer de provoquer des malentendus sur ce qu’elle est et les attentes auxquelles elle veut répondre.

Finalement, lors du lancement commercial, la logique des projets automobiles rejoint celle du spectacle. Il faut savoir choisir le moment et les circonstances propices, comme le Mondial de l’Automobile et la conférence de presse du nouveau Président de Renault, M. Louis Schweitzer, pour la présentation de la Twingo à la presse internationale, réunie pour l’occasion. Il faut savoir tenir son public en haleine, pour donner le temps aux usines de produire. C’est ce qui fut fait en échelonnant sur le calendrier, d’octobre 1992, date de la présentation, au premier avril 1993, date du lancement et le 16 janvier, un prélancement dans le réseau commercial France.

Six mois se sont écoulés depuis le démarrage de la production de série. Le 24 juin 1993 s’est déroulé un nouveau comité réunissant l’ensemble des directeurs de Renault et de la Direction du Projet. L’heure est au bilan. Les deux paris majeurs du projet étaient de produire une petite Renault attractive, mais pas trop chère et en même temps ne pas pénaliser les ventes de la Clio. Paris gagnés. Le bilan d’un projet, c’est aussi l’occasion de faire, selon l’expression consacrée, la revue critique de son déroulement, d’identifier de manière aussi exhaustive et lucide que possible les dysfonctionnements du projet, afin de pouvoir les dépasser dans les projets futurs.

Quant à l’équipe projet, le processus de sa dispersion est en marche. L’une des dernières missions du Directeur de projet est de s’occuper personnellement du devenir des membres de son équipe, afin de leur trouver un poste correspondant à leur compétence et leurs ambitions, mais aussi qui fasse profiter Renault de toute l’expérience acquise dans l’aventure de la Twingo.

 

L’ACTEUR PROJET, PORTRAIT D’UN RÔLE D’INFLUENCE

"Projet : démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir." Définition de l’AFITEP, qui a priori ne s’applique pas au projet Twingo.

En tout cas pas dans le sens que l’on pourrait avoir dans une vision taylorisée, mais si, dans une vision d’événements qui se succèdent pour atteindre une finalité propre à chaque projet.

L’innovation, exécution d’une combinaison nouvelle.

Joseph Schumpeter définissait l’innovation comme "l’exécution de combinaisons nouvelles", mais cette innovation ne peut être réussie que si la combinaison a été faite de façon cohérente, en intégrant tous les éléments participatifs de façon à donner un résultat, un produit apte à l’usage des personnes destinataires, c’est à dire que la logique d’usage soit telle qu’il n’y ait pas de doute de la finalité de l’objet crée.

Pour cela il faut partir dès le départ avec une définition commune de l’objectif à atteindre et de connaître les propriétés inaltérables du produit fini.

La Twingo a été développée dans ce contexte. Elle a fait l’objet d’une multitude de contributions, regroupées en trois pôles :

L’objet technique, combinaison d’apports créatifs divers.

La Twingo, n’est pas une découverte technique géniale, mais c’est une création collective. La réussite de l’innovation produit ne tient pas à l’accumulation des prouesses techniques, ni à d’autres ingrédients pourtant clés comme le design extérieur et intérieur de la Twingo. La paternité de la petite voiture n’appartient pas seulement à tous les techniciens spécialisés qui ont participé à la conception, mais également à tous les acteurs externes comme les acheteurs ou les fournisseurs qui ont également participé à l’opération du design to cost, voire même les commerçants ou les industriels, qui ont participé à l’élaboration des traitements d’industrialisation.

On a pu aussi constater que la fonction a tenté dès le départ d’intégrer la notion de stratégie commerciale adaptée à la voiture.

La tendance du marché des petites voitures.

L’image de la voiture comme bien de consommation a changé pour s’adapter aux obligations d’une société plus restrictive. Il fallait donc répondre à un besoin précis de la clientèle par rapport aux tendances mode, mais également par rapport à des contraintes réelles et quotidiennes. Les cinq tentatives de seconde petite Renault qui ont précédé la twingo, témoignent de cette difficulté.

Les innovations ne sont pas "tirées par le marché", car les clients des voitures qui se créent ne savent pas encore ce qu’ils voudront. Ceux qui "tirent ", ce sont, les "porte-parole" des clients futurs ; des experts non seulement de la fonction produit mais également des experts du design ou de la qualité. On retrouve sur ce point de l’anticipation de la demande, le même caractère collectif et composite du processus innovateur. Mais pour arriver à cela il faut également trouver l’accord. Si l’accord ne parvient pas à s’opérer au sein même de l’entreprise, le projet ne peut déboucher.

La nécessité de composer avec la stratégie de l’entreprise.

Il ne suffit pas de faire preuve de créativité et de s’accorder sur les attentes d’une clientèle potentielle pour qu’une innovation débouche. Encore fait-il démontrer qu’il est de l’intérêt de l’entreprise de la promouvoir. Car le lancement d’un nouveau modèle représente des enjeux considérables : 3.7 milliards de francs pour la Twingo ; une courbe de cash flows cumulés qui ne devient positive qu’après le milieu de la vie du produit. On comprend mieux la prudence des constructeurs. Du point de vue des acteurs qui incarnent la stratégie de l’entreprise, la sortie du projet n’est pas une fin en soi. Elle n’a d’intérêt que dans la mesure où elle apporte de la marge supplémentaire. L’abandon du projet n’entraîne pas, pour l’entreprise de conséquences dommageables à court terme : c’est un projet de développement, qui ajoute un créneau à la gamme existante.

 

L’ART DE L’INFLUENCE

Le directeur projet : une responsabilité bornée, dans le temps, par la fin de l’avant-projet en amont, et qui se prolonge, en aval, jusqu’à la fin du développement. Pour faire face à cette responsabilité, le Directeur de projet peut d’abord compter sur le pouvoir qui lui confère sa position dans l’organigramme : une dépendance directe de la Direction Générale et un statut analogue à celui des directeurs métiers. Sans pouvoir formels les chefs de projet n’ont guère de chance d’infléchir significativement la destinée de leur projet.

Le problème de l’acteur projet n’est pas de faire par lui-même le projet dont il a la responsabilité : il n’en a pas les moyens. Son rôle est de parvenir à influences judicieusement ceux qui vont en être les acteurs directs.

On identifie quatre ingrédients de base de cet art d’influence : l’intéressement, la communication, l’évaluation et la négociation.

L’intéressement

La première exigence est de créer, renforcer, élargir le réseau des acteurs dont les contributions peuvent s’avérer utiles au projet. Le projet X06 démontre de façon spectaculaire que l’autorité formelle n’est pas le seul ressort. Ce que le projet avait perdu avec les règles du jeu formelles, il le rattrapait avec toute la mobilisation que pouvait soulever dans cette culture professionnelle l’idée de réussite d’une nouvelle et sympathique petite Renault. Les promoteurs de la Twingo ont tiré parti de l’attrait et l’originalité propres de cette voiture. L’image des hommes de projet est généralement celle de professionnelle austère, ne communiquant que par planning et études économiques interposées. Ici, on voit à l’œuvre un véritable "charisme projet" : ce n’est pas tant en donnant des ordres qu’en mettant en scène la voiture et les objectifs du programme que le Directeur du Projet et ses collaborateurs ont enrôlé ceux qui d’une manière ou d’une autre, ont fait la Twingo.

La communication

L’art du projet implique de susciter les échanges entre tous ceux qu’on a réussis à enrôler, afin de multiplier l’exploration des combinaisons, rechercher les compromis optimaux, les points d’accord possibles.

L’organisation de la "concourance" : A chaque association nouvelle, il fait pouvoir revoir la cohérence de l’identité qui se façonne progressivement.

Pour atteindre finalement un bon niveau d’optimisation et de cohérence du produit, il est primordial que tous les métiers du développement interviennent non pas séquentiellement, mais ensemble tout au long du projet ; A tout moment, le projet est vu selon tous ses aspects, mais évidemment avec un degré de précision croissant avec l’avancement. C’est la concourance ou le concurrent engineering : tous les acteurs sont ensembles pour concourir à l’objectif commun.

La communication inter-métiers passe d’abord par un rapprochement physique des différents acteurs impliqués au plus près du terrain, soit sur le plateau projet, soit à l’usine où sont fabriqués les prototypes. L’impact des plateaux projets est multiple :

C’est le compromis global qui est privilégié, non l’optimisation locale de la charge des intervenants. Mais les cultures professionnelles de l’automobile, forgées par des décennies de spécialisations taylorienne, n’ont pas développé, à la base, des savoir-faire de travail collectif. Il faut donc inventer des supports nouveaux pour s’assurer que l’échange inter-métiers s’opère sur des objets et à un niveau pertinent. La bonne communication n’est pas absente de tensions. Les équipes projets sont des machines à faire émerger des conflits qui, sans elles, auraient toute chance d’être enterrées.

Le jugement créatif

Il faut bien prendre en compte l’inexorable incertitude qui entoure toute activité de création, quel que soit le critère avec lequel on l’envisage. L’opération de design to cost menée par la Direction du Projet X06 a montré combien les prévisions pouvaient être mises en cause, dès lors que l’entreprise y consacrait l’énergie et le talent nécessaires.

L’innovation est le fruit de ruptures, c’est aussi le fruit de la mémoire. L’interprétation de l’expérience passée est une ressource précieuse. Une idée folle ne pourra être tentée que si les réponses a priori plus raisonnables ont été épuisées.

Mais en matière de projets, l’expérience du passé ne peut pas non plus s’affirmer comme une vérité incontestable. Chaque projet étant singulier, réunir des pièces qui s’agencent bien sur d’autres puzzles n’est pas toujours la solution.

Tout au long de l’histoire de la Twingo, les subjectivités des individus se mêlent aux jugements impersonnels des instruments et des systèmes et aux enseignements de la tradition automobile. Cette subjectivité se retrouve aussi dans les jugements que les dirigeants de l’entreprise peuvent faire de sa stratégie. "Pour Renault, le plus grand risque serait de ne pas en prendre."

Lorsque des désaccords sont constatés, l’enquête se déclenche dans deux sens ; vers le projet, pour trouver un compromis admissible, mais aussi vers les juges, qu’ils soient des personnes ou des outils, afin d’accorder leurs critères ou, au moins, de construire une "matrice de passage".

La tendance actuelle, qu’illustre bien la gestion du projet X06, est de passer d’un système de contrôle centralisé à un auto-contrôle du projet par ceux qui en sont les acteurs de base. D’une part en s’accordant sur des sous-objectifs locaux cohérents avec les exigences globales du projet, d’autre part en diffusant des métriques simples traduisant sa visée générale et modélisant les interactions principales entre ses composantes, ce qui assure la coordination des explorations locales. Ce mode de pilotage décentralisé permet aussi un contrôle beaucoup plus exhaustif du projet : pour éviter l’engorgement du sommet hiérarchique, il faut que les décisions soient évaluées et tranchées au niveau le plus bas possible.

La négociation créatrice

Chaque intervenant doit être responsabiliser par rapport aux engagements de délai, coût et qualité qui lui auront été attribués. La responsabilisation sur le résultat n’a pas pour vocation de forcer coûte que coûte les individus à "prendre sur eux" toutes les contraintes. Elle vise à inciter celui qui s’y trouve contraint à identifier au plus tôt tous les obstacles qui risquent d’empêcher la réalisation de ses engagements. Cette responsabilisation de résultat oblige à la réussite aussi faut-il donner l’autonomie suffisante à l’individu pour atteindre ses objectifs. Ce principe du pilotage par l’aval représente une réelle révolution par rapport aux régulations traditionnelles : elle s’oppose frontalement à la division des responsabilités entre conception et exécution, inscrite dans l’organisation héritée de Fayol et de Taylor.

Le risque de ces régulations multiples entre les différents intervenants est de perdre l’identité même du projet. C’est là où l’acteur projet, le "heavy Weight Project Manager" doit agir comme un régulateur, mais sans trop intervenir.

La gestion projet tient donc à un judicieux équilibre entre deux principes :

 

LA VITESSE DES PROJETS

Le temps des projets

La réduction des délais, l’amélioration de la productivité et de la qualité. La gestion de projet cherche les moyens d’accélérer la convergence de ces processus de conception.

Après le développement du modèle standardisé, poussé à l’extrême par Henry Ford, suivi du modèle "variété" qui vu le développement de l’ère produit, vint le modèle de "réactivité". Les Japonais ne sont pas des experts de la "variété", mais bien de la "réactivité". C’est à celui qui sortira le plus de modèles dans les délais les plus brefs, en prenant le risque que ça marche ou que ça casse. Cette concurrence moderne est donc essentiellement une concurrence par l’offre. Il faut donc réduire les processus de développement de nouveaux produits, sans pour autant augmenter les coûts de production.

Mais le temps des projets n’est pas une donnée de nature, mais une variable stratégique. Souvent ce n’est pas la politique interne mais la situation concurrentielle du moment qui décide de l’horloge que doivent adopter les projets ; sur l’échiquier du marché automobile, ce sont les "coups" des autres compétiteurs qui déclenchent les urgences.

L’art du management impose de savoir maintenir quelques caps stratégiques, tout en composant judicieusement avec les singularités des moments et des situations.

L’autre difficulté pour mesurer la durée des projets est de s’accorder sur la définition de leur début et de leur fin. La date de fin ne pose pas trop de problème ; on choisit généralement le démarrage de la série ou la date de commercialisation. Pour la date de début, la convention généralement prise est de retenir son "point de non-retour". La durée est alors ce que les Américains appellent le "time to market" : une capacité à concrétiser rapidement ce que l’entreprise a décidé.

Si le développement est plus long que celui des produits concurrents, il risquera d’être périmé au moment même de sa commercialisation.

Néanmoins, il ne faut pas négliger toutes les phases d’exploration en amont qui ont précédé cette durée de réalisation. Le "bonn" système de gestion de projet n’est pas celui qui mène toutes les explorations au succès commercial, mais bien celui qui mène au développement les explorations qui représente une réussite potentielle.

La convergence des projets : apprendre en décidant.

Un projet est composé de deux processus :

Gérer un projet, c’est définir la forme et l’articulation entre ces deux processus. La décision d’engagement définitif d’un projet n’est qu’une étape particulière, essentielle, mais qui s’insère dans une succession continue d’explorations et de choix qui commencent avant et qui finiront après. Il faut donc tirer le bénéfice des apprentissages réalisés auparavant sur d’autres projets. Diverses évolutions organisationnelles actuelles visent précisément à traiter efficacement cette historicité des projets : implication précoce des métiers aval dans le développement, continuité de l’intervention des acteurs projets, mais aussi mise en phase de la gestion des carrières et du développement des projets.

Les projets n’ont pas d’horizon, ils ont une fin. Les gérer, c’est faire au mieux dans le morceau d’histoire industriel qui est compris entre leur démarrage et leur fin. Une histoire où rien n’est reproductible et où le temps ne se rattrape pas. Une des conséquences de l’irréversibilité des projets est l’importance de l’inertie de leurs dispositifs de pilotage. Plus tardive est la détection d’un problème, plus long est le délai d’élaboration d’une solution, et moins grands seront les degrés de liberté disponibles pour le résoudre efficacement et à moindre coût. En amont, la non-décision est payante, dans la mesure où elle ne bloque pas le processus d’exploration. En aval au contraire, la rapidité de la décision doit l’emporter sur la finesse des analyses. Le gain de temps sur la convergence des projets se gagne : En commençant à décider plus tard, et en finissant plus tôt. C’est l’acteur projet qui est garant de cette logique.

Difficile rôle que celui de l’acteur projet, il doit être suffisamment tenace pour assurer de bout en bout la continuité et la mémoire de l’histoire, mais être aussi assez adaptable pour se transformer de créatif charismatique pendant la phase amont, en gestionnaire pointilleux en phase de verrouillage puis en pompier expéditif dans l’étape finale.

 

PROFESSION CHEF DE PROJET

La compétence projet

Les compétences d’un chef de projet doivent se situer à trois niveaux : la maîtrise des méthodologies, la connaissance des techniques en cause dans le projet, la compréhension et l’adhésion au projet. A près avoir été formalisé par des ingénieurs de grands organismes comme la NASA, et très marqué par une culture technicienne, le noyau de compétence de la gestion projet s’est enrichi avec la prise en compte des logiques organisationnelles et sociales de l’innovation. La constitution de réseau comme ECOSIP, en est la preuve. L’un des axes prioritaires de ce réseau est d’intégrer la réflexion sur les instrumentations de gestion et celle sur les organisations industrielles qui les mettent en œuvre.

Le second pôle de compétence est celui des savoirs techniques en cause. Des responsables projets qui s’en tiendraient à la forme des procédures sans pouvoir juger du fond des problèmes seraient rapidement marginalisés, ou, se poseraient en médiateur en introduisant une inertie supplémentaire dans la coordination.

Le troisième pôle de la compétence des hommes projet, c’est la compréhension de leur projet. Parce qu’ils le connaissent depuis le début, ils sont la mémoire incontournable pour tous ceux qui, à chaque moment, croisent le chemin de cette création collective. La quasi-totalité des membres de l’équipe X06 étaient des militants. Sans cela ils n’auraient pas supporté l’incertitude de leur position et la conflictualité du rôle.

Profil d’une équipe projet.

Des individus assez stables pour assurer, jusqu’au bout, la continuité et la mémoire, possédant tous les registres et les techniques de la régulation projet, capables de modifier leur comportement et leurs priorités suivants les exigences de la phase, des techniciens hors pairs mais iconoclastes. L’acteur projet parfait n’est pas encore né. L’équipe projet est composée des personnes avec des profils complètement différents  et des expériences à divers niveaux. Cette diversité de profils n’est pas le fruit du hasard, elle procède d’une stratégie de constitution de l’équipe visant à établir une complémentarité de l’expertise, mais aussi un équilibre entre les styles d’intervention.

On savait que le propre de l’acteur projet était de pouvoir se mettre en relation avec l’ensemble des acteurs externes qui interviennent sur le projet. On découvre que l’efficacité de l’acteur projet collectif dépend aussi des dispositifs de communication internes propres à maintenir une telle transparence et une cohésion dans l’équipe.

La professionnalisation projet dans les entreprises.

Il existe aujourd’hui sous forme de stages, journées d’études, une offre de formation abondante sur le projet. Mais elle ne constitue pas une solution à une entreprise qui s’engage dans la gestion de projet et cherche à développer sa compétence collective en la matière. Une entreprise qui vient à la gestion de projet doit à la fois élaborer sa théorie du management de projet et la diffuser auprès de ceux qui vont la mettre en œuvre. Ce n’est pas en "déclinant" des manuels de procédures devant des stagiaires qu’on les aidera à gravir ces degrés successifs d’autonomie. Les apprentissages doivent être collectifs pour qu’une culture projet commune et cohérente puisse émerger. Le problème du temps étant toujours présent, il semble plus adapté de penser à des dispositifs où l’on travaille à partir des cas et sur des problèmes réels vécus par les acteurs projet. Ces réunions interpersonnelles stables sont indispensables pour établir une confiance nécessaire à un débat de fond, où l’on parle vraiment des problèmes, où l’on décrit sans fard les dysfonctionnements, et où on accepte de s’échanger les "recettes".

On tend, de nos jours vers une certification du management projet, ce style de processus tend à introduire de la standardisation dans les démarches, alors que l’art du projet est de faire du sur-mesure à partir de l’objectif à atteindre. Ils tendent à personnaliser la compétence projet sur des managers certifiés, alors que le succès des projets est la résultante des capacités de tous à collaborer dans les projets.

 

L’ORGANISATION DES MÉTIERS EN QUESTION.

"Vous savez, les projets passent et les métiers restent." Une évidence que l’on a trop souvent tendance à oublier aujourd’hui, du fait de la mode des projets : sans savoir-faire métier, pas la peine d’essayer de faire des projets réussis. Néanmoins la pérennité de l’entreprise est maintenant dépendante des grands projets analogues à celui de la Twingo. C’est d’ailleurs l’une des découvertes les plus dures qu’à fait le monde de l’automobile dans les vingt dernières années : l’importance de la taille de l’entreprise ne protège pas des échecs.

Les difficultés de mise en œuvre de la concourance et l’organisation interne des métiers.

Le premier dysfonctionnement typique est l’absence de représentant d’un métier dans les groupes transversaux. La structure métier ne peut ou ne souhaite pas déléguer des représentants. Chez Renault, l’institution d’un dispositif de travail inter-métier induisait une réorganisation interne du Bureau d’Etude, à savoir la création des responsables de sous-ensemble. L’organisation des groupes transversaux oblige à une modification de l’organisation des métiers.

Le second problème repéré dans la collaboration intermédiaire est le silence de certains acteurs dans le dispositif concourant : il y a bien un représentant du métier, mais il n’exprime pas son point de vue. On ne peut pas alors rechercher le compromis optimal entre les différentes contraintes, car certaines d’entre elles ne sont pas explicitées. Les problèmes n’apparaîtront que dans la crise aval et seront traités à chaud : la concourance n’a pas fonctionné.

Un troisième obstacle à la recherche d’un bon compromis apparaît lorsque le groupe reste à une opposition de doctrine métiers apparemment incompatibles. Le travail inter-métiers se réduit à une confrontation de monologues, qui durent jusqu’à ce que la crise de temps du projet oblige à trancher.

Le dernier problème que nous avons identifié est le découplage du dispositif projet et du circuit de décision réel de l’entreprise : le groupe réussit à négocier un compromis acceptable pour le projet, mais celui-ci est ensuite remis en cause par les hiérarchies des métiers. Ces quatre figures de dysfonctionnement désignent de nouveaux impératifs qui devraient être intégrés par les métiers : augmenter la dédicace des agents métiers dans les projets, développer l’autonomie et la compétence professionnelle des acteurs techniques de base, les responsabiliser sur les résultats, assurer l’engagement collectif du métier derrière ses représentants dans le projet.

Les nouveaux impératifs de la concourance.

L’implication des métiers dans la concourance est indissociable d’une révision profonde des modalités de pilotage économique des métiers. Les dispositifs projet actuels permettent, en théorie, aux métiers aval de dire leur mot dès la définition des pièces. Mais cette nouvelle possibilité formelle d’intervention ne peut être mise à profit si l’acteur n’a pas un savoir mobilisable pour évaluer les situations, argumenter ses positions. Quarante ans d’organisation taylorienne ont profondément différencié les cultures professionnelles des métiers de l’amont et de l’aval. Mobiliser en amont ces métiers de l’aval implique de leur part un changement de culture professionnelle important. Sans un développement considérable de la compétence technique abstraite des métiers aval, la concourance restera très imparfaite. L’expertise nécessaire à la concourance dépasse donc le niveau de la connaissance et de l’application des règles de l’art. Elle requiert de la part des agents métiers des capacités de compréhension et d’interprétation.

Le fonctionnement de la transversalité a non seulement besoin d’une autonomie à la base, mais aussi d’une capacité d’engagement collectif du métier derrière les représentants dédiés au projet.

La mise en œuvre de la concourance requiert un élargissement de la compétence technique à la maîtrise des trois vocabulaires de base du contrôle des projets : l’évaluation économique, la planification et le contrôle qualité sont les référentiels incontournables dans lesquels les options sont confrontées et les compromis recherchés.

La capitalisation et le développement des savoirs techniques dans les métiers.

La finalisation des processus projet est facteur de risque, mais elle est aussi créatrice d’effets mobilisateurs et de convergence liés à ces contraintes. On constate qu’en fait, la problématique projet ne s’oppose pas systématiquement aux innovations risquées mais qu’elle opère parmi elles une sélection en fonction des enjeux particuliers du projet. C’est la connaissance acquise sur la relation entre ses spécifications et les résultats de son essai, qui permettre d’orienter les questionnements ou d’éliminer des pistes stériles pour les projets futurs.

Les situations projets, des situations formatrices pour les métiers ?

Les dispositifs projets peuvent constituer un précieux dispositif de mise à l’épreuve des savoirs métiers en place. Le projet oblige à confronter le savoir théorique aux réalités du terrain. Il est souvent frappant de retrouver, de projet en projet, les mêmes problèmes de faisabilité industrielle. Mais, des structures métiers cloisonnées peuvent aussi être, des machines à mémoriser et à reproduire des erreurs. Le dialogue projet-métier peut constituer un dispositif de veille stratégique sur les objets d’expertise technique de l’entreprise.

La capitalisation inter-projet et le nouveau rôle de l’encadrement métier.

Il faut que les apprentissages réalisés lors de projets soient mémorisés et communiqués à ceux qui ne les ont pas vécus directement. Le rôle de l’encadrement est essentiel (pour maintenir une communication entre les représentants d’un même métier), et différent la supervision directe traditionnelle doit faire place au pilotage à distance d’une autonomie nouvelle et à l’animation d’un réseau de compétence.

La question qui se pose maintenant n’est pas de savoir laquelle des structures métiers ou projets va perdurer dans le temps, mais de comprendre plutôt quelle redéfinition des pratiques internes des métiers peut être cohérente avec l’existence des projets, sans pour autant perdre de vue la vocation et la spécificité de ces structures.

 

LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE L’ORGANISATION CRÉATRICE : DE LA SOUS-TRAITANCE A LA CO-TRAITANCE.

La sous-traitance n’est pas récente, mais in s’agissait jusqu’ici d’une sous-traitance de fabrication.

Le projet Twingo illustre l’application de principes de relation très différents entre fournisseurs et entreprise automobile. Il se dessine un nouveau modèle de relation de "co-traitance". Cette nouvelle relation repose sur l’installation de confiance, voire de connivence nécessaire au travail en commun dans un contexte incertain et évolutif, alors que le schéma traditionnel met l’accent sur la claire division des rôles et la sélection stricte des informations échangées, ceci afin de ne pas "polluer" la clarté des engagements contractuels.

Un dès premier constat de cette "co-traitance" est que toute l’énergie mise en amont par les fournisseurs et l’entreprise se traduit, en aval, par un démarrage mieux maîtrisé. La responsabilisation et l’autonomie du fournisseur peuvent aboutir, sur le plan technique, à des solutions originales par rapport à la tradition technique de l’entreprise. Mais pour cela il faut que la phase d’élaboration en amont permette de donner tous les éléments au fournisseur pour bien comprendre la demande de l’entreprise.

Le développement de la concourance tend à induire une recomposition du milieu des fournisseurs. Le nouveau mode de relation suppose que ceux-ci disposent d’une capacité interne de conception leur permettant d’être présents de l’amont à l’aval du processus de développement. On va trouver chez le fournisseur les mêmes transformations organisationnelles que l’on aura eus chez le constructeur :

Cette nouvelle relation demande qu’une certaine "civilité industrielle" se mette en place ; le risque étant de voir une diffusion d’information du projet ailleurs qu’au sein de l’entreprise de construction.

 

LOGIQUE D’UNE RÉVOLUTION MANAGÉRIALE : L’APPRENTISSAGE COLLECTIF DE LA NOTION DE PROJET CHEZ RENAULT

L’industrie automobile apparaît aujourd’hui comme l’un des secteurs modèles en matière d’organisation créatrice. L’analyse de l’intégration de la logique projet chez Renault fait apparaître une dynamique en quatre étapes.

Le pilotage des projets n’est pas inscrit dans des structures ou des procédures formalisées. Il est laissé aux interventions séquentielles de l’organisation par métiers d’une part, et à la régulation épisodique de la direction générale de l’autre.

Le changement va s’opérer sur trois plans : l’arrivée d’hommes porteurs de nouvelles compétences et d’ambitions réformatrices ; la mise en place de procédures ; l’invention d’instruments de gestion cohérents avec les priorités et les raisonnements à promouvoir.

Après une décennie de statu quo au sommet, mais de nombreux apprentissages locaux, une importante réforme a lieu en 1988, avec la création des Directions de Projet. Une autonomie qui va se reposer sur trois facteurs :

- Un statut renforcé et des profils d’acteurs crédibles.
- Un appui explicite et direct de la Direction Générale.
- Une auto régulation par des métarègles. : Il s’agit de formaliser à partir de l’expérience acquise, les principes d’action communs dans lesquels les projets doivent se situer.

Le recueil de métarègles constitue en quelque sorte l’antithèse du volumineux manuel de procédures détaillées qu’étaient censé absorber et appliquer les chefs de projets des années 70, mais qu’ils laissaient généralement vieillir dans les armoires.

Deux facteurs nous semblent importants pour la poursuite de ces processus. D’une part, l’effet de "structuration externe" qu’opèrent aujourd’hui les fonctions projets vis-à-vis des dynamiques des métiers. D’autre part, le rôle de la gestion des carrières dans le maintien de cet équilibre et le développement de cette complémentarité.

Quelles peuvent être les difficultés d’itinéraire vers cette organisation créatrice ?

La première difficulté est qu’on ne trouve nulle part des modèles d’organisations créatrices capables de répondre, en l’état, aux problèmes spécifiques d’une entreprise particulière.

Les nécessités de l’innovation organisationnelle ne sont finalement pas très différentes de celles des projets de nouveaux produits : Il s’agit de processus heuristiques et ouverts, où il faut inventer, essayer, évaluer, associer, intégrer, faire négocier les visions multiples, et partielles sur les futurs possibles.

La seconde difficulté tient à une caractéristique : la capacité de conception est une propriété globale du système. La performance projet dépend non seulement de chaque élément du système pris isolément, mais aussi des relations entre tous.

La troisième difficulté que doivent affronter ceux qui s’engagent dans la mise en place de gestion de projet est l’inertie du retour d’expérience, le délai qu’il faut attendre pour juger des effets des changements introduits.

Finalement, s’il est une critique classique vis-à-vis des acteurs projets, c’est celle de réinventer, à chaque projet, des méthodes et des organisations nouvelles.

La mission d’un chef de projet est non seulement de réussir le projet dont il a la charge, mais aussi de participer, en, même temps, au perfectionnement plus général des pratiques de l’entreprise en la matière.

L’apprentissage de cette logique organisationnelle passe par l’influence des "modes managériales". L’implication du sommet est une condition nécessaire du changement vers des organisations plus créatrices.

La notion d’expérimentation concentre trois idées : d’abord la mise en pratique réelle, ensuite l’idée d’un changement balisé, limité dans son périmètre et ses ambitions, enfin, l’idée d’un processus d’évaluation et de généralisation. La notion d’expérimentation ouvre, pour les opérationnels, un espace d’initiative, d’autonomie, mais aussi de responsabilités nouvelles. L’un des plus difficiles problèmes du changement dans les grandes organisations est bien celui de la capitalisation et de la démultiplication des dynamiques locales.

 

LA MONTÉE EN PUISSANCE DES ORGANISATIONS CRÉATRICES.

Aujourd’hui il faut être réactif face à la concurrence, et pouvoir proposer sur le marché des produits nouveaux et créatifs dans un temps record. Les organisations créatrices et la structure en mode projet qui apparaît désormais dans de nombreuses industries est à ce jour la solution la plus satisfaisante. Mais c’est une organisation en pleine mouvance, difficile à définir et à standardiser. C’est peut être parce l’impératif d’amélioration de la performance projet s’inscrit dans une histoire et une culture d’entreprise différente.

Chaque secteur a sa part de contraintes à respecter s’il veut rester performant sur le marché concurrentiel international. La hiérarchie des critères à prendre en compte devient plus risquée.

De plus, le développement de l’organisation créatrice mène à une évolution des compétences et des rapports hiérarchiques dans les métiers, à une révision des systèmes de mesure orientant les comportements, à une redéfinition des rapports entre les stratèges de l’amont et les réalisateurs de l’aval, et une transformation radicale des rapports de l’entreprise avec ses partenaires extérieurs. La question des organisations créatrice recoupe donc les interrogations sur l’évolution générale des entreprises. Leur devenir ne peut donc pas être dissocié des réponses qu’y apportera la Société Actuelle.

 

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