LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Geneviève Caperre
CNAM-Organisation C1

 

Jacques MELESE

 Approches systémiques des organisations.

Vers l'entreprise à complexité humaine

Les Editions d'Organisation. Troisième tirage 95


(79, Editions Hommes et techniques
90, Les Editions d’organisation)

 

 

I ) L’auteur

Jacques Mélèse a été simultanément consultant à la Cégos, et enseignant à l’université de Paris IX.
Il a été en 1955, l’un des promoteurs de la recherche opérationnelle en France. Puis il a été l’un des pionniers de l’application système aux organisations (entreprises et services publics).

Autres ouvrages :

 

II ) Introduction

En tant que consultant, Jacques Mélèse est intervenu dans de nombreuses entreprises et services publics. Il a été confronté à des préoccupations concernant l’ information et l’ informatique, la stratégie et le développement, les changements de structures, les conditions de travail. Il a souvent constaté que les processus d’apprentissage collectif déclenchés lors de démarches d’analyse amenaient un progrès dans le sens qu’ils contribuaient à accroître la complexité et la compréhension de celle-ci. Il articule donc son ouvrage autour de la recherche de cette complexité humaine en revisitant quatre concepts-clés : l’information, la stratégie, la structure et l’apprentissage.

Dans le chapitre sur l’information, l’auteur s’ interroge sur ce qu’ est l’information signifiante pour un individu dans une organisation et propose la notion de situation informationnelle pour montrer que le système d’information va bien au delà de l’information codifiée et formelle.

Dans le chapitre sur la stratégie, il propose une représentation du système organisation-environnement qui met en évidence les relations projectives que les systèmes entretiennent entre eux. Il décrit une démarche participative d’analyse stratégique permettant d’aboutir à un consensus sur les finalités de l’organisation.

Dans le chapitre sur la structure, il replace la reconnaissance de l’individualité au cœur d’une démarche vers la complexification en s’appuyant sur les dysfonctionnements que peut rencontrer une organisation multicontrôlée.

Enfin, dans le chapitre sur l’ apprentissage, il nous montre comment l’analyse systémique peut être un facteur d’apprentissage, par les représentations du réel qu’elle propose, permettant ainsi à tous les acteurs de s’ approprier cette démarche, et ainsi de mieux comprendre, communiquer et critiquer l’ organisation.

 

III ) Information

"A la recherche du système d’information"

    1. Les questions posées par l’auteur
    2. Qu’est ce que le système d’information, faut il répudier ce concept ? Du fait des multiples sens qui lui ont été attribué, (en particulier pour justifier les pratiques informatiques), on en a oublié de définir ce qu’était l’information signifiante pour un individu particulier pris avec toute sa complexité, et les rapports qu’il entretient d’une part avec l’ organisation dont il fait partie, et d’autre part avec l’environnement dans lequel évolue cette organisation.

    3. Ses postulats
    4. Le système d’ information de l’organisation n’est pas un objet bien défini, de même que l’information. Ces deux notions seraient presque antinomiques. Les individus, au delà des besoins en informations auraient des désirs d’ informations que l’organisation et la culture d’entreprise, par un contrôle excessif, auraient tendance à réprimer. Ces désirs d’ information viendraient du fait que la situation informationnelle des individus serait plus riche dans leur vie privée que dans leur vie professionnelle.

    5. Ses hypothèses
    6. L’information signifiante, pertinente pour un acteur d’une organisation dépasse largement le système d’information officiel. Les pratiques informatiques sont grandement responsables de l’ appauvrissement informationnel des entreprises qui ne pourront à terme survivre dans un environnement dont la complexité va croissant.

    7. La démonstration
    8. L’ auteur nous propose une vision de l’entreprise comme système informationnel qui prend en compte la situation informationnelle de chaque individu ou unité, et nous démontre qu’en répartissant la perception et la maîtrise de la complexité à travers tous les niveaux de l’organisation, celle-ci sera plus apte à percevoir les micro-signaux émis par son environnement et pourra réagir de façon plus rapide et plus efficace.

    9. Résumé
    10. Devant les effets de mode suscités par la notion de système d’ information, les acceptions diverses dont il fait l’objet, les justifications qu’ il a permis en matière de développements informatiques, l’auteur nous propose de revisiter ce concept en partant de la problématique de l’ information et en la recentrant sur celle de l’individualité. Le fait d’ avoir négligé l’information qualitative et informelle a conduit à bâtir des systèmes de données, démarche qui reste basée sur la vision de l’entreprise comme un automate. Il nous éclaire sur la distinction qu’ il fait entre une donnée et une information par une définition de G. Bateson : "une donnée est la trace laissée par un événement et l’ information est une différence qui engendre une différence". Pour lui, l’information modifie le comportement ou les représentations du récepteur, à condition qu’ elle soit signifiante pour lui. Il introduit alors la notion de niveaux de signification : l’information prendra une signification différente en fonction du niveau par lequel elle sera perçue et décodée, ou sera même considérée comme du bruit si elle n’ est pas décodée. D’où le danger "de rechercher et d’ imposer un langage  unificateur " dans l’entreprise. Au delà des besoins d’ informations pertinentes pour la réalisation de leurs tâches, les hommes ont aussi des désirs d’informations qui ne sont pas forcément rationnels mais qui "sont propres à l’être sociabilisé en relation permanente avec de multiples environnements mouvants". L’information dont sont porteuses ces relations organise le système. D’où la nécessité d’ une approche globale, systémique du système d’ information qui doit être associé au système socio-technique, l’organisation dont il est issu. En effet, les différentes phases que traverse une entreprise, la variété du système nécessite de l’appréhender comme système informationnel capable de percevoir l’information signifiante (d’équilibration, d’alerte, d’anticipation) en provenance de son environnement. "Le concept d’information désignerait alors l’ensemble interactif de toutes les situations informationnelles, autrement dit, le jeu complexe de tous les échanges d’ informations signifiantes". Afin d’enrichir le processus informationnel (sensation, perception, cognition, action), l’auteur propose de multiplier les récepteurs à tous les niveaux (communiquant entre eux et avec l’extérieur, d’ouvrir le système vers l’environnement, chaque individu ou groupe ou unité se trouvant ainsi dans une situation informationnelle particulière qui combine l’information codifiée, l’information non codifiée nette et l’information non codifiée floue. "Le système d’information apparaît alors comme l’ensemble des situations informationnelles".

      Pour lui, la véritable décentralisation passe par la décentralisation des perceptions, des significations et des réactions à ces significations et par la répartition de la complexité à tous les niveaux de l’organisation. Ce qui ne peut se faire qu’ en limitant les contrôles qui s’opposent à la reconnaissance de l’individualité. Il suggère aussi la présence au sein des organisations de "messagers" capable d’assurer le transfert de significations d’un niveau à un autre. Enfin, pour lui, tout projet informatique devrait être précédé d’ une approche des systèmes d’information et d’ un approfondissement du concept d’information, ce qui éviterait d’ enfermer l’organisation et les individus dans un système formel fortement déconnecté du système réel.

    11. Actualité de la question

Extraits d’un document remis par Peoplesoft à ses clients

La vision de l’entreprise que propose Peoplesoft est plutôt curieuse. "Le système d’informations de l’entreprise doit devenir accessible par tous les acteurs externes : les clients, les fournisseurs, et bien sûr les employés, et il doit surtout aider le capital humain à évoluer". L’organisation est non seulement vue comme un automate (qui n’ a que des besoins d’informations), mais ici, les acteurs ne sont plus des rouages de cet automate, ils sont externes. Dans ce cas, d’où peut émerger le système d’information ? De l’extérieur sans doute, puisqu’ il dialogue avec d’autres systèmes dont on ne sait pas non plus d’ où ils émergent. Ce qui pose le problème des frontières de l’entreprise et donc de son autonomie. "Il (le Supply Chain Management) illustre la nouvelle génération de solutions ouvertes, au service du client". Quels processus de régulation, ou de décision permettent donc à l'entreprise de ne pas être sous le contrôle de son client ? "Ces outils privilégient la prise de décision, grâce à la disponibilité pour l’utilisateur de tous les éléments résultant de la gestion et de l’optimisation". Le pauvre utilisateur risque donc d’être noyé par une masse d’ informations, et l’ on peut se demander de quelle façon il effectuera le filtrage.

Pour nous présenter ses atouts face à la concurrence, Peoplesoft nous propose une vision différente : cette fois-ci, fournisseurs, clients et collaborateurs sont des acteurs de l’entreprise qui ont des objectifs spécifiques auxquels le système d’ information doit répondre, ce qui pourrait ressembler à "la dialectique projective entre divers centres d’intentionnalité" de J. Mélèse. Mai qui fixe les objectifs ? "L’Internet Economy est une réalité". Espérons seulement qu’il ne s’agit pas d’une réalité totalitaire.

J. Mélèse dit que "la vision totalitaire décrit le grand système comme un tout cohérent, le comportement de chacune des parties étant similaire : une organisation est alors un relais dans une hiérarchie de reproduction homothétique du comportement général".

 

IV ) Stratégie

"L’analyse du système organisation-environnement"

    1. Les questions posées par l’auteur
    2. Comment se construit la stratégie d’une organisation, les plans et les objectifs qu’elle dessine ? Où se trouve réellement la stratégie, c’est à dire où naissent les projets qui conditionnent fortement l’ histoire future de l’organisation ?

    3. Ses postulats
    4. L'entreprise ou l’organisation est insérée dans un environnement complexe et mouvant, elle est traversée par de grandes logiques souvent contradictoires avec lesquelles elle est obligée de composer. Ce qui n’est pas le cas dans un système "totalitaire" où toutes les logiques sont cohérentes et où les parties sont similaires.

    5. Ses hypothèses
    6. L’approche systémique permet de proposer des représentations du système organisation-environnement, qui se substituant à la réalité, vont fortement conditionner les plans et les stratégies élaborées par l’organisation. Pour l’auteur, "une réelle analyse stratégique est en fait une analyse de système".

    7. La démonstration
    8. A partir d’ une représentation du système organisation-environnement, l’auteur met en évidence les relations projectives qui se mettent en place entre l’organisation et ses environnements. Il montre que la stratégie se trouve à tous les niveaux de l’entreprise, qu’ elle est constituée par un ensemble de décisions et d’actions, et donc fortement conditionnée par les projets individuels des acteurs dans l’organisation, leur système de valeurs et les informations ou représentations dont ils disposent.

    9. Résumé
    10. A partir de la question où et comment se forgent les stratégies et comment évoluent elles dans le temps, l’auteur nous propose une représentation du système organisation-environnement mettant en évidence la façon dont l’entreprise agit pour maintenir l’équilibre avec les systèmes externes en relation avec elle. Cette représentation du réel a pour but une meilleure compréhension du système et donc l’élaboration de stratégies et d’actions plus adaptées. En effet, à partir des informations pertinentes prélevées sur l’environnement, le système modifie sa structure et reproduit les facteurs et les relations externes. L’auteur introduit le terme de "dialectique projective" pour décrire les multiples échanges porteurs de projets qu’entretiennent "les centres d’intentionnalité" des systèmes entre eux. La hiérarchie de ces centres d’intentionnalité fait apparaître des "systèmes transversaux" qui se rencontrent à l’intérieur de l’organisation, celle-ci devenant alors un "lieu d’équilibration des contradictions (provisoire) et un niveau intermédiaire de stabilisation (précaire)". La représentation systémique permet d’étudier les effets circulaires de ces diverses logiques.

      L’absorption de l’incertitude et la résolution des contradictions là où s’entrecroisent ces flux permet de ne pas accroître la complexité à un niveau supérieur. Il appelle "champs" ces différentes logiques transversales. Derrière ces champs se cachent des quasi-organisations que l’entreprise cherchera à se représenter en délimitant arbitrairement des frontières, cette modélisation reflétant ces intentions : en effet "une des sources de créativité face à des interrogations stratégiques consiste à déplacer les frontières et à élaborer des représentations à frontière mobile". L’étude des frontières permet de mieux comprendre la répartition du contrôle au sein du système organisation-environnement et de se poser la question de l’autonomie d’une organisation : "l’autonomie requiert donc la complexité" et l’innovation est la manifestation de cette autonomie. Une organisation multicontrôlée est non créative. Cependant, la souplesse et l’ouverture qui sont à l’origine de l’ innovation sont toujours menacées de rigidité. Pour l’auteur, "la stratégie n’est pas toujours là où on le croit". Cette notion fait référence à des projets dont les enjeux sont importants pour l’entreprise et dont les effets sont peu réversibles. La méthodologie est nécessaire pour comprendre comment ces projets entrent en interaction pour faire émerger des projets globaux. Cependant, il n’ y a pas de bonne méthode d’ analyse, tout processus d’analyse prélève des éléments du système, et cela conditionne les représentations et par conséquent les actions envisagées. Chaque situation est spécifique du fait de la nature de l’ organisation, son histoire, des problèmes posés, du champ d’ action et des contraintes, des questions d’éthique. La méthode d’analyse ne change pas en fonction du niveau étudié, mais "doit cheminer entre les différents niveaux (système, sous-système, module), juger le comportement de l’organisation et caractériser le système organisation-environnement (suivant deux dimensions : les niveaux de fonctionnement, de pilotage et la mesure ou le repérage des flux)". Mais avant tout, ce type d’analyse ne doit pas être effectuée uniquement par des spécialistes, mais par tous ceux qui sont concernés par l’ élaboration des stratégies, et ouvrir la voie à des démarches participatives permettant à des groupes de réflexion d’ aboutir à des consensus sur les finalités, les buts et les missions de l’organisation.

    11. Actualité de la question

Article paru dans l’Express du 16/3/2000 p 87 à 94

Après 2000 ans de conflits, deux grands systèmes, transnationaux depuis bien longtemps tentent de se rapprocher. Il s’agit bien d’une relation projective de l’Eglise catholique sur le judaïsme, mais de quel projet est elle porteuse ? Au delà des grandes finalités que sont l’amour de Dieu, du prochain et par conséquent la paix dans le monde, l’Eglise catholique n’a-t-elle pas aujourd’hui du mal à équilibrer ses contradictions ? Surtout au regard de l’ histoire récente, et en particulier de son attitude pendant la Shoah. L’affaiblissement de sa capacité à "fonctionner comme un niveau intermédiaire de stabilisation du grand système" est probablement une des causes de la prolifération des sectes, de la montée des intégrismes, et de la désaffection des églises. Dans ce contexte, la repentance du Pape Jean-Paul II, en rétablissant le dialogue avec le judaïsme permet le rééquilibrage des contradictions et la résolution des conflits internes et externes (le christianisme ne peut exister sans le judaïsme). Ce rapprochement pourrait être l’occasion pour chacun d’enrichir sa propre identité et donc son individualité, dans la mesure où il résulte de l’approfondissement de leurs désaccords.

Ces deux systèmes sont aussi des systèmes transversaux ("des champs diffus aux effets mobiles et multidimensionnels") qui traversent de nombreuses organisations (entreprises, administrations, villes, partis politiques…) dans le monde entier, et dans ce sens, leur rapprochement peut avoir un impact sociétal considérable. La notion de responsabilité sociale des entreprises ou les questions d’éthique ne sont-elles pas nées du poids croissant que prennent ces champs diffus à l’intérieur des organisations ?

 

V ) Structure

"La reconnaissance de l’individualité"

    1. Les questions posées par l’auteur
    2. La reconnaissance de l’individualité va-t-elle à l’encontre des buts essentiels de l’entreprise ? Ou permet-elle de découvrir des modes d’organisation plus satisfaisants ? Des individus singuliers peuvent-ils présenter un comportement finalisé et cohérent ?

    3. Ses postulats
    4. La révolution industrielle a donné naissance à des entreprises automates qui considéraient l’humain comme un composant standardisé et donc interchangeable. Au cours du temps, l’entreprise s’est complexifiée, de même que son environnement, faisant apparaître des dysfonctionnements importants dus au déséquilibre entre vie interne et vie externe, les hommes "ayant accédé à une certaine individuation hors de l’ organisation".

    5. Ses hypothèses
    6. La pauvreté informationnelle des organisations qui dans le même temps sont soumises à des contrôles excessifs, est à l’origine de dysfonctionnements importants. Dans ce contexte, le facteur taille a beaucoup moins d’incidence que la répartition de la complexité. La reconnaissance de l’individualité a pour conséquence un changement de regard sur l’ organisation et une modification des représentations à la base des théories et pratiques du management.

    7. La démonstration
    8. En exposant ce qu’est pour lui l’individuation et les conditions de son existence ou apparition, l’auteur nous montre qu’elle est le résultat de la complexification d’où peuvent émerger l’autonomie et la créativité. Ce qui n’est pas le cas dans l’organisation multicontrôlée qui se trouve "incapable de maîtriser les multiples perturbations internes et externes qui assaillent sans cesse l’organisation (loi de la variété requise)". Le facteur taille a moins d’incidence sur la pauvreté socio-technique que les systèmes de contrôle, les normes, les règles.

    9. Résumé
    10. Face à la représentation qui a longtemps perdurée de l’organisation comme un automate constitué d’éléments interchangeables, l’auteur propose l’alternative de se représenter l’organisation comme une société composée d’individus différents, singuliers, imprévisibles, autonomes. Re-connaître l’autre implique que son comportement, jamais prévisible, ne sera, de ce fait, jamais totalement contrôlable. "L’indétermination est prédominante, toute société est spécifique et construite par son histoire". L'existence d’invariance, c’est-à-dire les constantes qui caractérisent l’individu ou l’organisation et que l’on peut observer à travers le temps, est une condition nécessaire à l’ individuation. Les frontières sont aussi un élément fondateur de l’individualité dans ce sens qu’elles servent d’écran à l’incertitude et l’aléatoire externe, ce qui permet des interactions plus riches à l’ intérieur du système ainsi délimité. Celui-ci devenant donc plus complexe. De cette richesse des interconnexions, de la variété des états peuvent émerger des projets individuels qui ne sont pas contrôlés par l’extérieur. La répartition de la complexité pose le problème de l’autonomie : "être autonome présuppose être en relation, vivre avec (à rapprocher de convivial : cum vivere)", tout en n’ étant pas asservi. Une organisation autonome protège donc tout ce qui forge son individualité : "derrière le concept d’autonomie, se profilent des stratégies de pouvoir". Pour répondre à l’aléatoire externe, l’entité doit disposer de variété interne mise en réserve sous la forme d’ énergie, de matière, d’argent, de connaissances, de temps. (La réduction de ces réserves est un moyen d’asservissement). Mais à cette créativité réactive, l’auteur oppose la créativité pure, "le fait de jouer sans règles" et la connaissance de soi. Il fait pour cela référence à Winicott et à la notion d’espace potentiel : "cet espace potentiel entre l’individu et la société dépend de l’expérience qui le conduit à la confiance ; il est sacré pour l’individu dans la mesure où celui-ci fait, dans cet espace même, l’expérience de la vie créatrice". A partir de cette notion, l’auteur remet en question la décentralisation, la délégation et la direction par objectifs qui ne serait que des mécanismes d’autonomie réactive et par conséquent contraires à la créativité. Afin d’étayer sa thèse sur la nécessité de reconnaître l’individualité, l’auteur nous décrit ce qu’ est une organisation multicontrôlée et les dysfonctionnements qui peuvent apparaître. Une série de champs (espace-temps, moyens et méthodes de travail, flux d’activité, latitudes décisionnelles, informations, expertise, environnement psychosociologique, ressources, projets individuels)" traverse les niveaux successifs de l’organisation et contrôle par relais successifs depuis le sommet, les variables élémentaires de toute unité, jusqu’à l’individu". Mais ces champs de contrôle ne se combinent pas entre eux et rendent de ce fait l’ organisation incapable de répondre correctement à la variété de l’environnement externe. Par contre l’individuation, c’est-à-dire le processus qui permet à chaque unité de percevoir, de s’ informer et de fonctionner suivant divers modes et à divers niveaux, permet à l’unité de se complexifier (d’augmenter sa variété) et donc d’adopter des attitudes d’équilibration, d’adaptation, d’évolution et de sauvegarde, qui la rendent plus viable vis-à-vis de son environnement. Dans une telle représentation, la taille de l’organisation est accessoire. En effet, une organisation de petite taille peut cependant avoir une autonomie et une complexité réduite et une organisation de grande taille, qui du fait de la centralisation de l’expertise, ne sait plus croître que par clonage d’ unités déjà existantes, a tendance à fortement réduire sa variété et donc à nier l’individualité. La visée d’ une taille humaine reste donc illusoire comparativement à la visée d’ une complexité humaine.

    11. Actualité de la question

Article paru dans l'Express du 2/3/2000 p 125 à 127

Dans un contexte de mondialisation, les multinationales françaises se trouvent confrontées à une problématique nouvelle : la réintégration du personnel expatrié. En effet, ceux-ci, du fait des multiples expériences à l’étranger ont accrû leur singularité, leur différence, leur imprévisibilité et leur autonomie. La variété des cultures avec lesquelles ils ont été en contact a complexifié leur conscience et leur pensée, a donc participé à leur individuation. Or quand ils rentrent en France, il semble, d’après l’article qu’ ils subissent une perte d’autonomie et que la richesse de leur expérience n’ est pas valorisée. Ce qui laisse penser que des entreprises comme Xérox, Leroy-Merlin ou Schneider Electric sont des organisations multicontrôlées dont les champs de contrôle se dissolvent lorsque les unités sont géographiquement éloignées, mais deviennent particulièrement prégnants pour les cadres qui reviennent en France. La prise de conscience du problème chez Air Liquide a malheureusement conduit uniquement à la mise en place d’un champ de contrôle supplémentaire : "des mesures spécifiques d’accompagnement". Et je me demande si le suivi et le maintien du lien avec l’entreprise ne vise pas seulement à réduire la singularité et l’imprévisibilité que pourraient développer les "individus identifiés comme de hauts potentiels". Les entreprises aujourd’hui n’auraient-elles pas intérêt à encourager le multi-culturalisme ? Ne devraient-elles pas considérer qu’il constitue une richesse qui leur permettrait d’accroître leur complexité et ainsi d’être plus adaptées à l’environnement mondial tel qu’il se présente aujourd’hui ?

 

VI ) Apprentissage

"Analyses et représentations des organisations"

    1. Les questions posées par l’auteur
    2. Face à la montée de la complexité dans les organisations et face aux nombreuses analyses dont elles font l’objet, comment concilier démarche analytique et apprentissage. Dans la mesure où toute analyse propose une certaine représentation du réel, quels sont les rapports entre analyse, apprentissage et représentation ?

    3. Ses postulats
    4. "Le concept d’ apprentissage est essentiel pour le fonctionnement et le développement des organisations" et de ce fait tout responsable d’organisation privée ou publique intègre ce critère quand il choisit le type de structure et de méthode de gestion qu’il souhaite mettre en place, dans la mesure où la complexité est un phénomène qui va croissant. Un postulat sous-jacent mais jamais exprimé est que les individus dans l’organisation ont la volonté d’apprendre.

    5. Ses hypothèses
    6. L’apprentissage, processus systémique, est ce qui permet de maîtriser la complexité. Les différentes analyses de cette complexité proposent (ou imposent) des représentations qui peuvent entrer en conflit du fait que les valeurs qu’elles véhiculent n’ont pas été justifiées. Cependant "la circularité de la relation observateur / observé" peut être source d’apprentissage individuel et collectif tant pour l’organisation que pour l’analyste.

    7. La démonstration
    8. Partant des liens étroits qui unissent les concepts d’apprentissage et de système, l’auteur nous montre comment une démarche systémique peut avoir un impact à la fois au niveau individuel en permettant à la personne de mieux se représenter la complexité qui l’ entoure (et par conséquent de mieux la maîtriser), et aussi au niveau collectif en apprenant aux différents acteurs en présence à élaborer des représentations communes qui de ce fait n’ entreront pas en conflit.

    9. Résumé
    10. Partant de l’idée que le processus d’ apprentissage est essentiel pour la viabilité d’une organisation, l’auteur se pose la question des conditions favorables à l’émergence de ces processus. Pour lui "l’approche systémique est fondée sur un principe d’ apprentissage". Cependant devant la crainte de ne pas maîtriser la dynamique de ce processus, les responsables des organisations font appel à des experts chargés de procéder à toutes sortes d’analyses sans expliciter les représentations qui sous-tendent ces analyses. L’auteur se propose donc de réexaminer les rapports existant entre analyse, représentations et apprentissage. En effet, beaucoup d’analyses (en particulier les analyses informatiques) ne se préoccupent souvent que des questions d’efficacité et nient l’impact de la description du réel qu’elles imposent, ce qui constitue "une grave déviation de la pensée et de l’approche systémique". La notion de complexité (loi de la variété requise), la notion de contingence (l’histoire et l’imprévisibilité de la trajectoire d’évolution d’une organisation), le principe d’ ordre par le bruit (l’information nécessaire à la stabilité et à l’évolution d’une organisation est dépourvue de signification au niveau global) et enfin la notion de représentation (qui n’est ni objective, ni neutre) ne permettent pas de conclure qu’ il y a "une bonne méthode" mais au contraire que l’on se trouve devant une impossibilité de maîtriser totalement la complexité, et que toute représentation qui en est faite est relative. Mais la démarche systémique peut développer l’apprentissage individuel et collectif "en proposant un langage et des concepts adaptés aux problématiques", en proposant des modèles et des représentations et en favorisant les échanges autour de ces représentations. L’approche systémique est avant tout une démarche interactive, elle se doit donc de proposer un "métalangage c’est-à-dire un référentiel permettant à tous de communiquer au sujet de ce qu’ ils ont en commun", elle se doit aussi de prendre en compte le processus permanents des multiples micro-analyses effectuées par tous les membres de l’organisation à leurs niveaux qui regardant l’organisation et la critiquant, s’en font une représentation qui influe sur leurs comportements. "Finalement, on pourrait dire que la représentation que porte en lui-même chaque individu est son lien, son rapport le plus intime avec l’organisation". L’ensemble de ces représentations constitue le système des représentations d’une organisation. Lors d’affrontements au sujet d’événements externes ou internes se fait toujours la prise de conscience des divergences qui existent au sein de ce système des représentations. Il est donc important d’examiner ce qu’ est "le pouvoir de représentation", et de quelle façon, il peut transformer une organisation. Ce pouvoir est souvent exercé par des experts s’appuyant sur une théorie et annonçant un futur meilleur (école psychologique américaine, école de la direction par objectifs, les représentations informatiques ou marketing). Les représentations en présence dans l’organisation sont en interaction (ces interactions peuvent avoir la capacité de transformer les représentations), elles sont hiérarchisées (une classe de représentation domine souvent les autres, il s’agit de la culture d’entreprise ou du système de valeurs auquel se rattache l'entreprise), elles sont en équilibre (il existe une dynamique des représentations, l’apparition d’un conflit puis sa résolution sont des moments particuliers de cette dynamique). La démarche d’apprentissage systémique permet de prendre conscience que proposer ou imposer une représentation particulière est un acte de pouvoir et encourage plutôt les différents groupes à expliciter leurs propres représentations de l’organisation, et à les confronter dans un processus d’équilibration et d’évolution.

    11. Actualité de la question

Articles parus dans :

La réforme hospitalière et les différentes grèves et manifestations qui en découlent me semble une bonne illustration de ce que Jacques Mélèse appelle les conflits de représentation. Les personnels soignants ont généralement fait le choix de ce métier parce qu’ils ont la volonté d’aider les autres. La représentation qu’ils ont de l’univers dans lequel ils évoluent comprend donc uniquement l’hôpital dans lequel ils travaillent, les malades, les familles des malades, et le reste de la population potentiellement malade. Leurs projets majeurs sont de soulager la souffrance, d’écouter et de rassurer les patients. Les quinze chefs de services qui ont alerté le procureur de la République mettent en évidence un système transversal supplémentaire, à savoir, celui de la justice. Cette nouvelle représentation n’entre pas en conflit avec la précédente (du moins pour le personnel soignant) mais créé un déséquilibre pour les malades (neuf patients portent plainte pour des erreurs médicales). Une autre représentation, celle des agences régionales d’hospitalisation, est basée sur une vision comptable des dépenses de santé. Elle se heurte bien évidemment aux deux autres, introduisant "une discontinuité" (introduction brutale d’une représentation "catastrophique"). Je ne sais pas cependant si une démarche participative parviendrait à concilier deux systèmes de valeurs très forts qui s’opposent.

 

V ) Conclusion

En 1979, Jacques Mélèse dit : "il ne sera pas possible de laisser subsister le décalage actuel entre la situation informationnelle des individus dans leur vie privée, civique, sociale, relativement ouverte ou allant en s’ enrichissant, et dans leur vie professionnelle, souvent pauvre et frustrante". Or aujourd’hui, il me semble que ce décalage s’est accentué. Pour illustrer chacun des chapitres du livre, j’ai recherché dans l’actualité des événement que l’approche systémique permettait d’aborder. Or cette approche m’a parue beaucoup plus appropriée, et particulièrement riche pour des grands phénomènes sociaux, politiques ou religieux que pour la vie des entreprises. Donc je me demande si la tendance générale à la standardisation et l’uniformisation pour lutter contre la complexité n’a pas triomphé dans les entreprises, aidé en cela par les grands éditeurs de logiciels intégrés. Et dans ce contexte, l’approche systémique est-elle nécessaire, s’ il n’ y a plus de complexité à étudier ? Le problème, c’est que l’on parle de plus en plus de souffrance au travail (cf. le livre de Christophe Dejours "Souffrance en France"), d’exclusion, que les procès pour harcèlement moral se multiplient et que la consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques a considérablement augmenté. Les individus ne devront-ils pas rechercher d’autres espaces que le travail pour exprimer leurs capacités cognitives, leur créativité ? Si cela se produit, cela contribuera à accroître encore la complexité de l’environnement, et la Théorie des Systèmes me paraît particulièrement riche pour aborder cette complexité là.

 

 

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