LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Béatrice ROULLAND

 

Dominique MEDA

"Le travail, une valeur en voie de disparition"


Edition Alto-Aubier, 1995

 

SOMMAIRE

1. L’auteur *
2. Questions posées par l’auteur *
3. Postulats *
4. Hypothèses *
5. Démarche *
6. Résumé : *

Chapitre 1 : L’actuel paradoxe des sociétés fondées sur le travail *
Chapitre 2 : Des sociétés sans travail *
Chapitre 3 : Acte 1 : L’invention du travail *
Chapitre 4 : Acte 2 : Le travail, essence de l’homme *
Chapitre 5 : Acte 3 : De la libération du travail au plein emploi *
Chapitre 6 : L’utopie du travail libéré *
Chapitre 7 : Le travail, lien social ? *
Chapitre 8 : Critique de l’économie *
Chapitre 9 : Réinventer la politique : sortir du contractualisme *
Chapitre 10 : Désenchanter le travail *

7. Actualité de la question *
8. Commentaires *
9. Conclusion *

 

 

1) L’auteur

 Dominique MEDA, ancienne élève de l’école Normale supérieure et de l’école nationale d’administration, agrégée de philosophie, a été professeur à l’Institut d’études politiques de Paris.

 

2) Questions posées par l’auteur

Ce livre rend disponible des réflexions de nature philosophique sur le travail, et ainsi développe une approche critique.

Pour D. Méda, le statut du travail est en lui-même une question centrale pour nos sociétés occidentales, parce qu’il constitue l’une des leurs dimensions essentielles, l’un de leurs fondements, et qu’il s’agit aujourd’hui, de connaître la nature de la crise que nous traversons, mais également de choisir le type de société dans lequel nous voulons vivre.

D. Méda montre que la compréhension exacte du rôle que joue le travail dans nos sociétés nécessite non seulement une approche multidisciplinaire, capable de saisir la cohérence d’ensemble de ces diverses manifestations, mais aussi et surtout l’intervention de la plus généraliste et de la plus réflexive de toutes les sciences dites humaines, la philosophie.

Qui donc exerce aujourd’hui dans nos pays hautement développés, la fonction critique ? 

Sur quels principes, sur quelles croyances se fondent les responsables de nos politiques ? 

D. Méda explique que la situation est inquiétante par la séparation des deux fonctions critique et gestionnaire, la méfiance à l’égard de la fonction critique et normative et l’absence d’un véritable espace public.

La marche de nos sociétés est-elle entièrement déterminée de l’extérieur par la mondialisation des échanges, l’internationalisation des relations et des communications, l’évolution économique ?.

Devons-nous adopter sans même les choisir les critères économiques et technocratiques standards, partagés par tous les pays et censés nous permettre de nous maintenir à niveau ?

Reste-t-il une place pour le choix des fins ce qu’on avait coutume d’appeler la politique ?

 

3) Postulats

Son postulat de départ est que le travail est une invention récente : c’est en effet au 18ème siècle que le travail a été inventé. Ce qui signifie que le travail est devenu le principal moyen d’acquisition des revenus permettant aux individus de vivre, mais qu’il est aussi un rapport social fondamental.

Le fonctionnement normal de nos sociétés "le plein emploi à plein temps pour tous" est remis en cause et la diminution ou la raréfaction du travail bouleverse ce que nous tenions pour évidence.

 

4) Hypothèses

La société semble tenir pour acquis que l’homme a besoin de travail, et que celui-ci demeurera au fondement de notre organisation sociale.

D. Meda émet l’hypothèse : "Et si cela était faux ?"

 

5) Démarche

Ce livre rend disponible des réflexions de nature philosophique sur le travail, et ainsi développe une approche critique.

L’ouvrage débute par une analyse de la situation actuelle : du paradoxe des sociétés fondées sur le travail (Chapitre1).

Les sociétés sans travail sont passées en revue par un parcours historique (Chapitre2).

L’invention du travail au 18ème siècle (Chapitre 3).

Le travail, essence de l’homme fondé par le philosophe allemand Hegel (Chapitre 4).

De la libération du travail au plein emploi au 20ème siècle (Chapitre 5).

L’utopie du travail libéré, contradiction actuelle qui consiste à penser le travail comme une œuvre alors qu’il reste régi par la logique de l’efficacité (Chapitre6).

Le travail constitue-t-il aujourd’hui le lien social ? (Chapitre 7).

Historique et critique de l’économie actuelle (Chapitre 8).

Réinventer la politique (Chapitre 9).

Désenchanter le travail, propositions de changements (Chapitre 10).

 

6) Résumé :

 

Chapitre 1 : L’actuel paradoxe des sociétés fondées sur le travail

Le retour des pensées de légitimation du travail en passant du terme emploi au travail. Le travail est et doit devenir le lieu et au fondement du lien social et de la réalisation de soi.

Trois grands courants de pensée du XX siècle face au travail catégorie anthropologique

Trois grands courants de pensée du XX siècle face au travail comme lien social

Ces courants de pensée ont le même espoir dans une transformation qui permettrait au travail de quitter le domaine de l’aliénation pour retrouver son véritable visage, son véritable sens : la libération du travail.
Le travail peut devenir le lieu de l’épanouissement de soi en même temps que de l’utilité sociale.

Le travail structure notre rapport au monde mais aussi nos rapports sociaux. Il est le rapport social fondamental.

Un certain nombre de voix annoncent la fin des sociétés fondées sur le travail.

 

Chapitre 2 : Des sociétés sans travail

Le travail est une catégorie historique dont l’invention n’est devenue nécessaire qu’à une époque donnée. Les fonctions du travail comme l’intégration sociale et la réalisation de l’individu sont à différencier du système qui permet à ces fonctions de s’exercer.

Les sociétés primitives offrent un exemple de sociétés non structurées par le travail. Celui désigne une activité physique pénible, mobilisant un savoir-faire technique et la médiation d’un outil.

La satisfaction des besoins physiques et naturels, n’occupe qu’une petite partie de temps et des intérêts des peuples considérés. Les besoins sont satisfaits en peu de temps et avec un minimum d’efforts.

Le mobile du profit personnel n’est pas naturel pour l’homme primitif et le gain ne joue jamais le rôle de stimulant du travail. La distribution des biens matériels est régie par des mobiles non économiques et le travail est traité comme une obligation qui n’exige pas d’être indemnisé mais fait partie des contraintes sociales.

Le labeur au lieu de représenter un moyen en vue d’une fin, est une fin en soi. Ces sociétés ont une rapport particulier à l’extériorité (la tradition, la nature, les dieux) qui détermine les règles sociales.

Les philosophes grecs assimilent le travail à des tâches dégradantes et n’est nullement valorisé. Les activités humaines valorisées sont la pensée, la science, et les activités éthiques et politiques. Enfin le travail n’est en aucune manière au fondement du lien social.

La Grèce antique le travail est exclu de l’idéal de vie individuelle et collective mis en place. Les tâches liées à la reproduction matérielle sont prises en charge par des esclaves. L’esclave est destiné à la satisfaction des besoins indispensables. Etre humain sera faire de la philosophie, contempler le beau, pratiquer l’activité politique.

Le lien politique est d’une nature différente du lien matériel qui oblige les hommes à s’utiliser les uns les autres pour subsister. Le lien politique est fondé sur l’égalité et l’identité ou encore sur l’amitié.

Dans la société grecque, exercer sa raison, c’est faire de la philosophie ou des sciences, agir dans l’ordre politique, être un excellent citoyen. La vraie vie est la vie de loisir. Le mode de vie grec n’est possible qu’au prix de l’esclavage et seulement dans le cadre de petites cités.

L’empire romain n’accorde aucune place particulière au travail et le méprise. Les esclaves prennent en charge les travaux dégradants et pénibles et la classification des activités se fait autour de l’opposition libéral/servile.

Tout le long de l’empire romain jusqu’à la fin du moyen âge dans les sociétés occidentales, le travail n’est pas au cœur des rapports sociaux, et donc ne structure pas la société. Il n’est pas valorisé.

Dans les débuts de l’ère chrétienne le travail n’est pas plus valorisé : l’homme doit avant tout se consacrer à Dieu

Le Moyen Age va être le théâtre d’une lente conversion des esprits et des pratiques. C’est seulement à la fin du Moyen Age que théorie et pratiques auront changé au point de permettre l’éclosion d’une modernité centrée sur le travail. Les métiers manuels comme paysans ou artisans laissent l’âme libre et permettent à se consacrer à la tâche essentielle la contemplation. A coté du travail manuel, le travail intellectuel lire et écrire demeure le plus important. Une part du prestige social des moines, qui désormais travaillent commence à rejaillir sur le travail. Le cadre est prêt pour une valorisation du travail.

Deux grandes ruptures s’introduisent aux VIII et IX siècles une forte revalorisation du travail, appuyée sur une idéologie de l’effort producteur, en matière agricole puis dans le promotion scientifique et intellectuelle des techniques.

 

Chapitre 3 : Acte 1 : L’invention du travail

A la fin du XVIII siècle avec Adam Smith, le travail humain envahit la scène de l’économie politique. Le travail est cette puissance humaine et ou "machinique" qui permet de créer de la valeur. La logique de la valeur et de la productivité est fondée.

L’idée que le travail est sécable en unités simples susceptibles d’être combinées mécaniquement et réparties entre différentes personnes est promise à un bel avenir. L’échange est compris comme l’effet d’une double transmutation : d’une quantité d’effort en une création de valeur et de celle-ci en une quantité d’argent.

Smith introduit une nouvelle définition du travail. Il apparaît comme instrument de calcul et de mesure, qui a pour qualité essentielle de fonder l’échange. Le travail est construit instrumental et abstrait. Son essence est le temps.

A partir du milieu de XIX siècle, le travail est ce qui crée de la richesse, le travail est un facteur de production.

Travail signifie désormais travail productif, c’est à dire travail exercé sur des objets matériels et échangeables, à partir desquels la valeur ajoutée est toujours visible et mesurable.

Dès l’origine, au travers du droit et de l’économie le concept de travail est matériel, quantifié et marchand. Le travail est bien le nouveau rapport social qui structure la société.

Le bouleversement des représentations classiques du monde s’est opéré au XVII siècle par l’effondrement de la conception géocentrique du monde (rapport homme/nature), la remise en cause des représentations classiques de l’ordre social et l’apparition de l’individu.

La science n’a plus pour vocation de découvrir la vérité, mais de mettre au jour des causes qui permettent à l’homme de transformer le monde. A la relation de crainte et de respect vis à vis de la nature se substitue une relation utilitaire.

Avec l’effondrement des communautés naturelles, le problème majeur est de trouver la règle de coexistence des individus en évitant une remise en cause perpétuelle. L’ordre politique a pour mission de mettre chaque individu à sa place dans le tout social, de l’intégrer dans l’ordre d’où découleront ses droits et ses devoirs.

Deux solutions différentes se mettent en place au XVIII siècle : l’économie et la politique. La multiplicité des échanges constitue le lien social. L’économie est une philosophie de la société fondée sur la méfiance : l’intervention humaine n’est pas suffisante pour garantir l’ordre social.

Le désir d’abondance oblige à l’efficacité et conduit à une division accrue du travail, donc à l’approfondissement de la dépendance aux autres. A partir de lui, l‘économie définit les lois naturelles de l’enrichissement et en déduit l’ordre social et la structure des rapports sociaux. L’économie concilie l’arbitraire et le naturel : nous échangeons dans l’illusion d’une abondance promise et ainsi nous construisons l’ordre social, sans l’avoir voulu.

L’économie va prendre une place grandissante au détriment d’une régulation politique. La régulation économique installe le travail au fondement de la vie sociale, elle oblige la société à ne cesser de produire, d’échanger et de travailler.

 

Chapitre 4 : Acte 2 : Le travail, essence de l’homme

A la fin du XVIII siècle, le travail apparaît sous la double figure du facteur de production et du rapport contributif qui permet la mise en relation de l’individu et la société.

Le XIX siècle va profondément transformer cette représentation en faisant du travail le modèle de l’activité créatrice par excellence.

Une pensée de l’aliénation se met en place qui dénonce la défiguration du travail.

En Allemagne se développe la philosophie de Hegel qui fonde l’idée selon laquelle le travail est l’essence de l’homme. la philosophie de Hegel est spiritualiste. Le travail est pour lui l’activité spirituelle par laquelle l’Esprit s’oppose un donné extérieur pour se connaître lui-même. Pour lui, l’objectif ultime de l’Histoire du monde est l’humanisation complète de la nature.

Le travail est le médiateur entre la nature et l’Esprit. Par le travail, l’homme détruit le naturel et se fait toujours plus humain. Hegel a mis en évidence la construction d’une essence du travail, c’est-à-dire d’un idéal de création et réalisation de soi.

Marx construit une vaste opposition entre le vrai travail qui est l’essence de l’homme et la réalité du travail qui n’est qu’une forme aliénée. L’homme ne doit avoir de cesse d’humaniser le monde, de le modeler à son image, de réduire le naturel, y compris en lui-même. Non seulement le travail est la plus haute manifestation de mon individualité, mais il constitue également ce milieu au sein duquel se réalise la véritable sociabilité.

Marx voit l’origine de cette défiguration du travail dans l’existence de la propriété privée. Le travail considéré comme facteur de production et comme essence de la richesse est aliéné.

Le développement des forces productives permet de se passer de plus en plus du travail humain comme facteur de production et du temps de travail comme mesure de richesse. Dans une nouvelle phase du communisme le travail n’est plus aliénation mais expression de soi : le travail lui-même est épanouissant.

La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de la libération. L’idéal d’un travail épanouissant imprègne toute son œuvre.

En France, les trois moments essence, critique du travail schème utopique sont exactement identiques

Le travail apparaît tout à la fois comme contribution de chacun au progrès de la société, fondement du lien social, et source d’épanouissement et d’équilibre personnels.

Le travail est dans son essence épanouissant. Il ne reste plus qu’à le rendre conforme à sa nature.

Le droit au travail se confond avec le droit au moyen de pouvoir gagner sa vie, et donc le droit au libre exercice d’un travail. La vraie liberté du travail ne peut prendre son sens que si elle est appuyée sur le droit au travail.

La véritable ligne de partage passe en réalité entre ceux pour qui le droit au travail est encore l’équivalent d’un droit à la survie ou à la vie et ceux pour qui ce droit est un droit au travail épanouissant.

En 1848 le pas est franchi : le travail est devenu le moyen de la réalisation de soi et du lien social.

 

Chapitre 5 : Acte 3 : De la libération du travail au plein emploi

A la fin du XIX siècle avec la social-démocratie, il n’est plus question de rêver l’essence du travail mais de rendre supportable sa réalité.

La pensée sociale-démocrate se refuse à penser l’évolution de la société en terme de saut qualitatif et fait une place majeure à la stratégie et à l’action politique. Les sociaux-démocrates réformistes sont donc pragmatiques. Leur stratégie privilégie dans son action le court terme, les résultats électoraux et l’amélioration de la condition ouvrière. Son action aboutit à consolider le rapport salarial (en réclamant une augmentation de la part revenant au travail et une diminution de celle réservée au capital).

L’idéologie sociale-démocrate réussit le tour de force de continuer à croire à une libération future du travail.

La pensée sociale-démocrate rend obligatoire l’intervention d’un état capable de garantir la marche régulière de la grande machine sociale.

Ainsi s’explique le développement dès le début du XX siècle et surtout après la seconde guerre mondiale d’un Etat providence ou Etat social.

L’Etat providence se donne pour impératif de maintenir absolument un taux de croissance et de distribuer des compensations de manière à assurer un contrepoids au rapport salarial.

Certes on prône la réduction du temps de travail ; on affirme que la recherche de l’abondance doit permettre de se libérer un jour de la contrainte du travail. L’essentiel est dit-on d’humaniser le travail.

L’Etat social a réussi à substituer à l’utopie socialiste d’un travail libéré une visée plus simple qui consiste à fournir au travailleur en échange de son effort une somme croissante de bien-être et lui garantir le plein emploi.

Le XX siècle n’est plus celui du travail mais de l’emploi. L’emploi c’est le travail considéré comme structure sociale.

Mais la garantie du plein emploi et de l’accroissement indéfini de la richesse ne va pas de soi.

En développant la productivité, le besoin de travail humain diminue, et on s’oblige à inventer toujours plus de travail.

 

Chapitre 6 : L’utopie du travail libéré

Une partie de pensées actuelles défend l’idée que le travail est déjà et sera de plus en plus le moyen de l’accomplissement personnel et de l’expression de soi, le lieu de l’autonomie retrouvée. La frontière entre loisir et travail serait dans cette perspective remise en cause.

Pour ces pensées un desserrement de la contrainte du travail est inutile.

Le travail, moyen au service de la logique capitaliste

Dans les discours comme dans la réalité, le travail a été moyen pour la nation d’augmenter les richesses produites, pour l’individu d’acquérir un revenu, pour la classe capitaliste de faire du profit, moyen physique pour transformer la matière en produits utilisables par l’homme, moyen permettant d’aménager la nature et d’humaniser le monde. Le travail apparaît comme un pur moyen pour le capitalisme d’atteindre ses fins. Le travailleur est devenu une marchandise comme les autres. La production s’étant développée à partir de critères de rentabilité, elle est devenue toujours plus abstraite et le travail toujours plus instrumentalisé.

Le taylorisme a poussé à son point extrême le mépris du travail humain en le chronométrant, en le divisant, en lui enlevant tout sens.

Le travail reste considéré par la pensée économique comme un pur facteur de production.

La subordination, cœur du travail salarié

La caractéristique majeure du travail salarié est le lien de subordination qui existe entre le salarié et son employeur. Cette subordination constitue la contrepartie logique de l’absence de tout risque économique assumé par le salarié dans son activité.

Le travail, moyen d’aménager le monde

Depuis le XVIII le travail est un moyen en vue d’aménager le monde ; le travail humain s’adapte aux évolutions technologiques.

L’idée d’une diminution de la place du travail dans nos vies amène sur le scène le spectre de la surconsommation et de l’individualisme. Les politiques craignent la délinquance, l’ennui.

Le mode de vie voué à la pure reproduction des conditions matérielles s’est développé jusqu’à rendre inimaginables les autres modes de vie , la vie consacrée au culte du beau, celle consacrée aux affaires de la cité, et celle vouée à la contemplation.

Pour le philosophe allemand Martin Heidegger, le travail est la forme concrète que prend le rapport de l’homme à l’ère de la technique, et représente l’essence du monde moderne, en même temps que le comble de l’oubli de l’Etre, mais aussi d’autre manières d’être homme.

En instaurant une relation de domination sur la nature, l’homme a en même temps instauré une relation de domination sur ces semblables et sur lui-même et s’est privé de la possibilité de les comprendre. Le travail au cœur du processus de réaménagement de la nature est le nouvel organisateur des rapports sociaux.

Le travail parce qu’il est d’abord apparu comme facteur de production, moyen d’augmenter les richesses, puis d’humaniser le monde, est donc emporté par une logique qui le dépasse infiniment et fait de lui un moyen au service d’une autre fin que lui-même.

La propriété aura beau être transférée à l’état ou à l’ensemble des individus, tant que le travail sera subordonné à la logique de développement des besoins, et donc à celle de la division et de la rentabilité, l’essentiel du travail ne changera pas. Comment le travail moderne totalement éclaté et de plus en plus abstrait pourrait être, aujourd’hui ou dans le futur le lieu ou le moyen de l’autonomie.

La société post-industrielle, après avoir développé un travail immatériel et des processus très complexes demandant des interventions humaines hautement qualifiées, serait capable aujourd’hui, à condition d’adapter la formation de ses membres, de rendre au travail son autonomie. Les travailleurs du futur seraient plus responsables, plus autonomes, car amenés à faire appel à leurs capacités cognitives, à faire circuler l’information, à maîtriser des processus complexes, à prendre des décisions susceptibles d’influencer l’ensemble du processus de production.

Mais la vraie autonomie et la vraie expression de soi consistent à se donner sa loi à soi-même, à se fixer des objectifs et les moyens de l’atteindre.

Nous sommes dans une époque soumise à la contradiction qui consiste à penser le travail comme notre œuvre alors qu’il reste régi, plus que jamais, par la logique de l’efficacité.

 

Chapitre 7 : Le travail, lien social ?

Pour les défenseurs du travail, le travail est au fondement du lien social, le moyen majeur de socialisation et d’intégration sociale, le lien social quotidien.

Le travail permet l’apprentissage de la vie sociale et la construction des identités, il est la mesure des échanges sociaux, il permet à chacun d’avoir une utilité sociale, enfin il est un lieu de rencontres et de coopérations.

Le travail permet aujourd’hui l’exercice d’une certaine forme de sociabilité, mais c’est essentiellement parce qu’il est la forme majeure d’organisation du temps social et qu’il est le rapport social dominant, celui sur lequel sont fondés nos échanges et nos hiérarchies sociales.

Il n’a pas été conçu comme le moyen mis au service d’une fin précise : l’établissement du lien social. Le travail ne fonde pas par nature le lien social.

Pour Hannah Arendt, philosophe allemande, dans sa critique du travail, mettre le travail au centre de la société, justifier le travail comme lien social. C’est défendre une idée éminemment pauvre de celui-ci . C’est refuser que l’ordre politique soit autre que l’ordre économique ou que la simple régulation sociale. C’est oublier que la société a d’autres fins que la production et la richesse et que l’homme a d’autres moyens de s’exprimer que la production ou la consommation.

Le travail fait l’objet d’un contrat ; il est ainsi placé, dans l’orbite du droit des obligations, qui renvoie à une idéologie individualiste et libérale, qui postule la liberté et l’égalité des individus et affirme la primauté de l’individu sur le groupe et de l’économique sur le social.

Le fondement du droit du travail, son noyau dur, reste bien l’individu.

L’entreprise est généralement définie par sa fonction : elle a vocation à combiner différents facteurs de production pour aboutir à un produit. L’entreprise n’est pas d’abord conçue comme une communauté de travail ; il peut y avoir entreprise sans travail humain.

Le entreprises se recentrent sur leurs fonctions essentielles, en externalisant les autres tâches.

Ses fins ne sont ni celles d’un lieu démocratique, ne celles d’une communauté réalisée en vue du bien de ses membres.

La vocation de l’entreprise est de produire, et de la manière la plus efficace. En revanche, on se méprend quand on raisonne comme si elle était une sorte de communauté politique, destinée à favoriser l’épanouissement des individus.

Pour que l’entreprise soit citoyenne, il faudrait que le pouvoir, les responsabilités, les choix soient réalisés par l’ensemble de ses acteurs

Elle n’est donc ni un lieu d’expression de soi, ni un lieu d’apprentissage de la vie sociale.

Les trois phénomènes majeurs qui caractérisent la modernité des sociétés industrialisées sont :

 

Chapitre 8 : Critique de l’économie

L’économie s’est présentée, au XVIII siècle comme la solution la plus forte pour résoudre la question du lien social.

L’économie, science des lois naturelles de la vie en société, doit pour remplir sa fonction, exhiber des lois naturelles, partir de l’individu, valoriser l’échange.

Au XIX siècle, l’hédonisme, figure encore primaire et trop incarnée de la rationalité, laisse place à une rationalité plus formelle. Les néoclassiques s’appuient sur une conception radicalement individuelle de l’économie.

L’utilité est devenue le concept central de l’économie. L’individualisme restera la méthode de l’économie.

Le marché est le lieu central de l’économie, celui où s’opèrent les véritables rencontres entre des offres et des demandes, celui où se tranchent les différends, mais dans le calme et l’intangibilité des déterminations naturelles et des lois. Le marché permet d’économiser les interventions humaines, de réduire au minimum les risques de désaccord et de conflit.

Le marché est le haut lieu d’un règlement a priori , automatique et silencieux des conflits sociaux.

Dès l’origine, l’économie s’est voulue science des causes de l’accroissement des richesses de la société tout entière. La richesse sociale est assimilée à la somme des enrichissements individuels issus de l’échange marchand. L’économie se réfère toujours à l’utilité individuelle pour définir l’utilité globale.

La représentation concrète de la richesse sociale est mise en évidence par notre indicateur de richesse : le produit intérieur brut (PIB). La richesse sociale est déterminée , par construction, comme l’agrégation de l’enrichissement de chaque centre productif, de chaque unité qui échange.

Seul l’échange marchand est véritablement valorisé dans notre comptabilité.

Ne faisant pas partie intégrante de la richesse sociale : ce qui renforce la cohésion ou le lien social, ce qui est bien pour tous comme l’absence de pollution ou de violence, l’existence de lieux communs, mais encoure toutes les qualités individuelles : l’augmentation du niveau d’éducation de chacun, l’amélioration de sa santé, l’amélioration de ses qualités morales et civiques.

Dans l’indicateur proposé, la richesse est patrimoniale, la société est appréhendée comme un tout uni où les individus sont toujours déjà en relation et où ce qui importe est la qualité de ces individus et la densité des liens qui les unissent.

La vie sociale est ainsi coupée en deux : d’un coté, des acteurs économiques produisent la richesse la plus grande possible, issue des échanges interindividuels, de l’autre, l’Etat dépense une partie de ces richesses pour exercer des fonctions collectives, dont une partie est employée à refaire le tissu social. Le social apparaît uniquement comme facteur de dépense.

Nous avons besoin aujourd’hui d’une autre conception de la richesse, qui ne se contente plus de comptabiliser les flux mais soit également patrimoniale.

Pour Smith, l’augmentation de la richesse générale est destinée à augmenter le bien-être de tout le peuple, et en particulier de la classe la plus nombreuse qui vit le plus difficilement, mais le respect de cette loi nécessite un certain nombre de précautions..

Les trois classes que distingue Smith sont celle qui vit de rentes, celle qui vit de salaires et celle qui vit de profit. Pour les successeurs de Smith et la science économique, l’objectif de l’économie est la recherche des moyens permettant l’augmentation des richesses.

L’économie ne s’occupe ni des fins ni de la répartition, mais de seule production. ; tout est bon pour réaliser cet objectif, y compris le développement des inégalités, cette croissance ne bénéficiant qu’à quelques uns.

L’économie elle-même se veut la science des lois naturelles de l’échange, qui révèle l’ordre naturel. L’économie croit qu’il existe une rétribution naturelle, un taux de chômage naturel, un salaire naturel. : L’économie confond naturel est existant, le droit avec le fait.

L’effort individuel existe et doit être récompensé, mais ne doit pas être pensé indépendamment de la dimension sociale de l’héritage qui échoit à chaque individu ni de la dimension collective de la production.

Parti de l’individu, c’est à l’individu que revient l’économie : partie d’un ensemble d’individus autosuffisants l’économie aboutit normalement à la dissolution du lien social.

L’Etat providence utilise l’économie (donc l’incitation et la rétribution individuelle) et tente de préserver la cohésion sociale (en colmatant les inégalités).

La redistribution qu’est censé permettre l’état n’est qu’une correction des inégalités générées lors de la distribution primaire des revenus. D’un coté, l’efficacité productive et le respect de ce à quoi donne lieu l’incitation individuelle, de l’autre une redistribution au nom de la solidarité. L’Etat providence n’a jamais osé tenir un discours qui justifiait son intervention sociale. D’où la tentation d’un vrai retour au naturel (laisser le marché décider totalement de la juste répartition des revenus, supprimer tous les obstacles aux échanges naturels, l’état n’internant que pour assister ceux qui s’en tireraient trop mal au terme de l’évolution).

A la recherche des lois naturelles de la vie en société, l’économie s’est proclamée science naturelle et générale du comportement humain , sans s’interroger sur la construction de ses notions de base, sur leur rapport avec la réalité ou avec le contexte historique.

L’économie se considère au moins dans sa partie théorique, comme la science du comportement humain en société., tout en conservant ses présupposés individualistes et utilitaristes et en postulant leur universalité. Le choix rationnel en situation de rareté ne vaut que dans l’économie moderne marchande.

En réponse à la question du fondement de l’ordre social, l’économie a trouvé l’échange marchand, acte social majeur, fondateur de sociabilité.

L’économie continue à régir nos sociétés sur des bases dépassées.

En dépit de la diversité des approches, l’économie continue de se vouloir neutre, science positive et formelle indépendante de tout jugement de type politique ou éthique et se refuse de juger des fins. Elle se revendique science des moyens et non des fins.

L’économie incarne la rationalité, l’adaptation des moyens à des fins données. Il n’y a pas de bien social seulement des fins individuelles.

L’économie se présente comme la science et la technique au service de la satisfaction des besoins et des désirs humains. Elle gère la rareté et donne les règles d’ordre qui président à la distribution de tous les biens dont l’homme a besoin. L’homme n’est appréhendé que comme un producteur / consommateur.

Désormais, l’état est le médiateur, c’est par son intermédiaire que les individus sont liés.

L’économie portait en soi le dépérissement de la politique, elle s’est bien substituée au moins dans nos sociétés, à la politique et rend inutiles non seulement la réflexion prudente de l’homme politique, mais également les débats, voire la consultation et la discussion nationales.

La grande masse doit être dépolitisée, la classe politique également. Elle est appelée soit à se transformer en une technocratie spécialisée dans le choix des moyens les plus adaptés pour parvenir aux objectifs prédéterminés, soit à se perdre dans un bavardage sans efficacité.

Pour devenir homme politique, il est préférable d’avoir fait une grande école technique spécialisé e dans le traitement des problèmes de régulation (Polytechnique, ENA ou d’autres)

L’économie nous oblige à valoriser aujourd’hui sur son périmètre d’investigation et la rationalité qu’elle promeut est pour le moins limité et son périmètre de calcul trop étroit.

 

Chapitre 9 : Réinventer la politique : sortir du contractualisme

Les sociétés occidentales industrialisées traversent aujourd’hui une crise où leur capacité à constituer un lieu d’ancrage des identités est en jeu.

Les question les plus urgentes que doit résoudre notre société touchent le lien social ; celle de la cohésion sociale, celle de l’exclusion, celle des inégalités.

Le XX siècle ne dispose pas d’une véritable philosophie politique capable d’expliciter les représentations que la société se fait d’elle-même, ni d’une théorie politique qui donnerait les moyens de penser la société comme une réalité à part entière, un ensemble ayant une valeur et un bien propres. Notre état - providence ne possède pas de fondement conceptuel ; ces interventions sont issues d’une pratique greffée sur une représentation figée de la société.

L’apparition de l’individu et de sa liberté infinie a rendu impensable une société qui serait autre chose qu’une association bien réglée d’individus. Il n’y a ni bien social, ni politique au sens d’une recherche ensemble de la bonne vie en société ou de la bonne société.

La politique se borne à garantir le bon fonctionnement de l’ordre naturel, dont les lois sont déterminées par l’économie.

La reconnaissance d’un bien social peut entraîner des obligations pour les individus. La bonne vie en société a un prix et une valeur pour l’individu et certains de ses désirs peuvent être limités du fait de la vie sociale.

Hegel est l’un des seuls théoriciens politiques à avoir mis en évidence que le problème des sociétés modernes était de concilier la liberté individuelle et la communauté

Une société moderne ne peut être une véritable communauté si un Etat ne lui sert pas de catalyseur et de médiateur. Avant même d’être un régulateur de la croissance ou un correcteur des inégalités, un tel Etat aurait pour tâche première d’organiser continûment l’espace public.

Les démarches pour promouvoir une société plus communautaire et pour réformer l’état, ne peuvent s’opérer l’une sans l’autre, ne peuvent que se féconder l’une l’autre.

Une nouvelle conception de la société comme communauté supposerait trois grands types de remise en cause : une remise en cause de la place de l’économie, une remise en cause de l’état, une remise en cause des instruments, des institutions et des dispositifs fiscaux et sociaux.

Ceci suppose réalisées au moins trois conditions :

Trois fonctions pourraient être assignées à l’état :

 

Chapitre 10 : Désenchanter le travail

La logique qui sous-tend le développement d’une société de services est la mise en valeur de tout ce qui existe : ressources naturelles, capacités naturelles, relations sociales.

Dans une société dans laquelle l’essentiel de l’activité prend la forme de "service" la différence entre travail et non-travail s’estompe.

C’est là que nos sociétés se révèlent paradoxalement mais profondément marxiennes : tout est travail, l’emploi est mort, vive l’activité

La réduction de la place du travail dans nos vies, est la condition pour que se développe à coté de la production, d’autres modes de sociabilité, d’autres moyens d’expression, d’autres manières pour les individus d’acquérir une identité ou de participer à la gestion collective, en résumé un véritable espace public

Cette société déciderait de trois règles :

Une telle réduction de la place du travail, même contrôlée, comporte à l’évidence des risques :

Le desserrement de la contrainte du travail devrait permettre pour l’ensemble des individus, un nouveau rapport au temps, valeur individuelle et collective majeure dont la maîtrise et l’organisation redeviendraient un art essentiel.

 

7) Actualité de la question

L’idée a pris, ces dernières années, de plus en plus de consistance. A gauche, comme à droite. Nous serions en train de connaître "la fin du travail", titre du livre de l’économiste américain Rikfin, paru en 1995 qui a lancé tout un mode de pensée.

Selon Jeremy RIKFIN, dans son livre "la fin du travail", l’automation engendrerait tant de gains de productivité que le travail serait appelé à s’éteindre dans les prochaines années. Il part d’une idée simple : "Jamais l’économie occidentale ne créera suffisamment d’emplois pour équilibrer les réductions d’effectifs entraînées par la révolution de l’information".

La réflexion a été rapidement reprise de ce coté-ci de l’Atlantique, plusieurs auteurs complétant cette réflexion.

Pour Robert CASTEL historien, dans "les métamorphoses de la question sociale" la crise de l’emploi met en cause la propriété sociale : La question sociale n’a cessé de resurgir au fil des siècles. Redéfinir la notion de propriété donc de créer une nouvelle forme de propriété sociale dans laquelle on peut rester en dehors de la propriété matérielle tout en étant en sécurité est la question sociale du XX siècle pour l’auteur.

Alain LIPIETZ économiste avec "La société en sablier. Le partage du travail contre la déchirure sociale" en 1996, analyse la société de chômage de masse et de la déchirure sociale et propose des solutions de rechange comme le partage du travail et des revenus, le développement du "tiers-secteur", et une réforme fiscale.

Pour Anne-Marie GROZELIER sociologue, la fin du travail n’est pas une fatalité avec son livre "Pour en finir avec la fin du travail" en 1998. Son ouvrage veut dynamiter une des idées pré mâchées de la pensée unique, selon laquelle le travail serait une valeur en voie de disparition. Sans nier le développement de la précarité, qu’elle minore cependant, la sociologue reconnaît que, même s’il s’est complexifié, le travail conserve sa place essentielle dans la vie économique.

S’appuyant sur les statistiques, elle affirme que l’effritement de la société salariale n’est nullement confirmée ; au début du siècle 60% de la population était salariée, 65% après 1950, près de 90% maintenant. Certes, le pourcentage de contrats précaires augmentent et l’emploi à temps partiel représente 15,5% de la population active en 1998.
Pour l’auteur, il est actuellement plus que temps de " briser le consensus qui s’est construit autour de la flexibilité productive, fondée sur l’acceptation de sacrifices sociaux : la mise en perspective des processus économiques et idéologiques qui président à ces changements pourrait ouvrir la voie à une remise en cause de ces logiques sacrificielles.

 

8) Commentaires

La "fin" du travail ne doit cependant pas être prise à la lettre : il s’agit en fait d’une redistribution, à partir de la diminution drastique du besoin de main d’œuvre dans la production et la distribution de biens et services marchands.

Retrouver d’autres manières d’établir ou de rétablir le lien social par d’autres formes d’activité qui ne seront pas  "emploi salarié" apparaît indispensable. Il faut donc accepter d’autres moyens de distribution du revenu que le seul travail. L’objectif des associations est de permettre aux individus d’échanger autre chose que des services marchands. Chacun existe par ce qu’il sait faire et ce qu’il peut apporter aux autres.

Pour rétablir la rentabilité, le travail a été dégradé. Il nécessaire de retrouver une dignité du travail. La satisfaction de "faire quelque chose" dans son travail ne doit pas être réservée aux seuls intellectuels.

Sortir de la désespérance exige trois conditions : assurer à chacun un revenu, garantir statuts et reconnaissance sociale, pour une activité digne, voire valorisante.

La responsabilité sociale de l’entreprise est une des solutions par le mécénat de solidarité et les fondations d’entreprise :

La responsabilité sociale par deux approches :
Orientation externe
- Soutien à des causes d’intérêt général
- Aide aux personnes handicapées
Approche interne
- Gestion prévisionnelle des ressources humaines
- Limitation des effets des restructuration sur l'emploi
 

9) Conclusion

Cet ouvrage nous aide à réfléchir sur la crise de notre société et sur la place du travail dans celle-ci.

Sur une société qui prétend trouver comme ciment l’intérêt économique, pour peut-être en finir avec cette société fondée sur le travail, il convient de se réfléchir sur les thèmes suivants :

Ces thèmes actuels sont bien des points majeurs pour résoudre le crise du travail, et par là le lien social.

 

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