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Estelle NOEL DESS 202 - Stratégie, planification et contrôle dans l'entreprise 2000-2001 |
Yvon PESQUEUX |
Texte de Hélène LöningUniversel ou local ?
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Université PARIS XI - DAUPHINE
Janvier 2001
I - Biographie de l’auteur
Docteur ès Sciences de gestion, Hélène Löning est un professeur-chercheur du Groupe HEC HEC au sein du Département Comptabilité-Contrôle de gestion.
Les centres d’intérêt d’Hélène Löning portent en particulier sur la diversité des pratiques de gestion au regard des cultures nationales, l’analyse stratégique des coûts, la comptabilité de gestion et le suivi de la performance, le contrôle de gestion des activités commerciales et marketing.Quelques ouvrages reconstituant une partie de son œuvre :
- Une approche culturelle de l’utilisation des systèmes d’information comptable et de gestion dans différents contextes nationaux : l’exemple de la France et de la Grande-Bretagne, Thèse en sciences de gestion, 1994.
- A la recherche d’une culture européenne en comptabilité et contrôle de gestion, Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 1 – Volume 1, mars 1995.
- Le contrôle de gestion, 1998, en collaboration avec Y. Pesqueux et coll.
- Tableaux de bord pour managers, 1999, en collaboration avec C. Mendoza, F. Giraud et M.H. Delmond.
II - Questions posées par l’auteur
L'économie moderne est en pleine marche vers la mondialisation et la globalisation. Les entreprises sont forcées de suivre cette évolution si elles veulent rester compétitives. Parallèlement, la culture ne cesse de se démarquer de ce système par sa volonté récurrente de diversité. Toutefois, il est pertinent de se demander combien de temps pourra-t-elle résister à cette pression de l'économie. Quel est l'avenir de la culture au sein de la mondialisation ? Comment la diversité culturelle peut-elle s'imposer à la volonté globalisante de l'économie et subsister face à celle de l’harmonisation?
Pendant de nombreuses années, les entreprises ont privilégié la maximisation du profit comme but majeur de l’organisation. Mais au fur et à mesure, les buts se sont multipliés et se sont contredits. Les entreprises d’aujourd’hui doivent donc faire face à de nombreuses contradictions. Des paradoxes, tel que celui de l’international, font partie intégrante de leur stratégie. Mais un problème se pose : comment gérer simultanément des exigences contradictoires ? Pour rompre ces paradoxes, ne faut-il pas rompre avec nos modes de pensée traditionnels ? N’est-il pas temps de redonner tout son sens à la problématique de la différenciation et de l’intégration dans les organisations développée par Lawrence et Lorsch ? Et comment le contrôle de gestion peut-il intégrer cette réflexion pour dépasser ses propres paradoxes ?
III - Postulats
Toutes les entreprises sont confrontées à l’interculturel. Outre la confrontation de plus en plus fréquente avec des cultures nationales différentes, elles doivent faire face à de nombreux paradoxes concernant tant les moyens humains, matériels qu’organisationnels.
Les deux termes d’une opposition sont indissociables ; on ne peut, par exemple, envisager séparer la dimension formelle de la dimension informelle.
La conception de l’informel est étroite. Rares sont les auteurs qui ont étudié cette dimension en profondeur, tenté de l’expliciter et perçu son importance.
Les réactions des hommes face à l’interculturel sont ambiguës. Bien qu’ils en reconnaissent l’importance dans l’organisation, ils n’y réfléchissent guère considérant le thème peu maîtrisable et réservé aux dirigeants.
IV - Hypothèses
Le contrôle de gestion ne doit pas être à part dans le paradoxe global/local. Il doit lui aussi s’intégrer à cette réflexion sur laquelle il ne peut fermer les yeux. Le contrôle de gestion international est un exemple de cette problématique interculturelle à laquelle est confronté le contrôle de gestion. La recherche en contrôle de gestion international a donc quelque chose à apprendre et à apporter au contrôle de gestion en général. On ne peut se pencher sur l’évolution du contrôle de gestion sans aborder l’international, et plus encore l’interculturel.
Tout au long du texte, l’auteur s’attache à réfuter trois grands postulats de la recherche en gestion. Le premier postulat concerne l’universalité de la culture. Ainsi, l'universalité de la culture est un paradigme ancré dans de nombreux esprits. Pour certains, il est difficile de concevoir, et même d'imaginer, que l'"Autre" puisse être différent et penser autrement. Cette méconnaissance de son voisin a créé au fil du temps une incompréhension récurrente lorsque deux cultures doivent interagir. Nous sommes en présence d'un choc culturel permanent qui accentue les difficultés des individus à vivre et à travailler ensembles au sein d’une même organisation.
En réalité, la culture est ambivalente et s’adapte à toutes les formes de sociétés. La culture, fut-elle universelle, est produite à travers des esprits individuels qui sont rivés à une culture particulière et à une civilisation donnée. De plus, une culture, même si elle est présente dans une communauté restreinte d'individus, aura une architecture différente car elle sera interprétée. Un individu prolonge sa propre culture à partir des phénomènes inconscients que lui a inculqués la société. C'est ainsi que, si une culture suit une ligne directrice commune à un ensemble d'individus partageant cette ligne, elle sera quand même différente pour chacun d'eux en raison de leur propre interprétation.
Le second postulat sous-tend que les deux termes d’une opposition sont contradictoires et donc inconciliables. On demande généralement aux individus de choisir entre les deux termes d’une opposition et d’en éliminer un d’entrée de jeu. Mais l’auteur rejette cette idée. En effet, les oppositions auxquelles font face les entreprises, par exemple, ne sont peut-être qu’apparentes, construites elles-mêmes par les différentes cultures. A ceci s’ajoute l’hypothèse que le contrôle de gestion doit alors grandir sur les deux termes de l’opposition et non faire un choix entre les deux comme il est coutume de le faire.
Enfin, pour certains auteurs comme Antony, les systèmes formels de contrôle, d’information et de gestion sont les seuls systèmes de l’organisation sur lesquels on peut agir pour une plus grande efficience de l’entreprise. Or, les systèmes informels agissent également sur l’efficience de l’organisation et ont une importance non négligeable dans la conduite d’une stratégie, notamment orientée à l’international. En effet, malgré la volonté de plus en plus forte d’une mondialisation, l’universalisme ne peut pas réduire les éléments de comparaison et de différenciation entre les pays. Et ce sont les systèmes d’information informels qui seront les plus touchés, qui dépendront de la culture nationale et qu’il faudra donc étudier.
V - Mode de démonstration
L’auteur pousse la réflexion concernant les questions posées au contrôle de gestion par la nouvelle globalisation des économies et des échanges, la conquête des nouveaux marchés et les progrès de la technologie. De nombreuses interrogations existent donc à l’heure actuelle quant à la forme et à l’organisation du contrôle de gestion au regard de la problématique interculturelle. Un système de contrôle de gestion peut-il à la fois servir des besoins de cohésion interne et être adapté aux exigences de l’environnement local ? Peut-il être orienté à la fois vers le global et vers le local ?
L’auteur commence par étudier le paradoxe de l’international. Cette problématique peut s’élargir à d’autres oppositions au sein de l’entreprise tels que les concepts universel/culturel, global/local, formel/informel, théorie/pratique... En s’appuyant sur les écrits de différents auteurs, l’auteur cherchera à démontrer qu’un paradoxe ne signifie pas obligatoirement choix de l’un des deux termes.
Dans une seconde partie, l’auteur apportera des réponses à la problématique interculturelle dans la recherche en contrôle de gestion, aussi bien en contexte international que dans un cadre général. Il détaillera notamment la distinction entre systèmes formels et systèmes informels de gestion. Comment le contrôle de gestion peut-il intégrer ce débat dans sa propre réflexion ? A quels antagonistes incontournables le contrôle doit-il faire face ? Et puis, finalement, l’action d’opposer deux dimensions apparemment contraires a-t-elle réellement un sens ?
VI - Résumé
Toute entreprise est confrontée un jour à un choix primordial : s’ouvrir au marché mondial ou conserver son activité locale. Tel est le paradoxe de l’international. Mais après avoir choisi la voie de la mondialisation, les entreprises ont encore à prendre des décisions en matière d’organisation, d’exercice de leur activité, de ressources humaines... et doivent faire de nouveaux choix. Il existerait donc pour les entreprises des oppositions incontournables entre l’universel et le culturel, le global et le local, l’économique et le social, les manuels et les pratiques...
- Le paradoxe de l’international : quels choix s’offrent aux entreprises ?
Opposition entre universel et culturel
Dans chacun des termes de l’opposition universel/culturel subsistent un aspect positif et un aspect négatif. Il est donc difficile d’appréhender ce paradoxe d’autant plus que la notion même de "culture" est ambiguë. Finkelkraut expose ainsi l’existence de deux cultures : l’une, lieu d’épanouissement de la pensée, est universelle, alors que l’autre, induite par les traditions, les croyances et les coutumes, est essentiellement locale. Mais les deux cultures, étant présentes chez un même individu, sont étroitement liées.
Un individu dispose d’une culture, d’un mode de connaissance à partir desquels il pourra, plus ou moins, s’éloigner en fonction du degré d’autonomie relative qu’il possèdera. Cette évolution vers la réflexion personnelle et autonome, affaiblit la culture "dictée" et laisse place à la connaissance propre. Mais rien n’indique à quel moment ni dans quelles conditions l’une prend le pas sur l’autre.
Il est donc difficile de différencier totalement la culture universelle des cultures particulières, de détacher l’esprit individuel de la communauté dont il fait partie. A titre d’exemple, la France et la Grande-Bretagne ont chacune "triomphé" grâce à des cultures différentes. La France a d’ailleurs la particularité d’avoir fondé son identité culturelle sur l’universalité de sa culture. Certains respectent et encouragent cette contribution à la culture universelle tandis que d’autres rejettent cette appropriation de la culture et cette aisance à créer un mythe de soi-même.
Elargissement à un paradoxe plus général
La problématique interculturelle ne peut se limiter au paradoxe universel/culturel. En effet, l’auteur élargit sa réflexion à d’autres antagonismes relativement simples découlant des approches "objectives" et "subjectives" : universel/culturel, formel/informel, économique/social, manuels-théories/pratiques, ce qui s’enseigne/ce qui se vit... Il est impossible de dissocier les deux termes de l’opposition. Démontré précédemment avec l’exemple universel/culturel, le cas est identique pour chacune des différentes associations. Les manuels n’existent que par l’application pratique des théories tout comme les pratiques ne peuvent se développer que grâce aux modèles théoriques. La situation est similaire pour l’économique et le social qui pèsent l’un sur l’autre. Pour finir, dans une entreprise, la dimension informelle est indissociable de la dimension formelle. En effet, les structures, outils... – systèmes formels indispensables à l’organisation – induisent une création de l’informel, par les utilisations et les pratiques propres des hommes.
Les deux dimensions doivent être reconnues et on ne doit plus s’arrêter essentiellement à l’approche objective de l’opposition, c’est-à-dire ne prendre en considération que les aspects universels, économiques, théorisés ou formalisés comme il est coutume de le faire. Toutefois, il ne faut pas condamner ces aspects non plus. Les recherches interculturelles semblent donc intéressantes puisqu’elles poussent à considérer et distinguer ce qui est culturel et informel de ce qui est universel et plus général. En étudiant les différences et similitudes entre entreprises et systèmes de différents pays, elles tentent également de réconcilier les deux dimensions culturelle et universelle.
B. La problématique interculturelle du contrôle de gestion
Les études en recherche internationale s’orientent généralement vers deux grands axes : soit la dimension technique, soit la compréhension des différences culturelles. Ainsi, en contrôle de gestion, on peut s’intéresser particulièrement aux phénomènes de gestion liés aux groupes internationaux, tels que les prix de cession interne, la fiscalité, les risques de change ou d’inflation. Mais on peut également étudier la gestion des ressources humaines, le management choisi et s’attacher à des éléments, tels que le contrôle des filiales, le choix entre un local ou un expatrié, les modes de gestion adaptés au pays concerné...
Ces recherches interculturelles, enrichissant l’ensemble de la réflexion en contrôle de gestion, font apparaître l’existence de problématiques auxquelles sont confrontées toutes les entreprises, et non uniquement celles évoluant dans un contexte international : centralisation ou décentralisation des décisions, primauté aux systèmes formels ou aux systèmes informels, culture d’entreprise forte ou identité de chaque activité professionnelle, contrôle du siège ou autonomie aux opérationnels... ? De ces problématiques, le contrôle de gestion doit apprendre à ne pas éliminer d’entrée de jeu l’un des deux termes de l’opposition, et grandir sur chacun des deux axes apparemment contradictoires. Ne s’agit-il pas de différencier et intégrer davantage comme nous l’ont appris auparavant Lawrence et Lorsch ?
En contrôle de gestion, une opposition se distingue des autres : les systèmes formels et les systèmes informels de contrôle, de gestion et d’information. Cette dualité est au cœur même du contrôle de gestion et la perspective interculturelle peut nous aider à aller au bout de cette problématique.
Notion de systèmes formels et systèmes informels d’information et de gestion
La distinction entre systèmes formels et informels n’est pas simple et peu d’auteurs se sont véritablement interrogés sur la dimension même des systèmes informels. Pour Antony, un système informel est "un système qui existe sans jamais avoir été créé, ni conçu par qui que ce soit". Il reconnaît ne s’intéresser qu’aux systèmes formels puisque ce sont les seuls que l’on puisse améliorer pour une plus grande efficience de l’entreprise. Mais il faut aujourd’hui dépasser cette idée car on ne peut fermer les yeux sur l’influence des systèmes informels sur les systèmes formels et donc leurs conséquences sur l’organisation.
L’information informelle n’est en réalité que peu reconnue. Peaucelle l’explique en soulignant que les individus ont peur de l’informel et préfèrent s’attacher aux systèmes formels, synonymes de maîtrise, de contrôle et de domination totale. Néanmoins, il n’apporte pas, lui non plus, de définition précise de l’informel, se contentant d’assimiler les systèmes informels à des supports, des "canaux".
La conception de l’informel est donc étroite. On l’assimile souvent à l’oral par opposition au formel représenté par l’écrit. Simon signale, toutefois, la différence entre formel/informel et écrit/oral par le système de communication. Selon lui, la communication formelle inclut non seulement les écrits, les notes mais également des éléments de la communication orale. La communication informelle, elle, concerne les aspects sociaux de l’acte de communication et non ce qu’on appelle communication orale. L’information communiquée repose donc à la fois sur le formel et l’informel. En effet, le système de communication formelle sera toujours associé à des canaux informels, construits autour des relations sociales des individus au sein de l’organisation.
La frontière entre le formel et l’informel serait elle-même une frontière de nature culturelle tracée différemment selon les cultures. Hall souligne cette idée en reliant l’importance accordée aux systèmes formels et informels à la relation au temps. La distinction entre formel et informel est également présente en théorie des organisations. Etzioni distingue en effet l’organisation formelle de l’organisation informelle et tente de réconcilier ces deux dimensions. Le problème naît souvent du manque d’articulation entre les deux relations. On sait, par exemple, que les individus forment des groupes informels mais on ne sait pas comment ces groupes sont reliés à l’organisation formelle.
Macintosh va plus loin en soulignant que les deux dimensions peuvent grandir ensemble. En effet, les systèmes d’information et de gestion influencent et sont influencés à leur tour par l’organisation et par les individus au sein de cette organisation. La distinction entre formel et informel peut donc s’opérer grâce à la dimension sociale, au contexte sociorelationnel dans lequel s’effectuent les échanges d’information. Les systèmes formels font référence aux outils, aux supports mais aussi à la structure officielle du système d’information. Les systèmes informels, eux, concernent les pratiques sociales, le jeu des acteurs, les modes d’emploi des systèmes. Les deux systèmes ne peuvent être étudiés indépendamment, ni l’un de l’autre, ni de l’organisation.
La recherche d’éléments interculturels significatifs pousse à s’intéresser aux systèmes informels. En effet, entre deux pays tels que la France et la Grande-Bretagne, les différences entre systèmes d’information formels (procédure, place accordée…) restent minimes. Par contre, dès que l’on regarde la façon dont les personnes travaillent, décident, s’informent, les éléments de comparaison et de différenciation entre les pays surgissent et se multiplient. Les systèmes d’information informels sont donc particulièrement concernés par les analyses comparatives et vont dépendre de la culture nationale.
Application de cette réflexion aux enjeux du contrôle de gestion
Le contrôle de gestion, longtemps perçu sous un angle formel, est bien entendu touché par ce débat, en commençant par le contrôle de gestion international. Une première problématique se pose concernant le renouvellement des approches de contrôle de gestion international. Pendant longtemps, on a utilisé une approche par les outils économiques et financiers, et, apporté des réponses essentiellement techniques. Mais aujourd’hui, une nouvelle approche doit faire jour et prendre en compte davantage les aspects comportementaux, sociaux et humains car c’est à ce niveau que les réponses sont insuffisantes. On va, par exemple, réfléchir à l’équilibre entre management local et management expatrié. Le style de management stratégique retenu s’accompagnera d’un choix d’outils et de structures qui vont conférer davantage de pouvoir décisionnel, soit aux filiales locales, soit à l’universel dicté par le siège.
On ne peut se contenter ni d’un management par les chiffres, ni d’un colonialisme interventionniste. On va plutôt chercher à modifier les approches en contrôle de gestion international par l’apprentissage de la relativité et de l’adaptation aux cadres qui sont en relation avec l’international. On peut se pencher également sur le rôle de la société-mère, ses droits et devoirs à l’égard des filiales…
Derrière la problématique interculturelle se pose une problématique du contrôle dans son ensemble : où situer la frontière entre les termes siège/terrain, fonctionnels/opérationnels, centralisation/décentralisation, coordination/autonomie… Il s’agit également de répondre à la question "qu’est-ce que contrôler et comment contrôler ?". On doit ainsi retenir que les frontières tracées sont elles-mêmes culturelles et qu’il ne faut pas éliminer un des termes de l’opposition, ceux-ci étant inséparables.
Deux phénomènes peuvent expliquer les réactions des hommes face aux questions interculturelles. Tout d’abord, le quotidien des responsables est fait de systèmes formels, d’outils facilement mesurables alors que l’interculturel touche essentiellement la dimension informelle des systèmes d’information et de gestion. Cette dimension informelle intéresse peu les responsables. Bien qu’ils en reconnaissent l’importance, elle apparaît floue, éloignée, peu maîtrisable et peu présente dans leurs objectifs à court terme, base de l’évaluation de leurs performances.
Un second problème découle de l’idée précédente : l’interculturel est perçu comme un thème de "dirigeants". Dans de nombreuses entreprises, les préoccupations internationales, et a fortiori interculturelles, restent totalement du ressort de la direction générale ou du niveau central. On a le sentiment que des thèmes stratégiques tels que la gestion des filiales, le choix d’outils et de méthodes adaptés, ne sont à aucun moment déployés ni pris en charge à d’autres niveaux dans l’entreprise. Certaines entreprises se disent globalisantes, créent des divisions internationales mais professent-elles pour autant l’ouverture, la relativité, l’écoute culturelle à tous les échelons ?
On peut se demander pourquoi ce thème est si peu diffusé dans l’entreprise et ne concerne que la direction générale. Ceci rejoint peut-être la première explication : l’informel est trop difficile à quantifier puis à évaluer. Il faudrait alors se poser la question essentielle sur la capacité des dirigeants à diffuser et contrôler autre chose que du formalisé. En effet, on doit s’interroger plus globalement sur la capacité d’une organisation et du contrôle de gestion à appréhender l’informel et c’est aux dirigeants de s’assurer que cette dimension est intégrée au plus fin niveau de l’organisation.
VII - Commentaires
L’auteur s’est attaché à développer dans cet écrit un élément souvent négligé dans la recherche en gestion : la distinction formel/informel. En effet, les principales différences entre pays apparaissent au niveau des systèmes informels. Ces différences rencontrées sont donc de nature culturelle. Deux éléments, qui jouent un rôle essentiel dans l’interrelation entre la culture et les pratiques de gestion, aident à les interpréter : il s’agit d’une part des modes de représentation, des modes de pensée des individus, largement déterminés par leur appartenance à une culture, et d’autre part, les règles du jeu social, à un niveau collectif, qui prévalent dans un contexte donné. En vivant dans un contexte culturel, les hommes acquièrent des modes de représentation de la réalité qui les entoure, et apprennent à obéir à des règles collectives du jeu social, qui régissent leur comportement en société, comme en entreprise.
L’influence de la culture est grande au niveau des aspects et systèmes informels. Il est, pour cette raison, difficile de détecter des similarités de culture, et plus encore de les décrire. Une telle description passerait par le rapprochement, extrêmement délicat et dangereux, de rites, de tabous, de valeurs, de symboles identitaires dans différents contextes culturels. Il est en revanche, relativement plus facile, en matière de culture, de mettre à jour des différences. Les mécanismes et processus se dégagent et s’expliquent mieux en comparaison avec ce qui se fait ailleurs plutôt que selon une description absolue.
Ainsi, la notion de contrôle, s’appuyant sur des systèmes formels relativement semblables, est différente selon les pays, aussi bien dans sa perception que dans sa pratique (c’est-à-dire dans les aspects informels). Si l’on s’en réfère à la définition traditionnelle, le contrôle est un processus pour s’assurer que la performance est plus ou moins identique au plan et y apporter des corrections. Cette acceptation du terme est très répandue en Allemagne, moyennement en Grande-Bretagne et très faible en France qui sont pourtant des pays proches.
Les pratiques de contrôle divergent également puisque les systèmes sont différents selon le contexte culturel. Le contrôle peut être fréquent, détaillé et efficace ou plutôt être considéré comme un instrument général et moins formel. Son orientation peut d’ailleurs être financière ou s’appliquer davantage à la production. Pour certains pays, le contrôle peut même être uniquement perçu comme un moyen d’enregistrer les résultats. C’est donc l’analyse des différences à travers une approche comparative qui fait apparaître l’importance des aspects sociaux et informels.
L’auteur, en abordant la problématique interculturelle pose le problème de la place de la culture dans l’entreprise et de sa prise en considération par l’ensemble des individus. La culture apparaît donc comme un maillon de l'entreprise qu'il ne faut pas négliger. Il faut toujours la regarder à travers l'ensemble des facettes qui la composent et ne jamais faire d'impasse si on veut avoir une vision efficace de la structure. Toutefois, il est très difficile pour les individus de décoder parfaitement une culture différente de la leur car il s'agit avant tout d'une question d'interprétation et de contexte. Une norme, une valeur étrangère ne peut être acceptée et appliquée par un pays que si elle est interprétée par le personnel de l'entreprise, comme quelque chose de respectable dans la culture locale. Un individu doit pouvoir évacuer son propre mode de pensée pour s'imprégner de celui de son interlocuteur. En aucun cas, il ne faut déchiffrer les valeurs locales en fonction de ses interprétations personnelles. Car les logiques sociales sont autrement plus complexes que ne le supposent les grands principes du management.
Un problème réside dans le fait que les individus ne savent pas s'ils doivent tendre vers la modernité ou se confiner dans leurs valeurs traditionnelles. Doivent-ils adopter les caractéristiques de la culture dominante ou bien se claustrer dans leur champ de pensée en pensant qu'il triomphera ? D'où l'importance de l'identité, du symbolique, et des stéréotypes associés à une culture. Même si les valeurs traditionnelles tendent à prendre le pas sur la modernité, la confusion demeure dans l'esprit des individus et entretient les problèmes d'interprétation.
La dualité culturelle qui est perçue dans l’entreprise est en corrélation avec la dualité de structure. La relation entre l’environnement de l’entreprise et sa structure a été depuis longtemps analysée par les auteurs. Elle est à l’origine des réflexions sur l’alternative centralisation/décentralisation et, plus tard, sur la problématique intégration/différenciation.
Ainsi, pour Sloan qui dirigea General Motors dans les années 1920, la décentralisation est source d’efficacité car elle permet à la fois l’initiative, la responsabilité et la flexibilité pour mieux répondre aux différents marchés et contraintes auxquelles sont confrontées les différentes divisions. La coordination entre les différentes unités est assurée par des comités de coordination dans lesquels sont représentés l’ensemble des divisions. Lawrence et Lorsch, théoriciens de la contingence, vont par la suite approfondir cette approche et montrer la nécessité d’une différenciation des structures des différentes unités d’une même entreprise, en fonction notamment de l’environnement, tout en assurant une intégration par des mécanismes de coordination divers.
On peut reformuler cette idée en l’adaptant plus particulièrement à la problématique du global et du local pour les entreprises. Au fur et à mesure qu’une entreprise s’internationalise, elle est confrontée à la dialectique du global et du local. Pascal nous permet d’arriver directement au problème par le biais de l’Eglise catholique. En effet, son chef doit faire face au dilemme de l’unité et de la pluralité : qu’il privilégie la pluralité, et il court le risque d’une dilution de l’identité et d’une multiplication des sectes ; qu’il n’incarne que l’unité et il produit alors une certaine tyrannie avec la volonté d’obtenir l’adhésion par la force et non par la raison et l’équité. A partir de 1523, pour avoir privilégié l’unité, tous les papes sont italiens, et ils sont entourés d’Italiens. Ils règnent temporellement et temporairement en Italie, mais leur influence universelle s’amenuise.
Si les chercheurs modernes en gestion avaient lu Pascal, ils auraient plus vite compris l’essence de la problématique de la mondialisation, et ils auraient peut-être évité le néologisme de la "glocalisation" : que l’économie se mondialise ne saurait abolir l’existence du local et de l’hétérogène. Lévi-Strauss le montrait très clairement en 1952 pour l’Unesco : "L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification, tandis que l’autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification. (...) Il s’agit bien de deux manières différentes de faire."
Par le biais du texte de Hélène Löning, on peut alors se poser la question de la différenciation locale des pratiques au regard de l’intégration mondiale si l’on reprend la dualité différenciation - intégration telle que nous la proposent les auteurs Lawrence et Lorsch. Se confronter à l’activité internationale de l’entreprise conduit à devoir tenir compte du double mouvement qui s’opère, dans les filiales, entre la nécessité de se conformer aux normes locales et celles liées à la perméabilité aux normes étrangères issues de la société mère.
Pour une entreprise internationale, l’objectif est de trouver un système de contrôle de gestion, des outils, des méthodes œuvrant dans le sens d’un équilibre entre unification des systèmes au sein de l’entreprise et adaptation locale selon les besoins et pratiques des filiales.
L’auteur a axé sa réflexion sur deux grandes problématiques, à savoir l’universel/culturel et les systèmes formels/informels mais une autre problématique d’ordre général mérite d’être développée : centralisation ou décentralisation ?
Ce choix fondamental est à l’origine d’un système de contrôle de gestion. Quels que soient les arguments des uns (face à la diversité des environnements et à la distance, il importe pour un contrôle efficace qu’il soit centralisé) ou des autres (la décentralisation seule apporte la flexibilité qui permet la réaction immédiate aux problèmes locaux), le système de contrôle doit être adapté au style de management choisi : les flux d’information, l’établissement de standards n’auront pas le même contenu, ne suivront pas les mêmes procédures, suivant que l’organisation choisisse décentralisation ou centralisation. Tout système de contrôle met donc en jeu un facteur essentiel : le degré de centralisation des décisions. En effet, les décisions que peut prendre la direction financière d’un groupe dépendent essentiellement du degré d’autonomie accordée aux filiales. Plus on se trouve dans un système véritablement décentralisé, plus le contrôle de gestion trouve sa légitimité.
On voit ainsi que les problématiques et paradoxes que rencontrent les entreprises ne sont ni nouveaux, ni propres à la dimension internationale. L’ensemble des entreprises doivent intégrer ces dimensions dans leur stratégie et surtout apprendre à les gérer différemment de ce qu’ils ont pu voir dans le passé.
Pour réconcilier des exigences contradictoires, il faut tout d’abord surmonter le malaise que leur conjonction provoque chez un esprit logique, puis concevoir comme étant simultanément possibles ou vraies des réalités contradictoires. Ensuite, il faut, pour desserrer l’étreinte de la contradiction, faire preuve de créativité en reformulant le problème et, souvent, en en modifiant les données. En comprendre le mécanisme ne suffit pas, il est nécessaire de transformer la situation où se noue la contradiction. La plupart des outils d’aide à la décision supposent de façon implicite que des solutions existent et qu’il est possible de les appliquer instantanément. La gestion constructive d’exigences partiellement contradictoires repose au contraire sur l’hypothèse que les situations problématiques peuvent faire l’objet d’aménagements qui demandent du temps. Ces changements sont rarement instantanés et nécessitent généralement la collaboration de divers acteurs. De plus, ce type d’intervention est toujours à recommencer car, si l’objectif consiste à gérer des contradictions, il serait vain d’espérer en venir à bout.
Ceci permet de comprendre que le compromis n’est, au mieux, qu’un second choix dans la gestion des paradoxes. Alors que le compromis intervient sous la forme d’un arbitrage dans une situation bloquée, une gestion véritablement constructive suppose, au contraire, la transformation des conditions initiales. Le compromis débouche sur un partage de ce qui existe, tandis qu’une gestion constructive crée de la valeur.
VIII - Actualité de la question
Devant la diversité des pratiques, des normes et des lois dans les différents pays, on peut s’interroger sur la possible existence d’une culture "universelle" en gestion. Celle-ci est-elle envisageable alors qu’on veut à la fois harmoniser à tout prix, aplanir – au moins en apparence – les différences et en même temps conserver une certaine identité ? Ces questions se posent, en particulier, pour les disciplines comptables et de contrôle de gestion où l’harmonisation se heurte à des divergences et résistances importantes. Face à ces difficultés, on peut s’interroger sur le bien-fondé même des tentatives visant à harmoniser en aplanissant les différences culturelles.
Nous avons besoin de prendre conscience de notre propre relativité culturelle par rapport aux autres pays. Il est peu vraisemblable que cette nécessaire empathie découlera de l’effort intellectuel d’un seul pays : par définition, il faut une synergie d’idées venant de sources différentes. Le fait qu’aucun pays ne domine actuellement la scène économique mondiale, comme le firent un temps les Etats-Unis, facilitera la tâche : la puissance économique est trop souvent liée à l’influence intellectuelle. Dans un mode où la puissance économique est davantage répandue, nous pouvons aisément espérer reconnaître une vérité venant de sources multiples.
La réflexion interculturelle découle du principe de l'égalité des cultures les unes par rapport aux autres. Il est faux de penser qu'une culture soit supérieure à une autre et que, par cette supériorité, on ait le droit de l'imposer à l'autre. Or, les "cultures puissantes" des Etats-Unis et d’Europe ont encore tendance à se croire à l'époque de l'inquisition et du colonialisme : imposer sa culture par la force car elle est la meilleure. Cette façon de faire était compréhensible (mais non pardonnable) lorsque l'on n'avait pas encore conscience de la nécessité de collaborer et de créer des interfaces entre les cultures mais aujourd’hui l’interculturel est incontournable.
Le comportement des Français illustrait bien cette idée. Ils ont toujours cherché à lier leurs actes à leur passé. On a l'impression que l'histoire du colonialisme a profondément ancré les pratiques françaises. Habituée à conquérir des pays et à y intégrer sa culture, la France est présente dans les entreprises hexagonales qui en ont intégré les mêmes valeurs. Or, il ne s'agit plus de conquérir un pays encore inexploré et d'y imposer ses traditions, mais plutôt de collaborer pour obtenir une efficience maximale. Lorsque deux cultures sont enclines à cohabiter dans la même entreprise, il faut trouver une solution pour que chacune puisse s'exprimer librement sans être censurée. Ce n'est qu'à cette condition qu'elles pourront apporter le meilleur d'elles-mêmes et rendre l'entreprise plus efficace.
Le contexte de la mondialisation, associé à la prise en compte des particularités culturelles, offre aux managers de nouveaux défis. En effet, la multiplication des fusion-acquisitions, des rachats à l'étranger, des alliances ou de la création de filiales va leur donner la possibilité de jouer les anthropologues pendant encore de longues années.
On assiste ainsi à l’émergence d’un nouveau type de management. Les rachats d’entreprises et les fusions ne doivent pas être étudiés comme une simple question d'argent et de moyens technologiques ou logistiques. En effet, il s'agit avant tout de faire travailler ensemble des hommes et des mentalités très différentes. Les valeurs ne sont pas les mêmes et il faut donc faire attention à ne pas sortir du couloir culturel que nous impose un interlocuteur. Toutefois, encore faut-il pouvoir l'atteindre et y rentrer car les divergences ne sont pas toujours visibles ou alors interprétées différemment. Il en va de même en ce qui concerne les regroupements d’entreprises. Les cultures d'entreprise, la façon de travailler, les coutumes sont différentes. Les hommes peuvent être confrontés à une culture nationale qui leur est étrangère (perception du pouvoir, approche de l’efficacité, modes de coopération...), mais aussi à des cultures professionnelles qui ne sont pas les leurs. Là aussi, le manager devra faire attention s'il ne veut pas que la société explose sous le poids du choc culturel.
Tout manager doit aujourd’hui avoir une vision globale du marché et de la concurrence. Il doit assimiler, intégrer et maîtriser les multiples composantes de toute organisation complexe. Il est donc, par définition, cosmopolite, efficace dans la communication et la négociation interculturelle, sait créer des synergies entre différentes cultures et conduire les changements nécessaires. Il doit également être capable de modifier ses propres comportements pour pouvoir mieux comprendre et s’adapter aux différences de culture. Les différences de culture entre les individus ne constituent une opportunité que dans la mesure où le manager sait en tirer parti et obtenir leur collaboration active.
Toutes les entreprises sont, aujourd’hui, touchées par le management culturel. Il existe très peu de secteurs qui puissent appliquer un mode de gestion unilatéral. Ce problème est d'autant plus à prendre au sérieux que nous ne sommes qu'aux prémices d'un management interculturel grandissant. Aujourd'hui, certaines entreprises peuvent se permettre de n'y prêter attention que de loin, mais demain, les anthropologues fleuriront à l'intérieur des entreprises. Les Américains ont compris depuis plus de 15 ans la nécessité de prendre en compte l'Homme au sein des processus de l'entreprise, alors qu'en France et dans le reste de l'Europe (mis à part, peut-être l'Angleterre), nous venons tout juste de commencer.
On ne dispose pas encore de tous les résultats de recherche fondamentale sur l’interculturel qui seraient nécessaires. La plupart des programmes de formation en management interculturel se fondent sur une étude principale, et déjà ancienne, celle du projet Hermès de Hofstede, qui décrit des différences culturelles dans le management. Mais les interrogations à ce sujet sont encore trop souvent absentes des programmes, signe de l’insuffisante théorique. Il semble que le besoin se soit révélé plus rapidement que le développement de la recherche. Ce sera donc certainement, de plus en plus, un des chantiers d’études des prochaines d’années.
IX - Bibliographie complémentaire
- Bosche M., Le management interculturel, Nathan, 1993.
- Kœnig G., Management stratégique : paradoxes, interactions et apprentissages, Nathan, 1996.
- Löning H., A la recherche d’une culture européenne en comptabilité et contrôle de gestion, Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 1 – Volume 1, mars 1995.
- Reitter R., Chassang G., Comment naviguer entre chaos et tyrannie, L’art de l’entreprise globale, Les Echos 2000.