LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

 

DELAFONTENELLE Liv
DESS 202
Université de Dauphine

Cours de M. Y. Pesqueux
2000 - 2001

 

 

John P. Kotter, James L. Heskett

CULTURE et PERFORMANCES
Le second souffle de l'entreprise

 

 

Bibliographie

Lors de la publication de l’ouvrage, John P.Kotter est le conseiller personnel en leadership de Konosuke Matsushita. Ingénieur en électricité du Massachusetts Institute of Technology, diplômé en gestion de la Sloan School of Management et docteur en comportement organisationnel de l’Université de Harvard, John Kotter devient en 1980, à 33 ans, l’un des plus jeunes universitaires à décrocher le statut de professeur en titre à la Harvard Business School.
John Kotter a orienté son travail depuis le début des années 80 sur les qualités et le comportement managériaux et il se consacre aujourd’hui essentiellement à l’étude du leadership au sein des organisations. De plus, il a abordé à deux reprises le thème de la culture d’entreprise, avant ces recherches pour ce livre. Les sept ouvrages écrits par Kotter sur le leadership ainsi que Culture et performances ont été extrêmement bien perçus.
Kotter souhaite encore développer ses recherches sur le leadership, certain que cette dimension de l’entreprise est un sujet d’études de plus en plus important sur lequel nous savons encore bien peu de choses.

Lors des études menées pour cet ouvrage, James L. Heskett est alors spécialiste de stratégie des affaires à la Fondation UPS. Tout comme John P. Kotter, il enseigne à la Harvard Business School. Pour sa part, il se consacre depuis longtemps à des recherches sur la gestion et assume la direction d’un cycle de cours sur le management à Harvard.

La collaboration entre ces deux hommes a débuté au cours de l’été 1987. En l’espace de quatre ans, ils ont effectué quatre études qui avaient pour but de déterminer s’il existe une relation de causalité entre la culture de l’entreprise et ses résultats. Il s’agissait ensuite, dans l’affirmative, de décrire la nature de cette relation, d’en définir l’origine, de montrer enfin comment l’exploiter pour accroître les performances de l’entreprise.
Cet ouvrage a été d’abord publié en anglais, sous le titre de Corporate Culture and Performances en 1992, puis traduit en français en 1993.

Articles et ouvrages clés de John P.Kotter :

Ouvrages clés de James L.Heskett :

 

Postulats

John P.Kotter et James L.Heskett commencent par définir la culture d’entreprise et ses implications. Les postulats du livre sont donc les suivants :

 

Hypothèses

Le premier chapitre du livre est articulé autour de trois hypothèses. Ces hypothèses proviennent d’études faites précédemment par des chercheurs ou des croyances de dirigeants. Chaque partie de ce chapitre vise à énoncer une hypothèse, qui va être par la suite étudiée par Kotter et Heskett afin de la confirmer ou la réfuter.

Les hypothèses sont les suivantes :

  1. La puissance de la culture est associée à l’excellence des résultats.
  2. La culture a pour raison d’être de motiver le personnel et d’orienter son action en tenant compte du contexte dans lequel elle s’inscrit.
  3. Seules les formes de culture qui aident l’entreprise à prévoir le changement et à s’y adapter garantissent une réussite durable.

 

Mode de démonstration

Cet ouvrage vise à éclaircir le lecteur sur le lien qu’il existe entre la culture d’une entreprise et ses résultats. Kotter et Heskett font leur démonstration, à partir d’une étude détaillée d’entreprises ayant profondément évolué. Les auteurs décrivent leurs raisonnements ainsi que les résultats obtenus au cours de leurs recherches. De plus, des exemples concrets viennent illustrer leurs propos tout au long de l’ouvrage, tentant ainsi de concrétiser le discours théorique des recherches.

Le livre est constitué de deux chapitres avec des constructions quelque peu différentes.
Le premier chapitre est articulé autour de trois hypothèses précédemment décrites. Elles tentent de démontrer s’il existe une relation de causalité entre la culture de l’entreprise et ses résultats, dans l’affirmative, d’en décrire la nature de cette relation et enfin d’en définir l’origine. Dans ce chapitre, les auteurs commencent par reprendre les hypothèses étudiées auparavant sur ce sujet par d’autres chercheurs, puis tentent de confirmer ou réfuter celles-ci. Après l’énumération d’une hypothèse, les auteurs font leurs propres études sur un grand nombre d’entreprises, puis concluent à l’aide de compléments d’informations précieux. Ces conclusions amènent à chaque fois John P.Kotter et James L.Heskett à se poser d’autres questions. Une nouvelle hypothèse est alors étudiée et ainsi de suite. 22 entreprises sont étudiées en détail, afin de démontrer la véracité de ces hypothèses.
Dans le second chapitre, les auteurs cherchent à montrer comment peut-on exploiter la culture pour accroître les performances de l’entreprise. 10 entreprises sont plus particulièrement étudiées, afin de comprendre les conditions nécessaires au changement.

 

Résumé de l’ouvrage

Le terme "culture" est définit par l’American Heritage Dictionary comme : "l’ensemble des usages, des arts, des croyances, des institutions et de toutes les productions du travail et du génie humain, partagés et transmis par une collectivité ou une population donnée."
La culture est constituée par un système de valeurs et de modes de comportement communs à un groupe, qui s’interpénètrent et se perpétuent sur une durée plus ou moins longue. Prise en ce sens, la culture ne doit pas être confondue avec la "stratégie" ou la "structure" de l’entreprise.
La "culture d’entreprise" désigne les valeurs et les usages partagés par l’ensemble des composants du groupe ou, au moins, par les instances dirigeantes. On constate que les cultures résistent au temps, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’évoluent pas.

Les travaux menés par John P.Kotter et James L.Heskett ont pour objet de déterminer s’il existe un lien entre la culture d’une entreprise et ses résultats économiques à long terme. Il s’agit également de définir la nature d’une telle relation, d’en rechercher les causes et de découvrir si elle peut-être utilisée et de quelle manière, pour améliorer les performances de l’entreprise.

De manière générale, les travaux confirment les premiers ouvrages consacrés à la culture d’entreprise. Ils corrigent néanmoins certains défauts de raisonnement en insistant sur quatre points :

  1. La culture de l’entreprise peut exercer une influence décisive sur les résultats économiques à long terme.
  2. La culture jouera probablement un rôle déterminant dans la réussite ou l’échec des entreprises au cours de la prochaine décennie. Dans un monde de bouleversement perpétuel, il paraît évident que les cultures incapables d’adaptation vouent l’entreprise à l’échec.
  3. Les formes de cultures négatives sont fréquentes ; elles se développent facilement, y compris dans des firmes gouvernées par des dirigeants pragmatiques et intelligents.
  4. Les cultures réfractaires au changement peuvent néanmoins être transformées dans un sens positif.

Nous étudierons dans un premier temps quel modèle culturel privilégié pour obtenir des résultats durables, puis dans un deuxième temps nous verrons comment les entreprises peuvent passer d’une culture négative à une culture positive.

 

PARTIE 1 – La réussite ou l’échec : quel modèle culturel privilégier pour obtenir une réussite durable ?

La théorie la plus communément admise associe la puissance de la culture et l’excellence des performances. Dans une entreprise à culture "forte", le personnel partage un ensemble de valeurs et de comportements identiques, que les nouveaux venus assimilent rapidement.

La logique de la relation culture/résultats s’articule autour de trois idées :

S’il est vrai qu’une culture forte permet d’obtenir des résultats étonnants, l’inverse également ; le succès a parfois pour effet de créer une culture forte.

L’autre interrogation suscitée par la théorie concerne le "bourrage de crâne culturel" qui conduit les individus à penser et à agir uniformément dans la seule direction.

Des théories comme celle de la culture forte se révèlent délicates à vérifier. Les auteurs ont sélectionné 207 entreprises américaines issues de 22 secteurs différents. L’objectif consistait à obtenir l’échantillonnage le plus large possible. A partir des informations collectées à l’aide d’un questionnaire, ils ont calculé les performances économiques du plus grand nombre des firmes possible sur la période allant de 1977 à 1988.

Trois critères de mesure différents ont étaient retenu :

Les résultats de cette étude indiquent qu’il existe bien une relation entre la culture de l’entreprise et ses résultats mais cette corrélation est faible.
Cette observation les amène à conclure qu’il existe certes une relation entre la force de la culture et les résultats de l’entreprise mais celle-ci est d’ordre mineur. Le théorème "une culture forte induit des performances excellents" ne se vérifie donc pas.

Par la suite, ils se sont penchés sur le cas d’entreprises caractérisées par une culture forte et des résultats médiocres. D’après les résultats obtenus à travers leur étude, ils en concluent que les cultures fortes peuvent exercer une influence négative en créant des dysfonctionnements au sein de la firme, ou avoir un impact positif en suscitant des améliorations et des innovations. Une culture forte n’est donc pas nécessairement un atout dans la course au succès.

Cette étude soulève deux autres questions : comment se fait-il que des entreprises à culture faible réussissent ? Et si la théorie de la culture forte se révèle inexacte, comment est-il possible que des hommes intelligents persistent à le défendre ?
L’excellence des résultats paraît liée à l’occupation d’une position dominante sur le marché. On serait tenté de croire que la culture d’un groupe diversifié est destinée à perdre de sa force au gré des acquisitions et des fusions ; or les études menées par John P.Kotter et James L.Heskett prouvent que cela est faux. La diversification des entreprises joue un rôle négligeable dans la variation d’intensité de la culture.

De nombreux dirigeants, qui travaillent au sien d’une entreprise affichant une culture forte et d’excellents résultats, expliquent leur réussite par la corrélation entre les éléments. Et en un sens ils ont raison. La thèse avancée n’est pas totalement erronée. L’idée qu’un groupe d’individus gouvernés par un ensemble de principes et de règles communs représente une puissance potentielle considérable ne paraît pas inexacte en soi. La réserve émise par les auteurs à l’égard de la théorie de la culture forte concerne son imperfection, car elle comporte trop de lacunes.

La seconde thèse sur la relation entre la culture et les résultats insiste plus sur l’adaptation de la culture à l’environnement que sur sa puissance. La théorie 2 explique que la culture a pour raison d’être de motiver le personnel et d’orienter son action en tenant compte du contexte dans lequel elle s’inscrit. Le concept clé n’est plus l’intensité mais l’adaptation.
Ce que véhicule la culture est plus important que sa puissance. Par contexte, il faut entendre soit la situation générale de l’entreprise, soit l’objectif qu’elle cherche à atteindre dans une branche spécifique, soit la forme de stratégie décidée. En ce sens, seule la culture respectueuse du contexte ou en phase avec la stratégie adoptée garantit des résultats significatifs.
La théorie 2 s’applique à un bon nombre d’entreprises. Elle possède le mérite de compléter la première théorie.

Pour vérifier la pertinence de cette théorie, les auteurs ont étudié de manière approfondie 22 entreprises sur les 207 retenues au début de leur recherche. Les données recueillis sur ces entreprises ont permis d’établir une comparaison entre le degré d’adéquation de la culture à l’environnement des entreprises du groupe 1 (les 12 meilleurs) et le groupe 2 (les 10 autres).

Leur étude montre que les cultures adaptées au contexte ne garantissent pas le succès lorsqu’elles ne sont pas fondées sur les valeurs et les règles qui permettent à l’entreprise d’évoluer en fonction de son environnement.

Un grand nombre d’entreprise célèbres ont joui d’une position dominante et d’une conjoncture économique relativement stable au cours des années 1940, 1950 et 1960 mais ont connu de graves difficultés à partir des années 1970 par la suite d’une recrudescence de la concurrence et de l’accélération des mutations économiques. Dans toutes ces entreprises, la culture se singularise par sa résistance au changement.

Quoiqu’il en soit, nous pouvons dire que la théorie n°2 recèle une part de vérité : la culture unique est inopérante. Un minimum de flexibilité et d’ouverture se révèlent indispensable pour que la situation particulière à chaque entreprise du groupe soit pris en compte.

La logique de la théorie 3 est la suivante : seules les formes de culture qui aident l’entreprise à prévoir le changement et à s’y adapter garantissent une réussite durable.

Les cultures rigides sont des cultures de type bureaucratique. Les individus n’anticipent pas les évènements, refusent de prendre des risques et manquent de créativité. L’information circule mal, la manie du contrôle étouffe la motivation et l’enthousiasme.
Les tenants de cette troisième thèse partent souvent de l’étude des cultures rigides pour tâcher de définir ce qui caractérise les cultures dites évolutives ; en effet, elles doivent posséder des caractéristiques différentes de ce modèle précédemment décrit.

Ralph Kilmann décrit les cultures évolutives de la façon suivante : "une culture évolutive suppose une philosophie de l’organisation et des mentalités axées sur le goût du risque, la confiance et l’amour de l’action. Les individus associent spontanément leurs efforts pour résoudre des problèmes et mettre en œuvre des solutions. Il règne dans l’entreprise un sentiment de confiance qui donne à chacun l’assurance qu’il est capable d’affronter toutes les difficultés et de maîtriser toutes les situations qui se présentent. Tous partagent le même enthousiasme et le même sens du devoir pour conduire l’entreprise sur le chemin du succès. Les membres de l’organisation sont adaptables et créatifs."

John P.Kotter pense que ce type de culture valorise et encourage l’esprit d’entreprise qui permet de découvrir et d’exploiter de nouvelles possibilités d’adaptation en période de mutation. Il insiste sur l’importance du leadership. Selon lui, la première fonction du dirigeant est de générer le changement et lorsque la philosophie de l’organisation autorise l’initiative à tous les échelons de la hiérarchie, cela favorise la prise de risque, l’innovation, la communication et l’implication du personnel.

La plupart des défenseurs de la théorie n°3 considèrent Digital Equipment comme le type même d’entreprise dont la philosophie a favorisé l’innovation, l’aptitude à prendre des risques, la franchise et l’ouverture dans les rapports entre les membres, l’esprit d’entreprise et le leadership à tous les niveaux de la hiérarchie. Ils affirment que sa culture a permis à Digital de s’adapter plus rapidement aux fluctuations du marché de l’informatique que des concurrents comme Burroughs ou Honeywell, freinés dans leurs velléités d’aller de l’avant par les valeurs trop rigides. Cette extraordinaire faculté d’adaptation expliquerait, d’après eux, que Digital supplante la plupart de ses rivaux depuis plus de vingt ans.

Des sociétés comme Digital paraissent confirmer le bien-fondé de la théorie. Mais ils se trouvent néanmoins un certain nombre de spécialistes pour la critiquer. La troisième thèse ne permet pas d’expliquer pourquoi des entreprises dont la culture n’est pas fondée sur la prise de risque ni sur l’esprit de décision obtiennent des succès éclatants et durables. En fait, ce type de firme réussit, parce ce leur culture est adaptée au contexte et que ce dernier est immuable. Ses spécialistes reprochent également à cette théorie de négliger des questions essentielles : Pourquoi prendre des risques ? A quoi s’agit-il de s’adapter ? Quel est le but de l’innovation ?

Le dernier livre de John P.Kotter aborde ce thème sous un éclairage un peu différent. Il souligne l’importance des différents acteurs qui sont partie prenante dans l’entreprise, notamment les clients, les actionnaires et le personnel. La raison d’être du profit réside d’abord dans la satisfaction des intérêts des actionnaires. Par ailleurs, dans un environnement fortement concurrentiel, les responsables doivent tenir compte des intérêts des consommateurs pour permettre à l’entreprise de dégager des profits et de survivre. Enfin dans un marché du travail incertain, ils sont contraints de ménager les intérêts des salariés qui permettent à l’entreprise de conserver ses profits en répondant aux exigences des consommateurs. Il explique en fait que l’entreprise doit s’adapter simultanément à plusieurs types d’environnement.

Pour vérifier la justesse de cette théorie, Kotter et Heskett ont interrogé des spécialistes sur les 22 entreprises tests. Pour rendre compte du rôle capital de la culture dans la réussite économique des meilleurs entreprises, les spécialistes interrogés évoquaient souvent le leadership des dirigeants, l’esprit d’entreprise, la faculté de prendre des risques calculés, l’ouverture, la créativité et la flexibilité. Ils estimaient apparemment qu’il existe un lien de causalité directe entre les cultures valorisant le leadership et les hautes performances économiques. Leur observation confirme donc la thèse de la culture évolutive.

Par ailleurs, les auteurs ont observé que la culture des 12 entreprises les plus performantes accorde beaucoup d’importance aux clients. Elles ménagent aussi l’intérêt des actionnaires, et du personnel. Par contre, ce n’est pas le cas des 10 autres entreprises, obtenant des résultats moins satisfaisants. On peut donc en déduire que la différence entre une entreprise médiocre et une entreprise de premier plan réside dans le fait que cette dernière prend en compte les intérêts de tous les acteurs (actionnaires, consommateurs, salariés).

John P.Kotter et James L.Heskett parviennent aux conclusions suivantes : "dans les cultures évolutives, le rôle des responsables à quelque niveau hiérarchique que ce soit, est de promouvoir les changements de stratégie et de tactique qui s’imposent pour continuer à satisfaire l’intérêt de chacun des trois groupes clés : les clients, les actionnaires et le personnel."

Par opposition, les cultures conservatrices se caractérisent par une gestion frileuse et à courte vue, les dirigeants étant uniquement préoccupés par la défense ou la promotion de leurs intérêts propres, d’un produit ou d’une innovation ou encore d’une catégorie du personnel.

Pour valider ses conclusions, les auteurs ont adressé un questionnaire aux responsables des 13 de ces firmes. Ils ont remarqué que les entreprises les plus performantes avaient en général transformé certains aspects de leur culture. Les entreprises, ayant obtenu les meilleurs résultats, paraissent anticiper et promouvoir davantage le changement que leurs concurrents du second groupe.

Ils ont également noté que la culture des firmes les plus performantes accorde une large place aux intérêts des différents acteurs. Quelle que soit la situation particulière de l’entreprise de l’entreprise, tous les intérêts sont équitablement pris en compte.
De plus, une certaine adaptabilité et des preuves de changement réussi dans les entreprises de la première catégorie ont été remarqué, y compris pour celles qui s’inscrivent dans un environnement économique instable.

Ils ont eu, en revanche, plus de difficulté à démontrer si une culture fondée sur le leadership et sur la valorisation des trois principaux groupes d’acteurs s’adapte plus aisément aux fluctuations du contexte que les autres modèles culturels. Les auteurs pensent qu’il existe un lieu évident entre ce type de culture et l’adaptabilité mais que cette relation n’est pas toujours visible.
Voici en général comment se déroule le processus d’adaptation au contexte : lorsque les dirigeants prennent véritablement à cœur les intérêts des trois principaux groupes d’acteurs, ils en surveillent l’évolution. Dès que le contexte global se modifie (par exemple lorsque la concurrence devient plus active), ils réagissent. S’ils sont en outre partisans du leadership à tous les niveaux, ils engagent le personnel d’encadrement à prendre des décisions visant à réduire les coûts, à améliorer la qualité des produits et à procéder à toutes les réformes qui s’imposent. Lorsque l’entreprise est contrainte de modifier sa stratégie et ses habitudes, y compris les comportements les plus profondément ancrés dans la culture, toutes les mesures décidées par l’encadrement sont appliquées jusqu’à ce que le changement porte ses fruits. Les dirigeants contribuent par leur comportement à faire coïncider la culture avec l’environnement.
Lorsque les dirigeants tiennent peu compte des différents acteurs et qu’ils ne favorisent pas l’initiative, l’entreprise connaît les plus grandes difficultés à s’adapter à un environnement changeant.

Les cultures évolutives ont en général été conçu par un petit groupe ou par un seul homme. Toutefois les fondateurs des 12 entreprises du premier groupe ont su inspirer une philosophie et un code de valeurs universelles, fondés sur le respect des acteurs et l’encouragement du leadership. Ce système s’adapte à toutes les époques et à toutes les situations.
Les pères fondateurs puis leurs successeurs se sont par la suite efforcés de consolider ce "noyau dur" de la culture, gage de son adaptabilité. La préservation de ces valeurs clés que sont le respect des acteurs et l’encouragement de l’initiative constitue l’une des prérogatives des instances dirigeantes. Les dirigeants des firmes les plus performantes contribuent à perpétuer les valeurs par leurs paroles et leurs écrits. Ces hommes ont réussi à pérenniser la composante évolutive de leur culture parce qu’ils mettent leurs actions en accord avec leurs principes. Ils prennent soin de recruter et de promouvoir des responsables dont les valeurs coïncident avec celles de l’entreprise.
La fermeté et la constance des dirigeants ont permis aux principes fondamentaux de perdurer en dépit des changements qui ont affecté l’organisation et de l’arrivée de nouveaux venus parfois portés à la contestation.

La théorie de la culture forte (théorie n°1) montre que les règles et les valeurs jouent un rôle considérable parce qu’elles permettent d’unir, de motiver et de contrôler un ensemble d’individualités, tache difficile à mener à bien dans des organisations complexes.
La théorie de la culture adaptée à la stratégie (théorie n°2) affirme que les politiques de l’entreprise doivent être en accord avec l’environnement.
Quant à la théorie de la culture évolutive (théorie n°3), elle insiste sur les valeurs et les comportements qui rendent possible l’adaptation au contexte.
La règle veut que l’on considère chacune de ces théories comme une alternative aux deux autres. Or, en réalité, elles ne sont pas contradictoires. Les recherches menées par Kotter et Heskett conduisent au contraire à penser que toute entreprise qui saurait combiner ces trois modèles culturels obtiendrait des résultats éclatants.

Dès le début, Bill Hewlett, Dave Packard et leur équipe ont inventé un mode de gestion de l’entreprise entré dans l’histoire sous le nom de "H.P. Way". Pour de multiples raisons, ce nouveau concept s’est ancré dans une culture forte et durable ; tout d’abord parce que les deux fondateurs partageaient les mêmes valeurs, parce qu’ils ont recruté et promu des collaborateurs qui défendaient les mêmes valeurs, parce que le succès économique est venu renforcer les stratégies adoptées, les valeurs et les comportements, enfin parce qu’ils ont matérialisé ces principes en les formulant officiellement dans des documents tels que "les objectifs de l’entreprise" en 1957.

Au début des années 1990, la firme se trouva aux prises avec un marché fortement compétitif. Ces évènements furent accompagnés ou suivis de changements culturels. Pris isolément, ces changements ne paraissent pas significatifs mais leur somme représente un bouleversement radical par rapport à la culture forte d’origine.
Lorsque les pères fondateurs se retirent définitivement, les dirigeants adoptèrent un style de "management professionnel", moins visible, moins autocratique et davantage fondé sur le consensus. Même si ces changements ne s’effectuent pas sans douleur, ces choix culturels constituent une réponse logique à la nouvelle donne économique.

En d’autres termes, l’environnement économique de Hewlett-Packard s’étant modifié, certains éléments culturels ont été revus de façon à maintenir l’adhérence au marché. Le changement a été rendu possible par la fidélité aux principes fondamentaux de l’entreprise. Ces principes qui constituent le "noyau dur" de la culture sont essentiellement axés sur la prise en compte des intérêts des différents acteurs (clients, actionnaires, personnel,…) et sur l’encouragement à l’initiative. Ce sont les raisons de la réussite de Hewlett-Packard à long terme. A court ou à moyen terme, la firme n’a en effet pas connu que des succès car ces changements de stratégie demandent du temps pour porter leurs fruits.

Ce schéma général s’applique aux 11 autres entreprises classées dans le premier groupe. Dans toutes ces entreprises, les valeurs jouent un rôle déterminant dans leur réussite parce qu’elles rassemblent les individus, inspirent des stratégies et des politiques adaptées au contexte et conduisent à les modifier lorsque les conditions l’exigent.

Les auteurs ne disposent pas de sonnées prouvant dans l’absolu que la culture détermine davantage le succès de l’entreprise que le mode d’organisation ou de gouvernement. Mais ils ont néanmoins tenté de démontrer qu’elle contribue largement à sa réussite ou à son échec, à l’aide d’exemple concret.

Les recherches sur la relation entre la culture et les performances économiques soulèvent plusieurs interrogations. Dans quelles circonstances se développent les cultures négatives ? Quelle est leur fréquence et quelles sont leurs conséquences ? Est-il facile de passer d’un système culturel négatif à une culture favorisant le succès ? Pourquoi est-ce difficile ?

Pour répondre à ces questions, les auteurs ont analysé l’histoire de 20 entreprises. Ces entreprises appartiennent à divers secteurs sur le territoire américain. Pourtant leur histoire présente une similarité troublante. Au début de leur histoire, on trouve en général une visionnaire doté d’une volonté et d’un charisme puissants et une stratégie efficace. Cette stratégie étant parfaitement adaptée permet à l’entreprise de pénétrer un ou plusieurs marchés et de consolider sa position. En moyenne leurs positions paraissent plus assurée que celle des 12 firmes du premier groupe. Mais la croissance continue a pour effet d’entraîner des bouleversements au sein des entreprises : il fallut engager du personnel, aménager des structures, la gestion au quotidien devient plus complexe… Pour maîtriser cette évolution, la Direction recruta des cadres qui possédaient certes des connaissances en matière de finances et de gestion, mais qui n’avaient pas nécessairement une réelle vision de l’entreprise, ni des stratégies à entreprendre et qui ne cherchaient pas forcément leur inspiration dans la culture. Le renouvellement des générations, la facilité à engager des succès, le comportement des nouveaux dirigeants contribuaient à faire sombrer dans l’oubli les valeurs qui avaient permis la réussite.

Les cultures négatives qui émergent peu à peu se caractérisent par trois constantes :

  1. Les responsables étaient souvent trop imbus d’eux-mêmes.
  2. Les responsables ne tenaient pas compte des exigences des clients, des intérêts des actionnaires et des requêtes du personnel. L’arrogance peut se développer dans une entreprise qui subit peu de pressions extérieures et dont les dirigeants ne valorisent pas les acteurs.
  3. Ces cultures étaient hostiles à des valeurs comme l’initiative, l’esprit de décision ou tout autre moteur du changement. Cela s’explique, d’une part, parce que l’esprit d’initiative ne correspondait pas à une nécessité d’époque, d’autre part, parce que le modèle de gestion alors en vigueur reposait sur la stabilité et la hiérarchie. Les dirigeants ne faisaient rien pour susciter un véritable leadership.

Ce type de culture hypothéquait l’avenir de l’entreprise car il ne l’aidait pas à maîtriser le changement. Les managers persistaient à appliquer des stratégies et des recettes dépassées.
Dans des firmes qui maintenaient leurs performances grâce à une conjoncture favorable, les quelques responsables conscients de l’urgence du changement refusaient d’en assumer la responsabilité, soit parce qu’ils arrivaient à la fin de leur carrière, soit parce qu’ils redoutaient de se heurter à une opposition, soit parce qu’ils n’avaient pas le courage de remettre en question une situation sinon brillante, du moins acceptable. Même lorsque les performances venaient à se dégrader en raison de l’inadéquation de la culture au contexte, l’orgueil, l’isolationnisme et l’absence d’un réel leadership entravaient la mise en œuvre des changements indispensables.

Plusieurs groupes, et non des moindres, possèdent une culture qui favorise l’arrogance et le repli sur soi, qui décourage l’initiative et hypothèque leur avenir.
Pourquoi en est-il ainsi ? Pour survivre et conserver sa place parmi les premières, une entreprise doit réussir. Et paradoxalement c’est précisément cette réussite qui détruit sa culture.

Comment peut-on transformer une culture négative en une culture positive ? On dira que la mutation est quasiment impossible. Peu d’entre elles ont véritablement réussi leur mutation culturelle. Les progrès enregistrés ont mis longtemps à se concrétiser.

Le manque de souplesse d’une culture est dû à quatre éléments :

Dans un monde de plus en plus compétitif, la capacité à innover en matière de stratégie et de politique est devenue une nécessité. Le moteur du changement est essentiellement d’ordre culturel. 

 

PARTIE 2 - Le changement : comment passer d’une culture négative à une culture positive ?

Les auteurs ont dans un deuxième temps voulu présenter des cas de changement significatif à l’intérieur de groupes importants. Pour cela, ils ont étudié 10 entreprises, toutes soumises à une mutation culturelle de grande ampleur au cours des quinze dernières années. Les nouveaux schémas culturels institués par le changement ont entraîné une nette amélioration des résultats. Ces dix exemples permettent d’expliquer à la fois pourquoi les bouleversements fondamentaux sont si rares et dans quelles conditions ils s’avèrent néanmoins réalisables.

La réussite de la mutation culturelle dépend en grande partie de la force de conviction et de la qualité des dirigeants. Dans les dix cas étudiés, le changement d’orientation décisif est dû à la volonté d’un homme placé en général depuis peu de temps à la tête de l’entreprise et reconnu pour ses capacités de leader.
Chacun d’eux a su s’entourer d’une équipe chargée de définir une vision de l’entreprise et de mettre au point des stratégies destinées à la servir. Par la force de leur conviction, ces leaders ont entraîné l’adhésion de tous (groupes ou individus) aux nouvelles orientations.

La concurrence constitue précisément l’une des préoccupations majeures de toutes ces entreprises. Des hommes déterminés ont bouleversé la stratégie ou la culture de leur entreprise pour qu’elle devienne plus compétitive. A la faveur de cette lutte pour le changement, ils ont mis en lumière la corrélation étroite qui existe entre les cinq facteurs les plus souvent évoqués par les spécialistes de l’entreprise : la concurrence, le leadership, le changement, la stratégie, la culture.

Dans une certaine mesure, ces hommes apportent tous un regard neuf, une forme d’objectivité et de détachement caractéristiques des individus qui n’ont pas eu le temps de subir le phénomène d’acculturation.

Compte tenu de l’intelligence avec laquelle ils ont perçu l’urgence du changement, puis su choisir entre plusieurs alternatives, compte tenu également de leur courage à se dresser contre l’ordre établi, il paraît légitime de se demander si le fait d’être venus de l’extérieur ne constitue pas le facteur décisif de leur réussite. Mais d’après l’étude faite sur les leaders de ces 10 entreprises, plus l’organisation est importante, plus il s’avère indispensable pour l’instigateur du changement d’être un homme issu de l’entreprise elle-même, avec ce que cela implique sur le plan de la légitimité, des relations et du pouvoir.

Les trois caractéristiques suivantes semblent être les qualités indispensables pour un leader du changement : un leadership fort, une vision objective extérieure et la connaissance interne de l’entreprise. Mais elles se trouvent malheureusement rarement réunis dans la même personne.

Dans un contexte économique en pleine mutation, la culture doit être repensée en moyenne tous les cinq à vingt-cinq ans, selon que l’environnement change rapidement ou lentement.

Le charisme d’un ou de deux individus situés au sommet de la hiérarchie semble jouer un rôle essentiel dans la mise en œuvre du changement. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi le changement ne peut-il pas être créé suivant un processus plus démocratique qui viendrait de la base ?
Dans les exemples étudiés par Kotter et Heskett, le changement ne s’est pas effectué selon un processus démocratique et il existe deux raisons à cela :

Les responsables des échelons intermédiaires ont, eux aussi, un rôle à jouer. En fin de compte, le changement ne devient effectif que grâce à leur participation active.

Dans les cas étudiés, les dirigeants ont entamé leur action dès leur nomination au poste de Président ou de Directeur Général. Avant leur arrivée dans l’entreprise, ils possédaient déjà une idée précise de leur mission et des moyens de la réaliser.

A des degrés divers, ils ont commencé par créer une atmosphère de crise, alors que dans seulement trois cas sur dix, l’entreprise avait réellement subi des pertes avant leur prise de fonction.
Pour donner l’impression qu’un changement de cap était indispensable, les dirigeants lancèrent une véritable campagne d’information dans le but de prouver l’existence d’une crise réelle ou imminente. Simultanément ces dirigeants développaient ou affinaient leur projet. Ils s’interrogeaient sur les pratiques existantes. Ils cherchaient à obtenir des éléments de réponse à l’extérieur de l’entreprise, parmi les clients, les fournisseurs et par l’intermédiaire de consultants mais également à l’intérieur, en sollicitant l’avis du personnel d’exécution. L’ampleur de la remise en question et le volume d’informations collectées ont de loin dépassé les efforts tentés par leurs prédécesseurs.
Après s’être assurés que leurs intentions rencontraient un minimum d’écho auprès de l’encadrement, ils exposaient leurs conceptions. Ils proposaient de nouvelles orientations stratégiques adaptées à la situation.
Ils encourageaient le dialogue et les échanges d’information. Les premiers succès remportés grâce à leur action renforcèrent la crédibilité de leurs discours.
Ils adoptèrent un mode de gouvernement non contraignant fondé sur la concertation, sur la responsabilisation des cadres, sur la reconnaissance des initiatives personnelles et sur l’exemple.

Le ralliement des responsables les plus anciens et à ce titre, respectés de tous, conditionnait la réussite du projet. Une fois acquis aux idées nouvelles, ils devenaient des modèles de référence propres à entraîner l’adhésion du personnel tout entier. Leur aptitude à intégrer le changement tout en conservant leurs prérogatives de décideurs ne faisant des exemples à suivre.

Dans les dix exemples de mutations culturelles réussies, des centaines, voire des milliers de décisions ont été prises pour mettre en œuvre la nouvelle philosophie et les stratégies adaptées. Les entreprises ont été réorganisé en simplifiant la hiérarchie, en décentralisant les responsables de façon à rapprocher les managers des clients et à motiver le personnel d’exécution. Parmi toutes les options possibles, les dirigeants privilégiaient les décisions qui devaient leur permettre d’obtenir des succès immédiats et durables.

Dans neuf cas sur dix observés, les dirigeants comptabilisaient déjà des résultats au bout de deux ans. La réussite de ces changements dépend de la puissance de conviction et des qualités managériales de leur auteur. Le responsable du changement doit être un véritable meneur d’hommes. 

A l’évidence le changement a besoin de temps pour devenir effectif et cela d’autant plus lorsqu’il s’applique à des organismes de grande taille. Malheureusement, les obstacles à surmonter découragent fréquemment les dirigeants tentés par les réformes.

L’homogénéité, la motivation, la coordination, le consensus sont sans contexte des facteurs de réussite, mais seulement lorsque les actions qui en résultent se traduisent par une stratégie adaptée à l’environnement dans lequel s’inscrit l’entreprise.
Leur étude montre également que les cultures adaptées au contexte et à la stratégie ne garantissent pas le succès lorsqu’elles ne sont pas fondées sur les valeurs et les règles qui permettent à l’entreprise d’évoluer en fonction de son environnement.

Lorsque la nouvelle culture est définitivement établie, les dirigeants se trouvent confrontés à d’autres difficultés. Ils doivent réduire des tensions, apaiser des conflits, faire en sorte de converser l’équilibre récemment acquis pour préserver les résultats. Leur étude suggère deux lignes de conduite pour les dirigeants :

Cette aptitude à diriger les hommes et à conduire les réformes constitue certainement l’un des défis majeurs que doivent relever les dirigeants d’aujourd’hui.

 

Commentaires

L’étude faite par Kotter et Heskett a de nombreux mérites dans sa démarche. Ils ont réalisé plusieurs études sur une période longue, à savoir de 1977 à 1988. Cette période de 11 ans semble indispensable, car les répercussions économiques à tout changement culturel ou structurel mettent plusieurs années à s’apprécier.

De plus, cette étude reprend un thème déjà abordé par d’autres chercheurs, mais avec une approche quelque peu différente. Il s’agit de la première vérification quantitative sur ce sujet, en effet, les auteurs ont une réelle volonté de démonstration objective. Ils tentent de soumettre toutes les hypothèses à l’épreuve des faites, afin de vérifier ou réfuter toutes les idées reçues sur le lien entre la culture d’entreprise et ses résultats. Pour y parvenir, ils font appel à l’aide d’une quarantaine d’entreprises pour la récolte d’informations. D’autre part, des spécialistes les aident dans leurs études ; ainsi ils tentent d’avoir le plus de données objectives.
Les résultats obtenus sur la performance des entreprises sont présentes en annexe, ce qui permet d’avoir de nombreuses informations, tout en laissant la lecture du livre clair et compréhensible.

Cet ouvrage est donc pionnier dans ce domaine, et de ce fait, a été extrêmement bien perçu. Peu d’auteurs ont par la suite abordés le thème du lien entre la culture d’entreprise et ses résultats. Toutefois, ils auraient été intéressant que les auteurs se repenchent sur les grandes entreprises étudiées afin de voir les conséquences des changements culturels 10 ans après. Ce recul peut être particulièrement intéressant pour vérifier l’exactitude de leurs résultats.

Au sein d’une rubrique sur l’art du management, Les Echos ont publié en 1999 une étude menée par Ronald S.Burt, intitulé "Quand la culture d'entreprise est-elle un atout stratégique?". De part cette étude, il critique et complète l’étude faite par John P.Kotter et James L.Heskett précédemment résumé.
Selon Ronald Burt, ceux qui affirment que la culture d'entreprise influe dans tous les cas sur les résultats n'avancent pas de preuves vraiment convaincantes. Ce dernier démontre que tout dépend en fait du secteur d'activité et du degré de pression du marché.
La culture est à l'entreprise ce qu'elle est à n'importe quel autre système social : un ensemble de croyances, de pratiques et de mythes communs à un groupe de personnes, au point qu'elles se sentent investies les unes par rapport aux autres, avec un sentiment d'appartenance. Si l'on ne tient pas compte des convictions spécifiques partagées par le personnel, on peut dire que la culture d'une entreprise est forte quand elle soude tous les employés. A l'inverse, elle est faible quand ceux-ci affichent des opinions divergentes, voire contradictoires, pour se sentir différents les uns des autres.

Théoriquement, une forte culture d'entreprise renforce la performance économique d'une société en réduisant ses coûts, notamment d'encadrement. Les convictions, pratiques et mythes communs qui définissent la culture d'entreprise constituent un mécanisme de contrôle informel coordonnant les efforts des salariés. Cette culture n'est pas tant imposée aux salariés que construite socialement par eux. Par conséquent, leur motivation et leur moral sont meilleurs que lorsque les contrôles sont exercés par un supérieur selon la voie de l'autorité hiérarchique. Le coût du travail est aussi moins élevé. Le personnel travaille plus et plus longtemps dans une société qui possède une forte culture.
Les économies ainsi réalisées grâce à une forte culture d'entreprise peuvent donc permettre à cette firme d'espérer de meilleures performances financières, un phénomène baptisé "l'effet culture".
Ronald S.Burt considère que les preuves les plus convaincantes de cet "effet culture" aujourd'hui proviennent de l'étude réalisée par John Kotter et James Heskett. On y trouve, en effet, des mesures de la performance en corrélation avec la culture maison pour un vaste échantillon d'entreprises, choisies dans un large éventail d'activités industrielles.
Kotter et Heskett ont rapporté à "l'effet culture" trois indicateurs : la croissance du résultat net, le rendement moyen des capitaux investis et l'augmentation annuelle moyenne du cours de l'action, entre 1977 et 1988. Si l’on reprend l’exemple de Johnson & Johnson utilisés dans leur livre, l’entreprise est citée comme ayant une forte culture maison et une forte rentabilité. Ronald B.Burt choisi de n'utiliser, pour illustrer cette étude, que la rentabilité des capitaux investis. De ce fait, la société se situe en dessous du secteur des produits pharmaceutiques (secteur à fort rendement).
Selon l’auteur de cette étude, le problème posé est donc le manque de corrélation entre la performance économique et la force de la culture maison.
Il pense que les chiffres obtenus par Kotter et Heskett sont suffisamment faible pour leur permettre de conclure dans leur livre que "l'affirmation selon laquelle une culture forte induit d'excellentes performances est tout simplement erronée".

Ronald S.Burt pense, en réalité, qu’il existe un "effet culture" puissant, mais il se situe ailleurs dans l'économie. A partir de son étude faite sur 36 entreprises, il conclut que plus leur culture est forte et plus la rentabilité de leurs investissements est élevée.

Son étude montre que le marché et la culture d'entreprise sont complémentaires. Si les producteurs sont confrontés à un niveau de concurrence relativement faible, la culture, dans ce cas, n'est pas un atout.
Si les producteurs sont confrontés à un niveau de concurrence élevé, la performance économique est étroitement liée à la culture maison. Dans ces secteurs hautement compétitifs, les producteurs se substituent facilement les uns aux autres, les fournisseurs ou les clients sont en position de force, et les marges sont faibles.

Entre les deux extrêmes décrits ci-dessus, on voit que l'influence de la culture d'entreprise sur la performance augmente parallèlement à la concurrence sur le marché. Une fonction de contingence peut donc être définie, illustrant la façon dont l'"effet culture" fonctionne en relation avec la pression du marché.
Ici, la valeur contingente est le point essentiel. Sa valeur dépend du marché. Elle sera, par exemple, un atout concurrentiel important dans un marché de produits de base. En revanche, dans un secteur complexe et dynamique, elle n'aura pas d'effet sur la performance économique.
La valeur contingente de la culture peut guider notre réflexion stratégique à cet égard. Plus le secteur d'activité d'une société s'apparente à un marché de produits de base, plus le rendement économique qu'elle peut espérer tirer de son investissement dans sa propre culture est important.

Si vous fusionnez avec une autre entreprise, interrogez-vous sur son secteur d'activité. Si elle opère dans un secteur de produits de base et qu'elle n'a pas de culture propre, vous pourrez accroître ses performances si vous réussissez à lui instiller une culture d'entreprise forte. Si elle en possède déjà une, vous veillerez à la préserver, parce que ses performances dépendent partiellement de sa culture. En revanche, si la société rachetée opère sur un marché complexe et dynamique, vous pourrez l'intégrer sans vous préoccuper de sa culture maison.

 

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