LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Stéphane Lefrancq
DEA 124
Philosophie, éthique et comptabilité

 

EMMANUEL KANT

"Fondements de la métaphysique des mœurs"

1785

 

SOMMAIRE :

 

 

 

Première partie :

LA VIE ET L’ŒUVRE D’EMMANUEL KANT

 

1. La vie d’Emmanuel Kant : une existence s’effaçant derrière son œuvre. (1)

La biographie de Kant est d’abord une biographie intellectuelle, car sa vie s’efface derrière son œuvre, en raison même du peu de choses qu’il y a à en dire.

Né à Königsberg en Prusse le 22 avril 1724 dans une famille d’artisans relativement pauvre, Kant demeura à de rares exceptions près dans sa ville natale durant toute son existence. Il fut éduqué par son père et surtout par sa mère dans une piété rigoureuse, bien qu’ouverte au savoir.

Un pasteur en relation avec sa famille lui permit d’entrer au collège, en dépit de son extraction sociale modeste. Il y fut un élève brillant, mais condamna implicitement plus tard les rigueurs religieuses de l’éducation piétiste qu’il y reçut dans un ouvrage de 1793, La Religion dans les limites de la simple Raison.

A l’âge de seize ans, en 1740, il entra à l’université de Königsberg, où il suivit des cours de philosophie, mais également de mathématiques et de physique. C’est d’ailleurs dans le domaine scientifique, qui l’attirait beaucoup, que Kant publiera son premier ouvrage en 1747.

La mort de son père cette même année le contraignit à quitter l’université avant d’avoir acquis tous ses grades. Il devint alors précepteur dans des familles nobles ou bourgeoises de la région, où il acquit un goût pour la conversation polie qui devait le suivre tout au long de son existence.

En 1770, sa Dissertation sur la forme et les principes du monde sensible et du monde intelligible lui permit de devenir professeur titulaire, au terme d’une période d’intense activité de publication. Pourtant, sa nomination est suivie de dix années de silence. En effet, Kant ayant été réveillé de son "sommeil dogmatique" par Hume, il avait entrepris la recherche d’un fondement pour l’usage de la raison.

C’est seulement à l’âge de 57 ans, en 1781, que paraît la Critique de la raison pure, que l’on peut considérer comme marquant l’origine de la partie la plus originale de son œuvre. Elle est en effet suivie des Fondements de la métaphysique des mœurs en 1785, de la Critique de la raison pratique en 1788, puis de la Critique de la faculté de juger en 1790 et enfin de la Métaphysique des mœurs en deux parties (1796 et 1797).

Cette production très importante, quoique tardive, fut permise, de l’aveu même de l’auteur, par une vie saine et régulière, sinon monotone. Réveillé par son valet Lampe à 5 heures, il fumait une pipe, buvait du thé puis travaillait jusqu’au début de ses cours à 7 heures. A son retour, il reprenait son travail jusqu’à 13 heures, puis déjeunait, toujours en compagnie de deux à huit invités, pour lesquels il était un hôte très apprécié. Il se promenait alors le long de "l’allée du philosophe", avec une ponctualité exemplaire. Rentré chez lui, il travaillait jusqu’à dix heures, selon un rituel qui ne changea que durant les derniers mois de sa vie.

S’étant peu à peu affaibli physiquement, il fut contraint de renoncer à ses cours en 1796, et déclina peu à peu, sans jamais perdre les traits les plus caractéristiques de son comportement. Il est mort à 80 ans, le 12 février 1804.

(1) Les éléments biographiques sont tirés de l’édition du Fondement pour la métaphysique des mœurs d’Ole Hansen-Love (Hatier, 2000)

 

2. Bref aperçu des principaux écrits (2)

L’œuvre de Kant s’inscrit dans un contexte historique particulier, celui du triomphe de la physique newtonienne, tandis que la métaphysique ne parvient pas à se construire sur des bases aussi solides que les sciences. C’est pourquoi il se propose de définir les modalités d’exercice de la raison, afin de déterminer en particulier les conditions d’exercice de toute recherche métaphysique.

(2) Cette partie s’appuie sur L. Jaffro et M. Labrune, 1999, Gradus philosophique

2.1 Les prémices et la Critique de la raison pure.

Les Premiers principes métaphysiques de la science de la nature reformulent la question posée par l’Histoire générale de la nature et la théorie du ciel, qui peut être exprimée ainsi "Comment un monde doit-il se constituer ?"

L’élaboration d’un système du monde ne saurait se limiter à une collection ordonnée d’expériences, mais doit également s’appuyer sur une réflexion a priori, posant la question des conditions dans lesquelles une expérience est possible.

A partir de 1770, les écrits de Kant vont se consacrer pour l’essentiel aux questions des formes a priori de la sensibilité et de l’entendement, et partant de leurs limites. La question des conditions d’exercice du pouvoir de connaître, qui a rencontré un tel succès en matière scientifique et apparaît au contraire comme un échec patent en métaphysique, émerge et la Critique de la raison pure (1781) constitue la réponse donnée par Kant à cette difficulté.

La Critique de la raison pure s’organise autour d’une Théorie transcendantale des éléments, qui dans sa première partie, l’Esthétique transcendantale, décrit la manière dont les objets de la connaissance humaine nous parviennent par l’expérience. L’espace et le temps ressortent comme les formes a priori de la sensibilité, et non des attributs de l’expérience.

La Logique transcendantale décrit et justifie dans sa partie analytique les fonctions de l’entendement, à savoir le rapprochement des perceptions données par la sensibilité de l’objet et l’organisation de la multiplicité de la sensibilité en formes conformes à notre représentation de l’objet.

Dans sa partie dialectique, la Logique transcendantale montre que le respect des conditions de la connaissance permet d’échapper aux contradictions qu’entraîne la recherche d’un "absolu des phénomènes."

Une théorie transcendantale de la méthode esquisse un système de la raison pure, organisée autour des éléments suivants :

Les Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science reprennent les grandes lignes du raisonnement. C’est dans cette œuvre que Kant fait référence à Hume comme étant le philosophe qui l’a réveillé de son "sommeil dogmatique."

2.2 La Critique de la raison pratique

Publiée en 1788, la Critique de la raison pratique pose le problème de l’existence et de l’explication de la loi morale. Le but poursuivi est ici de doter le sens moral généralement éprouvé par tout individu d’un fondement incontestable, de trouver un ordre des concepts de la moralité.

L’Analytique de la raison pure s’appuie sur le fait de raison du caractère immédiatement législateur de la raison pure pratique, en rejetant les idées évoluant autour de la recherche du bonheur comme principe moral. La volonté bonne est celle dont les maximes peuvent être universalisables.

L’Analytique de la raison pure développe le caractère législateur de la raison pure pratique, en ce qu’elle détermine la volonté libre par la simple forme de la loi.

Dans la Déduction des principes de la raison pure pratique, Kant revient sur la distinction du sujet en un sujet intelligible et un sujet empirique. Le concept de liberté est doté d’une réalité objective, tandis que la distinction de la dimension empirique et de la dimension intelligible du sujet de l’action est renouvelée.

Dans cette œuvre, Kant retourne les positions respectives de la loi morale et des concepts de bien et de mal. La loi morale ne se règle pas sur eux, mais ce sont ces concepts mêmes qui sont des conséquences de la détermination a priori de la volonté.

Dans l’Examen critique de l’analytique de la raison pure pratique, Kant rapproche les deux Critiques, et affirme que si l’espace et le temps sont des formes a priori de la sensibilité coextensives au sujet, alors il y a place à une causalité par la volonté libre.

La Dialectique de la raison pure pratique présente les dangers rencontrés par celle-ci dans la recherche d’un souverain bien. Seule donne réalité au souverain bien la progression indéfinie de la volonté vers la conformité à la loi morale.

2.3 La Critique de la faculté de juger

Alors que la Critique de la raison pure constitue une philosophie de la connaissance de la nature et la Critique de la raison pratique une doctrine de la connaissance morale, la Critique de la faculté de juger (1790) approfondit les problèmes du goût et de la finalité (téléologie).

Dans ce texte, Kant présente les sentiments esthétiques, ne se rencontrant que dans des êtres à la fois raisonnables et sensibles, comme caractéristiques de l’homme. L’agréable existe pour tous les êtres sensibles, le bien pour tous les êtres raisonnables, le beau seulement pour l’homme.

Kant est alors amené à placer entre l’entendement (monde sensible) et la raison (sphère de l’intelligible) une faculté de juger dont le principe est la finalité et dont l’application engendre l’art. La faculté de juger réfléchit sur son objet en le considérant comme un système ordonné.

On ne part plus de l’universel vers le particulier, mais bien au contraire le jugement de goût et le jugement de finalité s’élève depuis le particulier à l’universel, sans que l’universalité du jugement de goût puisse jamais être démontré. La finalité donne une interprétation de l’intelligible, mais ne contribue pas à sa connaissance.

Une Méthodologie de la faculté de juger téléologique permet établit que la fin dernière de la nature est l’homme comme sujet de moralité, subordonnant en unifiant ainsi les trois Critiques au principe de moralité.

 

Deuxième partie :

Présentation des thèses et des postulats

 

Kant part de la possibilité, perçue par lui comme une nécessité, de bâtir une métaphysique entièrement a priori, sans aucune référence au champ de l’expérience, sans recours à des principes empiriques, qui sont du ressort en matière d’éthique de la seule anthropologie.

Cette hypothèse forte d’une science qui ressorte de la seule raison est mise en œuvre dans les Fondements à la métaphysique des mœurs. Kant y postule, dès le titre, l’existence d’un fondement à cette métaphysique pure, c’est à dire à l’existence d’un déterminant de celle-ci.

Parce que Kant refuse toute légitimité à la connaissance empirique en la matière, le fondement doit en être trouvé dans un exercice de la raison, et même de la raison sur elle-même, qui est d’une certaine manière un acte fondateur de cette raison

Il pose ensuite le principe d’une hiérarchie qualitative des actions, certaines étant bonnes, meilleures que d’autres. Il affirme que cette hiérarchie n’est pas issue d’une conformité apparente à une loi restant à déterminer, mais d’un respect de celle-ci. A cet égard, seule cette conformité compte, indépendamment de tout résultat ou conséquence de l’action.

Si cette conformité est un critère de valeur, cela suppose l’existence d’une loi morale servant d’échelle, de référent à ce jugement porté sur les actions. Cette loi est universelle et non contingente, la possibilité d’accès à ce statut d’universalité constituant même in fine la base de l’appréciation du respect du devoir. Ce critère vaut pour tout être de raison, et non seulement l’homme, si tant est qu’il en existe en dehors de lui.

La volonté est donnée comme caractérisant cet être raisonnable, apte à le guider dans le choix des actions conformes à cette loi morale, selon un commandement, l’impératif catégorique. La volonté individuelle est universelle législatrice, dans la mesure où elle cherche en elle même une loi morale inconditionnée et valable pour tout être raisonnable.

L’impératif catégorique pose l’être raisonnable lui même comme la fin inconditionnée critère de la moralité de toute action, contribuant chaque fois à la constitution d’un règne des fins, qui apparaît un peu comme un paradis inaccessible sinon perdu (car jamais atteint). Kant pose l’unicité de la loi morale, au delà de la multiplicité des formulations qui sont présentées.

 Néanmoins, cet être raisonnable doué d’une volonté qui le commande et l’enjoint de respecter une loi morale absolue, qu’il fonde certes de manière autonome, est également, aussi paradoxal que cela puisse paraître, posé par Kant comme libre. Cette liberté est définie comme la propriété de la volonté d’être une loi pour elle même et donc de ne pas dépendre des lois de la nature.

On voit donc à ce stade que la construction que propose Kant repose sur l’hypothèse de l’existence d’une loi morale universelle que chaque être raisonnable établit de manière autonome, mais à laquelle il reste soumis. Afin de pouvoir poser la liberté comme source de la loi morale universelle, il s’agit de montrer désormais l’universalité de la liberté pour les êtres raisonnables.

Kant y parvient en posant l’existence de deux sphères, non pas incompatibles, mais du moins irréductibles. Le monde intelligible, peuplé de choses en soi, de noumènes, inaccessibles à la connaissance de l’entendement. Le monde de l’intelligible est celui de la raison. Il est l’inaltérable fondement du monde sensible.

En effet, les noumènes sont connus par leurs manifestations, les phénomènes, qui sont quant à eux accessibles à nos sens. L’entendement les unit sous des règles conformes aux lois de la nature. Ce monde est contingent aux capacités des sens.

La postulation de l’existence de ces deux sphères permet à Kant de penser l’homme comme appartenant simultanément, quoique pas sous le même rapport, au monde sensible et au monde intelligible. Il se rattache au premier par son entendement et ses sens, au second par sa raison, qui le distingue de tout, y compris de lui même en tant qu’il est phénomène.

Cette double appartenance sauve la liberté de l’être raisonnable, dans la mesure où elle n’est vraie que pour le monde intelligible, le monde sensible relevant des lois de la nature.

Trois hypothèses majeures ressortent de l’approche de Kant. Tout d’abord, parce que la liberté est radicalement hétérogène au monde de l’expérience, son existence n’est fondée qu’en raison. Il est d’ailleurs explicité au terme de la démarche que la raison elle même ne peut expliquer la liberté sans outrepasser ses limites.

De la même manière, l’intérêt de la raison pour l’action, supposée car à l’origine de l’obéissance à la loi morale (on ne saurait respecter le devoir moral sans que la raison n'insuffle une satisfaction) n’est pas davantage ouvert à justification, et ne peut qu’être constaté.

Enfin, l’existence elle même du monde des intelligibles échappe également à toute démonstration, autre probablement que l’insatisfaction fondamentale que constituerait pour l’être raisonnable la seule existence du monde sensible.

 

Troisième partie :

RÉSUMÉ DE L’ŒUVRE

 

I. Préface

La philosophie grecque se divisait en trois sciences, que sont la physique, l’éthique et la logique. Cette division est naturelle et encore entièrement applicable. Il s’agit néanmoins d’examiner plus précisément les principes de la connaissance, afin de dessiner les éventuelles subdivisions complémentaires nécessaires.
La connaissance peut être matérielle, lorsqu’elle est considérée dans son rapport à l’objet. Elle peut être également formelle, dans la mesure où elle s’occupe de la forme de l’entendement et de la raison, ainsi que des règles universelles de la pensée.

La philosophie formelle est la logique et ne comporte aucune partie empirique. La philosophie matérielle se subdivise elle même en deux, en fonction de son objet :

Il est nécessaire de travailler à une métaphysique des mœurs indépendante de toute anthropologie, car les lois de la morale sont dépourvues de toute dimension empirique et prennent leur origine dans la pure raison. Elles constituent donc des lois a priori. L’objectif de la métaphysique des mœurs est d’étudier ces lois a priori, afin de les trouver dans leur pureté originelle et de guider des actions qui soient pour la loi morale, et non seulement conformes à elle.

 

II. Première section :
Passage de la connaissance rationnelle commune de la moralité à la connaissance philosophique.

II.1 La volonté bonne guidée par la raison a une valeur inconditionnelle.

Seule une volonté bonne peut être considérée comme bonne inconditionnellement, sans restrictions. En effet, les qualités spirituelles peuvent être successivement bonnes ou mauvaises, suivant l’usage auquel on les applique, suivant l’inclination de la volonté qui les dirige, même s’il faut reconnaître que certaines puissent être considérées comme facilitant cette volonté bonne. De la même manière, ce qui est généralement considéré comme constituant le bonheur (richesses,...) peut également être peu aimable s’il n’est pas guidé par une volonté appliquée au bien.

Cette valeur de la volonté bonne est inconditionnelle et ne dépend pas du résultat obtenu. Si la nature avait voulu que le bonheur constitue la fin essentielle de l’homme, celui-ci aurait été doté d’un instinct qui l’aurait infailliblement guidé vers ce bonheur. Le fait même que l’homme soit un être raisonnable et doté d’une volonté montre bien que la fin de l’homme ne se limite pas au simple bonheur. En effet, ni la raison ni la volonté ne suffisent à l’obtenir de manière certaine, et même elles viennent parfois prescrire des comportements en contradiction avec le bonheur immédiat.

L’objectif de la raison est de guider la volonté, de produire une volonté bonne. Cette orientation de la raison n’est pas un moyen visant à une autre fin, mais bien une fin en soi. La volonté bonne comme fin en soi de la raison la pose comme bien suprême. Le bonheur n’est qu’un dessein second de la nature, ce qui explique qu’elle ne parvient pas toujours à l’atteindre.

II.2 Les actions bonnes et le devoir.

Dans un premier temps, il s’agit d’établir ce qui fait la valeur d’une action, ce qui distingue une action bonne d’une autre qui ne le serait pas.

Une action peut être conforme au devoir et néanmoins provenir d’un désir, d’une inclination ou d’une intention intéressée du sujet. La simple conformité extérieure au devoir n’emporte aucune dimension morale en elle-même. Seule est morale l’action entreprise pour le devoir, c’est à dire découlant d’une volonté bonne éclairée par la raison et non du désir ou de l’inclination guidée par l’instinct. Il est un devoir de travailler à son bonheur, ce qui peut aller à l’encontre d’inclinations immédiates.

Une action bonne est donc une action accomplie par devoir et non pas simplement conforme extérieurement à celui-ci. De ce principe peuvent découler deux conséquences. Tout d’abord la valeur morale d’une action ne dépend pas de son objet, mais seulement du principe de la volonté qui la guide, et cela indépendamment de ses fins. Une action est bonne dans la mesure où la volonté qui la sous-tend est bonne, quand bien même son résultat serait néfaste.

Par ailleurs, "le devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi." L’action accomplie par devoir doit être indépendante de l’inclination du sujet et de son objet, mais provenir de la loi et du pur respect de celle-ci, dont la représentation caractérise un sujet raisonnable.

II.3 La loi morale

La question se pose désormais de savoir quelle est cette loi morale, qui guide la volonté bonne du sujet raisonnable et fonde la valeur des actions accomplies dans son respect.

Une action est bonne non pas de manière contingente, mais absolue. Cela veut dire que les principes qui la guident ont nécessairement une valeur universelle. C’est cette légalité universelle des actions qui doit être le seul principe de la volonté bonne. Une action respecte ce principe, et donc mérite le qualificatif de bonne, si et seulement si le sujet raisonnable peut vouloir que sa maxime, c’est à dire le principe subjectif du vouloir, devienne un principe universel. Là où le principe de l’action ne peut être désiré comme une maxime universelle, celle-ci doit être rejetée comme n’étant pas conforme au devoir. Le respect de la loi universelle, caractéristique d’une volonté bonne, a une valeur qui surpasse toute autre considération, dans la mesure où elle est entièrement inconditionnelle.

Il est d’ailleurs significatif à cet égard de constater que dans la pratique, chacun sait déterminer la valeur de ses actions avec une sûreté beaucoup plus grande que ne le pourrait le philosophe. L’application de ce principe d’universalité ne pose donc pas de difficultés pratiques particulières. Cela étant, le philosophe peut contribuer à conforter la raison, qui reste le guide de la volonté bonne contre la tentation de céder aux inclinations et aux désirs, et à l’affermir dans son respect de la loi morale.

 

III. Deuxième section :
Passage de la sagesse morale populaire à la métaphysique des mœurs.

Le concept de devoir, bien que tiré de l’usage commun de raison pratique, n’a néanmoins rien d’empirique, ainsi que le montre d’ailleurs l’impossibilité d’identifier avec certitude des actions découlant de la volonté bonne.

En effet, mêmes s’il se trouve des actions conformes au devoir, il est toujours douteux qu’elles aient été accomplies par devoir. De ce fait, l’existence même d’une volonté bonne a été fréquemment niée, sans pour autant que le concept de moralité soit lui même refusé. Il semblait à ces philosophes refusant l’idée même de moralité que la faiblesse humaine ne permettait guère à la raison que de limiter les incompatibilités entre devoir et inclinations ou désirs.

Kant veut bien admettre que la plupart des actions sont conformes au devoir, mais constate que bien souvent c’est l’inclination qui les guide et non le devoir. Dans la mesure où le seul critère de la valeur d’une action repose dans le principe de la volonté qui la dicte, ces actions ne sont bonnes qu’en apparence et non en soi. De fait, leurs principes subjectifs, reposant sur l’intérêt ou le désir du sujet, ne peuvent être considérés comme universels.

Cette impossibilité à identifier une action bonne, en tant que guidée par la seule volonté éclairée par la raison, ne s’oppose pas à ce que l’objectif de la raison reste de guider les actions par respect pour la loi, quand bien même cela ne s’est peut être jamais produit dans les faits.

Parce que la moralité est un concept pur, a priori, il vaut pour l’ensemble des êtres doués de raison, et non seulement pour l’homme, et cela de manière absolue et nécessaire. La loi morale est une loi nécessaire, apodictique, et ne peut être tirée ou invalidée par l’observation empirique. A cause de ce caractère a priori du concept de moralité, il est nécessaire de fonder d’abord une métaphysique des mœurs, qui soit détachée de toute considération anthropologique et empirique.

Fonder une métaphysique des mœurs, c’est exposer a priori les principes purs de la moralité, avant d’aborder la philosophie pratique populaire. En effet, seuls ces concepts a priori peuvent légitimement fonder cette philosophie pratique. La fondation d’une telle métaphysique entièrement pure, et donc entièrement isolée, conditionne la connaissance et l’application des devoirs, car elle a une influence beaucoup plus grande sur la raison que les mobiles fournis par la pratique.

Parce que la loi morale est universelle et non seulement humaine, les concepts qui la fondent a priori doivent être déduits non de la seule raison humaine, mais du concept général d’un être raisonnable. Ils pourront ensuite être appliqués à l’homme, être raisonnable lui même.

III.1 Du pouvoir pratique de la raison à la source du concept de devoir.

Seul un être raisonnable agit d’après la représentation des lois, car seul il a une volonté. Dans la mesure où cette raison lui permet de déduire les actions à partir de la loi morale, cette volonté de l’être raisonnable est une raison pratique.

Lorsque la volonté est parfaitement bonne, les actions sont conformes au devoir et accomplies par devoir. En cela, elles sont objectivement nécessaires, car les maximes à leur origine ont une valeur universelle.

De même, lorsque ces actions sont choisies par la volonté indépendamment de toute inclination du sujet, mais par strict respect de la loi morale, ces actions sont également subjectivement nécessaires. Mais dans la mesure où la volonté des hommes est également influencée par leurs désirs, les actions objectivement nécessaires (car conformes à la loi morale) sont subjectivement contingentes.

Afin de plier la volonté au respect de la loi morale, une contrainte est nécessaire. En effet, si les principes émanent bien de la raison, leur respect par la volonté n’est pas nécessaire du fait de la nature de celle-ci. Ce principe objectif contraignant la volonté est un commandement, et sa formulation constitue un impératif.

Les impératifs disent ce qu’il serait bon de vouloir, mais auquel la volonté doit être contrainte. Ils représentent le bon, par opposition à l’agréable, pour une volonté qui n’est pas orientée par la seule raison. Une volonté parfaitement bonne, sainte ou divine, ne serait pas soumise à cette contrainte. Vouloir et loi se confondant en elle, le devoir n’y aurait en effet pas sa place.

L’impératif peut être hypothétique ou catégorique. Ils commandent tous les deux des actions nécessaires au regard d’une volonté bonne. Mais si l’action n’est pas bonne par elle même, mais en vue d’autre chose, l’impératif est dit hypothétique (sa fin n’est pas absolue). Si l’action est bonne en elle même, objectivement nécessaire, l’impératif est en revanche qualifié de catégorique.

Lorsque l’action est bonne en vue d’une fin possible, elle repose sur un principe pratique problématique. Lorsque l’action est bonne en vue d’une fin effective, ce principe est assertorique. Enfin, lorsque l’action est objectivement nécessaire, sans aucune autre fin, l’impératif catégorique vaut comme principe pratique apodictique.

Tout être raisonnable cherche le bonheur, en vertu d’une nécessité naturelle. Cette action n’est cependant pas objectivement nécessaire car elle n’est pas dictée par la loi morale. L’impératif est donc hypothétique et assertorique, par opposition aux multiples impératifs hypothétiques problématiques commandant ce qu’il est possible d’atteindre pour l’homme. Parmi ces derniers, on peut citer l’impératif de prudence, qui commande l’habileté dans le choix des moyens en vue du bonheur.

Enfin, l’impératif qui commande ce qui est essentiellement bon, quel que soit le succès de l’action entreprise, est catégorique et dit "impératif de moralité".

La question se pose de savoir comment ces impératifs sont possibles. En particulier, comment est-il possible de penser la contrainte de la volonté que constituent ces impératifs ?

En ce qui concerne les impératifs problématiques, la difficulté peut être contournée en soulignant que s’agissant de moyens à mettre en œuvre pour atteindre une fin, cette fin englobe les actions nécessaires. Cela est vrai en particulier de l’impératif de prudence, en dépit de l’indétermination du concept de bonheur, qui relève davantage de l’imagination que de la raison.

En revanche, la question de la possibilité et de l’existence de l’impératif catégorique se pose en des termes beaucoup plus aigus, dans la mesure où aucune référence empirique n’est et ne saurait être déterminante. Il faut donc examiner cette question entièrement a priori. Il est déjà acquis que l’impératif catégorique est le seul qui soit une loi pratique, dans la mesure où la volonté n’a d’autre possibilité que de s’y plier pour être volonté bonne.

L’impératif catégorique est la nécessité pour la maxime de l’action d’être conforme à la loi morale. Cela revient à dire que cette maxime doit être universalisable, ou puisse être considérée comme une loi de la nature, en tant que la nature est l’existence des choses déterminées par des lois universelles. "Agis uniquement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle."

Afin d’illustrer cet impératif, source d’une législation morale, Kant introduit l’idée de conformité à la nature, comprise comme l’ensemble des actions qui ont la liberté pour principe. Cette conformité à l'ordre naturel doit nous guider lorsqu’il s’agit d’accomplir notre devoir.

On peut obéir ou manquer à ce principe de deux manières, et sous quatre modes différents. La première est de mettre la nature en contradiction avec elle-même, la vidant de sa propre possibilité. Il s’agirait par exemple de mettre fin à sa vie par dégoût (devoir envers nous même) ou de ne pas tenir une promesse (devoir envers les autres).

Ne pas mettre la nature en contradiction avec elle-même est un devoir parfait, qui peut être envers nous-mêmes ou envers les autres.

Par contraste, la paresse ou l’indifférence au malheur des autres ne constituent pas des manquements à un devoir parfait, car l’universalisation des maximes présidant à ces comportements n’est pas incompatible strictement avec l’existence de la nature. Mais elles ne peuvent néanmoins être des objets d’une volonté bonne.

Ne pas mettre la volonté en contradiction avec elle même constitue une source de devoirs imparfaits envers nous même (le développement de ses capacités) ou envers les autres (la compassion).

Il convient de montrer a priori l’existence d’un impératif catégorique, après avoir montré que lui seul exprime le concept de devoir et examiné comment l’appliquer.

Cet impératif doit être le même pour tout sujet raisonnable, et ne saurait donc se révéler coextensif à la nature de l’homme. Afin de l’appréhender dans sa pureté, sa détermination ne peut intervenir qu’entièrement a priori, être dénuée de tout appui empirique. Il convient donc de savoir s’il est valable pour tous les êtres raisonnables de juger leurs actions en se demandant s’ils souhaitent voir les maximes qui les commandent érigées en lois universelles. Pour cela il faut recourir à la métaphysique des mœurs, car elle seule est totalement dénuée de toute référence empirique.

La volonté se détermine par référence à certaines lois. Cela signe son appartenance exclusive aux êtres raisonnables. A ce stade, la définition de certains termes devient nécessaire. Il s’agit de :

Il y a donc des fins subjectives, reposant sur des mobiles personnels, et des fins objectives, reposant sur des motifs rationnels et à ce titre valables pour tout être raisonnable. Les principes de l’action sont dits formels lorsqu’ils reposent sur des fins objectives, matériels dans le cas contraire. Les fins matérielles, en ce qu’elles ne sont pas fondées sur la raison, ne sont pas universalisables. Elles reposent en effet sur des mobiles spécifiques, contingents au seul être raisonnable considéré.

Parce que la volonté agit en vue d’une fin, celle-ci est nécessaire et objective dans le cas de la volonté bonne. Et puisqu’elle doit valoir pour tout être raisonnable, cette fin doit être universelle, doit être une fin en soi. Le fondement de l’impératif catégorique est donc à rechercher dans quelque chose dont l’existence en soi à une valeur universelle.

Kant souligne ensuite que les être raisonnables ne peuvent jamais être des moyens pour conduire à une fin, mais constituent une fin en eux-mêmes. L’impératif catégorique peut donc être formulé de la manière suivante "Agis de telle sorte que tu traites toute l’humanité, aussi bien dans ta propre personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, jamais seulement comme un moyen."

Ce principe est entièrement inconditionnel et ne doit rien à l’expérience, parce qu’universel et parce que l’humanité en ressort comme une fin objective, devant avoir prépondérance sur toutes les fins subjectives.

III.2 L’autonomie de la volonté comme principe suprême de la moralité.

La loi morale est caractérisée par trois principes. Le premier est un principe objectif. Il réside dans sa forme même de loi, c’est à dire dans sa validité universelle pour tous les êtres raisonnables (principe d’universalité). Le deuxième est un principe subjectif. L’être raisonnable est fin en soi et sujet de toutes les fins (principe de finalité).

Du rapprochement de ces deux principes jaillit le principe d’autonomie de la volonté.. Parce que la volonté bonne est universalisable, la volonté de chaque être raisonnable légifère de manière universelle. Dès lors, la volonté est libérée de toute dépendance vis à vis d’une loi extérieure. Elle se soumet à une loi universelle qu’elle produit elle-même. Parce que lorsque j’agis par devoir, j’agis nécessairement en respectant une loi qui vaut pour tout être raisonnable, la moralité repose nécessairement sur l’autonomie du sujet.

III.3 Le règne des fins.

De ce principe d’autonomie de la volonté découle le concept du règne des fins. Celui ci se définit en tant que règne par des lois communes à tous les êtres raisonnables. Chaque membre de ce règne doit se traiter et traiter tous les autres comme des fins en soi, et non exclusivement comme des moyens. Agir par devoir, selon la volonté bonne, c’est ainsi contribuer au règne des fins.

Dire d’un bien qu’il est une fin, c’est lui attribuer une valeur. La dignité et le prix sont des valeurs. Le prix étant relatif, ce qui a un prix peut être remplacé. Ce qui ne laisse place à aucun équivalent a une dignité. Dans cette optique, a un prix ce qui se rapporte à une inclination ou à un désir, que ce soit un besoin (prix marchand) ou un goût (prix affectif). Par opposition, ce qui repose sur l’impératif catégorique a nécessairement une dignité. La loi morale confère à l’homme une dignité, indépendante de toute considération quant à la valeur de ses actions.

Cette dignité découle de l’appartenance de tout être raisonnable au règne des fins, et par là du principe d’autonomie gouvernant la loi morale. Si toute valeur est déterminée par la loi, la loi elle même, et donc le devoir, sont au delà de toute valeur. C’est cette absence de toute contingence qui explique le respect qui doit s’appliquer à elle.

III.3 La triple unité de la loi morale.

En dépit des différentes formulations rencontrées pour la loi morale, il convient de souligner son unité fondamentale. La première formule "les maximes doivent être choisies comme si elles devaient avoir la valeur de lois universelles de la nature." caractérise la forme des maximes, qui consiste dans l’universalité.

La deuxième expression de cette loi, "L’être raisonnable en tant que fin en soi de par sa nature, partant que fin en soi, doit être pour toute maxime la condition limitative de toute fin simplement relative et arbitraire.", constitue la matière des maximes.

Enfin, l’instauration d’un règne des fins par les maximes émanant de chaque sujet raisonnable exprime l’autonomie de la volonté instituant un règne des fins.

L’accomplissement du devoir peut découler de l’application de la seule première formulation de la loi morale.

III.4 Synthèse.

Kant récapitule au terme de cette deuxième section les étapes de sa démarche pour en souligner les principaux traits avec vigueur. La volonté bonne est celle dont la maxime peut s’ériger en loi universelle, ce qui constitue un impératif catégorique.

Le sujet raisonnable constitue lui-même cette fin indépendante, qui ne peut jamais être considérée comme un moyen, qui ce soit en soi-même ou en tout autre être raisonnable. Partant, toutes les autres fins doivent lui être absolument subordonnées. La maxime de la volonté bonne peut donc également s’exprimer selon la formule "agis selon une maxime qui puisse en même temps valoir par elle-même universellement pour tout être raisonnable." Ce principe d’universalité revient en effet à considérer l’être raisonnable comme une fin en soi.

Les lois auxquelles le sujet est soumis viennent de lui et valent, à travers lui, pour tout autre être raisonnable. Les êtres raisonnables constituent alors un règne des fins, dont chacun est le législateur par ses maximes. Ce règne des fins est analogue au règne de la nature, avec cependant comme différence que ce dernier est soumis à des lois qui lui sont extérieures, alors que chaque sujet est lui même à l’origine des maximes établissant le règne des fins.

Pour qu’un tel règne des fins soit établi, il faudrait que les maximes dictées par l’impératif catégorique soient suivies par tous. Même si le respect du devoir par un sujet ne garantit en rien son respect par les autres êtres raisonnables, il contribue néanmoins et rend chaque fois possible l’établissement d’un règne des fins.

Bien que n’étant pas toujours suivi, il n’en demeure pas moins vrai que le devoir commande inconditionnellement, que le règne des fins soit effectif ou non. C’est cette obéissance à une loi inconditionnelle, dictant une fin en soi qui libère le sujet de l’emprise de la loi matérielle et fonde sa dignité.

La moralité des actions est ce qui les relie à l’autonomie de la volonté. Est seule permise l’action qui est compatible avec cette autonomie. Une volonté absolument bonne serait sainte et ne ferait que ce qui est permis. Le devoir se rapporte à une volonté qui peut être bonne, sans toutefois être sainte. Le respect des devoirs est fondateur de la dignité, en ce que le sujet est législateur par son propre respect de la loi morale. La dignité de l’humanité réside dans sa capacité à légiférer universellement qui lui est offerte par ce respect de la loi morale.

III.5 L’autonomie de la volonté est le principe unique de la loi morale, l’hétéronomie est source de tous les faux principes.

Le principe d’autonomie de la volonté individuelle ne peut être démontré par l’analyse. Cela nécessiterait en effet une critique du sujet lui-même, afin de pouvoir appréhender cette proposition a priori. Cependant, il reste possible de montrer que l’autonomie de la volonté constitue le principe unique de la loi morale.

Par opposition à l’autonomie de la loi morale que la volonté va chercher en elle-même, est hétéronome la loi que la volonté va chercher ailleurs que dans les devoirs que lui dicte la raison, c’est à dire ailleurs que dans le principe d’universalité qui doit normalement régir ses maximes.

La relation avec cet objet extérieur ne repose en aucune manière sur un impératif catégorique, dont la source est justement le principe d’universalité. Il s’agit alors d’un impératif hypothétique, reposant une inclination empirique ou sur des représentations de la raison. Il peut amener à confondre le bonheur avec la dignité, alors même que le bonheur ne saurait être un objectif donné à la loi morale.

III.6 Division de tous les principes de la moralité qui peuvent être tirés du concept fondamental de l’hétéronomie déjà admis.

Les principes tirés de cette hétéronomie de la volonté sont ensuite passés en revue par Kant. Ils peuvent être empiriques lorsqu’ils ont le bonheur pour objet, ou rationnels s’ils ont la perfection pour objet, soit comme effet à rechercher soit comme cause de notre volonté (perfection divine).

Les principes empiriques ne sont pas universels car ils reposent sur la contingence de la nature humaine. La recherche du bonheur personnel est un principe dont la fausseté a des conséquences graves, dans la mesure où il tend à dénaturer les mobiles de la moralité. Rattacher cette moralité à un sens particulier, "le sentiment moral", la rend dépendante de la satisfaction de celui ci et lui dénie donc son universalité.

En ce qui concerne les principes rationnels tirés de cette hétéronomie, le principe ontologique de perfection, bien qu’il présuppose la perfection dont on voudrait le tirer, reste néanmoins supérieur au concept théologique. Ce dernier prête en effet à Dieu des caractéristiques humaines allant à l’encontre même de la moralité, voire enferme le raisonnement dans un cercle en dérivant la moralité de la perfection de Dieu, perfection divine qui est elle même dérivée du concept de moralité.

Ces principes tentant d’ériger l’hétéronomie de la volonté en fondement de la moralité manquent totalement à y parvenir. Que l’objet détermine la volonté par inclination ou par raisonnement, il reste en effet contingent et ne peut jamais être source d’un impératif catégorique. Le mobile n’est qu’intermédiaire, conditionnel, car la volonté est déterminée de manière externe.

Donc la volonté bonne ne saurait être subordonnée à un objet extérieur, elle repose sur un principe d’universalité, qui consiste à pouvoir ériger chaque principe subjectif des actions en loi universelle.

Jusqu’à présent, la démarche a été purement analytique et n’a fait que montrer que l’autonomie de la volonté était coextensive au principe de moralité universellement admis. Il reste donc à montrer comment cet impératif catégorique est possible et nécessaire.

 

IV. Troisième section :
Passage de la métaphysique des mœurs à la critique de la raison pure pratique.

IV.1 Le concept de liberté est la clef pour l’explication de l’autonomie de la volonté.

Le concept de liberté est la clef utilisée par Kant pour l’explication de l’autonomie de la volonté. Il définit la liberté d’abord de manière négative, comme étant une propriété de la causalité des êtres raisonnables agissant par volonté, par opposition aux êtres dénués de raison dont la nécessité naturelle serait alors l’expression. Ainsi, la nécessité des causes naturelles extérieures détermine les être sans raison, les êtres raisonnables agissant par volonté, selon une causalité dont la liberté serait l’expression.

Une définition positive de la liberté est cependant possible. Si elle est une cause de nos actions, la liberté implique l’idée de loi comme rapport des causes à nos actions. Les lois de la liberté sont différentes de celles de la nature, ces dernières étant soumises au principe de l’hétéronomie. L’autonomie de la volonté des êtres raisonnables fait alors de la liberté la propriété de la volonté d’être une loi pour elle même dans toutes ses actions, ce qui ramène à l’impératif catégorique.

L’existence de la loi morale découle donc de celle d’une volonté libre. Mais cela ne permet cependant pas encore de montrer qu’une volonté bonne est celle dont la maxime peut toujours se contenir comme loi universelle. Le concept positif de liberté doit permettre de lier les deux termes de cette proposition.

IV.2 La liberté doit être supposée comme propriété de la volonté de tous les être raisonnables.

Comme la moralité est une loi pour tous les êtres raisonnables, il convient de montrer que tel est également le cas de la liberté, pour pouvoir envisager de dériver la loi morale de cette dernière. En outre, la liberté ne saurait être prouvée à partir de considérations empiriques, dans la mesure où celles-ci sont placées toutes entières sous l’emprise de la nécessité.

Un être raisonnable est un être qui agit sous l’idée de liberté, en étant guidée par sa raison et sa volonté autonome. Une raison dont les jugements seraient déterminés par l’extérieur est impossible, puisque la raison se nuirait alors à elle même. Il faut donc que la raison soit libre.

IV.3 De l’intérêt qui s’attache aux idées de la moralité.

Nous devons donc présupposer que tout être doué de raison et d’une volonté est de ce fait même libre de ses actions. Mais en même temps, ses actions doivent également être gouvernées par une loi, qui est celle de pouvoir ériger leurs maximes en principes universels. Pourquoi dès lors qu’il est libre un être raisonnable doit-il être gouverné par cette loi ?

En ce qui concerne l’agir par devoir, on ne peut admettre qu’il s’agisse d’un intérêt, mais il faut néanmoins que le sujet y "prenne intérêt", dans la mesure où il nous permet d’accéder à une dignité supérieure. Il reste donc à savoir ce qui peut expliquer que cet intérêt puisse inciter l’être raisonnable à se détacher de toute considération relative à la valeur de son état.

Nous sommes donc dans une pensée circulaire. L’homme est libre car soumis à une loi morale. Mais cette loi morale découle elle même de sa liberté. Afin de sortir de ce piège, Kant est amené à distinguer deux niveaux à toute chose, ainsi que l’indiquerait le simple bon sens. Nous ne connaissons les choses qu’en ce qu’elles affectent notre sensibilité. Mais elles ne sont pas seulement cela, elles sont également "en soi", et ce monde des noumènes nous est et nous restera inconnu.

Nous ne connaissons les choses que par les manifestations accessibles à nos sens, par les phénomènes, expressions des choses en soi, qui restent quant à elles inaccessibles. Il y a un monde sensible et un monde intelligible, l’un inaltérable et l’autre contingent aux capacités des sens, le monde intelligible restant cependant le fondement du monde sensible.

De la même manière, il faut distinguer en l’homme une réalité sensible et une réalité intelligible. L’homme ne se créant pas lui même, il ne se connaît que par le "sens interne", et donc ne voit en lui que la seule part phénoménale de sa nature. L’être en soi qui sert de fondement à ces phénomènes n’en existe pas moins pour ne pas être accessible au sujet lui même, dans la mesure où cet être en soi relève du seul monde intelligible.

La raison distingue l’homme de toutes les autres choses, y compris de lui même en sa dimension sensible et phénoménale. La raison est supérieure même à l’entendement, l’entendement ne pouvant se détacher des phénomènes qu’il unifie sous des règles, mais sans jamais quitter le monde sensible. La raison en revanche est à même de distinguer le monde des phénomènes de celui des noumènes.

Par sa raison, l’homme appartient au monde intelligible. Par sa sensibilité et son entendement il appartient au monde sensible, soumis aux lois de la nature.

En tant qu’appartenant au monde intelligible, l’homme pense sa volonté sous l’idée de liberté, car détachée des sens et de leurs motivations contingentes, désirs ou inclinations. La moralité est la loi des actions, de même que la loi naturelle gouverne le monde des phénomènes.

Il n’y a donc plus de cercle dans notre réflexion. Nous sommes libres dans notre dimension nouménale, en tant que l’homme est chose en soi relevant du monde intelligible, mais soumis au devoir en tant que nous relevons aussi du monde sensible des phénomènes.

IV.4 Comment un impératif catégorique est-il possible ?

En tant qu’il appartient au monde intelligible, l’homme, être raisonnable, voit dans sa volonté la cause efficiente de ses actions. Mais parce qu’il relève également du monde des phénomènes, il doit considérer ses actions comme déterminées par des désirs et des inclinations, relevant de la sphère de la loi naturelle.

Si l’être raisonnable était pur noumène, ses actions seraient toujours conformes au principe de l’autonomie de la volonté. Pur phénomène au contraire, ses actions reposeraient sur le principe du bonheur, et se conformeraient à la loi naturelle. Mais en ce qu’il appartient aux deux sphères, et parce que le monde intelligible légifère le monde sensible, l’homme être sensible est soumis la raison, loi de l’homme être intelligible, et ses actions doivent être conformes à la loi morale dictée par l’autonomie de la volonté. Les actions ainsi conformes aux lois du monde intelligibles sont des devoirs.

C’est parce que l’homme appartient aux deux mondes que des impératifs catégoriques sont possibles. Parce qu’il est libre, les actions de l’homme sont conformes au principe d’autonomie de la volonté. Parce qu’il est aussi part du monde des phénomènes, ces actions doivent être conformes, impératif catégorique. La volonté pure et la volonté affectée par les désirs sensibles forment cet impératif catégorique, proposition synthétique a priori. Même un scélérat reconnaît la supériorité de cette loi de la volonté pure en la transgressant, car même lui reste libre en tant qu’il appartient aussi à la sphère de l’intelligible. Cette loi est un devoir moral de la sphère sensible que le scélérat ne respecte pas mais n’admet pas moins.

IV.5 De la limite extrême de toute philosophie pratique.

Parce que les hommes se pensent comme libres, ils jugent leurs actions d’après ce qu’ils auraient dû vouloir, et non d’après ce qui s’est véritablement passé. Or ce qui est ainsi jugé d’après un critère moral du monde intelligible est nécessairement déterminé par des lois naturelles en ce qu’il relève du monde des phénomènes.

La nature est démontrée par la multiplicité de l’expérience, tandis que la liberté, concept rationnel, ne pourra jamais prouver sa réalité objective. Dans ce conflit entre liberté et nécessité naturelle, aucun des termes ne peut être éliminé, le premier étant fondé en raison, le second en expérience. Mais il faut cependant résoudre cette contradiction apparente, sinon la liberté serait obligée de le céder aux lois de la nature, mieux assurées.

Cette contradiction est insurmontable si l’être rationnel se pense libre et soumis aux lois de la nature en même temps et sous le même rapport. Il s’agit de monter que ces deux aspects peuvent et doivent coexister pour le même sujet, ce qui est la tâche de la philosophie spéculative.

Lorsqu’il se perçoit comme être raisonnable, l’homme se considère d’une toute autre façon que lorsqu’il se considère comme un phénomène dans le monde sensible, et comme tel soumis aux lois de la nature. Or ces deux états doivent coexister. Il n’y a pas de contradiction à ce qu’une même chose soit soumise aux lois de la nature en tant que phénomène et y échappe en tant que noumène. Parce que l’homme a conscience de lui à la fois comme une sensibilité et une intelligence, cela l’amène à se rattacher aux deux sphères simultanément.

La volonté nous permet d’agir selon le principe qui veut que toute maxime puisse être universellement valable. La raison ne va pas chercher un objet de la volonté dans le monde intelligible, qui ne peut être connu car il est de par sa nature même au delà du sensible et de l’expérience. La raison se pense donc du point de vue du monde intelligible pour se penser comme pratique.

Mais la raison ne peut expliquer comment la liberté est possible sans outrepasser ses limites. En effet, pour cela, il faudrait être en mesure de ramener des phénomènes à des lois de la nature, ce qui est ontologiquement impossible pour la liberté, qui ne relève pas de la sphère du sensible. On ne peut donc que défendre l’idée que la liberté est possible contre les apparentes contradictions qu’engendre ce concept, en montrant que l’homme est nécessairement et simultanément sur deux plans qui de ce fait coexistent.

On ne peut davantage expliquer l’intérêt que prend la raison à l’action, I.e. à l’universalité de sa maxime. Il est en effet impossible d’expliquer comment la raison peut insuffler un sentiment de satisfaction par une simple pensée dénuée de toute dimension sensible. Ce qui est assurée c’est que la maxime nous intéresse, parce qu’elle a une validité pour nous, et ne tire pas sa validité de l’intérêt qu’elle suscite.

L’impératif catégorique est tributaire de l’idée de liberté. En revanche, on ne peut expliquer comment la liberté elle-même est possible. Il est impossible de déterminer comment le principe de l’universalité des maximes peut susciter un intérêt purement moral, mais il est nécessaire de l’admettre d’un point de vue pratique.

On peut montrer l’existence du monde des intelligibles en montrant que celui des phénomènes ne contient pas "le tout de toute chose". Je ne saurais cependant en connaître davantage.

Telle est la limite qu’il importe d’identifier pour que la raison ne s’égare pas dans le monde des sensibles ou se perde dans celui de l’intelligible. L’idée même de l’appartenance commune des êtres rationnels à un monde intelligible est susceptible de produire un intérêt pour la loi morale.

 

V. Remarque finale

La raison éprouve toujours le désir de remonter à un fondement inconditionné, dans son usage spéculatif, où elle va chercher une cause du monde absolument nécessaire sans jamais la connaître à strictement parler. Cela est également vrai de son usage pratique, où elle s’élève jusqu’à la nécessité absolue des lois auxquelles se soumet la volonté bonne en tant qu’elle est libre.

Dans cette recherche de ce qui n’a pas d’autre fondement que lui même, la raison parvient à formuler cet inconditionné sans jamais acquérir une compréhension de celui-ci, qui lui échappe sans espoir.

Il en va ainsi de l’impératif catégorique, dont la nécessité est reconnue sans être lui-même objet de connaissance, celle ci s’achevant à la reconnaissance de cet impossible savoir.

 

Quatrième partie :

ACTUALITE POUR LES SCIENCES DE GESTION

 

La définition des impératifs catégoriques et hypothétiques que donne Kant ainsi que les maximes qu’il définit pour la volonté bonne sont applicables à tout être raisonnable et donc à l’homme quand il évolue dans un milieu économique, l’entreprise.

 

I. Typologie des objectifs

I.1 Les fins individuelles.

Les fins généralement attribuées à l’homme comme membre d’une entité économique peuvent être identifiées par les paramètres des fonctions d’utilité invoquées en comptabilité par la théorie positive. Chaque partie prenante, dirigeants, actionnaires ou hommes politiques, chercherait à maximiser son utilité, qui dans une perspective réductrice se borne à son actif monétaire et dans une optique plus large peut inclure des notions telles que la réputation, voire "l’agrément de vie".

On voit aisément qu’il s’agit dans tous les cas de fins relatives au bonheur et donc à la satisfaction de désirs ou d’inclinations des individus. Ces désirs ne constituent pas, ou du moins pas nécessairement des fins en soi. Avoir davantage d’argent pour satisfaire quel but ? Jouir d’une bonne réputation dans quelle perspective ? Il faut les considérer comme des fins intermédiaires, des moyens pour atteindre d’autres termes, fins en soi, dont la formulation reste problématique à ce stade.

D’après la typologie proposée par Kant dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs, les fins proposées par les sciences de gestion apparaissent typiquement comme des impératifs hypothétiques problématiques. Ces actions ne sont pas bonnes en elles mêmes, elles sont bonnes en vue d’autre chose, d’une autre fin qui demeure indéterminée et dont la qualité intrinsèque reste d’ailleurs à vérifier.

I.2 Les fins collectives.

Il en va évidemment de même, et cela de manière encore plus radicale, des fins que l’on assigne à l’entreprise. Même en s’attachant à sa dimension sociale, lieu de rencontre d’êtres raisonnables, et donc en acceptant la possibilité de fins qui lui seraient propres, au travers des "objectifs" que lui assignent plans stratégiques ou budgets, celles-ci ne sauraient se hisser au delà du niveau des principes problématiques.

Ce sont des fins de ce type que lui assignent en tous les cas les discours de motivation le plus souvent dispensés, s’articulant en général autour de la savante problématique objectifs commerciaux / motivation des salariés / rentabilité.

Ces fins sont-elles légitimes ? C’est à dire l’entreprise en tant qu’entité juridique indépendante peut-elle avoir des fins propres, où lui sont-elles assignées par les parties prenantes, la société d’une manière générale ? Les objectifs de la société seraient alors plutôt liés au fruit de la délégation de pouvoir qu’elle consent, c’est à dire obtenir des biens dans des conditions satisfaisantes, ce dernier terme restant à définir.

Dans tous les cas, qu’elles concernent l’entreprise elle-même ou la société, ces fins sont du même ordre que celles que se voient attribuer l’individu, et correspondent à des impératifs hypothétiques problématiques.

Au total, ainsi ramenée à leur juste niveau, les objectifs de toute nature qu’assigne ou se voit assigné l’individu ou l’entreprise sont dépouillés d’une part notable de leur légitimité, pour ne conserver qu’une dimension strictement contingente aux phénomènes concernés.

 

II. L’impossible soumission de l’ordre economique à la loi morale

II.1 Ces fins hypothétiques doivent être soumises aux critères de la raison.

Si le statut d’être raisonnable de l’homme est préservé, et l’importance prise par les impératifs hypothétiques pourrait peut être autoriser à se poser la question de sa pérennité, ces fins "économiques" doivent être subordonnées aux conditions de mise en œuvre d’une volonté bonne, qui témoigne de l’exercice des plus hautes fonctions humaines, celles de la raison.

Le principe d’autonomie de la volonté et la liberté coextensive à son plein essor peuvent amener à remettre en cause les fins intermédiaires problématiques au profit de fins en soi nécessaires et inconditionnelles car dictées par l’impératif catégorique.

Pour Kant, l’être raisonnable en lui même et dans les autres constitue la seule fin en soi qui ne puisse jamais être considéré comme un moyen.

Dans cette perspective, tout comportement personnel aussi bien qu’économique devrait donner lieu à une interrogation préalable sur sa compatibilité avec l’exercice libre de la volonté guidée par la raison, qui doit amener à se considérer et à considérer autrui comme les seuls fins en soi légitimes.

Cet "altruisme" est-il véritablement compatible avec les conditions d’exercice de l’activité humaine dans la sphère professionnelle ?

II.2 L’incompatibilité radicale de l’impératif catégorique et des lois de la gestion.

On peut affirmer sans risque de se tromper que bien souvent les deux ordres, celui de la loi naturelle et des "règles de gestion" guidant les fins hypothétiques et la recherche du bonheur d’une part, celui de la liberté éclairée par la raison d’autre part, sont irréconciliables.

En effet, l’instrumentalisation de la relation à autrui prévalant dans les relations économiques (au sein d’une même entreprise ou entre agents "indépendants") constitue un obstacle majeur à la réconciliation des deux sphères. Le qualificatif de "ressources humaines" généralement utilisé montre bien dans cette perspective l’utilisation de l’individu comme moyen.

Egalement symptomatique de cette approche est la logique de la monétarisation des relations induites par les comportements jugés "économiquement fondés donc socialement responsables." L’individu est cantonné à la masse salariale qu’il représente ou au chiffre d’affaires qu’il produit, ce qui contribue à réduire l’être raisonnable au rang de moyen dans la poursuite d’une fin dont le statut moral apparaît de ce fait même illusoire. L’existence même de systèmes et processus budgétaires est à cet égard emblématique.

D’un autre côté, l’angélisme dont le respect des principes d’une volonté bonne pourrait être taxé est-il compatible avec la simple survie de l’individu, impératif catégorique également, ainsi que le rappelle expressément Kant ? Le règne des fins que ce respect doit contribuer à instituer ne constitue-t-il pas en fait la condition préalable à la possibilité de suivre la loi de la morale ? Dans ce cas, l’homme serait dans une situation sans issue, ne pouvant instituer un règne des fins que par le respect de principes présupposant son établissement.

 

III. Une tentative pour sortir de ce dilemme economique et moral

III.1 Vers une émergence de la loi morale en gestion ?

Confronté à la double crainte de faillir à son statut d’être raisonnable, en en abdiquant les principes essentiels, ou à l’impossibilité de survivre dans une sphère des phénomènes où ces principes de la morale n’ont pas ou insuffisamment cours, l’homme est-il contraint à une fuite sans retour ?

Le fait que les lois de la morale voient leur application dans la sphère des phénomènes fréquemment bafouée ne retire rien à leur pertinence, ainsi que l’illustre l’exemple donné par Kant du scélérat, transgressant une règle dont il reconnaît par ailleurs la validité.

Cette œuvre de Kant peut donc être regardée comme nous appelant à faire évoluer nos pratiques économiques et de gestion vers une plus grande conformité à ce qui constitue la spécificité irréductible des êtres raisonnables, le libre exercice de leur volonté bonne guidée par la raison.

Si le monde des phénomènes ne semble pas propice à ces comportements moraux, il n’en reste pas moins vrai que c’est à chacun de chercher à concilier les exigences inconditionnées de l’impératif catégorique et celles, contingentes mais contraignantes dans la sphère des phénomènes, des impératifs hypothétiques.

Les discours sur la "responsabilité sociale ou sociétale", les tentatives de reddition des comptes dans d’autres domaines que la stricte sphère financière (comptabilité environnementale, bilan social par exemple) illustrent peut être une recherche en ce sens. Pourrait également indiquer une telle évolution le développement de ce qui est parfois rapidement qualifié de "fonds éthiques."

Il est cependant vrai que l’on se trouve dans ces cas en présence d’une conformité extérieure au devoir plutôt que d’un acte accompli par devoir. En particulier, l’investisseur dans un fonds éthique cherche vraisemblablement d’abord un meilleur rendement. Le chef d’entreprise qui publie un bilan environnemental souhaite selon toute vraisemblance à faire oublier à ses actionnaires, dotés d’une impitoyable fonction d’utilité, de médiocres performances financières. L’impératif catégorique et ses exigences se trouve donc bien loin.

III.2 Une incompatibilité insurmontable.

Le respect du devoir moral semble donc être une idée dont l’application reste problématique en sciences de gestion.

Il est vrai que chaque tentative individuelle contribue à la constitution du règne des fins. Il reste à savoir si sur un plan individuel cela est économiquement viable. Plus probablement, les carences de la hiérarchisation des impératifs qui caractérisent les plans stratégiques des entreprises nous contraignent inexorablement à abdiquer la part intelligible qui est en nous au profit du respect de "lois naturelles", plus proches peut être des principes d’une "sélection naturelle."

Au final, on pourrait voir dans cette priorité donnée aux impératifs hypothétiques, et in fine à la sphère de l’entendement sur celle de la raison, une limitation des sciences de gestion à la connaissance des seules lois de la nature, qui la limiterait fondamentalement. Ainsi, ce corpus parce que essentiellement cognitif (la théorie positive instrumentalise le comportement des managers pour prévoir leurs réactions) exclut l’appréhension de l’intelligible par le jeu de la raison éclairée. Les difficultés proviennent individuellement de ses conséquences multiples dans la définition des comportements jugés socialement acceptables.

 

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