LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Marie-Claude BERNARD
Cycle C1 - Organisation et Systèmes d’information

 

Geert HOFSTEDE

"VIVRE DANS UN MONDE MULTICULTUREL"

Les éditions d'organisation. 1994.

 

"L’Allemand vit en Allemagne, le Parisien vit à Paris, le Turc vit en Turquie, mais l’Anglais vit chez lui."

J H GORING, 1909.

La citation ci-dessus donne la teneur de l’ouvrage : chacun regarde le monde à travers les fenêtres d’un "chez soi" culturel ; chacun agit comme si ceux qui viennent d’autres pays avaient quelque chose de spécial (un caractère national), la norme se trouvant chez soi. Malheureusement, il n’y a pas de norme culturelle.

 

SOMMAIRE :

  1. Objectif de l’auteur

  2. Démarche

  3. Postulats

  4. Hypothèse

  5. Résumé

 

 

I) Objectif de l’auteur

Depuis des décennies, la recherche tente de définir la culture. L'objectif du livre de Geert HOFSTEDE, "Vivre dans un monde multiculturel", est d'aider à la prise en compte des différences dans la façon de penser, de réagir et d'agir entre les habitants de notre planète. Le monde est plein d'affrontements entre des personnes qui sont confrontées à des problèmes identiques, d'ordre écologique, économique, militaire, sanitaire et météorologique qui ne s'arrêtent pas aux frontières nationales. Pour trouver des solutions viables à l'échelon mondial il est important de connaître les différences de pensée des partenaires.

 

II) Démarche


L’enquête IBM :

G. HOFSTEDE a élaboré une grille culturelle fréquemment utilisée dans la sphère du management. Le matériau de l’enquête initiale sur les différences de culture entre les pays provient de réponses du personnel de multiples filiales IBM dans le monde à un questionnaire unique. Ce questionnaire porte essentiellement sur les valeurs personnelles liées à la situation de travail, dans le cadre d’une enquête plus vaste sur les attitudes du personnel. Cette étude couvre soixante-douze filiales, trente-huit professions, vingt langues et deux périodes de temps. Soit, cent-seize mille questionnaires de plus de cent questions chacun. Le traitement statistique des données a permis de caractériser les problèmes communs à toutes les sociétés et d’émettre des postulats.

 

III) Postulats

La culture, une sorte de programmation mentale.

Chacun d'entre nous porte en lui des modes de pensée, de sentiment et d'action potentielle qui sont le résultat d'un apprentissage continu, notre "programmation mentale", c’est à dire un conditionnement généralement inconscient. Ces programmes mentaux trouvent leur origine dans les divers environnements sociaux rencontrés au cours d'une vie (famille, quartier, école, groupe de jeunes, lieu de travail et milieu de vie). Si la programmation commence dans l’environnement dans lequel grandit l’enfant, en général une famille, elle continue tout au long de la scolarité, et l’on ne peut comprendre ce qui se passe dans les écoles que si l’on sait ce qui se passe avant et après l’école. La programmation se poursuit dans le milieu de travail ; au comportement des cadres s’ajoute un effet de miroir du comportement des subordonnés. La politique et les relations entre les citoyens et les autorités sont le prolongement des relations vécues dans la famille, les études et le travail ; elles influent, à leur tour, sur ces autres sphères de la vie.

Ces programmations sont couramment désignées par le terme de "culture" qui varie d’un groupe et d’une catégorie de personnes à l’autre, selon des modalités rarement admises et souvent mal comprises.


Les niveaux de culture.

Hofstede distingue 2 sortes de cultures :

· La "culture 1" : le savoir, l'art, la littérature.

· La "culture 2 : inclut non seulement des activités censées raffiner l'esprit, mais toutes les activités simples et ordinaires de la vie : "saluer, manger, exprimer, cacher ses sentiments, garder une certaine distance physique avec autrui, faire l'amour, respecter les règles d'hygiène...". La culture 2 est définie comme la programmation collective de l'esprit qui distingue les membres d'un groupe ou d'une catégorie de personnes par rapport à une autre. En cela, la culture 2 ressemble au concept de "habitus" définit par Pierre BOURDIEU. Or, désapprendre est plus difficile qu'apprendre. Peur, colère, amour, joie ou tristesse, le besoin de contact avec les autres, de jeux, d'exercice, l'aptitude à observer l'environnement et à en parler avec d'autres, tout cela appartient à ce niveau de programmation mentale. Mais, ce que chacun fait de ses sentiments, la façon dont il les exprime, dont il relate ses observations, est modifiée par la culture.

La nature "humaine" n'est pas aussi humaine que le terme le laisse entendre et certains aspects sont partagés avec le monde animal. La sociobiologie essaie de mettre en lumière les analogies de certains comportements humains avec ceux du monde animal pour affirmer que les comportements sociaux sont biologiquement (génétiquement) déterminés.

L'étude des différences de culture entre les groupes et les sociétés ne peut se faire qu'à partir d'une attitude de "relativisme culturel ". (Claude Lévi-Strauss, 1988). A notre époque post coloniale, les étrangers qui souhaitent apporter des changements dans une société doivent négocier leurs interventions car chaque nation est très fortement impliquée moralement dans son propre programme mental dominant, ce qui suffit à expliquer les réticences à faire des différences culturelles un sujet de discussion.

 

IV) Hypothèse

Les différences culturelles se manifestent au travers de quatre critères : symbole, héros, rituels et valeurs.

· Symboles : mots, attitudes, dessins ou objets (langage, jargon, vêtement, coiffure, Coca-Cola, marques de prestige social...). De nouveaux symboles apparaissent alors que les anciens disparaissent et d'autres sont copiés régulièrement.

· Héros : vivants, morts, réels ou imaginaires, les héros possèdent des caractéristiques hautement appréciées et servent de modèles de comportement. Dans notre société, dominé par les images, l'importance des héros est plus grande que par le passé.

· Rituel : activités collectives, techniquement superflues, mais considérées comme essentielles à l'intérieur d'une culture : le salut, les formules de politesse, les cérémonies sociales et religieuses. Les réunions, politique ou de travail, organisées pour des motifs apparemment rationnels sont une façon d'asseoir son autorité.

· Valeur : Les valeurs sont le cœur de la culture et la plupart des enfants ont un système de valeurs solidement acquis. Du fait de cette acquisition précoce, elles forment un modèle de comportement indélébile qui s’imprime en nous. Les valeurs définissent le bien et le mal, le propre et le sale, le beau et le laid, le naturel et ce qui est contre nature, la norme et l’anormal, le rationnel et l’irrationnel, le cohérent et l’insensé. Valeurs désirables et valeurs désirées... L'idéologie sert de compensation au quotidien d’une relation (par ex .: subordonné patron).


Chaque individu appartient à plusieurs groupes ou catégories et est donc porteur de différents niveaux de culture :

· national (pour celui qui a émigré),

· appartenance à un groupe (régional, ethnique, religieux,…). Les cultures régionales, ethniques et religieuses transcendent les frontières politiques. Mais, l'appartenance à une religion est plus le résultat de systèmes de valeurs culturels préexistants que la cause de différences culturelles.

· Appartenance à l’un des deux sexes. Les différences liées au sexe ne sont pas décrites en terme de culture. Les femmes ne sont pas porteuses de symbole, ne correspondent pas aux figures héroïques, ne participent pas aux rituels et n'adoptent pas les valeurs dominantes de la culture masculine. Les sentiments et les peurs concernant les comportements de l'autre sexe sont du même ordre d'intensité que les réactions aux cultures étrangères.

· Appartenance à une génération. Souvent surestimés : les événements historiques ont des répercussions sur les générations qui les vivent ainsi que le développement technologique.

· Appartenance à une origine sociale, à une organisation ou à une entreprise.

Les différences de culture nationale sont dues aux rythmes de développement différents : certains vivent encore de la cueillette et de la chasse et d’autres dans des mégalopoles. Il y a plusieurs milliers d’années s’établissait le plus ancien des empires, la Chine. D’autres depuis se sont effondrés : Maurya, Guptas, Moghols, Majapahit ou les empires aztèque, maya et inca. L'invention des nations, unités politiques d'organisation de la planète, est un phénomène récent qu'il ne faut pas confondre avec les sociétés, qui sont des formes structurées d'organisation sociale : le concept de culture commune s'applique plus aux sociétés qu'aux nations. Chaque nation possède des éléments qui favorisent une intégration croissante : langue, éducation, armée, système politique, représentation nationale aux compétitions sportives, marché… et sont à l'origine d'une très forte programmation mentale de leurs citoyens.

L’enquête IBM a permis à Hofstede de déterminer des facteurs communs aux différentes cultures. Ces facteurs unissent ou divisent ces nations, condamnées à survivre ou à périr ensemble :

Ces catégories, identifiées par Inkeles et Levingson vingt ans auparavant, représentent les dimensions des différentes cultures et permettent ainsi d’en définir les aspects qui peuvent être comparés :

1 - la distance hiérarchique.
2 - le degré d'individualisme ou de collectivisme.
3 - le degré de masculinité ou de féminité.
4 - le contrôle de l'incertitude.

 

V) Résumé


1 - LA DISTANCE HIERARCHIQUE (IDH) :


Plus égaux que d'autres : les inégalités dans la société.

Du groupe le plus primitif (la chasse et la cueillette) au système le plus complexe, on constate les inégalités : plus forts ou plus robuste, plus intelligent, plus de pouvoir, plus de richesse que d'autres, ceux qui inspire plus de prestige ou plus de respect etc.

Les capacités physiques et intellectuelles, le pouvoir, la richesse et le prestige ne vont pas obligatoirement de pair. Les savants, les athlètes de haut niveau, les artistes jouissent d'un certain prestige, mais rare sont les sociétés où ils parviennent à la richesse, encore moins au pouvoir politique. Dans certains pays les hommes politiques peuvent accéder au prestige et au pouvoir sans la richesse, les hommes d'affaires à la richesse et au pouvoir, sans le prestige.

L'absence de cohérence entre ces diverses formes d'inégalités est souvent ressentie comme problématique. Les sportifs deviennent professionnels pour s'enrichir, les politiciens utilisent leur pouvoir pour en faire autant, les hommes d'affaires entre en politique pour jouir du prestige...

Dans d'autres sociétés, au contraire, on apprécie que la réussite dans un domaine n'aille pas de pair avec la même réussite dans un autre. Les lois de nombreux pays ont été conçues pour répondre à cet idéal d'égalité en traitant tout le monde de la même façon, sans considération pour la richesse, le pouvoir et le prestige.

Mesure du degré d'inégalité : l'indice de distance hiérarchique (IDH).

L'analyse factorielle des réponses a permis de classer les questions les plus étroitement liées et de calculer un indice hiérarchique (IDH) par pays ; cet indice fournit des indications sur la programmation mentale qui va de pair avec une nationalité plutôt qu'une autre. Le nom de distance hiérarchique provient d’une étude réalisée par Mauk Mudler, spécialiste néerlandais de socio-psychologie expérimentale, sur la distance émotionnelle qui sépare les subordonnés de leurs patrons (1976,1977).

Définition de la distance hiérarchique :

La distance hiérarchique peut donc être définie comme le degré d’inégalité attendu et accepté par les individus. La distance hiérarchique est donc mesurée à partir des systèmes de valeur de ceux qui ont le moins de pouvoir. La répartition du pouvoir est également expliquée à partir du comportement de ceux qui ont le plus de pouvoir, des leaders plutôt que des suiveurs. L'autorité ne se maintient que si elle rencontre la soumission; la fonction d'encadrement n'existe que comme complément à une situation de subordination.

Les différences hiérarchiques à l'intérieur d'un pays :

classe sociale, niveau d'études et occupation professionnelle.

Si en France il est courant que le grand patron soit protégé par un rempart d’assistants, nombre de patrons américains, à l’instar d’Andy Grove, PDG d’Intel, sont aussi accessibles que d’autres managers.

L'inégalité dans une société est visible à travers l'existence de classes sociales : supérieure, moyenne, ouvrière, qui n'ont pas les mêmes facilités d'accès à certains avantages de la société dont l'éducation. On constate que, dans la plupart des sociétés, classe sociale, niveau d'étude et profession sont étroitement liés. Ces trois facteurs, cités comme sources de programmation mentale, sont interdépendants. Hofstede démontre que dans les pays à fort IDH cela s'applique à toutes les catégories d'emplois, quelque soit leur statut ; dans le cas d'un indice faible, il ne s'applique que dans les catégories moyenne ou élevée contrairement aux salariés du bas de l'échelle qui obtiennent des scores de distance hiérarchique aussi élevés que leurs collègues. Le fait que les salariés occidentaux, occupant le bas de l'échelle hiérarchique, aient des valeurs "autoritaires" se retrouvent également dans les relations familiales où il a été démontré qu'ils exigent une plus grande obéissance de la part de leurs enfants. Il existe des corrélations : les différences entre les IDH sont ainsi associées aux différents milieux (familial, scolaire, travail, gouvernement et le domaine des idées répandues dans ce pays).

Familial : dans un environnement de distance hiérarchique élevé, les enfants doivent obéir aux parents, les plus jeunes aux plus grands. L'indépendance n'est pas encouragée et le respect des parents est une vertu fondamentale qui persiste jusqu'à l'âge adulte ; l'autorité parentale joue un rôle tant que les parents sont en vie : ce modèle de dépendance, par rapport aux "aînés", imprègne tous les contacts humains et la programmation mentale reflète un réel besoin de cette dépendance. Dans un contexte de faible distance hiérarchique, les enfants sont considérés comme les égaux dès qu'ils sont capables d'agir ; l'éducation des parents a pour objectif de laisser l'enfant prendre le contrôle de ses propres affaires, à faire ses propres expériences et à dire non. Quand les enfants grandissent, ils remplacent la relation parent - enfant par une relation d'égalité. Les familles ont un idéal d'indépendance personnelle, importante composante de la programmation mentale des adultes. La réalité se situe quelque part entre les deux extrêmes et démontre l'impact de la famille sur notre programmation mentale

Enseignement : l'école contribue à la programmation mentale de l'enfant et on peut se demander jusqu'à quel point le système éducatif peut contribuer à modifier une société. La relation bilatérale "Professeur - Elève" remplace alors la relation "Parent – Enfant".

Dans un contexte à forte distance hiérarchique, l'inégalité Parent - Enfant est perpétuée par l'inégalité Professeur- Elève qui répond au besoin de dépendance enraciné dans l'esprit de l'élève. Dans ce contexte, la qualité des acquisitions dépend presque exclusivement de l'excellence des professeurs.

Dans un contexte à faible distance hiérarchique, le processus d'éducation est orienté vers les élèves, qui discutent avec les professeurs, expriment leur désaccord et ne leur témoignent pas de respect particulier en dehors de l'école. La qualité des acquisitions dépend dans une très large mesure de l'excellence des élèves.

Les châtiments corporels sont plus tolérés dans les cultures à distance hiérarchique importante car ils accentuent et symbolisent l'inégalité entre enseignant et élève, tandis qu'ils sont considérés comme mauvais traitement à enfant dans les pays à faible IDH. Dans certaines cultures à faible distance hiérarchique, mais forte masculinité, comme la Grande Bretagne, le châtiment corporel ne soulève pas une indignation unanime.

Comme dans le cas précédent, la réalité se situe quelque part entre les deux extrêmes et c'est la capacité de chaque élève qui est un important élément de variation.

Lieu de travail : Dans le cadre de pays à forte distance hiérarchique les supérieurs et les subordonnés se considèrent comme inégaux par nature dans un système fondé sur une inégalité existentielle. Les relations entre subordonnés et supérieurs sont souvent chargées d'affectivité. Philippe d'Iribarne dans "La logique de l'honneur" écrit à ce sujet : "Le caractère souvent fortement émotionnel des relations hiérarchiques en France est étonnant. La diversité des sentiments envers les supérieurs est extrême : on peut les adorer ou les détester avec la même intensité". Les cultures à fort IDH assoient l'autorité d'un patron tandis que patrons et subordonnés se considèrent comme égaux par nature dans un contexte à faible IDH où les rôles peuvent être modifiés : un subordonné peut devenir demain un patron. Les signes extérieurs de pouvoir sont d’ailleurs suspect.

La distance hiérarchique et l’état :

La relation entre l'autorité et le citoyen est gérée différemment selon les pays. L'éventail politique des pays à fort IDH est caractérisé par des ailes droites et gauches très forte et un centre faible ; ce qui reflète la polarisation entre dépendance et contre dépendance. Tandis que les pays à faible IDH ont des gouvernements pluralistes et peuvent passer, de façon pacifique, d'un parti de coalition à l'autre selon le résultat d'élection démocratique.

Les institutions de pays à faible IDH sont copiées par des pays à fort IDH car les idées politiques voyagent au-delà des frontières. Mais, instaurer des élections ne va pas changer du jour au lendemain les mœurs politiques d'un pays si elles sont profondément ancrées dans la programmation mentale d'une grande partie de la population.

La distance hiérarchique et les idées :

Parents, enseignants, cadre et leaders politiques sont tous les enfants de la culture. Leur comportement ne se comprend que si l'on connaît la programmation mentale de leurs enfants, élèves, subordonnés ou administrés. Les comparaisons de dimensions, comme la distance hiérarchique, permettent d'évaluer les théories, conçues ou adoptées, dans ces pays pour expliquer ou prescrire les modes de pensée et de comportement. Les philosophes se sont toujours penchés sur les questions d'inégalité et cela imprègne encore les cultures : sous l’influence chinoise (Singapour, Hong Kong, Corée du Sud, Taiwan et Japon) les populations acceptent et apprécient l'inégalité, mais elles pensent que l'usage du pouvoir doit être modéré par le sens des responsabilités. Platon, dans la Grèce ancienne, jouait sur les deux acceptations du mot "égalité" : l'une quantitative et l'autre qualitative. Il reconnaissait le besoin d'égalité, mais le pouvoir devait être exercé par une élite. L'italien Machiavel distingue deux modèles : le renard et le lion. Pour lui, le dirigeant prudent sait les utiliser alternativement. La ruse du renard lui permettra d'éviter les pièges et la force du lion fera fuir les loups. Mais, le modèle animal suivi par les dirigeants dépend fortement du fait que ses administrés sont eux-mêmes des lions ou des renards. Karl Marx s’intéressait au pouvoir pour le donner à ceux qui en étaient écartés et semblait supposer que l'exercice du pouvoir pouvait être transférer de personnes physiques à un système. En fait, à la lumière de ce que nous savons de la tendance humaine à l'inégalité, une dictature du prolétariat est une contradiction dans les termes.

L'exportation d'idées vers d'autres pays, sans prise en compte du contexte culturel d'origine de ces idées, et de leur importation par des adeptes crédules n'est pas limitée au domaine politique ; on en voit également des exemples dans les domaines de l'éducation du management et de l'organisation.

Les origines des différences de distances hiérarchiques :

L'appartenance à un groupe de langues découle de l'histoire d'un pays ; certaines racines de notre programme mental sur la distance hiérarchique plongent deux mille ans en arrière ou quatre mille ans dans le cas de la culture chinoise (confucéenne). Les pays de langue romane (espagnol, portugais, italien, français) ont un IDH relativement élevé contrairement aux pays germanique (allemand, anglais, néerlandais, danois, norvégien, suédois) qui ont un IDH plutôt bas. Mais, on peut raisonnablement estimer que les premières expériences en matière de gouvernement ont contribué à développer chez ces peuples les programmes mentaux communs nécessaires à la survie de leur système social et politique. Trois critères permettent d'estimer assez justement l'IDH d'un pays

· la latitude (plus les pays sont éloignés de l'équateur plus l'IDH est faible). A des faibles latitudes, les sociétés agricoles trouvent une nature abondante et généreuse et la menace vient de la concurrence d'autres groupes. Les sociétés qui ont la meilleure chance de survie sont celles qui se sont organisées de façon hiérarchique et dépendent d'une seule autorité centrale qui fait régner l'ordre et l'équilibre. Aux latitudes plus élevées, la nature est le premier ennemi auquel il faut s'affronter et tout encourage l'homme à créer des industries parallèlement à l'agriculture ; les membres de ces sociétés ne sont pas trop dépendants des puissants et n'éduquent pas leurs enfants dans la dépendance.

· la taille de la population : une forte population correspond à un IDH élevé car les citoyens d'un pays très peuplé doivent accepter un pouvoir politique plus distant et moins accessible que celui d'un petit pays. On pourrait avancer une relation causale inverse : certains peuples qui ont une forte volonté d'indépendance lutteront durement pour ne pas être intégrés dans une nation plus grande.

· la richesse : plus un pays est riche plus son IDH est faible. Les facteurs associés à une plus grande richesse nationale et une plus faible dépendance sont les suivants : une agriculture moins traditionnelle, une technologie plus moderne, un développement de l'urbanisme, une plus grande mobilité sociale, un meilleur système d'éducation, un accroissement de la classe moyenne : un ensemble de facteurs dont la causalité est le plus souvent circulaire.

Les perspectives de l'évolution future des différences de distance hiérarchique :

Nous vivons une époque d'intensification sans précédent des communications internationales : cela va-t-il amener une norme mondiale ? Dans ce cas la norme sera-t-elle une distance hiérarchique faible, moyenne ou forte ? Si on constate une augmentation mondiale du désir d'indépendance, sans doute sous l'influence de la circulation des idées, on constate que ce désir n'a été accompagné d'une évolution que dans des pays où la distance hiérarchique était faible.

Les indices de l'étude IBM montrent que les extrémités de l'échelle se sont encore éloignées, l'écart s'est plutôt creusé. Combien faudra-t-il de temps pour que les Suédois et les Iraniens traitent leur Roi et leur Ayatollah de la même manière?

 

2 - INDIVIDUALISME ET COLLECTIVISME (IND) :


Les rôles respectifs de l’individu et du groupe.

L'origine des différences d'attitudes, l’individuel et le collectif dans la société, tient à un élément fondamental des sociétés humaines : les rôles respectifs de l'individu et du groupe.

Une large majorité des habitants de notre planète vit dans des sociétés où l'intérêt du groupe prime l'intérêt individuel (société collectiviste). Le premier groupe auquel nous appartenons est la famille, ou famille élargie en anthropologie culturelle. Une relation de dépendance, à la fois pratique et psychologique, s'instaure entre le groupe et chacun de ses membres.

Une minorité de personnes vit dans des sociétés ou l'intérêt individuel passe avant l'intérêt général, on parle de famille nucléaire. Dans ces sociétés individualistes, l'individu en bonne santé n'est censé dépendre d'un groupe, ni pratiquement, ni psychologiquement. A noter la situation du Japon où seul le fils aîné continue à vivre avec ses parents créant ainsi une structure linéale, qui se situe entre la famille élargie et la famille nucléaire.

Mesurer le degré d'individualisme d'une société :

L'extrême collectivisme comme l'extrême individualisme sont les pôles opposés de la seconde dimension des cultures nationales. Il est important d'établir des indices à partir d'échantillons comparables d'un pays à l'autre. Les indices ont été établis à partir de quatorze questions portant sur les caractéristiques du travail idéal.

Dans les pays riches, la formation, de bonnes conditions matérielles et la pleine utilisation des capacités sont faciles à obtenir, ce qui leur enlève beaucoup d'importance comme facteurs d'un travail idéal. Dans les pays pauvres, où elles sont beaucoup plus difficiles à obtenir, ce sont, au contraire, des éléments essentiels de différenciation entre un bon et un mauvais travail. Elles deviennent des facteurs importants. L'indice de degré d'individualisme (IND) est élevé dans les pays riches mais faibles dans les pays pauvres (l’Arabie Saoudite avec un indice faible met en lumière l'incidence des racines culturelles). L'enquête démontre qu'il existe une relation très étroite entre la richesse nationale d'un pays et le degré d'individualisme de sa culture.

Collectivisme et distance hiérarchique :

Une corrélation négative semble exister entre les deux dimensions IDH et IND. Les pays à fort indice de distance hiérarchique seraient plus collectivistes et les pays à faible distance hiérarchique plus individualiste. Dans "La logique de l'honneur", Philippe d'Iribarne décrit le principe français d’organisation de distance hiérarchique importante, comme signifiant que chacun à un rang mais que les devoirs attachés à ce rang sont moins imposés par le groupe que par la tradition "ce n'est pas tant ce que l'on doit aux autres que ce que l'on se doit à soi-même". Situation inverse en Autriche et en Israël (faible IDH et IND moyen) ; le Costa Rica est une exception qui fait écrire à Lawrence Harrisson "les Costariciens sont unis par des liens de solidarité plus étroits que leurs voisins nicaraguayens. Cette solidarité se décèle à travers l'accent mis depuis longtemps sur le système public d'éducation et de santé, la vigueur de son mouvement coopératif, l'impartialité remarquable et la qualité des procédures de son système judiciaire (surtout par rapport aux normes latino-américaines) et enfin à travers la flexibilité de son système politique, sa capacité à trouver des solutions pacifiques et à recourir au compromis". Mais, l'une des raisons de cette corrélation entre distance hiérarchique et collectivisme tient à un troisième facteur : le développement économique. Ceci conforte l'idée que la distance hiérarchique et le degré d'individualisme/collectivisme ne sont pas une dimension unique.

Degré d'individualisme et occupation professionnelle :

Dans une sélection par occupation professionnelle, l'importance accordée au challenge va de pair avec celle accordée à l'utilisation des capacités. Dans une sélection par pays, ces degrés d'importance sont inversés ; dans une sélection par emploi "temps personnel" et "challenge" obtiennent des scores inverses alors que ces facteurs se renforcent mutuellement par pays. L’équipe du psychologue américain, Frédéric Herzberg, fait la distinction entre les facteurs intrinsèques qui sont les réels éléments de motivation au travail, tandis que les facteurs extrinsèques ne sont que "l’hygiène psychologique" du travail. Cependant si cette distinction est utile pour classer les cultures des différentes catégories d'emplois, elle n'est pas valable pour une comparaison entre pays.

Individualisme et collectivisme dans la famille :

La relation entre l'individu et le groupe, comme les autres éléments fondamentaux de la culture, s'apprend d'abord dans le cadre familial. Il existe une corrélation entre le degré de collectivisme et la probabilité qu'un fils ait le même métier que sont père alors que dans les sociétés plus individualistes, les probabilités qu'un fils de travailleur manuel accède à une profession non manuelle (ou l'inverse) sont plus forte. Dans la plupart des cultures collectivistes, l'affrontement direct avec une autre personne est considéré comme grossière car il s'agit de savoir maintenir l'harmonie dans son environnement. Dans les cultures individualistes, l'affrontement peut être salutaire, car la confrontation des opinions est considérée comme un des chemins vers la vérité; le conflit est un élément normal de la vie familiale qu'il faut apprendre à gérer. Dans la famille collectiviste, les enfants apprennent à calquer leurs opinions sur celles des autres, les idées sont prédéterminées par le groupe. Dans la famille individualiste, on encourage les enfants à se faire leurs propres opinions et l'enfant qui ne fait que refléter les opinions des autres est considéré comme d'un tempérament faible.

La loyauté du groupe est un élément essentiel de la famille collectiviste et implique un partage des ressources tandis qu'une famille individualiste verra d'un bon œil que les enfants fassent des petits boulots pour se payer ce qu'ils souhaitent. Les Pays-Bas ont modifié le système pour que l'aide versée pour les études le soit directement aux étudiants considérés comme des agents économiques indépendant dès l'âge de dix-huit ans.

Les obligations envers une famille collectiviste sont aussi rituelles ; la présence aux fêtes familiales est d'une extrême importance.

Dans une culture individualiste la communication est verbale, même si les conversations sociales sont d'une banalité affligeante, elles sont obligatoires. Dans une culture collectiviste, le fait d'être ensemble est suffisant en soi, il n'est pas absolument nécessaire de parler. L'anthropologue Edward T. HALL fait une distinction entre les cultures d'après leur mode de communication. Dans une communication à contexte fort il n'est pas nécessaire de dire ou d'écrire beaucoup puisque l'essentiel est soit dans l'environnement physique soit dans la personne mais, très peu dans la partie explicite du message. Dans le contexte faible, l'essentiel de l'information est contenu dans le code explicite : les contrats d'affaire américains sont beaucoup plus longs que ceux des japonais (HALL, 1976).

Un autre concept des familles collectivistes est celui de la honte qui est un sentiment de nature sociale contrairement à la culpabilité qui est un sentiment de nature individuelle. En effet, si un membre d'un groupe a enfreint les règles, c'est le groupe tout entier qui aura un sentiment de honte, par le fait que cette infraction soit connue par l’extérieur du groupe. La culpabilité est elle, ressentie par l'intéressé, que son acte soit connu ou non. La famille collectiviste accorde une grande importance à la notion de face, ce qui est révélateur d'une société qui est très consciente des contextes sociaux. C'est le respect de soi qui caractérise la société individualiste.

Les sociétés collectivistes créent des liens pseudo-familiaux, comme jadis au Japon où les cadets des familles devenaient apprentis chez des artisans par le biais d'une forme d'adoption.

L'individualisme et le collectivisme dans l'enseignement :

Dans la classe de type collectiviste les vertus de l'harmonie et la nécessité de garder la tête haute (la face) règne en maître. Il suffit de faire honte, d'invoquer l'honneur du groupe : les élèves sont traités comme faisant partie d'un groupe, jamais comme individu isolé. Dans la classe individualiste, les élèves s'attendent à être traités de façon individuelle et impartiale, les confrontations et les conflits réglés au grand jour sont souvent considérés comme salutaires. Le but étant de préparer l'individu à prendre sa place dans la société composée d'autres individualités ; il n'a jamais fini d'apprendre, cela continu après l'école par l'université, le recyclage et la formation continue. On lui apprend comment apprendre alors que la société collectiviste considère qu'apprendre n'a qu'un temps, celui de la jeunesse, qui doit apprendre comment faire les choses pour participer à la vie en société.

Le rôle des diplômes et des certificats comme sanction des études est, lui aussi, différent : dans la société individualiste, il augmente la valeur économique de son détenteur, mais également sa fierté. Dans une société collectiviste, le diplôme est un honneur pour celui qui le reçoit et pour le groupe auquel il appartient. Ce diplôme permettra de frayer avec des membres d'un groupe au statut plus élevé et par exemple d'y trouver un conjoint.

L'individualisme et le collectivisme sur le lieu de travail :

Dans une culture collectiviste, un employeur embauche une personne qui appartient à un groupe, à sa famille, aux familles des salariées. Le lieu de travail peut, à son tour, devenir un groupe auquel on s'identifie ; les mauvaises performances d'un salarié ne sont pas une raison suffisante pour le mettre à la porte : on ne renvoie pas son enfant... Ce sont parfois les syndicats qui font office de groupe d'appartenance.

Dans la culture individualiste, on n'aime pas embaucher dans la famille, cela peut engendrer du népotisme. L'embauche est considérée comme une relation commerciale sur le "marché du travail". Le management est individualisé, incitation et prime sont liées aux performances. Dans une société collectiviste, au contraire, il s'agit d'un management de groupe ; les facteurs qui permettent une bonne intégration à une équipe de travail, les origines ethniques, par exemple, jouent un rôle important. Dans des pays où la culture dominante est celle de la classe moyenne individualisée, des sous cultures régionales ont parfois conservé des éléments fortement collectivistes. Les ouvriers immigrés font partie d'une minorité collectiviste dans une culture individualiste et forment une majorité dans la main d’œuvre de certaines industries. Un conflit culturel est alors possible. Les techniques de management et les programmes de formation professionnelle sont presque exclusivement élaborés dans des pays individualistes et les hypothèses risquent de ne pas s'appliquer à des sociétés collectivistes. Les entretiens d'évaluation sont considérés comme l'une des aptitudes clés du cadre performant mais discuter des résultats franchement avec un subordonné reviendrait à rompre avec l'harmonie : le subordonné aurait le sentiment de perdre la face. Dans ce cas, on préfère utiliser des moyens détournés, supprimer un avantage normal et faire appel à un intermédiaire, par exemple un membre de sa propre famille.

Les groupes de sensibilisation des années 60, les groupes de rencontre des années 70 et l'analyse transactionnelle des années 90 sont tous venus des Etats-Unis et ne conviennent évidemment pas à une culture collectiviste où ce genre de sensibilisation fait preuve d'insensibilité : la vie quotidienne est faite de rencontres, on ne voit pas l'utilité de former des groupes spéciaux pour se rencontrer…

Dans une société collectiviste la relation personnelle l'emporte sur l'affaire à traiter et doit être établie prioritairement ; dans la société individualiste l'affaire à traiter est censée l'emporter sur toutes les relations personnelles.

L'individualisme, le collectivisme et l’état :

Moins le programme mental personnel est individualiste, plus il y a de chances que l’état joue un rôle dominant dans le système économique. L'indice de la liberté de la presse, établi par des politologues, est parfaitement corrélé avec l'IND. Philippe SCHMITTER, politologue américain, a établi un indice de "corporatisme social" qui correspond à un système politique où les groupements d'intérêt, en particulier dans le domaine des relations du travail, sont représentés par des associations déclarées auxquelles l’état a conféré le monopole de représenter ces intérêts. L'indice de corporatisme sociétal est corrélé de manière significative avec le collectivisme et plus fortement encore avec la distance hiérarchique. Mais Schmitter a montré que les pays riches à tendance collectiviste accordent plus de pouvoir politique formel aux groupements d'intérêts bien organisés et que plus la distance hiérarchique est forte, moins ces groupements sont nombreux. Emmanuel TODD a élaboré une théorie sur le lien entre la structure de l’état et la structure familiale et s'inscrit ainsi dans une tradition intellectuelle qui remonte à Frédéric Le Play, un des philosophes politiques les plus originaux et les plus controversés du dix-neuvième siècle. TODD ne soumet pas ses postulats à une vérification statistique, mais fournit une somme de données sur les structures familiales du monde entier et montre que pour comprendre le gouvernement d'un pays il faut comprendre les familles. Par exemple, la structure familiale traditionnelle de Russie est la famille élargie exogame, modèle qu'on retrouve en Yougoslavie, Slovaquie, Bulgarie, Hongrie, Finlande, Albanie, Italie centrale, Chine, au Vietnam, à Cuba et dans l'Inde du nord. D'après lui, tous ces pays ont été attirés par le communisme parce que "c'est le transfert au parti Etat des caractéristiques morales et des mécanismes régulatoires de la famille communautaire exogame" (Todd, 1983).

L'individualisme, le collectivisme et les idées :

Les Américains sont persuadés que l'individualisme est une valeur positive alors que MAO TSE TOUNG y voyait le mal absolu. Adam Smith (1723-1790), un des fondateurs de l'économie en tant que discipline, était persuadé que la recherche par chacun de son intérêt personnel conduirait à la richesse des nations. Mais, du fait des hypothèses individualistes sur lesquelles elles sont fondées, les théories économiques occidentales ne s'appliquent probablement pas dans les sociétés où l'intérêt collectif l'emporte sur l'intérêt individuel. Le sociologue néerlandais, Cas VROOM, compare ainsi la notion de "rentabilité des capitaux investis" à la notion indonésienne de "rendement des faveurs consenties" (VROOM 1981).

En 1981, l'étude des Systèmes de Valeurs européens a collecté les données sur deux questions concernant l'égalité et la liberté (1981, Harding & Philips). Les valeurs des ratios préférence/ liberté et préférence/égalité sont corrélés, de manière significative, à l'indice d'individualisme de l'étude IBM. Plus un pays est individualiste, plus ses citoyens préfèrent la liberté à l'égalité. Par contre, ce ratio n'est pas du tout corrélé avec la distance hiérarchique.

Le degré d'individualisme ou de collectivisme d'une société a des répercussions sur la conception que cette société a de la nature humaine. Abraham MASLOW (1908-1970) a formulé sa théorie sur les "besoins humains" (1970) : la réalisation de soi-même figure en haut de la pyramide de Maslow, ce qui reste la motivation suprême d'une société individualiste ; c'est un concept de personnalité familier à la pensée occidentale mais pas universelle. Dans une société collectiviste, on réalisera ce qui est dans l'intérêt du clan, ce qui demandera un effacement de la part de nombreux membres du clan.

L'anthropologue sino-américain, Francis HSU, explique que la langue chinoise n'a pas de terme équivalent au mot "personnalité" au sens occidental du terme, le "jen" est le mot le plus approchant et il veut dire "personne" en tant que constante humaine ce qui inclut la personne, son environnement social et culturel direct qui donne un sens à son existence. (HSU 1971)

Les origines des différences entre individualisme et collectivisme :

Les anthropologues ont pu établir que de la société la plus primitive à la société la plus moderne la complexité des familles s’est d’abord accrue puis a diminué. Modernisation rime avec individualisation ; exception faite de l’Asie de l’Est ou du Japon et des nouveaux pays industriels, la Corée, Taiwan, Hong Kong et Singapour, qui ont gardé un fort collectivisme en dépit de leur industrialisation. Il y a une relation entre la richesse nationale et le degré d’individualisme, la richesse engendrant l’individualisme. Quand la richesse d’un pays augmente, ses citoyens ont accès à des ressources qui leur permettent de "faire chacun son truc personnel". Le conteur du village est, peu à peu, remplacé par des postes de télévision, la caravane du désert fait place aux autocars, la cabane du village est remplacée par une maison avec des pièces communes et privées, et dans d’autres civilisations chaque membre adulte d’une famille conduit sa propre voiture. Mais, la corrélation négative, entre individualisme et croissance économique pour les pays très riches, suggère que ce développement contient en lui-même sa destruction. Quand la richesse atteint un niveau tel que chacun peut vivre comme il l’entend, on voit apparaître des déperditions dues aux frictions, car l’économie nationale croît moins que dans les pays où les gens ont encore l’habitude de faire un certain nombre de choses ensemble. La latitude géographique est le premier indice de distance hiérarchique. Dans les pays froids ou tempérés, il y a souvent une culture individualiste car la survie de chacun dépend davantage de son initiative personnelle. Si la taille de la population est liée à la distance hiérarchique elle n’a pas de lien avec le collectivisme. Mais la croissance de la population est liée au collectivisme car elle est le résultat d’un taux de natalité élevé, valeur inculquée par des familles collectivistes plus qu’individualiste.

Les facteurs historiques comme l’influence de Confucius sur tous les pays d’Asie orientale, joue en faveur du maintien du collectivisme. Les immigrants européens qui ont peuplé l’Amérique du nord, l’Australie et la Nouvelle Zélande étaient suffisamment individualistes pour quitter leur ancien environnement et s’installer où chacun était obligé de compter sur lui-même.

Individualisme et collectivisme dans l’avenir :

Les cultures nationales ont de profondes racines et évolueront très lentement dans le domaine de l’individualisme tout comme dans celui de la distance hiérarchique. Le lien entre richesse nationale et individualisme est indéniable. Les pays qui ont connu un développement économique (comme le Japon)conservent des aspects nettement collectivistes dans la vie familiale, scolaire ou de travail. Il en va de même pour les différences entre les pays occidentaux : parallèlement à une convergence notable vers l’individualisme, les relations entre l’individu et le groupe restent différentes dans les pays comme la suède, la Grande Bretagne et l’Allemagne. Les cultures évoluent ensemble si bien que les différences perdurent.

Les différences entre les valeurs associées au collectivisme et à l’individualisme vont continuer à jouer un grand rôle dans les affaires internationales. Ces différences sont à l’origine de nombreuses incompréhensions mutuelles dans les rencontres internationales.

 

3 - FÉMINITÉ ET MASCULINITÉ :


Référence au rôle social attribué à chaque sexe suivant la culture.

L’appartenance à un sexe et les rôles qui en découlent sont des éléments incontournables de l’existence humaine. Le masculin et le féminin représentent les deux extrêmes d’un continuum définissant l’importance accordée aux valeurs de réussite et de possession (valeurs masculines) et à l’environnement social ou à l’entraide (valeurs féminines).

Si les différences biologiques et statistiques entre les deux sexes sont les mêmes partout, les rôles sociaux ne sont que partiellement déterminés par les contraintes biologiques. Chaque société assigne des comportements, non directement liés à la procréation, plus volontiers à un sexe qu’à un autre. Mea (1962) insiste sur l’infinie variété des rôles dévolus à chaque sexe. Dans la suite de ce chapitre les adjectifs masculin et féminin feront référence au rôle social, déterminé par la culture. Un homme peut se comporter de manière "féminine" et une femme de manière "masculine", cela n’indique qu’une déviation par rapport à certaines conventions de la société à laquelle il appartient. Les comportements, considérés comme "masculin" et "féminin", sont différents d’une culture à l’autre, non seulement dans les sociétés traditionnelles mais aussi dans les sociétés modernes : dans l’ex-Union Soviétique, la majorité des médecins sont des femmes, comme la majorité des dentistes en Belgique ou des commerçants en Afrique. Les secrétaires sont souvent des hommes au Pakistan et l’on trouve aux Pays-Bas une forte proportion d’infirmiers. Il n’y a pratiquement pas de femmes Chef d’entreprise au Japon alors que c’est fréquent aux Philippines et en Thaïlande.

Le rôle assumé par le père et la mère (et les autres membres dans une famille élargie) a un impact profond et indélébile sur la programmation mentale du petit enfant. Il n’est donc pas étonnant qu’une des dimensions des systèmes de valeurs nationaux soit liée aux modèles de rôles proposés par les parents.

La masculinité / féminité en tant que dimension d’une culture.

Le choix d’intituler cette seconde dimension "degré de masculinité/féminité" est venue du fait que c’est la seule dimension où les réponses des hommes et des femmes étaient différentes systématiquement.

Dans l’étude IBM, les choix associés au pôle masculin sont les suivants : la rémunération, être reconnu, l’avancement, le challenge. Les choix associés au pôle féminin sont les suivants : la hiérarchie (avoir de bonne relation), la coopération, le cadre de vie, la sécurité de l’emploi. Seront "masculine" les sociétés où les rôles sont nettement différenciés (où l’homme doit être fort, s’imposer et s’intéresser à la réussite matérielle tandis que la femme est censée être plus modeste, tendre et concernée par la qualité de la vie) ; sont "féminine" les sociétés où les rôles sont interchangeables (hommes et femmes sont supposées être modestes, tendres et préoccupés de la qualité de la vie). Dans les pays les plus féminins (Suède, Norvège, Pays-Bas, Danemark, Costa Rica, Yougoslavie, Finlande, etc.), il n’y a pas de différence entre les scores des hommes et des femmes qui expriment les mêmes valeurs de tendresse et de générosité. Dans les pays les plus masculins, (Japon, Autriche, Venezuela, Italie, Suisse, Mexique, etc.) hommes et femmes ont des valeurs ‘dures’ (masculines).

Les cultures des deux sexes :

Comme la nationalité, le sexe est une donnée involontaire et son effet sur notre programmation mentale est largement inconscient. Les éléments culturels dus au sexe ou à la nationalité ne sont pas innés, mais leur acquisition commence si tôt dans la vie que nous avons toujours vécue avec et n’imaginons pas d’alternative possible. Des femmes prises individuellement peuvent apprendre à se comporter comme des hommes et inversement. Donner à ces différences l’appellation de "cultures" accentue leur nature profonde et émotionnelle. La culture féminine est étrangère à la plupart des hommes et inversement. Le contact avec une culture étrangère déclenche souvent un choc culturel, qui est une réaction viscérale irrationnelle. Si les autres cultures nous semblent parfois, à première vue, ridicule, inquiétantes ou erronées, ce type d’impression peut exister entre les sexes à l’intérieur d’une même société.

La masculinité, la féminité et l’occupation professionnelle :

L’indice de masculinité/féminité peut s’appliquer aux occupations professionnelles. Cependant, les différences entre les valeurs associées à ces occupations ne proviennent pas du sexe de ceux qui les exercent. Les salariés d’IBM occupant des postes "féminins" ont exprimé des valeurs plus féminines que les salariés occupant des postes masculins.

La masculinité et la féminité dans la famille :

La famille, lieu des premières programmations culturelles, offre deux types de relations bilatérales : la relation parent - enfant et relation mari - femme. Les effets des différents degrés d’inégalité dans la relation parent - enfant ont été reliés à la distance hiérarchique. La répartition des rôles entre mari et femme, habituelle dans une société, se traduit par la position du pays sur l’échelle de masculinité/féminité. Par exemple, dans les pays d’Amérique Latine (inégal et dur), la norme est un "père dominant et dur " et une "mère soumise ". Le terme de "machisme" est universellement connu, mais on connaît moins le terme de "marianisme" qui est un mélange de quasi-sainteté, de soumission et de frigidité. Dans le cadre d’une distance hiérarchique élevée et culture féminine (inégal et tendre), on a les deux parents dominants partageant les mêmes soucis de la qualité de la vie et des relations. Dans les pays de culture non dominante (égal et dur) c’est le père, plutôt dur, qui s’occupe des faits et la mère moins dure ; le modèle devient que les garçons doivent s’affirmer, rendre les coups et surtout ne pas pleurer ; les filles doivent plaire et être satisfaites, elles ont le droit de pleurer mais pas celui de se battre. Enfin la partie égale et tendre, correspond à des sociétés où les deux parents sont non dominants et donnent l’exemple d’une relative égalité dans la répartition des rôles.

Dans la vie réelle, cette typologie dépend de la position du pays concerné sur l’échelle de l’individualisme/collectivisme. Dans une société collectiviste, le modèle d’autorité peut être le grand-père et le père devient modèle d’obéissance. Les sociétés ultra-individualistes abritent des familles monoparentales dont les modèles de rôles sont incomplets ou tenus par des personnes extérieures. Cette typologie permet d’insister sur l’importance de la répartition, par la société, des rôles dans la famille pour les valeurs qui sont transmises de génération en génération. Ces valeurs et comportement liés au sexe sont programmés dès notre plus jeune âge et son principalement dus au conditionnement de l’enfant par la mère, différent selon le sexe de l’enfant et la nationalité de la mère. Le degré de masculinité ne concerne pas uniquement la répartition des rôles dans la famille, mais démontre que les hommes et les femmes ont des valeurs plus dures dans les pays masculins, et plus tendres dans les pays féminins.

Dans les pays masculins, les filles sont, comme les garçons, ambitieuses même si cette ambition est parfois orientée vers la réussite de leurs frères, de leur mari ou de leur fils ; les films américains montrent fréquemment les filles dans le rôle de "cheeleaders". Les films populaires sont aux sociétés modernes ce que les mythes religieux étaient aux sociétés anciennes : ils reflètent des modèles de comportement. Les enfants apprennent à admirer les forts (Rambo et Batman).

Dans les pays féminins, les garçons comme les filles apprennent à être modestes : les comportements assurés et la recherche de l’excellence, tant appréciée des cultures masculines, sont ici facilement ridiculisés ; d’où cet adage : "comportez-vous comme tout le monde, vous êtes déjà ridicule de toute façon". On apprend aux enfants la sympathie pour l’opprimé, l’antihéros (Petzi et Mr Bumble). La répartition des rôles dans la famille n’a pas de répercussions directes sur la répartition des rôles selon le sexe dans la société. La grande liberté de choix entre différents rôles sociaux, dont jouissent les femmes dans de nombreux pays industrialisés, est un phénomène récent. Son impact sur la répartition des rôles à l’extérieur du foyer ne s’est pas encore complètement fait sentir. C’est pourquoi le degré de masculinité ou de féminité d’un pays n’est pas lié au taux d’activité des femmes en dehors du foyer. Ce taux dépend d’ailleurs plus des possibilités économiques et de la nécessité de travailler.

La masculinité et la féminité dans l’enseignement :

On transfère facilement au milieu scolaire les modèles de comportement appris dans la famille. Dans les cultures féminines, l’échec scolaire est un incident mineur et les suicides sont plus liés à un isolement relationnel ; l’étudiant moyen est considéré comme la norme et la solidarité entre élèves est une règle tacite ; le choix du métier se fait par rapport à l’intérêt qu’il porte à un domaine particulier.

Dans les cultures masculines (comme les Etats Unis), l’échec scolaire est un désastre et provoquent des suicides ; ce sont les meilleurs qui deviennent la norme et essaient de se faire remarquer en entrant en compétition ; le choix du métier se fait surtout par rapport aux possibilités de choix de la carrière.

Les cultures masculines et féminines n’ont pas les mêmes critères d’évaluation de leurs enseignants et de leurs élèves. Pour les cultures masculines, c’est le brio pour les professeurs et les résultats pour les étudiants ; les châtiments corporels (comme, par exemple, en Grande Bretagne) sont considérés comme bénéfiques au développement des garçons, moins à celui des filles. Dans les cultures féminines, c’est la gentillesse du professeur et l’adaptation sociale des étudiants qui sera pris en compte.

Il y a un indice de ségrégation, dans les études supérieures, lié statistiquement à l’indice de masculinité, au moins pour les pays industrialisés : la ségrégation est plus forte dans les cultures riches et masculines que dans les cultures riches et féminines. Un autre aspect de la ségrégation est lié au fait que les enseignants sont des hommes ou des femmes.

La masculinité et la féminité sur le lieu de travail :

Outre la différence d’appréciation entre assurance et modestie déjà évoquée, il existe des façons différentes de régler les conflits. Aux Etats-Unis et dans d’autres cultures masculines comme la Grande Bretagne et l’Irlande, on pense souvent que les conflits doivent se résoudre par une bonne bagarre et que le meilleur va gagner. Le monde industriel est régulièrement le théâtre de tels affrontements. L’encadrement évite, dans la mesure du possible, d’avoir affaire aux syndicats et le comportement de ces derniers justifie souvent cette aversion. Dans les cultures féminines, comme aux Pays Bas, on préfère venir à bout des conflits par le compromis et la négociation ; chaque pays a pour cela des outils institutionnels différents. Un autre domaine, dans lequel le contraste est frappant entre sociétés masculines et féminines, est celui de la place accordée au travail dans la vie personnelle. Une des devises des pays "masculins" pourrait être "vivre pour travailler", alors que les cultures féminines préféreraient l’expression "travailler pour vivre". Dans une culture masculine, la famille apprend aux enfants l’assurance, l’ambition, la compétition et les organisations mettent l’accent sur les résultats. Dans une société féminine, la famille enseigne aux enfants la modestie et la solidarité ; les organisations préfèrent récompenser sur une base égalitaire.

L’expression "humanisation du travail" consiste à offrir du respect et de l’avancement, d’être confronté à des challenges. C’est le principe de l’enrichissement des tâches, défendu par le psychologue américain Frederick Herzberg (1966). Dans une société féminine, humaniser un travail consiste à procurer plus d’occasions d’aide mutuelle et de contacts.

Le manager d’une société masculine est sûr de lui et prompt à décider et agressif ; les réunions sont l’occasion pour les participants de s’affirmer, de montrer combien ils avaient de qualités et les décisions sont prises par ailleurs individuellement. Dans une société féminine, le manager est moins voyant, plus intuitif et habitué à rechercher le consensus ; les réunions permettent de discuter des problèmes et d’y trouver des solutions communes.

Du fait de leurs caractéristiques culturelles, les pays masculins et féminins ne réunissent pas les mêmes secteurs d’activité. L’industrie, en particulier la production d’équipements lourds, la chimie lourde (tout ce qui demande efficacité, qualité et rapidité) sont un avantage concurrentiel dans les cultures masculines, tandis que les cultures féminines sont plus performantes dans les services de conseil, de transport ou la fabrication sur mesure de tout ce qui traite de la matière vivante, comme l’agriculture ou la biochimie. Il existe une réputation internationale suivant les préférences culturelles des populations.

Si toutes les sociétés industrielles ont connu ces dernières décennies une augmentation régulière du travail féminin, on note que cette évolution s’est faite indépendamment du type de culture, bien qu’on trouve plus de femmes ambitieuses dans les sociétés masculines.

La masculinité, la féminité et l’état :

Les modes de pensée des citoyens ordinaires se retrouvent, bien sûr, chez les leaders politiques qui sont les enfants de leurs pays. Les politiciens traduisent les valeurs dominantes de leur pays en priorité politiques, qui sont elles-mêmes reflétées par les budgets. Selon la dimension de masculinité/féminité, seront privilégiés la rétribution des forts ou la solidarité avec les faibles, la croissance économique ou la protection de l’environnement, les dépenses d’armement ou l’aide aux pays pauvres. Les pays masculins privilégient une société de la réussite, les pays féminins une société de partage. En suède, il est considéré comme important d’assurer une qualité de vie minimum pour chacun. Aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, nombreux sont ceux qui estiment que les pauvres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes pour la dureté de leur sort. Les cultures masculines sont moins permissives que les cultures féminines. L’étude des systèmes de valeurs européens, à partir de sondage d’opinion dans neuf pays (1981), a permis d’établir un indice national de permissivité. L’indice obtenu est fortement corrélé avec la féminité. Le rapport du Club de Rome, sur les "Limites de la croissance" paru en 1972, a déclaré officiellement pour la première fois que la poursuite de la croissance économique et la protection de notre environnement sont des objectifs antinomiques. Les gouvernements des sociétés masculines donneront plus vraisemblablement la priorité à la croissance, ceux des pays féminins seront plus enclins à faire des choix inverse. Le choix entre croissance et environnement est déjà une source de conflit ; or l’établissement d’un marché unique passe aussi par l’unification des réglementations en matière d’environnement. Ce dernier thème sera une des pierres d’achoppement des futures négociations. Les dépenses d’armement en pourcentage du PNB sont positivement corrélées avec le degré de masculinité. Les pays masculins ont tendance à essayer de résoudre les conflits internationaux par la force, les pays féminins par le compromis ou la négociation.

La masculinité, la féminité et les idées :

Dans l’histoire de la pensée humaine, le problème de l’égalité ou de l’inégalité des sexes est aussi vieux que la religion, l’éthique et la philosophie. Platon, propose dans La République un état idéal gouverné par une élite composée d’hommes et de femmes. Dans la réalité des faits, l’état grec était dominé par les hommes, tout comme l’empire romain. Dans les pays majoritairement chrétiens, le pourcentage de catholiques romains est corrélé avec l’indice de degré de masculinité. L’Eglise catholique romaine maintient fermement la prérogative masculine sur la prêtrise. Platon et Rufus étaient plus proches des positions féministes modernes que l’Eglise d’aujourd’hui. Dans les pays masculins, Dieu est plus important. Il est le Père, Il est masculin. L’importance de Dieu et de la masculinité sont tous deux corrélés avec l’affirmation du respect des Dix Commandements purement religieux (pas d’autre Dieu, honorer le nom de Dieu, respecter le repos hebdomadaire) plutôt qu’avec les commandements d’ordre sexuel (pas d’adultère ou de convoitise de la femme du voisin) et encore moins avec les commandements moraux (honorer ses parents, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas faire de faux témoignage, ne pas convoiter les biens du voisin). C’est donc essentiellement la signification émotionnelle du nom de Dieu qui est fortement marquée dans les cultures masculines. Cette étude révèle que les femmes de tous les pays sont plus religieuses que les hommes, surtout les femmes qui n’ont pas de travail rémunéré. La relation entre l’ampleur du féminisme dans un pays et le degré de masculinité de ce pays est complexe et ambiguë.

Les origines des différences de masculinité / féminité :

L’anthropologue Margaret Mead avait constaté d’énormes différences de répartition des rôles parmi les tribus de Nouvelle- Guinée, voisines les unes des autres. L’histoire et la tradition sont à l’origine de la survivance de rôle très divers. Les cultures féminines sont plus fréquentes dans les climats tempérés ou froids, ce qui laisse supposer qu’une association entre hommes et femmes améliore les chances de survie et de croissance. La concentration de cultures féminines dans le Nord-Ouest de l’Europe renvoie à des facteurs historiques communs. Les élites de ces pays étaient des marchands et des marins professions qui nécessitent de bonnes relations interpersonnelles ; la période Viking a correspondu à une gestion des villages par les femmes pendant les longs voyages.

Les pays d’Amérique latine ont des degrés de masculinité très différents : les petits pays d’Amérique centrale sont féminins, tandis que le Mexique, le Venezuela, la Colombie et l’Equateur sont très masculins ; le Pérou et le Chili sont plus féminins. Cela s’explique par l’héritage des différentes civilisations indiennes qui ont précédé la domination hispanique. Le Mexique aurait hérité de la rude culture aztèque, tandis que le sud du pays et l’Amérique centrale seraient les héritiers de la culture maya, plus tendre. le Pérou et le nord du Chili refléteraient l’héritage inca, proche de l’héritage maya.

L’évolution future des différences de masculinité/féminité :

La relation entre le degré de masculinité et l’âge est assez élevée et universelle. Les jeunes hommes, entre vingt et vingt-neuf ans, ont des valeurs fortement masculines, tandis que les jeunes femmes modérément. Les hommes plus âgés (cinquante à cinquante-neuf ans) ont des valeurs nettement féminines. Entre vingt-cinq et cinquante-cinq ans, hommes et femmes abandonnent leurs valeurs masculines. Cette tendance générale concorde avec la constatation que les jeunes ont des centres d’intérêt plus technique (plus masculins) alors que leurs aînés ont des centres d’intérêt plus sociaux. Le vieillissement de la population va entraîner une féminisation des valeurs. L’accroissement du nombre de femmes à des postes jusqu’ici tenus par des hommes devrait également contribuer à une évolution des sociétés vers des valeurs plus féminines. L’automatisation des tâches va encore progresser et ne resteront que les emplois qui ne peuvent pas être automatisés : les postes de décideurs, les emplois qui font appel à la créativité, et tous ceux qui ont trait à la sécurité, la défense et l’entretien. Ceux dont l’essence tient aux contacts humains (encadrer, divertir, tenir compagnie, soigner, aider matériellement et spirituellement, motiver pour apprendre, etc...). Le développement des techniques favorise une augmentation du besoin des valeurs féminines dans la société.

 

4 - L’INDICE DE CONTROLE DE L’INCERTITUDE (ICI) :


Ce qui est différent est dangereux.

Le contrôle de l’incertitude est un terme emprunté à la sociologie américaine des organisations et, en particulier, aux travaux de l’économiste américain James G. MARCH. Une trop grande incertitude engendre une anxiété intolérable et chaque société a élaboré des moyens d’alléger cette anxiété, par la technologie, les lois et la religion. La technologie aide à pallier les incertitudes causées par la nature. Les règles et les lois cherchent à éviter les incertitudes liées au comportement d’autrui. La religion aide à accepter les incertitudes face auxquelles nous sommes désarmés. Malgré la disponibilité des mêmes informations, presque partout dans le monde, les technologies, les lois et les religions sont toujours différentes. Le sentiment d’incertitude est acquis et résulte d’un apprentissage. Puis, il est transmis et renforcé par les institutions de base de la société que sont la famille, l’école et l’état. Ses racines plongent dans l’irrationnel.

Mesure du degré de tolérance de l’ambiguïté : l’indice de contrôle de l’incertitude :

L’indice de contrôle d’incertitude d’un pays est l’expression du niveau d’anxiété qui existe dans une société donnée face à un avenir incertain. Ce niveau d’anxiété fait partie de la programmation mentale des membres de cette société dans leur famille, à l’école, puis dans leur vie d’adulte. Le degré de contrôle d’incertitude d’un pays mesure donc le degré d’inquiétude de ses habitants face aux situations inconnues ou incertaines. Ce sentiment s’exprime, entre autres, par le stress et le besoin de prévisibilité : un besoin de règles, écrites ou non.

Contrôle de l’incertitude et anxiété :

L’anxiété ne doit pas être confondue avec la peur qui a un objet bien précis (on a peur de quelque chose mais l’anxiété n’a pas d’objet). Emile Durkeim avait observé que les taux de suicide étaient étonnamment stables, dans un même pays ou une même région, d’une année à l’autre. Un taux de suicide élevé est l’une des conséquences d’un taux d’anxiété élevé dans une société. Richard Lynn, psychologue irlandais, a mené une enquête dans dix-huit pays sur les phénomènes liés à l’anxiété. Il a découvert une corrélation entre un certain nombre d’indicateurs : le taux de morts par suicide, l’alcoolisme, le taux d’accidents mortels et le pourcentage de prisonniers, ou d’autres indicateurs comme la consommation de caféine, la ration moyenne de calories absorbées, le taux de décès par maladies coronariennes et la fréquence de psychoses chroniques. Lynn a calculé un indice d’anxiété pour chacun des dix-huit pays. Les indices les plus élevés étaient ceux de l’Autriche, du Japon et de la France ; les plus faibles ceux de la Nouvelle-Zélande, de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. Certaines cultures sont plus anxieuses que d’autres.

Les cultures les plus anxieuses sont souvent les plus expressives ; seul, le Japon semble être une exception à la règle. Mais les Japonais ont un exutoire dans les beuveries, entre collègues, qui sont une façon, tout à fait institutionnalisée, de libérer l’anxiété. Dans les pays à faible contrôle de l’incertitude, le niveau d’anxiété est relativement bas. Selon l’étude de Lynn, on y constate plus de morts par maladies coronariennes. Cela peut s’expliquer par un degré d’expressivité moins élevé : le stress ne peut pas s’exprimer extérieurement, il est intériorisé ce qui peut déclencher des problèmes cardio-vasculaires. Lynn explique le grand nombre de patients atteints de psychoses, dans les pays à faible taux d’anxiété, par l’absence de stimuli mentaux dans ces sociétés : des stimulants comme le thé et le café y sont consommés en quantité, la consommation moyenne d’alcool (effet de relâche) est faible. Dans les pays scandinaves, beaucoup d’hommes s’adonnent à la boisson de façon périodique et restent sobres entre ces courtes périodes où l’alcool tient lieu de stimulant ;

Dans les pays à fort contrôle de l’incertitude, les gens sont plutôt remuants, émotifs, agressifs et actifs. Dans les pays à faible contrôle de l’incertitude, ils donnent l’impression d’être calmes, décontractés, retenus, indolents.

L’étude réalisée sur les systèmes de valeurs des Européens (1981), a utilisé l’échelle d’équilibre de l’affect de Bradburn, un indicateur général du bien-être subjectif. Dans les pays à fort contrôle d’incertitude, les gens se sentent en moyenne moins bien, ce qui est une façon d’exprimer l’élément d’anxiété présent dans le contrôle de l’incertitude.

Contrôle de l’incertitude et contrôle du risque :

Il ne faut pas confondre contrôle de l’incertitude et contrôle du risque : l’incertitude est au risque ce que l’anxiété est à la peur. Le risque, comme la peur, se rattache à quelque chose de précis. L’incertitude et le risque sont des sentiments diffus. Plus qu’à réduire le risque, le contrôle de l’incertitude cherche à diminuer l’ambiguïté. Les cultures à fort indice de contrôle de l’incertitude cherchent à structurer leurs institutions, leurs entreprises et même les relations humaines.

Le contrôle de l’incertitude dans la famille :

Les cultures qui ont un fort degré de contrôle de l’incertitude ont besoin de catégories de gens dangereux contre lesquelles elles ont à se défendre. Leurs enfants apprennent que certaines idées sont bonnes et d’autres tabous. Les sociétés modernes sont pleines de tabous qui se transmettent de génération en génération par la famille.

Dans les cultures à faible ICI, les normes sont exprimées en termes simples : être poli et être honnête ; les comportements déviants ne sont pas nécessairement ressentis comme menaçants. Les normes en matière de coiffure, vêtement et langage sont peu contraignantes et les enfants doivent traiter tout le monde sans tenir compte de l’apparence. La tendance à un degré élevé de contrôle de l’incertitude peut se résumer à ce qui fait le credo de la xénophobie : "ce qui est différent est dangereux" et pour les cultures dont le besoin de contrôle de l’incertitude est faible à "ce qui est différent est curieux" ; entre les deux la moyenne pourrait être ‘ce qui est différent est ridicule". Si les enfants apprennent dans leur famille que les autres sont dangereux, cela peut se retourner contre la famille elle-même. Les enfants peuvent plus tard avoir des sentiments négatifs envers leur famille.

Le contrôle de l’incertitude dans l’enseignement :

"L’International Teacher Program" était un séminaire destiné à environ une vingtaine de nationalités différentes. La plupart des Allemands souhaitaient, conformément aux pays à fort ICI, des situations d’apprentissage structurées, avec des objectifs précis, des sujets détaillés et un emploi du temps strict. Ils aiment les situations dans lesquelles il n’y a qu’une seule réponse correcte à trouver ; ils souhaitent que l’on récompense l’exactitude. Les Britanniques par contre, aiment les situations d’enseignement ouvertes avec des objectifs vagues, des sujets généraux et pas d’horaires stricts. Ils sont incapables d’envisager qu’il n’y ait qu’une seule réponse correcte et souhaitent que l’on récompense l’originalité (faible ICI).

Les étudiants à fort ICI attendent de leurs professeurs qu’ils soient des experts, munis de toutes les réponses. Les étudiants n’expriment pas leur désaccord intellectuel avec leur professeur. Les étudiants à faible ICI préfèrent les professeurs qui utilisent un langage aisément compréhensible et les ouvrages qui expliquent les sujets difficiles en termes simples. Les différences d’opinion sur des sujets académiques sont considérées comme des exercices stimulants.

Dans les cultures à fort ICI, les parents sont parfois convoqués par les enseignants, rarement consultés : les enseignants sont censés savoir, pas les parents. Dans les pays à faible ICI, certains enseignants essaient d’impliquer les parents dans le processus d’apprentissage des enfants et leur demandent de donner leurs idées.

Le contrôle de l’incertitude sur le lieu de travail :

Dans les pays à faible contrôle de l’incertitude, comme les Etats Unis, la Grande-Bretagne ou la Suède, cadre et non cadre sont tous mal à l’aise face aux règles rigides. Dans les pays à fort contrôle de l’incertitude, comme les pays latins, c’est l’absence de règles qui est déstabilisante. Dans les deux cas, les attitudes découlent d’un besoin psychologique profond lié au contrôle de l’agression et à la sécurité face à l’inconnu.

Dans les pays à fort ICI, de nombreuses lois, formelles et informelles, contrôlent les droits et devoirs des employeurs et des salariés. De nombreux règlements internes contrôlent le processus de travail. Ce besoin de lois et de règles n’est pas fondé sur une logique formelle mais émotionnelle, d’ordre psychologique. Les membres de ces sociétés ont été programmés, depuis leur petite enfance, à se sentir à l’aise dans des environnements structurés : ce qui se passe réellement est moins important que la satisfaction de ce besoin. Philippe d’Iribarne remarque, que dans l’usine française il existe "une règle rigide, une pratique molle". Par contre, les pays à faible ICI, ont une aversion émotionnelle pour les règles formelles. Les règlements ne sont établis qu’en cas d’absolue nécessité, comme par exemple déterminer si on circule à droite ou à gauche de la chaussée. Le comportement est fondé sur une habitude collective renforcée par le contrôle social.

Dans le monde du travail, le degré d’anxiété conduit à des différences notoires de comportement. Dans les pays à fort ICI, les gens aiment travailler dur : on se presse car le temps c’est de l’argent. Dans les pays à faible ICI, les gens sont capables de travailler dur s’il le faut, mais ils aiment se détendre et le temps est le cadre qui permet de s’orienter.

Le besoin émotionnel de règles, typique des sociétés à fort contrôle de l’incertitude, peut déboucher sur des qualités de précision et de ponctualité.

Le Français Jacques Horovitz a réalisé une étude sur le contrôle exercé par la direction générale dans les entreprises françaises, allemandes et britanniques. Les patrons anglais se préoccupent plus de la stratégie que du fonctionnement quotidien, mais c’est l’inverse en France et en Allemagne (Horovitz, 1980). Les problèmes stratégiques, non structurés par définition, demandent une plus grande tolérance de l’ambiguïté que les problèmes opérationnels. Dans la mesure où ils tolèrent plus facilement les comportements déviants, les pays à faible ICI sont un terrain plus propice aux innovations. Mais, ils semblent perdre leur avantage lorsqu’il s’agit de développer ces innovations jusqu’à leur complète réalisation. La Grande-Bretagne a remporté plus de prix Nobel que le Japon, mais ce dernier a mis plus de nouveaux produits sur le marché. Il y a ici, entre les cultures innovatrices et les cultures technicienne, des possibilités de synergie; les premières fournissant les idées et les secondes les réalisant.

Le contrôle de l’incertitude et l’état :

Dans les pays à fort ICI, les lois sont plus précises et plus nombreuses que dans ceux à faible ICI. L’Allemagne, par exemple, a prévu des lois pour le cas où toutes les autres lois ne peuvent être appliquées (Notstandsgesetze), tandis que la Grande-Bretagne n’a même pas de constitution écrite. Dans les pays à fort ICI, les citoyens se révèlent pessimistes quant à leurs possibilités d’influer sur les décisions prises par les autorités et n’envisagent que des moyens conventionnels pour protester. Les actions les plus extrêmes doivent être sévèrement réprimées par le gouvernement. Les fonctionnaires des pays à fort ICI ont une vision souvent négative de la politique et des politiciens. Les citoyens de ces pays sont obligés d’avoir leur carte d’identité sur eux, pour pouvoir en permanence justifier leur identité. Ces pays ont tendance à être plus conservateurs, même au sein de partis qui se disent progressistes et comptent plus de partisans du maintien de l’ordre ; leur paysage politique contient plus souvent des minorités extrémistes et ils ont tendance à interdire les groupes politiques dont les idées sont considérées comme dangereuses.

Les citoyens de pays à faible ICI pensent qu’ils sont capables de participer aux décisions politiques au niveau local. Ils se disent prêts à protester contre les décisions gouvernementales, et à employer les grands moyens en cas d’échec d’actions modérées. Ils se sentent plus compétents et accordent plus de confiance à leurs institutions. La charge de la preuve de l’identité d’un citoyen incombe aux autorités.

Le sentiment d’une population, par rapport aux autres, découle d’un certain nombre de facteurs historiques, mais ils ont aussi une composante de confiance ou de méfiance. Les pays à fort ICI font plutôt preuve de méfiance et les pays à faible ICI font preuve de confiance.

Les pays qui ont constitué l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne, l’Italie et le Japon ont tous trois un fort ICI, plus un fort indice de masculinité. Le fascisme et le racisme trouvent un terrain plus fertile dans les pays à fort degré de contrôle de l’incertitude et de masculinité. Paradoxalement, cette même combinaison de valeurs a contribué après-guerre au miracle économique du redressement. Les faiblesses d’une culture peuvent, dans certaines situation faire sa force.

Les conséquences du degré de contrôle de l’incertitude sur une société dépendent aussi de son degré d’individualisme ou de collectivisme. Les pays individualistes à fort ICI ont besoin de lois explicites et écrites, tandis que les pays collectivistes à fort ICI ont souvent des règles implicites, enracinées dans la tradition.

La façon dont une population ou un gouvernement gère les conflits est un phénomène d’ordre culturel. Les pays avec un fort ICI et un fort collectivisme (ex : pays arabes, Iran, Turquie, l’ex-Yougoslavie, Israël et les pays d’Afrique) auront tendance à éliminer les conflits intergroupes en les niant et en essayant soit d’assimiler les minorités, soit de les réprimander. Les pays à fort ICI et individualiste sont souvent le théâtre d’un antagonisme considérable entre les groupes ethniques, religieux ou linguistiques, mais l’universalisme de l’Etat individualiste essaie de garantir les droits de chacun. Les pays à faible ICI et individualistes essaient d’intégrer activement les minorités et leur garantir des droits égaux, exception faite de l’Afrique du Sud.

Le contrôle de l’incertitude, la religion et les idées :

Les croyances religieuses nous aident à accepter des incertitudes. Les pays orthodoxes et catholiques romains ont un indice ICI élevé. Les pays juifs et musulmans ont des indices moyens, et les pays protestants un indice faible ; les religions orientales un indice allant de moyen à faible. Pour l’établissement d’une relation entre le contrôle de l’incertitude et la croyance religieuse, il est préférable de distinguer les religions occidentales des religions orientales. La différence entre les sociétés à fort et faible degré de contrôle de l’incertitude réside dans le degré de certitude exigé par rapport à cette Vérité. Dans les cultures à fort ICI, le credo est "il n’y a qu’une seule Vérité et nous la possédons" alors que dans les cultures à faible ICI on croit aussi à la Vérité mais le besoin d’être seul à la détenir n’est pas aussi fort "Il n’y a qu’une seule Vérité et nous la cherchons". La confession est une pratique des cultures à fort degré de contrôle de l’incertitude. La confession est un moyen de préserver la règle et rejeter la faute sur la personne. Dans l’Eglise catholique romaine, cette pratique est relativement "douce", mais le communisme militant de l’Union soviétique à l’époque de Staline en avait fait un show public. Dans les sociétés à faible ICI, on aura plutôt tendance à modifier une règle s’il est évident qu’elle ne peut être respectée. Dans le domaine de la philosophie et des sciences, les pays à fort ICI donneront naissance à des systèmes philosophiques universalistes : en Europe, la France et l’Allemagne ont produit plus de grands philosophes que la Grande-Bretagne et la Suède. Les pays à faible ICI ont su tirer des conclusions de l’observation et de l’expérimentation plutôt que de la réflexion (comme Newton, Linné et Darwin).

Les origines des différences de contrôle de l’incertitude :

Les pays qui ont connu la domination romaine ont tous un indice de contrôle de l’incertitude élevé ; par contre, les pays de langue chinoise ont un ICI beaucoup plus faible. Ces deux empires étaient des Etats forts, mais très différents sur le chapitre des lois. L’empire romain avait élaboré un système de lois très codifié. L’empire chinois n’a jamais connu le concept de loi, mais un gouvernement par les hommes, que l’on peut opposer au système romain de "gouvernement par la loi".

L’évolution future des différences de contrôle de l’incertitude :

Quand le niveau d’anxiété monte dans un pays, le contrôle de l’incertitude augmente ; cela se traduit par une montée de la xénophobie, de l’intolérance des fanatismes religieux et politiques. Le gouvernement passe aux mains de fanatiques qui peuvent entraîner le pays dans la guerre qui va concerner d’autres pays qui n’avaient peut-être pas le même fanatisme mais où le degré d’anxiété va monter du fait de la guerre. Après la guerre le degré d’anxiété va baisser, alors la tolérance s’accroît et ensuite au bout de quelques années le processus s’inverse.

Les processus économiques jouent aussi leur rôle : les pays dont l’économie fonctionne bien génèrent moins d’anxiété que ceux qui perdent du terrain sur le plan économique ou sont lourdement endettés.

Contrôle de l’incertitude, distance hiérarchique et motivation :

Frederick Herzberg oppose la motivation et l’hygiène : toute situation de travail contient des éléments qui ont un potentiel de motivation positif et d’autres dont le potentiel est négatif. Parmi les facteurs motivants on peut citer le travail, le besoin de réussite, de reconnaissance de ses mérites par les autres, de responsabilité, d’avancement : soit les éléments "intrinsèques" du travail. Les facteurs d’hygiène, qui doivent exister pour empêcher la démotivation : la politique de l’entreprise, l’encadrement, le salaire et les conditions de travail, soient les éléments extrinsèques. Pour Herzberg c’est le contenu du travail, et non le contexte qui incite l’homme à agir.

Pour Sigmund FREUD nous sommes poussés à agir par le subconscient. Notre moi essaie de contrôler ces forces. Mais, il est lui-même soumis à l’influence d’un censeur interne et inconscient. Ce sur-moi se développe au cours de l’enfance essentiellement sous l’influence des parents. Freud était autrichien et l’Autriche conjugue une faible distance hiérarchique et un fort degré de contrôle de l’incertitude, autrement dit un fort besoin de règle, mais pas de dépendance psychologique par rapport à un supérieur. Ce concept reflète un modèle culturel particulier et n’aurait pu apparaître aux Etats-Unis où le degré de contrôle de l’incertitude est moins élevé. Le sur-moi n’est jamais devenu un concept très populaire auprès des psychanalystes américains.

En Autriche et dans d’autres pays les règles qui font partie de ce qu’Herzberg appelle "la politique de l’entreprise" ne devraient pas être considérées comme étant "seulement de l’hygiène". Renforcées par le sur-moi (ou en langage courant le sens du devoir) elles peuvent devenir des facteurs réellement motivants. Dans les pays où la distance hiérarchique est forte, la dépendance par rapport à quelqu’un de plus puissant est un besoin fondamental qui peut être réellement motivant. La théorie Herzberg est culturellement biaisée et reflète la partie de l’environnement américain dans lequel son auteur à grandi et effectué ses recherches.

 

VI) Commentaires :

La lecture du livre de G. Hofstede, montre l’importance de l’origine culturelle et à quel point la culture est un phénomène fondamental. Elle imprègne notre quotidien : la façon dont nous vivons, dont nous avons été élevés et élevons nous même nos enfants, dont nous nous dirigeons et sommes dirigés, jusqu’à notre façon de mourir. Elle affecte aussi les théories que nous élaborons pour expliquer nos habitudes. Rien dans nos vies n’échappe à l’influence de la culture.

L’étude IBM, basée sur un questionnaire élaboré par des cerveaux occidentaux, porte en elle ses propres limites qui sont dues aux origines culturelles des chercheurs. En effet, la logique des sociétés n'est pas celle de l'observateur individuel. En cela une étude de Michael Harris Bond à eu le mérite de montrer l'influence totale de la culture : même les chercheurs qui étudient la culture sont mentalement programmés par leur propre cadre culturel. Bertrand Russel, philosophe anglais, attire l’attention sur le fait que les résultats d’une étude scientifique dépendent du chercheur dans des proportions dont il n’est pas toujours conscient et qu’il "faut sans cesse se redire qu’un chercheur unique ne peut à lui tout seul faire le tour d’un domaine d’investigation" (B. Russel, An Outline of Philosophie). Leurs expériences constituent le matériau sur lequel se fondent leurs pensées et leurs écrits ; ils sont donc aussi sujet à des a priori culturels. Connaître cette programmation culturelle permet de comprendre les distorsions culturelles que nous sommes amenés à faire dans notre analyse.

Michael BOND, professeur à l’Université chinoise de Hong Kong, a établi, afin d’éviter cette distorsion culturelle, un questionnaire délibérément non-occidental et inspiré par la culture chinoise. Ce questionnaire portait sur l’importance relative des valeurs. Les réponses peuvent fournir une interprétation orientale aux quatre valeurs fondamentales occidentales définit par Hofstede : à la "distance hiérarchique" occidentale correspond la "discipline morale" en Orient (limitation des désirs, modération, recherche du juste milieu, désir de rester désintéressé et pur). A "l’Individualisme" correspond le facteur "d’intégration" (tolérance, harmonie, refuser la concurrence, avoir un véritable ami,...). A la "masculinité" correspond le facteur "chaleur humaine" (courtoisie, gentillesse, compassion) et au pôle "féminité" le "désiré" (le patriotisme, la droiture).

La cinquième dimension qui se dégage de l’enquête de Michael BOND n’a pas son équivalent dans l’étude occidentale. Il s’agit de ce que Michael BOND a appelé le "dynamisme confucéen", valeur qui correspond à une orientation vers le long terme. Au pôle "orientation à long terme" est associée la persévérance, le respect du rang, le sens de l’économie et du déshonneur. Le pôle "orientation à court terme" associe les valeurs de solidarité, de protection, de réciprocité des politesses, faveurs et cadeaux, de respect de la tradition.

Cette dimension n’avait pas été appréhendée par les concepteurs du questionnaire IBM mais, semble tout droit sortir de l’enseignement de Confucius. La domination du confucianisme en Chine, depuis plus de mille ans, a considérablement influencé la mentalité, la philosophie, les mœurs, la littérature ainsi que la politique de la Chine. C’est une doctrine qui a modelé l’image du monde chinois. Les répercussions du confucianisme ne se limitent pas uniquement à ce peuple. Le Japon, Singapour, le Vietnam et la Corée ont largement été influencés par cette doctrine. La présence du Confucianisme s’est fait ressentir à différents niveaux dans les pays d’Extrême-Orient. Les principaux fondements (l’harmonie de la société et la position suprême occupée par la moralité) se retrouvent dans les comportements de l’ensemble des peuples asiatiques.

Si les occidentaux s’accommodent fort bien des changements et du progrès, le reniement de certaines valeurs et traditions, au profit du modernisme occidental, est vécu par les populations d’Orient comme un abandon angoissant d’une partie de leur culture. C’est une des explications données aux crises identitaires que traversent certaines sociétés confrontées au modernisme. En témoigne aujourd’hui les crimes commis au nom d’une identité religieuse, ethnique, nationale ou autre.

Notre société post coloniale peut s’interroger sur les conflits qui ont permis à certains pays de s’affranchir. On retrouve alors dans les stratégies utilisées des différences d’approches liées à la dimension culturelle masculine/féminine : les pays masculins ont tendance à essayer de résoudre les conflits internationaux par la force, les pays féminins par le compromis et la négociation.

Notre culture se lit dans les modèles implicites d’organisation. Les problèmes d’entreprise, ont à la fois des aspects structurels et humains. Les personnes impliquées réagissent en fonction de leur programmation mentale. Deux questions sont incontournables : qui a le pouvoir de décider ? (normes culturelles de distance hiérarchique)et quelles règles et procédures va-t-on employer pour parvenir au but désirer ? (norme de contrôle de l’incertitude). Les structures des organisations diffèrent essentiellement sur deux points : le degré de "concentration de l’autorité" et de "structuration des activités’.

Et quand nous passons les frontières, nous sommes confrontés à des différences inattendues. Les échecs de nombreux projets d’aide au développement menés par des ingénieurs occidentaux dans des pays du Tiers-Monde tiennent pour une grande part à la méconnaissance de ces différences de modèles. Les décisions de fusion sont souvent prises en tenant compte exclusivement du point de vue financier : elles font partie du jeu de pouvoir et sont considérées comme une protection contre les menaces des concurrents. Si les décideurs ont des modèles mentaux différents de ce que devrait être une organisation, le fonctionnement ne peut pas être harmonieux.

Mais on retrouve également la distorsion culturelle dans les théories d’organisation. Pour Fayol, l’autorité réside à la fois dans la personne et dans les règles. Selon Weber, l’autorité véritable réside dans les règles qui délimitent étroitement le pouvoir des supérieurs. Taylor s’intéressait à l’efficacité et proposait de diviser le travail de l’agent de maîtrise en huit attributions exercées chacune par une personne différente. On trouve des éléments dans la formule moderne d’organisation ‘matricielle’ qui n’a jamais eu cependant de succès en France par rapport aux Etats-Unis. Sun Yat-sen (1866-1925), érudit chinois, qui devint Président de la République chinoise, a emprunté à l’Occident la séparation des pouvoirs en trois branches : exécutive, législative et judiciaire placés sous l’autorité du président. Les pouvoirs législatifs et judiciaires sont dépendants du chef suprême et doublés par les pouvoirs d’examen et de contrôle qui sont basés sur le gouvernement par les hommes (faible contrôle de l’incertitude). C’est le modèle de la famille, le président étant le père de la nation et les structures étant fondées sur les relations personnelles.

Les différences de modèles d’organisation selon les cultures, se retrouvent également dans les théories modernes. L’économiste Olivier Williamson (1975) part du postulat que la vie sociale consiste en transactions économiques entre les personnes. Le marché est le point de départ ou le modèle de base. Le principe idéal de contrôle dans les organisations sur le modèle du marché est la concurrence entre les personnes. Mais, le marché joue un rôle très modeste dans les ouvrages des théoriciens des organisations d’origine française ou allemande. Les Allemands ont tendance à se focaliser sur les systèmes formels. Les ouvrages français insistent plus sur l’exercice du pouvoir et sur les moyens de défense de l’individu menacé d’être écrasé par la pyramide (hiérarchie). Il existe un système de règles mais, contrairement à l’exemple allemand, l’autorité personnelle du supérieur prévaut sur la règle. En Chine, à l’époque de Mao et de la Révolution culturelle, le principe de contrôle des organisations étaient l’endoctrinement. Les événements politiques de 1989 ont montré que ce principe est toujours cher aux dirigeants chinois.

 

Conclusion :

L’étude des négociations interculturelles n’est pas chose aisée. Les travaux issus des recherches de Geert Hofstede mettent en évidence des différences significatives au travers des quatre dimensions culturelles.

A l’heure où les entreprises cherchent à s’imposer à l’étranger, peu de négociateurs sont capables d’évaluer concrètement l’impact des différences culturelles, d’autant que celle-ci joue un rôle important dans la détermination des pratiques de gestions utilisées dans les entreprises. Car les systèmes économiques sont des systèmes éthiques ; du fait de la loi et des règlements ou des coutumes, certaines activités économiques sont sanctionnées et d’autres pas.

Notre programmation mentale, et la distorsion culturelle qui en découle, nous permettent de comprendre pourquoi les savants chinois, malgré leur haut niveau de connaissances, n’aient jamais découvert les lois de Newton : tout simplement ils ne cherchaient pas de lois. Leur écriture (cinq mille caractères différents) trahit ce manque d’intérêt pour la généralisation. La pensée occidentale est analytique et la pensée orientale synthétique.

En 1927, Bertrand Russel écrivait ceci, extrait de "An outline of Philosophy" :


Ces dernières années on a beaucoup étudié, avec énormément d’observation patiente et d’expériences, la façon dont les animaux apprennent.

Disons que d’une manière générale, tous les animaux qui ont été observés se sont comportés de façon à conforter les observateurs dans la philosophie qui était la leur avant leur observation. Et, mieux encore, ils ont fait montre de toutes les caractéristiques nationales de leur observateur. Les animaux étudiés par les Américains s’agitent frénétiquement, avec un incroyable déploiement d’activité et d’allant, et finissent par atteindre le résultat désiré par hasard. Les animaux observés par les Allemands s’asseyent pour réfléchir et sortent la solution de leur conscience intérieure.

Pour l’homme de la rue, comme moi, cette situation est décourageante.


Je remarque, cependant, que le type de problème que l’homme pose naturellement à un animal dépend de sa propre philosophie, et que c’est probablement de là que viennent les différences de résultats. L’animal répond d’une certaine façon à un type de problème et d’une autre façon à un autre type ; c’est pourquoi les résultats obtenus par divers chercheurs, bien que différents, ne sont pas incompatibles. Mais il faut sans cesse se dire qu’un chercheur unique ne peut à lui seul faire le tour d’un domaine d’investigation
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