Travail élaboré par  : Abdelmounim BELALIA

Sous la direction de   : Yvon PESQUEUX

 

Sommaire 

  1. Bibliographie
  2. Les postulats
  3. Les hypothèses
  4. La démarche
  5. Introduction
  6. Résumé
  7. Mise en perspective
  8. Annexe

Bibliographie

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Postulats

L’économie américaine a donné l’exemple poignant de l’efficacité par la puissance des ses firmes et sa capacité à générer des flux financiers énormes. Cela a donné naissance à une idéologie articulée autour du modèle américain qui se propage et qui se fait des défenseurs partout dans le monde. Dans ce contexte, des pratiques se sont imposées au nom d’un courant censé apporter la modernité et la performance ; le modèle anglo-saxon a généré une pensée unique considérée comme la seule garante de la réussite et la croissance. Cependant, les dérives observées dans les dernières années au niveau de l’économie et la société anglo-saxonne ne peuvent être sans remettre en cause les postulats de ce courant unique de pensée. C’est dans ce sens que l’ouvrage propose une analyse qui considère le modèle anglo-saxon comme source de performance et de déclin à la fois.

Hypothèses 

Les auteurs se proposent de répondre, au travers de leur analyse, aux hypothèses suivantes :

  1. Les similarités entre Les économies américaine et britannique permettent d’identifier un modèle anglo-saxon
  2. Les principaux fondements du modèle anglo-saxon sont : l’Etat minimum, l’individualisme, l’économisme, et le rôle central du marché
  3. Le modèle anglo-saxon privilégie la finance et le profit à court terme
  4. Le modèle européen accorde une place plus importante au rôle de l’état
  5. Le modèle asiatique se base sur une culture communautaire dans la gestion des entreprises
  6. La France se situe entre le modèle rhénan et anglo-saxon avec un penchant vers ce dernier dans les dernières années
  7. La mondialisation financière facilite la diffusion du modèle
  8. Le développement de la sphère financière a été décisif dans l’édification du modèle anglo-saxon
  9. Le modèle anglo-saxon donne la priorité à la concurrence et l’initiative privée
  10. Les salariés, considérés comme un moyen de production dans le modèle anglo-saxon, peuvent être sujets au licenciement massif
  11. La baisse des impôts et la réduction des droits de douane figurent parmi les fondamentaux de l’économie anglo-saxonne
  12. Les technologies de l’information et Internet ont facilité la diffusion du modèle anglo-saxon
  13. Les organismes internationaux sont les garants de l’application de l’orthodoxie néo-libérale
  14. Les multinationales ont participé à la stimulation du phénomène de la mondialisation
  15. La dynamique du modèle anglo-saxon a produit un courant de pensée qui la protège et lui donne légitimité
  16. Le modèle anglo-saxon a favorisé les disparités sociales
  17. La politique a été envahie par la logique rentière du modèle
  18. Le modèle anglo-saxon a donné une nouvelle configuration aux rapports entre salariés, managers et actionnaires dans l’entreprise

Démarche

Pour répondre à ces hypothèses et aboutir en conséquence au thème central de la remise en cause du modèle anglo-saxon, les auteurs vont suivre une méthodologie de raffinements successifs basée sur quatre parties. La première offre une analyse globale de la notion du modèle, des modèles capitalistes concurrents dans le monde et de leurs modes de transmission. Le deuxième chapitre est une étude des origines historiques et des événements qui ont permis la renaissance du modèle anglo-saxon. Cela va déboucher sur les fondements du modèle au niveau de l’état, la société, l’entreprise, et les politiques économiques pour introduire ensuite les mécanismes de diffusion du modèle qui seront traités dans une quatrième partie. A l’issue de ces analyses, le dernier chapitre aborde le sujet principal de l’ouvrage en passant en revue les défaillances du modèle anglo-saxon.

Introduction

Depuis des années, les performances enregistrées par le modèle anglo-saxon dans le monde n’ont cessé d’attirer l’attention des analystes et des chercheurs. En effet, si ce modèle puise ses racines dans les idées libérales d’Adam Smith et de Jeremy Bentham, sa percée date de l’après guerre par l’effet d’une réussite politique conjuguée à une évolution économique et technologique incomparable. La description du modèle anglo-saxon ne se limite pas aux choix économiques et à la politique suivie par les pays anglo-saxons ; c’est en revanche l’articulation du système économique, social et culturel qui fait la spécificité du modèle. Le modèle anglo-saxon, au-delà de cette articulation particulière qui le caractérise, possède des racines historiques et des mécanismes de transmission qui lui permettent de se diffuser. L’ouvrage que nous nous proposons de résumer met en lumière ces points pour aboutir à déceler les défaillances et les limites du modèle anglo-saxon.

Les auteurs sont IBRAHIM A. WARDE qui est professeur à l’université de Californie Berkeley et Richard FARNETTI, maître de conférence et chercheur associé au CNRS.

Dans ce résumé, nous allons rester fidèles à l’ordre d’idées proposé par les auteurs tout en nous concentrant sur l’essentiel de l’ouvrage. Par ailleurs, nous avons jugé nécessaire de situer historiquement le capitalisme comme pensée économique avant d’aborder le modèle anglo-saxon. Cela a été formulé dans une annexe que nous avons proposée à partir de la littérature à la fin du résumé. La conclusion et les perspectives offrent aussi une vision personnelle globale et indépendante du message passé au travers de la relecture de l’ouvrage. Le sujet étant si fertile qu’il ne peut être traité dans quelques pages, l’objectif reste tout de même de rendre cette contribution aussi riche que possible.

 

 

 

 

 

 

 

 

Résumé

Les modèles capitalistes : fondements et modes de transmission

  1. La notion de modèle

Type idéal et essence du modèle

Le modèle réfère à une image idéale qui vise à donner sens à une réalité en faisant abstraction des paradoxes et des imperfections qui caractérisent la perception de la réalité. Cela nous conduit à la notion de " type idéal " évoquée par Max Weber comme étant une abstraction utile pour comprendre et comparer les systèmes ; un modèle économique par exemple ne correspond pas totalement à la réalité économique, qui est certes complexe et évolutive, mais à l’état de ce " type idéal " qui nous permet de saisir l’essence de la réalité.

Le modèle anglo-saxon puise ses racines dans les théories libérales d’Adam Smith et de Jeremy Bentham.. L’ère de Pax Americana avec le système Bretton Woods et de Pax Britannica avec le l’étalon d’or ont permis de donner forme à ce modèle caractérisé par : l’individualisme, l’économisme, l’état minimum et le pouvoir du marché. Les deux pays où le modèle anglo-saxon a germé offrent ainsi des similarités, une dualité qui a permis à l’Amérique de prendre le relais lorsque l’hégémonie britannique a commencé à s’éroder, et des relations politiques et économiques solides qui servent de moyen de consolidation du modèle. Les contraintes économiques font qu’un pays s’écarte parfois du modèle, ce qui n’empêche que ce modèle est toujours présent en état latent et prêt à resurgir. Les expériences reaganiennes et thatchériennes illustrent ce côté et montrent l’influence du modèle sur les choix des politiques publiques et sur les tendances économiques et sociales.

Emprunts et métissages

La transmission du modèle s’effectue à l’aide de plusieurs mécanismes amplifiés par l’effet de la mondialisation :

Les modèles sont souvent en influence mutuelle ; les méthodes américaines de management prennent place certes, dans les pratiques managériales en Europe mais s’en nourrissent également.

La transmission des modèles obéit à deux paradoxes. Le premier est lié à l’effet d’importation du modèle qui ne peut induire les mêmes résultats observés dans le pays d’origine. Le deuxième concerne le cas fréquent du modèle corrigé et renvoyé ensuite au pays d’origine qui en tire parti. Les modèles se nourrissent donc l’un de l’autre et impliquent des effets différents selon l’environnement d’application.

L’exportation du modèle

A l’exportation, le modèle prend une forme pure et dure qui est dénuée de toutes les complexités et les aberrations. Il est réduit à un ensemble d’images et de scènes qui tendent vers un état idéal loin de toutes les impuretés qui caractérisent le modèle : c’est le cas lorsqu’on décrit le PGD américain dans des histoires ou des anecdotes qui ne tiennent compte que des qualités de pragmatisme et d’intransigeance. Le modèle anglo-saxon, en particulier, se transmet avec un mélange de purisme et de dogmatisme qui se manifestent sous forme de leçons et de règles strictes que les responsables tentent d’imposer aux autres pays en faisant abstraction des spécificités de chaque pays. Une part de responsabilité revient aussi aux pays importateurs qui implémentent le modèle dans un enthousiasme qui va jusqu’à l’empressement conjugué à l’ignorance. Dans ce sens Michel Albert a décrit la version exportée du capitalisme américain comme étant " plus dure, moins équilibrée, plus jungle que la version originale. Appliquée sans précaution, c’est l’équivalent d’un remède de cheval qu’on prétendrait utiliser sans disposer des antidotes qui en corrigent les excès " L’analyse d’un modèle est ainsi d’autant plus pertinente que le modèle est mis en lumière dans son état d’origine au lieu de l’état après importation.

2. Les modèles concurrents

Le modèle anglo-saxon

Il se distingue par opposition au modèle rhéno-japonais incarné par le Japon et l’Allemagne. Le modèle anglo-saxon est caractérisé par la prédominance de la finance dans l’économie et par la réalisation des profits dans le court terme. Cela à la différence du modèle rhéno-japonais connu par la place importante de l’industrie et par la difficulté de réaliser les profits dans le court terme. Will Hutton de sa part, met l’accent sur la différence entre le modèle britannique et le modèle américain, qui ne peuvent être agrégés dans un seul modèle eu égard aux conflits et aux disparités entre les deux modèles.

Le modèle asiatique

Si le modèle anglo-saxon se base sur le pouvoir du marché, le modèle asiatique est caractérisé par le rôle central de l’état dans le système économique. Cela est lié à des facteurs historiques, culturelles et géopolitiques qui ont fait de l’intervention de l’état le levier de la croissance économique dans le modèle asiatique. Il se distingue aussi par la priorité donnée à la production au contraire du modèle anglo-saxon qui privilégie la consommation. Les politiques d’investissement planifiées sur le long terme ont permis à ces pays ( Japon et les quatre dragons : Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour) de tirer profit de la production de masse couplée à la stratégie agressive des prix. L’industrie asiatique a donné lieu par conséquent à une concurrence très rude aux produits des pays anglo-saxons.

Le modèle européen

Il constitue une variété du capitalisme incarnée par l’Allemagne et basée sur la concurrence et le libéralisme. Ce modèle est une originalité allemande qui date de l’après guerre suite aux deux crises ; d’inflation en 1920, et de la dictature étatique imposée par les nazis en 1933. Le système économique allemand se base sur le pouvoir des partenaires sociaux et sur la cogestion ‘Mitbestimmung’ comme fondements d’une économie de marché dont le fonctionnement est contrôlé par l’état. Ainsi le modèle allemand, appelé rhénan, se démarque à la fois par le dialogue social qui précède toute validation institutionnelle, et par le libéralisme économique limité par l’intervention de l’état.

3. Mondialisation et transmission des modèles

Le cadre général de transmission des modèles

L’hégémonie britannique dans le 19e siècle a donné lieu à une imitation de ce modèle économique par les pays suiveurs à savoir : la France, la Belgique, l’Allemagne, les Etats-Unis et d’autres pays comme l’Inde. Cependant, la transmission du modèle s’effectue à des rythmes différents. Karl Max avait constaté que le modèle d’un pays développé n’offre qu’une image de l’avenir aux pays moins développés. D’autres analyses, notamment celle de Walter Rostow, présente l’adoption d’un modèle économique comme un chemin inexorable par le quel passent toutes les sociétés. Cette analyse se base sur le constat d’existence de cinq étapes d’évolution : société traditionnelle, conditions préalables, démarrage, progrès vers la maturité et ère de consommation de masse. Ce cas de figure est loin d’être vérifié dans l’histoire comme l’appropriation du modèle tient compte des conditions qui caractérisent le pays importateur. La transmission du modèle est donc un processus complexe et souvent parsemé d’entraves, le chemin emprunté peut aboutir aux résultats escomptés comme il peut déboucher sur des dérapages néfastes.

Mondialisation et rythmes de diffusion des modèles

L’époque moderne est caractérisée par un phénomène de mondialisation qui tend à estomper les frontières entre les firmes et les états par l’effet des multinationales et des accords de libre échange. Cela a consolidé des tendances contradictoires de réversibilité à l’intérieur même des modèles dominants, les turbulences du contexte mondial induisent le basculement vers une ère de la " grande transformation "

La mondialisation apparaît comme une alternative au courant keynésien relancé par la mise en place du système Bretton Woods, et diffusé massivement dans les ‘30 glorieuses’. Les économies anglo-saxonnes constituent le catalyseur de la mondialisation en permettant une dynamique à dominante financière basée sur la déréglementation et la mouvance des flux financiers.

Mondialisation et impact du modèle anglo-saxon

La politique de l’Union européenne offre un exemple éloquent sur l’influence du modèle anglo-saxon. En effet, le marché européen n’a guère cessé de tendre vers le libéralisme et la déréglementation et de suivre en conséquence les traces du modèle anglo-saxon britannique initié par M. Thatcher. La France qui se situait entre le modèle anglo-saxon et le modèle rhénan a dû, à partir des années 80, se rallier au premier modèle malgré l’insuffisance des ressources financières en fonds propres. Cette tendance se manifeste pour la France notamment dans le gouvernement d’entreprise par la montée en puissance d’un système qui privilégie l’actionnariat. Cet aspect n’est pas le seul symptôme d’un modèle anglo-saxon qui se diffuse en France, plusieurs études récentes ont montré d’ailleurs, la convergence du modèle français vers le système anglo-saxon.

Le modèle anglo-saxon : origine et renaissance

  1. Aux origines du modèle

Origines britanniques

La révolution industrielle a poussé la Grande Bretagne à créer de nouveaux marchés pour l’approvisionnement en matières premières et la commercialisation des marchandises produites en masse. Le mouvement de colonisation a accompagné cette expansion économique et a donné naissance à une multitude de théories d’économistes qui prônaient le libre-échange comme moyen de la prospérité mondiale. Néanmoins, les historiens ont identifié une activité financière des banques britanniques qui a même précédé la révolution industrielle. Cette forme financière de l’économie britannique avait un caractère plus stimulant de l’emploi et de la croissance que la forme industrielle, ce qui prouve que les origines britanniques du modèle anglo-saxon sont liées surtout à la dynamique financière qui a accompagné la révolution industrielle.

Origines américaines

L’amérique qui était une colonie britannique a su développer, dès 1791 grâce au plan de Hamilton, une industrie puissante protégée par des mesures douanières draconiennes. De ce fait, des entreprises géantes ont vu le jour et ont pu dans quelques années conquérir le marché mondial de l’industrie et de l’agriculture. L’activité financière américaine est restée dépendante des banques américaines pour de nombreuses années et ce n’est qu’à l’issue de la crise bancaire de 1907 que les autorités américaines vont réfléchir à la création d’une banque centrale. La mise en place du Système de Réserve Fédérale en 1913 va donner un coup de pouce à l’économie américaine et plus particulièrement au dollar qui devient à partir de 1920 la monnaie la plus dominante sur les places financières.

 

La diffusion du modèle : Pax Britannica et Pax Americana

Les places financières de l’Amérique et de la Grande-Bretagne ont connu une compétitivité très rude avant la fin de la deuxième guerre pour conquérir les marchés internationaux. La place de Londres était plus performante dans un environnement économique international relativement stable et ce, jusqu’aux années 30. La crise de 1929 et puis la deuxième guerre mondiale vont permettre le renversement de la tendance en faveur de la Pax Americana pour annoncer la suprématie totale des marchés américains. Les accords de Bretton-Woods en 1944 et la nouvelle conception américaine de la banque mondiale et du Fonds Monétaire International allaient donner officiellement forme au modèle anglo-saxon incarné par la puissance américaine et par l’adhésion britannique au modèle.

2. La renaissance du modèle anglo-saxon

La révolution thatchérienne

Initiée par M. Thatcher à partir de 1979, la révolution thatchérienne a constitué une rupture avec le keynésianisme et un retour aux valeurs de l’individualisme victorien. Elle visait à appliquer les théories des économistes ultra-libéraux de l’école de Chicago qui se résument dans la réduction du rôle de l’état dans l’économie et le contrôle de la masse monétaire pour maîtriser l’inflation. Dans ce sens M. Thatcher a donné une importance particulière au secteur financier à travers le démantèlement du contrôle des changes. Les petites et moyennes entreprises ont aussi été stimulées à l’aide d’un réaménagement fiscal global. L’ensemble de ces mesures a débouché sur la privatisation de plusieurs entreprises publiques, ce qui s’inscrit dans l’abandon du principe de l’Etat Providence adopté après la deuxième guerre mondiale.

La révolution reaganienne

Les mesures reaganienne, entreprises dans la même période que celles de Thatcher, étaient une sorte d’offensive néo-libérale pour la déréglementation de l’économie américaine. La réforme fiscale appelée ERTA ( Economic Recoverty Tax Act) généralisée à partir de 1981, avait pour objectif l’amélioration de la compétitivité des entreprises par l’effet de l’accélération des amortissements en capital. La réforme de 1986 est venue compléter la première en favorisant les particuliers. Par conséquent, les recettes fiscales ont connu une baisse énorme à ajouter aux dépenses militaires dans " la guerre des étoile " ; Un tel déficit budgétaire ne pouvait être résorbé que par le regain d’intérêt pour l’épargne mondial adossé à une politique agressive de variation des cours du dollar.

Le nouveau consensus politique en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis

Ce consensus se manifeste à l’intérieur de chacun des deux pays par des politiques convergentes qui sont appliquées aussi bien par les républicains que par les démocrates aux Etats-Unis, et par les travaillistes et les conservateurs en Grande-Bretagne. Cela apparaît clairement dans les engagements de T. Blair pour ne pas remettre en cause la révolution thatchérienne, et dans les mesures de B. Clinton entamées en continuité avec la politique de Reagan notamment en ce qui concerne la réduction des dépenses sociales.

L’alliance entre les financiers américains et la place de Londres avait été déterminante dans l’édification d’un régime d’accumulation mondial à dominante financière. Cette alliance a favorisé la prospérité d’une communauté d’intérêts transatlantiques, les principes fordistes vont ainsi céder la place à partir des années 70 à un système financier mondialisé.

3. Le " turbo capitalisme " des années 90

Cette appellation a été attribuée par E. Luttwak pour qualifier la forme impitoyable du capitalisme connu dans les dernières années. Elle correspond à un contexte accéléré d’une économie mondialisée qui prend place au détriment des ‘garde-fous traditionnels’.

Mobilité et flexibilité

Le nouveau rythme imposé par la mondialisation a induit une tendance accrue pour le changement et la mobilité. Cette tendance est observée aussi bien dans la stratégie des entreprises comme moyen de faire face à la concurrence que dans la vie quotidienne des individus caractérisée par la mobilité du domicile, de l’emploi et des préférences. La mobilité et la flexibilité vont de paire dans ce contexte de " création destructive " qui fait de l’individualisme et l’impératif de compétitivité la force d’attraction du modèle anglo-saxon.

Economisme et financiarisation

Le marché joue un rôle central dans ce mouvement qualifié de turbo capitaliste. C’est la loi de l’offre et de la demande qui détermine les prix et les enjeux de pouvoir entre les acteurs économiques dans une logique de libéralisme qui fait fi des règles d’éthique. L’économisme anglo-saxon considère l’entreprise comme un lieu où convergent les intérêts des salariés, des managers et des actionnaires. Cette logique est différente de la conception asiatique qui fait de l’entreprise une communauté d’entraide pour aboutir à des objectifs communs. En effet, l’entreprise asiatique, à la différence de la firme anglo-saxonne, favorise la solidarité et donne priorité au dialogue social avant d’avoir recours au licenciement comme solution ultime. La dynamique financière reste à l’origine des problèmes et dérapages que connais les entreprises anglo-saxonnes ; les managers subissent la pression des financiers et des actionnaires, leurs stratégies reposent en conséquence sur des restructurations brutales qui considèrent souvent l’employé comme un simple moyen de production.

L’essence du modèle

  1. L’état

L’état entre théorie et pratique

Nous avons vu dans les paragraphes précédents que l’interventionnisme exercé par le gouvernement américain a été à l’origine de la transformation profonde des Etats-Unis. Cela a commencé dans la première moitié du 20ème siècle avec les mesures de F. Roosevelt visant à faire du gouvernement fédéral un garant des intérêts américains aussi bien à l’intérieur comme à l’échelle mondiale. Sur le plan théorique, les idées de A. Smith pour un état minimal avaient des protagonistes tout au long de l’histoire des Etats-Unis, ce qui a été l’essence du modèle américain de libéralisme qui allait prendre forme ensuite.

En Grande-Bretagne le phénomène de nationalisation date de l’après-guerre et il était proclamé à la fois par les travaillistes et les conservateurs. La révolution de M. Thatcher comme celle de R. Reagan aux Etats-Unis n’étaient donc qu’un retour aux principes de base au nom ‘ d’un idéal trahi’.

Privatisations et déréglementation

Les années 80 et 90 ont connu l’intensification du mouvement de déréglementation avec la recrudescence du pouvoir de marché au dépend de celui de l’état. Le marché est considéré comme seul moyen qui garantit les intérêts de tous les acteurs qui participent spontanément à établir l’équilibre des prix. L’état doit en revanche assumer le rôle de l’arbitre, cela préserve l’efficacité de la concurrence et le pouvoir du marché. Aussi bien aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne, la participation de l’état a dû baisser et c’est même le fonctionnement des services publics qui commence à être sous-traité par les organismes privés.

Le nouveau rôle de l’état

Devant l’impossibilité de tenir l’état à l’écart de la réalité économique, la nouvelle perception de son rôle se décline en trois points :

  1. La société
  2. L’évolution des politiques sociales

    La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont institué depuis la fin de la première moitié du 20ème siècle des mesures de solidarité qui ont commencé dans le premier pays par le rapport de Beveridge en 1942, et par le New Deal de F. Roosevelt dans le deuxième. Cependant, l’Etat providence a été vivement critiqué à partir des années 70 car il ne peut, à lui seul, rectifier les disfonctionnements du marché. La politique sociale basée sur l’intervention de l’état a été vivement critiquée et taxée de favoriser la culture de dépendance au détriment de l’initiative individuelle et d’enrichir les fonctionnaires et les bureaucrates qui profitent de l’abus et du gaspillage. C’est dans ce contexte que la révolution thatchérienne et reaganienne sont arrivées à point nommé pour répondre à cette critique.

    Mondialisation, marché du travail et flexibilité de l’emploi

    Le travail est considéré dans la conception anglo-saxonne comme un marché qui obéit à la loi de l’offre et de la demande. La flexibilité de l’emploi est dans cette optique un moyen efficace pour réaliser l’équilibre du marché, le mouvement de ‘Downsizing’ ou de ‘dégraissage’ et la baisse des salaires ne sont que des mécanismes pour aboutir à l’équilibre du marché. Les organisations syndicales sont devenues facteurs de distorsions du marché de travail ; le syndicat dans le nouveau jargon anglo-saxon est synonyme d’ " intérêts spéciaux ". C’est dans le même ordre d’idées que le chômage est devenu un phénomène lié à la conjoncture économique et à la disposition du salarié qui doit faire les concessions nécessaires pour vendre son travail dans le marché. Le gouvernement, quant à lui, il ne peut aller au-delà d’assurer le bon fonctionnement de ce marché !

  3. L’entreprise
  4. " Shareholders " contre " Stakeholders "

    La firme anglo-saxonne offre une image assez claire sur le rôle des actionnaires et le pouvoir de plus en plus décisif des propriétaires de capital appelés les " Schareholders " Ce constat donne moins de force à l’analyse très connue de A. Berle et G. Means qui affirment que le pouvoir est détenu par les managers, sans que ces derniers soient détenteurs de capital. Par ailleurs, W. Hutton identifie un " Shareholders capitalism " s’opposant à un " Stakeholder capitalism " qui doit tenir compte des intérêts de tous les intervenants : salariés, fournisseurs, clients, managers et fournisseurs.

    L’entreprise face à ses salariés

    A la différence de l’entreprise communautaire asiatique, la firme anglo-saxonne est un lieu de confrontation des intérêts des salariés d’un côté, et des propriétaires de l’autre côté. Le salariat est perçu à travers une dimension individualiste du salarié qui fait de la comparaison du bénéfice aux coûts salariaux le seul fondement du contrat. C’est au nom de cette logique que s’est accentué le phénomène de " délocalisation " et de fermeture de sites, mais aussi celui des licenciements massifs comme moyen de réduction des charges salariales. Dans ce contexte la notion d’individu reste sacrée ; l’individu propriétaire décide de la production et du partage du bénéfice et l’individu salarié décide de vendre son travail, le mode de rétribution dans cette relation est confié à la loi du marché.

    Le gouvernement d’entreprise

    Etant la traduction de la notion anglo-saxonne de " corporate governance ", le gouvernement d’entreprise est ‘la forme juridico-gestionnaire qui sert à codifier la dynamique rentière des intérêts des actionnaires dans l’entreprise’. Les fameux fonds de pension ne sont que le moyen de dissimuler les enjeux qui caractérisent l’exercice du pouvoir dans l’entreprise ; ce pouvoir est en réalité détenu par les banques d’affaire et non pas par le retraité. Ce sont en général les investisseurs institutionnels qui bénéficient du système anglo-saxon. Le caractère dilué du capital leur permet d’intensifier les investissements et de contrôler et les firmes et les économies étrangères.

  5. La politique économique

Politique fiscale

La révolte fiscale qui a été à l’origine de l’émancipation des Etats-Unis apparaît comme phénomène latent qui influence la politique américaine tout au long de son histoire. Néanmoins, c’est la révolte fiscale de 1978 en Californie qui marqua le début de l’allègement fiscal dans tout le pays. Le modèle anglo-saxon est caractérisé en général par une vision qui fait de la réduction des impôts un levier pour stimuler la production. Cette mesure est le fondement de la politique fiscale anglo-saxonne : elle est même considérée comme facteur réducteur du déficit public car la croissance économique compromet la baisse des recettes fiscales.

Politique monétaire

Si la masse monétaire est considérée comme un facteur qui conditionne l’inflation, la politique américaine de 1979 à 1982 visant la contraction de la masse monétaire n’a pas permis de remédier à la récession économique. ‘Le monétarisme dogmatique’ fut alors abandonné aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne en faveur de la solution du marché qui s’appuie sur le pouvoir des banques et des marchés financiers.

Politique commerciale

En Grande-Bretagne, le libre-échange n’est pas une politique récente du gouvernement. Depuis l’abolition du droit de douane sur les blés en 1846, l’Angleterre était considérée comme pays qui doit se concentrer sur l’industrie en laissant aux autres pays le soin de lui fournir les matières premières. Cela constitue aussi une solution efficace pour augmenter la production et diminuer le chômage comme l’élimination des droits de douane fait baisser les prix et par conséquent les salaires. Aux Etats-Unis, c’est le Reciprocal Trade Agreement Act en 1934 qui va permettre de se dissocier de la logique protectionniste en faveur d’une politique de négociation d’accords bilatéraux d’échange avec les autres pays. Cette politique a été renforcée dans les dernières années avec l’apport du GATT et de l’OMC, ce qui fait des Etats-Unis le premier protagoniste du libre-échange dans le monde.

Politique industrielle

L’histoire de l’industrie américaine laisse à constater que c’est dans l’égide de l’état que l’infrastructure industrielle a été développée, ce qui a permis aux firmes américaines de conquérir le monde avant les années 70. Si les Etats-Unis optent à présent pour une politique de marché donnant libre cours à l’initiative privée, le débat est toujours ouvert concernant le rôle de l’état pour :

La diffusion du modèle

  1. L’intégration économique et le rôle des multinationales
  2. Les multinationales ont joué ces dernières années un rôle très important dans l’intégration de l’économie mondiale. La coordination des opérations sur plusieurs sites a permis à ces firmes de bénéficier du potentiel offert par des marchés différents, de réaliser des bénéfices énormes et de participer à la diffusion des flux financiers dans d’autres pays. Ainsi, les multinationales américaines et britanniques, en profitant de leur accès au financement, ont pu réaliser des investissements énormes à travers les opérations de fusion-acquisition. Cela a participé à la diffusion du modèle anglo-saxon par le biais des pratiques managériales et des modes organisationnels mais aussi par le pouvoir du contrôle que ces firmes puissantes exercent sur les marchés des autres pays.

  3. Harmonisation des normes et des pratiques

L’anglais, les technologies nouvelles et Internet

L’anglais est incontestablement la langue la plus répandue dans le monde ; C’est la langue officielle des organisations mondiales, des affaires, de la science et de la diplomatie. Au-delà de la diffusion simple de l’anglais en tant que langue, ce sont des pratiques sociales et des ‘communautés de valeurs’ qui prennent place partout dans le monde. A ne pas négliger dans ce cadre l’apport des technologies liées à Internet qui ont facilité l’accès à la langue anglaise et aux pratiques anglo-saxonnes en général.

Les courroies de transmission du modèle

Le modèle anglo-saxon continue toujours d’exercer son influence sur les systèmes économiques et politiques dans le monde. Cela est permis par le biais de nombreuses courroies de transmission :

 

  1. Les gardiens de la nouvelle orthodoxie

Organismes internationaux et " ajustements structurels "

Après la victoire sur le plan militaire à l’issue de la deuxième guerre, les Américains ont œuvré pour l’institutionnalisation d’organismes internationaux de régulation. Ainsi ont été crées le FMI et la banque mondiale, puis les accords du GATT et de nombreux organismes sous la tutelle de l’ONU. Le constat qui peut être fait à ce propos est que la santé de ces organismes dépend de la conjoncture internationale qui n’est souvent pas propice à la réalisation des objectifs prévus. Les politiques " d’ajustement structurel " imposées par le FMI et préconisant le libre-échange n’ont pu qu’élargir la baie de pauvreté pour les pays en voie de développement souvent endettés envers les banques américaines.

La dictature des marchés

Les organismes de régulation internationaux, en majorité issus du système américain Bretton-Woods, ont permis l’apparition de forces économiques qui ont induit en échec la politique de ces organismes et des pays souverains. Ces forces nourries par la logique anglo-saxonnes possèdent le contrôle des marchés financiers et ne donnent raison qu’à la loi du marché pour l’accumulation du profit. Ainsi les bourses de New York, de Chicago et de Londres arrivent à contrôler une grande proportion de la production mondiale en matières premières. Les Mutual Funds américains avec une croissance d’environ 3000% en 16 ans donnent l’exemple saisissant de ces supers agents économiques.

4. La caution intellectuelle du modèle

Thinks-tanks et universités

Le mouvement anglo-saxon est accompagné dans sa diffusion par un renouveau intellectuel qui le nourri et lui donne les moyens de se développer. Les Thinks-tanks ou " réservoirs de pensées ", issus de grands instituts de recherche, ont participé d’une manière active à légitimer la nouvelle idéologie du néo-libéralisme. La sphère financière n’est pas sans rien dans cette action comme la majorité des instituts étaient gracieusement fiancés par les milieux d’affaire. Dans l’autre camp, plusieurs universitaires ont dénoncé la transgression des règles d’éthique par le modèle anglo-saxon, mais c’est surtout les premiers qui ont bénéficié des privilèges académiques et sociaux. L’influence des économistes de Chicago sur les décisions politiques et leurs chances dans l’attribution des prix Nobel décrit sans ambiguïté la nature du système universitaire qui récompense ceux qui se mettent au gré du temps…

La tyrannie de l’économiquement correct

L’économie plus que d’autres disciplines est en lien avec la politique et les enjeux du pouvoir. De ce fait, elle accepte difficilement la dissidence car ‘ quiconque s’éloigne du champ des opinions acceptables subit les foudres des nouveaux " commissaires idéologiques " que sont les économistes les plus prestigieux’. A admettre donc une hiérarchie discriminatoire connue dans le domaine économique. C’est encore à accepter sans étonnement si les politiques économiques en matière de réduction d’inflation ou d’accélération de la croissance sont effectuées par des conseillers qui ne comprennent pas le fonctionnement des marchés !

L’économisme face à la politique, au droit et aux sciences humaines

L’économie a été décrite par certains comme une " science impériale " qui domine les autres sciences. Cela s’applique aux sciences politiques avec les nouvelles théories du " choix public " et du " choix rationnel " qui font de l’homme politique un entrepreneur et de l’électeur un consommateur. La politique est donc un marché dans lequel l’individu compare des valeurs économiques pour prendre une décision politique.

Des études ont été élaborées dans le même contexte pour expliquer les comportements sociologiques par la logique économique qui considère l’être humain comme un agent qui cherche la maximisation de la satisfaction personnelle. Dans le domaine du droit, l’application des règles économiques d’évaluation du bénéfice et du coût a fait l’objet de plusieurs études qui visent à éviter la " tyrannie du droit "

Le modèle anglo-saxon en question

  1. La rupture du contrat social
  2. Le triomphe de chacun pour soi

    Le nouveau modèle de libéralisme décrit dans les paragraphes précédents a induit de nouveaux comportements sociaux et par-là un ordre d’éthique différent. L’intérêt collectif dans cet ordre a cédé la place à l’individualisme et la cupidité devenus comme acceptés et validés socialement. Les bénéficiaires de la nouvelle donne, imposée par la mondialisation et la liberté d’initiative, se sont permis les luxes de la vie en mettant à leur contribution les richesses, les technologies, la science mais aussi la pensée des chercheurs et des savants.

    Le creusement des inégalités

    Le nouvel ordre mondial de la globalisation a facilité la polarisation des sociétés en favorisant l’émergence d’une nouvelle classe qui bascule au-dessous du seuil de pauvreté. La société américaine et britannique ne peuvent plus prétendre à une structure sociale constituée en majorité de la classe moyenne comme dans les anciennes décennies. La richesse a tendance à se concentrer en faveur d’une minorité qui détient le pouvoir permis par les technologies de l’information et la dynamique financière effrénée.

    Le marché du travail connaît le même phénomène de polarisation avec l’intérêt croissant donné aux métiers de la technologie et des finances. Les employés sans savoir spécifique, doivent quant à eux, se soumettre à la loi du marché et se contenter des plus bas salaires au risque de se retrouver en chômage. La disparité apparaît clairement aussi à l’intérieur de chaque entreprise en comparant les rémunérations excessives des dirigeants avec le salaire moyen des employés. En somme, c’est tout le système économique et social qui change au rythme d’une mondialisation ardente et ravageuse.

  3. Les dérives du " moins d’Etat "

Conséquences de la diminution du pouvoir étatique

Si le recul de l’implication de l’état sur le plan économique et social a facilité les disparités décrites dans le paragraphe précédent, d’autres dérives sont liées à ce phénomène de " moins d’Etat " :

La politique aux enchères

Il est facile de constater que dans les dernières années, la sphère financière est de plus en plus impliquée dans les affaires politiques. Les financements des campagnes présidentielles par les hommes d’affaire, l’absentéisme dans les votes et l’achat de voix ne sont que des exemples qui nous mettent à l’évidence que " ce sont ceux qui signent les chèques qui font les lois " A ajouter à cela le fait que la politique est devenue le moyen d’enrichissement personnel. L’état par son désengagement met le sort des citoyens entre les mains de l’idéologie financière et capitaliste qui ne place le bien-être social qu’en dernier plan.

  1. Transformation des rapports au sein de l’entreprise
  2. Les ravages du downsizing

    Le downsizing est une pratique de gestion qui a émergé dans les années 90 avec le mouvement de reengineering visant à optimiser l’activité d’entreprise par la reconfiguration des processus d’opérations. Le downsizing consiste à réduire massivement l’effectif des salariés pour réduire les charges salariales et stimuler en conséquence les titres de l’entreprise en bourse. Les managers des grandes firmes ont abusé de cette stratégie par l’effet des licenciements massifs qui induisent des problèmes sociaux immédiats et des risques de dévitalisation industrielle. Force est de constater aussi que le downsizing est devenu une obsession des managers et une stratégie qu’ils appliquent même lorsque l’entreprise est en bonne santé financière. Là encore c’est le modèle du gouvernement d’entreprise qui intervient en imposant une rationalité économique qui ne cherche que l’augmentation du bénéfice des actionnaires.

    Les employés mercenaires

    Dans ce contexte dans lequel le salarié est considéré comme un moyen de production et de création de la valeur, les salaires ne cessent de baisser dans l’ensemble, à l’exception des cadres supérieurs hyper-qualifiés. Cela a participé à la vulgarisation de la mobilité dans le travail ; le salarié peut changer d’entreprise rien que pour une petite amélioration du salaire. La stabilité et la confiance cèdent la place à la logique mercenaire qui envahit les salariés aussi. Le système anglo-saxon bouleverse les règles classiques qui régissent l’entreprise mais aussi les valeurs et les principes qui animent les acteurs.

  3. La critique morale et éthique du modèle

L’absence de projet

Le modèle anglo-saxon a pu faire partout dans le monde des alliés qui le défendent à tel point que toute forme de critique apparaît comme une transgression à un ordre déjà établi. Cependant, l’incapacité du modèle à produire un projet économique et social cohérent a permis de faire entendre des voix qui prévoient le déclin du système libéral. Les dérives qui résultent de ce système, favorisant l’accumulation des richesses au dépend de l’équité sociale, ont donné lieu à des critiques virulentes formulées parfois par des anciens protagonistes du modèle.

A la recherche d’un nouvel ordre moral

Au-delà des performances économiques, les paradoxes dans lesquels baigne la société américaine, ont donné naissance dans les dernières années à un sursaut moral pour une conception plus équitable du modèle américain. Cela se manifeste par des articles, publiés parfois dans les colonnes des plus prestigieuses revues américaines comme la Harvard Business Review, qui tentent d’apporter une approche morale à la conception du modèle anglo-saxon. Dans ce cadre, des courants de pensée ont vu le jour ; le " capitalisme de partenariat " ou le " communautarisme " ne sont que l’expression d’un retour à la logique de l’intérêt collectif tant occultée par la dynamique sauvage du modèle anglo-saxon.

Conclusion

Au terme cette étude, le modèle anglo-saxon s’avère comme une idéologie qui se diffuse tout en attisant de plus en plus de critiques : le succès économique et les dérives qui y sont liées expliquent cette situation paradoxale. Les mesures initiées par Reagan et Thatcher si elles ont pu générer des performances économiques incomparables, elles ont creusé en même temps le gouffre des disparités et des problèmes sociaux. Cela ne peut que jouer en faveur de l’émergence de nouvelles réflexions au dépend d’un mode dominant, de pensée unique qui considère les pratiques néo-libérales comme seul garant de la prospérité.

 

 

 

 

Mise en perspective

Devant la croissance de l’économisme qui envahit le monde et qui brise toutes les règles classiques de la société, un courant de pensée a émergé pour mettre en lumière la dynamique capitaliste sauvage induite par le modèle anglo-saxon. L’ouvrage s’inscrit dans ce courant par l’étude des différents aspects liés au paradoxe d’un modèle attirant par ses performances et répugnant par ses conséquences néfastes sur la société. Ainsi au travers de l’analyse proposée par les auteurs nous avons pu appréhender l’évolution historique et les évènements qui ont été à l’origine du modèle anglo-saxon. Une approche comparative par rapport aux autres modèles dans le monde a permis de déceler les caractéristiques du modèle anglo-saxon. Elles se résument dans l’individualisme, le rôle central des marchés, l’implication minimale de l’état et la liberté de l’initiative privée. Par ailleurs, si ces mesures ont permis de dresser des tableaux avec des chiffres encourageants sur la santé des entreprises anglo-saxonnes, la réalité montre que cela n’est que la partie visible de l’iceberg. Dans les pays anglo-saxons le bilan est accablant si l’on constate la recrudescence de la criminalité, la drogue, la pauvreté et la discrimination sociale. Ces phénomènes, qui sont le résultat immédiat de la logique de "l’état minimum " et du " tout économique ", donnent à ce " turbo capitalisme " l’allure d’une machine qui prodigue sa richesse en faveur de la minorité des capitalistes et écrase la masse de la société. A l’échelle mondiale, c’est au nom d’une mondialisation rapace que l’idéologie néo-libérale envahit les pays du monde. Les organismes internationaux en leur qualité de ‘garants de l’orthodoxie anglo-saxonne’ aggravent la situation des pays pauvres en leurs imposant des politiques qui les enlisent dans la dette. Là aussi, c’est le panorama d’une mondialisation à double visage qui se dresse. D’un côté, les grands rentiers qui contrôlent les flux financiers du monde et de l’autre une population mondiale pauvre avec les conditions minimales d’accès à la vie décente.

L’entreprise a été au cœur de ces modifications économiques et sociales ; elle a été influencée par la montée en puissance de l’idéologie capitaliste et a participé en même temps à la diffusion de cette idéologie. Les multinationales ont permis d’abolir les frontières entre les nations grâce aux investissements à l’étranger et ont facilité la diffusion des pratiques managériales anglo-saxonnes. Même les rapports à l’intérieur de la firme ont été altérés avec un gouvernement d’entreprise qualifié à la fois d’égalitaire et inégalitaire par Yvon Pesqueux dans son ouvrage " le gouvernement de l’entreprise comme idéologie ". Les managers dans cette nouvelle configuration de l’entreprise ont peu de marge devant le pouvoir incessant des actionnaires. Ce sont donc les salariés qui subissent les effets de la cupidité de l’actionnariat avec les phénomènes devenus légitimes de la baisse des salaires et du licenciement massif.

Néanmoins, plusieurs contributions et ouvrages ont fait irruption dans les dernières années pour dénoncer les dérives du modèle anglo-saxon. Cela n’est d’ailleurs que l’expression d’un sursaut moral qu’on peut constater à travers les manifestations anti-mondialisation dans tous les coins du monde. L’ouvrage que nous avons résumé, s’il ne s’inscrit pas tout à fait dans ce courant de pensée, il a le mérite de proposer une description scientifique globale et structurée du modèle anglo-saxon avec les éléments qui peuvent fonder une telle critique. En effet, l’ouvrage se veut encore plus un panorama des idées dominantes dans le sujet qu’une approche méthodologique pour critiquer le modèle et proposer des remèdes à ses innombrables faiblesses. Il n’en demeure pas moins qu’il constitue une bonne référence pour tout essai qui vise à mettre en lumière le modèle anglo-saxon et ses défaillances économiques et sociales. La complexité du modèle et son influence incessante sur le sort des populations offre un champ fertile pour l’étude et l’exploration, la diversité des angles de réflexion et des méthodes d’analyse ne peut en fin de compte que jouer en faveur de l’appréhension de la réalité.

 

 

Annexe : Aperçu historique du mercantilisme au capitalisme

Il est difficile d’étudier les origines du modèle anglo-saxon sans faire appel à une notion historiquement sous-jacente au capitalisme qui est le mercantilisme. En effet, Adam Smith fut le premier à utiliser en 1776 le " système mercantiliste " pour décrire ce qu’il appelle les confusions dangereuses de la majorité de ses prédécesseurs qui, selon leurs origines et leurs cultures, ne sont pas parvenus à identifier les grands traits et les principes du système économique de cette époque. Cela nous amène à revenir encore plus loin dans l’histoire de la pensée économique pour avoir une idée sur l’origine de la pensée et les enjeux qui ont caractérisé son évolution.

Chez Aristote l’économique est une branche des sciences de l’homme. Il a divisé les sciences globalement en trois catégories identifiées selon la nature de l’activité de l’homme : les sciences de l’activité individuelle (l’éthique), les sciences de l’activité en famille (l’économique) et les sciences de la cité (la politique). La chrématistique qui est la science des richesses était une dérivée de l’économique et puise par conséquent ses origines dans les fondements du partage dans le cadre de la vie en famille. Cette vie se base sur la production qui doit se faire par la famille et pour la famille, sur le prêt qu’on ne pouvait faire avec intérêt pour un membre de la famille et sur le travail gratuit comme on ne pouvait vendre le travail à l’intérieur de la famille.

La philosophie de la pensée aristotélicienne va rester toujours dominante jusqu’à la fin du Moyen Age et ce n’est qu’au XV siècle qu’on va retrouver les premiers traits de l’économie politique actuelle. En effet, la production ne doit plus se faire dans le cadre familial mais au niveau national et c’est l’état qui doit prendre en charge la distribution des richesses. Les intérêts deviennent un moyen légitime pour le financement d’investissements, le travail est désormais payant pour le travailleur qui devient salarié. C’est ainsi qu’au début du XVII on retrouve déjà les fondements de la doctrine mercantiliste dans le cadre d’une pensée économique structurée appelée " économie politique ". Au XVIII cette pensée arrive à maturité avec les réflexions de F. Quesnay et A. Smith qui mettent en place les notions de base de la description macroéconomique [1].

Le courant mercantiliste est construit dans sa naissance autour des mécanismes d’enrichissement et des moyens d’action de l’état dans le système économique qui doivent aboutir à " l’enrichissement en même temps du peuple et du souverain " (A. Smith). Les auteurs du mercantilisme ont pu développer des théories sur la politique monétaire, les impôts et les échanges commerciaux. Ces théories s’articulent autour de l’intervention de l’état qui amène à la convergence entre les intérêts du souverain et les intérêts des marchands du royaume. La puissance politique repose directement sur la puissance du marché.

Les fondements du mercantilisme ont été remises en cause par les travaux du magistrat français, seigneur de Boisguillebert, Pierre Le Pesant. Le fameux ‘ Factum de la France’, interdit par un arrêt du conseil du roi, a donné la première forme d’un libéralisme fondé sur la consommation. Boisguillebert considère la consommation comme étant la source du développement de la richesse. En conséquence, il faut supprimer les impôts qui sont payés surtout par la grande masse des consommateurs et qui limitent la demande des produits [2]. Ce qui différencie Boisguillebert des mercantilistes c’est aussi la priorité qu’il donne à la demande des produits agricoles par rapport à celle des produits industriels ; il prône même un libéralisme dans l’exportation du blé à la différence des mercantilistes dont les propos visent l’interdiction de la sortie des denrées alimentaires nécessaires à la vie. Le libéralisme de Boisguillebert va jusqu’à la liberté des marchés qui forme les justes prix assurant la satisfaction de la demande et de l’offre, c’est cette liberté qui permet aussi d’atteindre un niveau maximal de production.

Les théories de François Quesnay en XVIII siècle et des ‘ Physiocrates’ en général ne sont pas sans utilité dans l’édification de la pensée capitaliste. Selon ce courant d’économistes, la nature est le moyen par excellence de la création de valeur, le travail autre que celui de l’agriculture est en revanche improductif car il ne fait que transformer la valeur. La théorie principale de Quesnay est formulée dans le tableau économique des trois principes cycliques : les dépenses qui donnent lieu à la production, cette dernière génère des revenus qui permettent des dépenses.

L’économie classique, qui s’étale à partir de la publication de la richesse des nations jusqu’à l’avènement des théories de Stuart Mill en 1848, a donné un sens plus concret au libéralisme des physiocrates. La main invisible du marché induit un comportement des consommateurs et des producteurs pour la fixation d’un meilleur prix, la libre concurrence est donc l’organisation supérieure qui permet l’efficacité du marché dans la théorie de Smith. L’économie classique va au-delà des modes de production et de consommation dans un pays pour dresser les fondements des échanges entre nations. En effet si Smith prône une spécialisation de chaque pays dans les secteurs de forte productivité, Ricardo raffine l’analyse en faisant de l’avantage relatif le critère de l’échange. Les théories de l’économie classique embrassent par ailleurs tous les niveaux de l’analyse économique. Comme l’objectif de cette partie n’est pas de décrire en détail ce courant de pensée, nous allons passer à la théorie marxiste considérée comme point de départ de l’analyse du système capitaliste.

Dans son fameux ouvrage Le capital, Marx identifie deux modes de production : la production marchande et la production capitaliste. Le premier mode correspond à un modèle de référence simple de producteurs indépendants, chacun possède ses propres moyens de production et échange son produit directement sur le marché. Le travail est le moyen qui permet cette production et c’est aussi le facteur qui détermine la valeur d’usage. Le travail concret décrit les moyens et l’effort déployés pour la production et le travail abstrait produit les critères d’allocation de la valeur au produit. La valeur apparaît dans ce mode de production comme un rapport social entre personnes dissimulé sous la perception des objets. Le deuxième mode, celui de la production capitaliste, s’appuie sur le salariat pour la réalisation du profit résultant de l’achat du travail, de la production et de la vente des marchandises. L’exploitation dans ce mode n’est pas du vol car elle suppose l’existence d’un salarié contraint à vendre son travail pour l’échanger contre d’autres produits et d’un capitaliste qui possède les moyens de production. La monnaie joue un rôle fondamental dans ce rapport car elle entretient l’illusion d’un juste salaire pour un nombre d’heures de travail bien défini.

Les économistes ont essayé de donner au capitalisme un cadre institutionnel lié à une période précise de l’histoire; Schumpeter situe ce courant dans les années 20 et avant la première guerre même, Keynes le décrit comme mouvement des années 30. Cependant, la critique économique de Marx distingue un capitalisme concret connu depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, et un capitalisme profond issu de la conjugaison de l’économie marchande et salariale [3]. Les principales critiques de Marx de ce dernier type de capitalisme sont centrées sur l’anarchie sociale, l’aliénation et l’exploitation de l’homme. Cela fait de Marx le premier à avoir analysé avec pertinence et profondeur le modèle capitaliste, notre choix d’un aperçu historique allant jusqu’aux théories marxiennes n’est en fait pas fortuit.

Bibliographie

[1] J. Boncoeur et H. Thouément, " Histoire des idées économiques ", tome 1 : de Platon à Marx, Paris, Nathan, 1989

[2] H. Denis, " Histoire de la pensée économique ", Paris, PUF, 1974.

[3] " découverte de l’économie " cahiers français N° 280