DEVELOPPEMENT DES SYSTEMES D’ORGANISATION

 

Organisation et

 

Fonctionnement de l’entreprise

 

Cours B0-25480

 

1UV-90 heures

M.PESQUEUX

 

 

 

 

Fiche de lecture 

" FACONS DE RECRUTER "

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle DUBOIS

Mars 2002

 

Présentation de l’ouvrage

L’ouvrage sélectionné a pour titre : " Façons de recruter " avec l’intitulé : " le jugement des compétences sur le marché du travail "

Il est publié en mars 1997 aux éditions Métailié (Paris)

Ce livre résulte d’une recherche réalisée au centre d’études de l’emploi, dans le cadre d’un appel d’offre sur le thème du recrutement. Il aborde à la fois les considérations théoriques et des situations concrètes sur la question relative à la justesse du jugement dans l’évaluation de la compétence d’une personne. Question qui débouche sur celle de la discrimination dans les différentes acceptions de ce terme!

Biographie des auteurs

Les auteurs : François Eymard-Duvernay et Emmanuelle Marchal se répartissent la rédaction des chapitres. Ils écrivent en tant qu’économiste et sociologue.

François Eymard-Duvernay est professeur d’économie à l’université de Paris X-Nanterre et conseiller scientifique au Centre d’études de l’emploi.

Emmanuelle Marchal est sociologue-chercheur au Centre d’études de l’emploi.

Noter que le dernier chapitre, un peu particulier par rapport à l’ensemble de l’ouvrage, est conjointement rédigé par Pierre Boisard et Madeleine Vennat.

Postulats

Les auteurs affirment, sans vouloir imaginer le contraire : qu’il n’y a pas de compétence existant préalablement au jugement et qu’il s’agirait de la découvrir.

Pour eux, c’est le jugement qui contribue à la formation de la compétence : La compétence est une construction qui résulte d’une convention, c’est à dire d’un accord sur celle-ci.

En effet, on pourrait partir sur des bases différentes : admettre que les jugements sont fortement prédéterminés ou encore considérer que l’incertitude caractéristique de toute évaluation nous situe dans un univers arbitraire.

Il faut donner quelques précisions pour la lecture :

Hypothèses

De plus, un jugement équilibré serait celui qui maintient la tension entre une pluralité de façons de juger, inhérente à l’approche conventionnelle des compétences.

En d’autres termes, faisant référence à Ricoeur, Bessy et Chateauraynaud, l’objectivité résulte de " l’unité d’un apparaître et d’un dicible ".

Les auteurs vont montrer que maintenir cette tension est un gage d’équilibre, sans lequel le jugement devient discriminatoire. (Attention à l’ambivalence du mot discrimination).

Démonstration

L’étude repose essentiellement sur la notion de compétence :

Compte tenu de leur postulat, les auteurs approchent le jugement de la compétence d’une personne dans le registre de l’action.

Cette approche qui met en exergue le caractère conventionnel de la compétence, déplace l’analyse de la compétence vers la façon de la juger.

L’objectif est d’établir la pertinence d’un tel jugement équilibré en montrant comment le jugement varie, conduisant à évaluer différemment une même personne selon les conditions de recherche d’un équilibre.

A partir du postulat et des hypothèses, l’étude s’attache à montrer :

Le choix des auteurs réside dans l’étude des variations de jugement suivant des formes-type de recrutement et suivant leurs mises en relation par les recruteurs.

Chaque forme-type de recrutement : l’institution, le marché, le réseau, l’interaction,

possède sa propre cohérence ce qui les rend difficilement compatibles entre elles.

Selon le point de vue du recruteur, la compétence se présente sous différentes formes.

Dans " l’institution ", le recruteur est un régulateur qui utilise des dispositifs de mise en équivalence : diplômes, grades, postes, statuts… On parle de : qualifications.

Dans " le marché ", le recruteur est un sélectionneur qui utilise des dispositifs de mise en concurrence sur le marché du travail : petites annonces, tests d’aptitudes, on évoque : les aptitudes.

Dans " le réseau ", le recruteur est un médiateur qui utilise des dispositifs de mise en relation : les proches dans un milieu professionnel ou sur un territoire, les relations d’école…on emploie l’expression de : compétences distribuées.

Dans " l’interaction ", le recruteur est un interlocuteur qui pratique un dispositif de face à face : l’entretien ; on pense : compétences émergentes.

Par cette présentation les auteurs illustrent que : la compétence est une affaire de convention.

Les auteurs ne vont pas se contenter d’une attitude descriptive des observations mais voir dans laquelle de ces formes de recrutement se situe le recruteur et déceler quelles sont les tensions entre plusieurs régimes d’action mis à la disposition du recruteur, à savoir :

En effet, les formes-type de recrutement participent, deux par deux à quatre régimes d’action qui constituent une sorte de modélisation théorique de la pratique du recrutement.

Deux premiers régimes d’action s’opposent :

Il y a ici une irréversibilité de la compétence du fait que ce régime permet une discrimination toute mathématique et immédiate des candidats.

Ici " le contour " de la compétence peut mieux s’affiner tant pour le candidat que pour le recruteur dans la perspective d’arriver à une vision commune de ce contour.

Grande différence entre ces deux régimes: un jugement planifié dans le premier régime, en revanche, il s’avère négocié dans le second.

Les auteurs opposent encore deux autres régimes d’action :

Là encore, grande différence pour fonder le jugement, entre le choix qui consiste à considérer la nature collective des compétences et celui qui consiste à rechercher l’individualisation des compétences ; explicitement : opposition entre qualifications et aptitudes, entre compétences distribuées et compétences émergentes.

C’est à dire, pour synthétiser les tensions entre ces quatre régimes d’action:

De même :

Ainsi, les observations citées montrent que le recruteur passe d’une forme de jugement à une autre, et donc d’un régime d’action à un autre, arbitre entre ces situations pour former son jugement. Les arbitrages successifs conduisent à un équilibrage entre différentes conventions de compétences ; chacune a sa part d’utilité et sa part de pertinence pour arriver à décider de la compétence d’un candidat. En pratiquant ainsi, le recruteur renouvelle la convention de compétence, il l’élargit, peut être pour, instinctivement, tendre à une complétude de cette convention.

Chaque forme-type de recrutement participe donc à deux régimes d’action.

L’examen des cas exposés montre que, si le recruteur se limitait à une forme de recrutement ou la privilégiait, le jugement basculerait dans le déséquilibre, car trop exclusif d’une forme de jugement. Alors la convention de compétence devient restrictive!

Cette acception réductrice de la compétence présente un " intérêt " majeur : la simplification du recrutement, et à cet égard, la rapidité de la discrimination est source…d’économie ! Mais elle présente aussi un effet pervers dans la discrimination!

Les recruteurs ne se voilent pas la face, toute sélection est discrimination, et l’observation révèle : qu’on ne choisit pas au vu d’un seul critère mais, qu’en revanche, l’élimination se pratique au niveau d’un seul critère. De là à aller plus loin, selon le critère retenu, il n’y a qu’un pas ! Et là, il faut aborder le mot discrimination dans son ambivalence.

D’abord, la position extrême, lorsque la discrimination se fonde sur des critères qui n’ont rien à voir avec des compétences professionnelles, parce que ces critères sont destinés à sélectionner de façon économique, voire, parce que la discrimination est suggérée par des jugements péremptoires sur telle ou telle catégorie ! Alors, la discrimination doit être blâmée, voire, être répréhensible par la loi.

Ensuite, une position que l’on peut qualifier de plus habituelle. Les auteurs ont diversifié les exemples  pour montrer que le comportement discriminatoire ne résulte ni de la méthode utilisée ni d’une attitude plus ou moins partiale du recruteur. Le comportement discriminatoire provient de ce qu’il préjuge des compétences des individus lorsqu’il s’appuie sur des données irréversiblement attachées à leur personne ou considérées comme telles. Les tests ou la graphologie, par opposition à l’entretien. (Psychotechnique et graphologie considèrent la compétence comme une donnée stable liée à la personne, même selon les contextes de relations).

Ceci induit un effet pervers sur le chômage de longue durée car la convention de compétence ne se " renouvelle " pas, elle n’est plus à dimension variable. La convention figée dans un carcan, appliquée par tous les recruteurs, exclut définitivement ceux qui n’y répondent pas.

Concrètement, sur ce dernier point, un candidat qui ne passe pas les tests, sera hors jeu en permanence s’il est rejeté immédiatement ; au contraire, si le test ou la graphologie n’est qu’un indicateur de tendance complété par un entretien, là, des opportunités s’ouvrent au candidat et même au recruteur.

D’où, de toute cette démarche, l’hypothèse confortée des auteurs que la façon de mettre en tension les régimes d’actions dans la coordination ou dans la mise en contraste des formes-type de recrutement assurent l’équilibre du jugement, non pas pour viser un jugement parfait de la compétence mais pour correspondre à l’idéal que cet équilibre représente pour les auteurs afin de donner des chances plus équitables aux candidats et rétablir l’équilibre des compétences sur le marché du travail.

Résumé de l’ouvrage

Les auteurs commencent par se positionner à l’égard de nombreux travaux en sciences sociales en abordant la notion de compétence. Cette notion relève de la convention et le lecteur se lance dans un parcours des différents modèles des sciences sociales qui dégage les conventions de compétence de chacun. Par ailleurs, les auteurs établissent une " carte " des conventions de compétence qui servira à la fois : de topographie pour situer où se trouve le recruteur à un moment donné de sa démarche et de topologie pour connaître et expliquer ce qui se passe dans une circonstance précise. La carte indique les formes-type de recrutement et les régimes d’action qui opposent ces formes-types, selon différents couples en opposition.

Ce premier chapitre nous éclaire sur la démarche et sur les intentions des chercheurs : observer la pluralité des façons de juger de la compétence, relever comment peut varier le jugement, ce qui conduit à pouvoir évaluer différemment une même personne.

L’observation du recruteur en train de juger montre qu’il dispose d’une grande latitude et qu’on se situe bien dans un univers de conventions quant aux compétences.

Pourquoi considérer le marché (au sens précis de la théorie du marché) comme un mode de relation fondé sur la planification ? La convention de compétence sous-jacente au modèle du marché se fonde, précisément, sur le fait que la compétence est une donnée stable. Et, comme sur le modèle du marché, si cette convention n’est plus respectée, le marché ne fonctionne plus. Cette convention de compétence fait du travail un bien susceptible de circuler le plus largement possible dans l’intérêt du candidat. La forme la plus achevée du marché du travail est le marché de CV. Il résume le bien à échanger et il facilite la diffusion de cette information.

Le marché présuppose des compétences à portée universelle.

La notion de réseau introduit une forme alternative de relations au marché et les promoteurs de ce modèle l’estiment plus efficient que le marché : Granovetter – 1974 - le réseau qui préexiste à la création d’emploi est le support essentiel des mises en relations sur le marché du travail. Il réduit les coûts de recrutement en présélectionnant en petit nombre, (démarche de rationalité limitée) mais il génère aussi de la confiance car le candidat se trouve sous contrôle. C’est un mécanisme de transmission de confiance.

Les économistes estiment qu’il n’y a pas de support permanent tel que le réseau et que l’information est produite seulement par le processus de recherche.

Toujours est-il que l’importance des titres est ici relativisée par une expérience, une performance certes ciblée mais véhiculée par des témoignages au travers du réseau.

Le réseau fonde la compétence sur la production de résultats perceptibles.

L’institution met l’accent sur le caractère prévisible et la stabilité des compétences qui permettent de prévoir le comportement des individus, quelle que soit la situation considérée. La sociologie : Boltanski, les économistes. Pour eux, la coordination des actions s’effectue grâce à l’intériorisation de modèles, normes, statuts sociaux qui conditionnent les comportements. (age, sexe, profession, niveau d’études…)

Ce paradigme est cohérent avec l’idée de planification des compétences.

L’interaction insiste sur l’importance des relations interpersonnelles, tant dans le cadre du réseau que dans le face à face. L’éthnométhodologie (Garfinkel –1967-), la cognition sociale et l’interactionnisme symbolique (Strauss –1992 -) (Quéré –1969 -), contribuent au courant qui donne de l’importance à la négociation dans l’interaction et considèrent le caractère évolutif des compétences (Callon –1991-) ainsi que leur dimension spatiale et temporelle.

Des ponts sont établis entre cogniticiens et sociologues dans une novation qui considère que les compétences des personnes sont distribuées dans un environnement d’entités, personnes et objet. Les analyses s’accordent pour dire que c’est au cours du face à face interactionnel que l’on évalue le mieux et soi-même et les autres (Strauss) ; l’évaluation porte donc sur les identités personnelles mais encore avec une différence : que pour Goffman, contrairement à l’optique de la psychologie, la personne des individus n’est pas en eux mais entre eux.

Pour Goffman, ajoutons encore, parce que cela peut être motif à discrimination, que la perception, les apparences, les gestes, l’intonation et la physionomie jouent un rôle fondamental dans l’appréhension d’autrui.

Les auteurs soulignent que l’insistance du paradigme interactionniste sur la réciprocité des attributions et des revendications rend problématique la place d’un intermédiaire dans le recrutement.

Au niveau opérationnel, dans " l’institution ", c’est le tri des candidatures des recrutements par annonce où les CV, qui déclinent la qualification, sont considérés comme apportant une bonne représentation des compétences des personnes. C’est encore le cas lorsque la sélection s’opère sur les résultats de tests considérés comme le résumé pertinent des compétences du candidat et de son aptitude au poste. C’est la forme type " du marché " ou, vulgairement, on fait l’amalgame avec les performances d’un matériel.

On voit d’emblée la portée " économique " de ce régime d’action qu’est la planification des compétences.

Si, à l’opposé, les compétences apparaissent comme le résultat d’un processus de coordination, il n’y a plus de marché car on ne cherche plus à mettre en concurrence ou en équivalence les candidats.

L’entretien de recrutement est l’accomplissement de la négociation des compétences : les mises en relation ne sont pas prédéfinies, elles émergent de façon imprévisible au cours de l’interaction ; d’où l’appellation de cette forme-type : " l’interaction ". En contre partie, ceci pose le problème de la compétence de l’évaluateur qui est confronté à la difficulté de stabiliser son jugement. Cette instabilité peut être contournée lorsque les relations sont prises au sein d’un réseau (d’où l’appellation : " le réseau "), lequel engage les candidats, soutient leur action et surtout contribue à donner confiance dans leurs compétences. (Bessy –1995- donne l’exemple de la profession de photographe).  

Les constructions institutionnelles de la qualification (forme-type : l’institution) constituent une entrave au fonctionnement concurrentiel pour les économistes ; la notion d’aptitude s’oppose à celle de qualification en considérant que les diplômes, comme toute classification collective, ne sont que des ersatz par rapport aux compétences réelles.

Pour les psychologues, les aptitudes sont ancrées dans les personnes et mesurables indépendamment de tout contexte relationnel. La psychologie différentielle (Gould -1983 et Paicheler –1992 -) s’intéresse aux différences d’aptitudes au sein d’une population et aux méthodes pour les mesurer : la psychotechnique (s’est débarrassée du modèle biologique qui frôlait l’eugénisme). Le psychologue traduit les aptitudes dans le registre de l’efficience comportementale des acteurs et fait abstraction des dispositifs des organisations. Il considère en effet que les évaluations des supérieurs hiérarchiques ne sont que de piètres succédanés d’une observation scientifique et que les qualifications attachées aux postes n’ont que peu à voir avec les compétences des personnes.

Les fondateurs du comportementalisme considèrent que l’humain est très malléable et privilégient les dynamiques d’ajustement de l’individu à son environnement (au contraire des différentialistes). L’extérieur de l’individu est constitué par un environnement sans aucune structure (d’où abstraction de l’institutionnel), l’environnement adresse des signaux à l’individu.

L’individualisation des compétences va de pair avec l’idée que l’individu est le seul support de sa compétence, ce qui donne une cohérence avec l’approche du marché du travail dans lequel l’individu est son propre intermédiaire. La notion d’aptitude que retient la psychologie se mesure par des tests psychotechniques et la méthode statistique. On départage ainsi des candidats dont la qualification donne une compétence équivalente. En effet la qualification implique un groupe d’appartenance : diplôme, grade, école, métier, etc. La méthode d’analyse factorielle, qui sert à la construction des tests, est précisément choisie pour sa grande discrimination.

Les qualifications, attribuées par des institutions investies de ce pouvoir, ne sont pas déterminantes pour s’assurer des possibilités d’insertion des candidats. C’est pourquoi se développe une approche des aptitudes par les praticiens des organisations pour qui l’essentiel des compétences des individus réside dans leur personnalité. Les auteurs citent à ce sujet : Chatziz, De Coninck et Zarifan – 1995 - qui tentent d’établir dans les entreprises de nouveaux référentiels de compétences faisant abstraction…des postes de travail.

Les recrutements observés plus loin montreront que les recruteurs au cours des phases de travail établissent des passages pour multiplier leurs points de vue et faire varier leur jugement : dans ce cas, planification des compétences en dépouillant les CV, puis négociation au téléphone, ou en entretien éventuellement informé par le résultat d’un test par exemple.

Dans le second chapitre, le recruteur ne se positionne pas en relation avec les candidats mais avec des candidatures. L’observation d’opérations de recrutement par annonce montre ici que le recruteur se laisse guider par des catégories générales : des emplois et des candidats, et qu’il va les mettre en relation pour établir un jugement économique. Un tel jugement s’inscrit dans les standards du marché du travail où une part importante de la sélection s’effectue par l’intermédiaire du CV.

La construction d’un profil de poste, pour instruire l’annonce génératrice des CV, s’inscrit dans un complexe de contraintes afin que les candidats puissent s’ajuster à l’offre mais aussi pour que le consultant anticipe la sélection. Suffisamment attractive pour être lue largement, judicieusement formulée pour ne recueillir que des candidatures plausibles. Recherche " d’un bras droit " pour un aspect, Bac + X années, pour l’autre aspect.

L’exemple montre l’avantage d’avoir un consultant qui va aider le patron de PME à définir son besoin pour la recherche d’un adjoint. L’intérêt de cet exemple réside dans le décalage important entre les représentations que le patron et le consultant se font du poste. L’ajustement de ces représentations est développé. L’annonce, discutée entre le patron et le consultant, gardera trace du langage familier de l’employeur, (recherche un bras droit) elle permettra de suggérer un contour flou du poste (si vous êtes à l’aise dans une petite structure) mais le cœur de l’annonce portera la marque du consultant : référence à un profil du registre du marché, âge, diplôme, expérience, ainsi que la référence à des services que la structure de la PME ne peut délimiter aussi clairement.

Mais inconvénient d’un intermédiaire qui juxtapose deux langages de description. Cette traduction peut d’ailleurs même être révisée selon les circonstances : ajouter des critères si trop de candidats répondent au profil, assouplir la demande s’il y a une insuffisance. Joue encore la loi de l’offre et de la demande. Le marché actuel fortement déséquilibré conduit généralement les recruteurs à mettre des critères purement éliminatoires ; les critères démographiques répondent parfaitement à ce but.

Dans une première phase, élimination sur des critères très lisibles : ceux qui n’ont pas le niveau d’études, ni l’âge par exemple. L’âge à la demande non écrite du patron qui désire quelqu’un de plus jeune que lui mais plus âgé que les personnes à diriger, précision pour montrer que le consultant est aussi dans une relation de client-fournisseur avec l’entreprise qui embauche.

Dans le cas exposé, le recruteur considère que l’âge, le sexe sont des critères subjectifs et il souligne que la limite avec une attitude objective n’est pas évidente dans la pratique. Comme exemple, ce dernier élimine les postulants au poste parisien parce qu’ils habitent en province, tout simplement parce qu’une demande de précision prendrait du temps. Les exclusions successives semblent obéir à une rationalité économique.

Dans le cours du dépouillement, d’autres règles sont également construites, lesquelles supposent une compétence spécifique du recruteur et sa connaissance du marché du travail : élimination de personnes ayant tenu un poste très ciblé ou dans une activité particulière qui ne leur donnent pas une expérience sûre pour affronter la PME recruteuse. Par expérience, une même appellation d’emploi recouvre des réalités différentes.

Les dépouillements révèlent des informations floues, et parfois non standardisées, qui empêchent le recruteur de porter un jugement : on ne sait pas exactement ce qu’il a fait ! Incapacité du candidat à se présenter en tant que tel ou méconnaissance des règles du marché. Disons que l’information formelle ne débouche pas sur l’information informelle. Il faut en profiter pour noter que, dans cette configuration de recrutement, le critère d‘expérience qui a la particularité de faire l’objet d’interprétations et d’ajustements de part et d’autre est inhibé.

Il faut cependant que le consultant parvienne à un jugement positif sur un, voire deux ou trois candidats. Se décide un choix lorsque apparaît dans le CV une forte congruence avec l’annonce. Cela implique des informations dans le format adéquat de " la grammaire " du marché. Les informations qui restent isolées ne sont pas prises en compte dans le jugement.

L’action dans " le marché " induit une dichotomie entre d’une part la sélection : les candidatures rejetées n’ont aucune valeur pour le recruteur, et d’autre part le choix : les candidatures proposées à la PME seront justifiées. Il n’y a pas une volonté de discriminer en ayant recours à des critères non justifiables, mais parce que ces caractéristiques discriminatoires, activées en priorité, permettent une sélection économique.

Dans ce cas étudié, il faut conclure que la procédure de recrutement joue un rôle évident.

Les candidats qui n’entrent pas dans le standard du marché ont peu de chances.

A chaque forme de jugement, les chercheurs pensent qu’on doit associer un qualificatif qui maintienne l’ambiguïté : une qualité ou un travers. Le jugement du marché est donc caractérisé d’économique. Qualité qui devient un défaut si la préoccupation d’économie gouverne seule l’action.

Un troisième chapitre, où l’on observe l’activation du modèle du réseau et, la façon dont les entretiens avec les candidats remettent en jeu les critères fixés lors de la définition du poste.

Une entreprise de l’agroalimentaire recrute un responsable commercial, au travers de trois études de cas, on observera que les entretiens de recrutement offrent la possibilité de faire émerger des repères imprévus et qu’elle permet d’affiner l’ajustement entre le candidat et le poste.

Profil de poste déjà élaboré par l’entreprise et annonce prête à paraître dans un hebdomadaire quand le consultant intervient. Il dispose donc pour caractériser le poste  d’une liste de " repères-critères ", d’égale importance : titre du poste, niveau d’études, durée ou forme de l’expérience.

Comme ici la contrainte économique n’est pas de même nature ni de même acuité que dans l’exemple supra, ces critères bruts se révèlent insuffisants pour le consultant : il doit donner un sens à ces critères pour savoir ce qui va faire qu’un candidat va s’intégrer. Il doit disposer de " repères-indices ". En position d’intermédiaire, Il doit comprendre ce que l’entreprise recherche : identifier et qualifier l’environnement futur du candidat.

La situation s’avère plus subjective qu’il n’y paraît, même si l’intuition joue un rôle dans la recherche de repères lors de l’entretien, car le candidat pourra ici s’exprimer. L’entretien induit une forme de jugement spécifique.

La situation suppose une compétence du consultant. Remarquer que le consultant est ici spécialisé dans un secteur, ce qui lui donne une communauté de langage tant avec ses clients qu’avec les candidats. Cette compétence peut se traduire par une expérience de l’entretien, qu’il doit savoir mener avec innovation, et par un pouvoir de négociation sur le profil du poste. Pour ce dernier point l’étude se focalise sur le recrutement des cadres et des positions qualifiées qui peuvent justifier ce pouvoir.

Les informations fournies par les CV se positionnaient comme des repères-critères qui permettaient une sélection dans un contexte où l’économie de temps et de moyens s’avéraient une contrainte forte. Ici, ces mêmes critères ne sont plus autonomes, en effet, au cours de l’entretien ils n’ont plus de valeur en eux-même car le fait de les combiner à d’autres relativise leur importance.

En face du recruteur, se présente un candidat et non plus une candidature. De plus, il se concentre sur le candidat avec lequel il mène l’entretien, il ne favorise plus une logique de mise en concurrence. (du moins à ce stade). L’entretien se caractérise par une dynamique qui le rend moins formel que le CV et valorise les compétences (l’expérience) du candidat.

Dans cette forme de relation, la dissymétrie entre les interlocuteurs est atténuée car à un moment l’entretien bascule : il ne suffit plus d’acquérir la conviction que le candidat répond au profil demandé, il faut que le candidat soit convaincu pour lui de l’intérêt du poste ; Charge au consultant de présenter le poste et l’entreprise.

Pour le cas " Franck ", le consultant confie au chercheur que l’entretien a été suffisamment riche pour ne pas s’intéresser au test passé préalablement à l’entretien. La personnalité de Franck n’a pas été prise en compte alors que la précédente candidature avait été rejetée sur ce critère.

Quant à " Max ", au parcours sinueux, il sait donner de la cohérence à ce parcours. Il fait valoir les enrichissements que chaque transition lui a apporté, et que, cela le conduit tout naturellement à se frotter au terrain de la restauration. Malgré ce rôle actif du candidat pour sa valorisation le consultant ne parvient pas à relier la question de la capacité d’autonomie de Max aux autres questions.

Pour " Jean-Philippe ", s’instaure une " connivence " du fait de la connaissance commune de personnes, de situations : le nom des entreprises citées, les dirigeants avec qui il a travaillé, renseignent plus le consultant que le titre des emplois qui y ont été tenus. Dans ce contexte, il faut s’arrêter sur l’appui mental auquel le consultant a recours pour justifier l’ajustement de la candidature au poste : la référence au passé familial du candidat : " déjà tout jeune, il accompagnait ses parents dans le secteur qui concerne aujourd’hui l’embauche ". En tant que compétence incorporée, elle indiquerait une disposition générale à exercer dans un milieu de travail donné.

Même si une vingtaine de critères sont passés en revue, le chercheur voit que la forme de jugement du consultant s’appuie plus sur des impressions et des indices que sur des preuves.

Cette conviction est insuffisante pour justifier sa sélection au client (avec qui il travaille pour la première fois). S’il pouvait, il ne s’appuierait que sur les entretiens mais il y a la contrainte de justification de sa rémunération. Il doit donc lui faire-part de ses impressions lors de l’entretien, mais les conforter en s’appuyant sur des informations qui paraissent plus tangibles à l’entreprise : graphologie, tests divers.

Donc ici, une autre forme de jugement maintenant synthétisé car, elle, destinée au client. Deux formes et deux langages parce que deux finalités sont en présence. Donc, deux regards qui représentent, bien sûr, la même compétence. On retrouve ici les deux conceptions de l’objectivité mises en évidence par Dodier (1993) dans le monde médical où il oppose l’expert clinicien à l’expert spécialisé, c’est à dire les jugements portés par les personnes aux jugements portés par des repères externes.

Dans un rebondissement de fin de parcours, afin d’illustrer les tensions qu’il y a entre l’entretien et le dossier destiné à l’entreprise, il faut savoir que l’entreprise, parmi les candidats retenus par le consultant, n’a pas retenu celui qui était opérationnel immédiatement, elle a choisi celui au potentiel fort (la famille !) . Lequel s’est désisté au dernier moment ! Désaccords entre les responsables de l’usine : le directeur général visait à intégrer sur le long terme un agent brillant, alors que le responsable opérationnel, qui seul a reçu les sélectionnés et n’était pas en mesure de s’imposer devant le directeur, visait à satisfaire le poste à court terme.

 

Dans ce cas, nous avons donc vu un consultant qui travaillait dans le régime de la négociation des compétences et plus particulièrement dans l’interaction, voire le réseau pour un candidat, et qui pour donner du poids à son dossier, allait opérer dans le régime de la planification des compétences : l’institution (qualifications) et le marché (tests d’aptitude).

Dans le chapitre quatre, les auteurs sont à la recherche du jugement équilibré. Dans le cas précédent, il y avait une tension perceptible entre la forme de jugement et les contraintes de justification. Pour écarter tout doute de subjectivité, ce chapitre montre comment atténuer l’hétérogénéité des jugements en mobilisant simultanément une pluralité de formes de jugement.

Le recruteur s’ajuste en modulant ses relations avec son environnement. Environnement constitué par les candidats, son employeur (l’entreprise qui recrute), ses collègues.

L’observation de son ajustement conduit à remonter dans la chaîne des compétences : ici, la compétence du recruteur. Compétence caractérisée par la façon d’établir des relations avec son environnement. Il ne s’agit pas de le classer dans un itinéraire professionnel et social, peu importe s’il est psychologue ou non.

A partir du désaccord sur la stratégie du recrutement entre les responsables de l’entreprise précédente, nous pouvons mesurer l’importance de la collecte d’informations en amont du processus sur : le poste à pourvoir, son environnement ou les circonstances du recrutement,. Dans cette logique, un recruteur interne à l’entreprise semble mieux placé pour la qualité de l’information. Mais il doit lui aussi pouvoir imposer, en interne, son choix. lui aussi a un client même s’il se situe en interne.

Dans l’association, marquée par la temporalité, il y a alors un processus dynamique de coordination et d’apprentissage mutuel.

Quant à la confiance, elle sera caractérisée par les éléments qui concourent à asseoir la relation recruteur-client sur un registre d’engagement singulier : un engagement qui lie le recruteur à son client mais qui ne coïncide pas avec l’engagement du recrutement. Ainsi, dans cette logique, en cas d’échec, le coût d’un nouveau recrutement n’est pas prédéterminé. Il peut être partagé et même attribué à l’un ou à l’autre après discussion.

Le cabinet de recrutement étudié travaille régulièrement avec son client, d’ailleurs sa clientèle est essentiellement composée d’anciens candidats. La volonté de ce choix met en évidence la multitude d’événements susceptibles d’enrayer la coordination dans le cadre du recrutement, malgré une relation basée sur un accord implicite : le risque du recrutement se situe à l’extérieur et non à l’intérieur de leur relation. Ce sont les candidats qui constituent la source majeure d’incertitude, même une fois admis dans l’entreprise.

La proximité des relations consultant-client n’exclut pas le formalisme : en effet, l’écrit détaillé les oblige à accorder leur langage et leur point de vue. En conséquence, le consultant devient le porte-parole de son client.

A ce point de la lecture, le discours du recruteur bascule sur la compétence des clients. Il y a : les hiérarchiques et les opérationnels, préférés aux directeurs des ressources humaines parce qu’ils savent bien ce qu’ils veulent. Il y a encore les petites entreprises dont l’absence de véritable organisation et de division du travail vont être un obstacle à la définition de poste. Dans les grands groupes, les aléas seront alors liés à la multitude des interlocuteurs bien que l’influence d’un l’interlocuteur à l’intérieur de l’entreprise peut faciliter la démarche. Enfin, plus la durée du processus de décision interne s’allonge, et plus les candidats se démotivent. Le pouvoir d’attraction du client est aussi un facteur positif à prendre en compte car il motive les candidats.

On pourrait penser que le contrat devrait être un élément fort pour asseoir cet engagement mais le consultant montre l’incomplétude du contrat pour marquer cet engagement. La profession a des obligations de moyens et non de résultats. De plus il y a un manque de visibilité du travail effectivement réalisé malgré un rapport à l’issue de la première sélection : les rapports sont plutôt téléphoniques et on ne peut pas préjuger de la durée ni de l’étendue de la prise en charge.

Dans son illustration, le consultant est amené à évoquer un cas où il a été consulté pour une promotion interne ; et il ajoute que, de proche en proche, son activité de conseil en recrutement s’étend à la gestion des ressources humaines par le biais d’audits et de consultations ponctuelles sur les évolutions de carrière.

Maintenant, quel est l’effet de la proximité consultant-client sur la relation recruteur-candidat ?

Dans le cas présent, il faut recruter un directeur technique. Le recrutement s’effectue en plusieurs étapes. Un premier entretien permet au candidat de se présenter et au consultant de présenter le poste et l’entreprise ; la présentation symétrique permet de voir les points de convergence entre le candidat et le poste. Comme il s’agit d’un poste de cadre, il est évident que c’est plus son " envergure " qui est appréciée que ses compétences techniques. Il s’agit encore de s’assurer qu’il est cohérent de voir le candidat postuler pour ce poste compte tenu de son déroulement de carrière.

Un second entretien plus approfondi, notamment sur la personnalité. L’analyse graphologique sert de base aux discussions. Ces entretiens conduisent, d’une part, à éliminer des candidats mais aussi pour certains d’entre eux à se désister. Un troisième entretien se concrétise en présence du client qui choisira les candidats pouvant dans une ultime étape rencontrer les membres de l’entreprise.

Nous sommes loin du jugement économique vu antérieurement et une telle pratique suppose la bonne coordination et la complémentarité client-recruteur. Ici, le savoir du consultant sur le poste et l’entreprise s’étend largement au-delà du profil de poste. Il les présente comme s’il appartenait à l’entreprise : il devient une partie prenante de l’entreprise. Le consultant se doit de trier et de hiérarchiser les informations pour les restituer sous une forme susceptible d’intéresser le candidat. Une information formelle serait insuffisante, il faut déclencher une décision chez le candidat : continuer ou se retirer. Il faut savoir que ce type de candidat fait acte de candidature simultanément auprès de plusieurs entreprises et se permet de négocier au plus offrant.

Nous constatons même que le consultant examine les possibilités d’entente entre les personnalités des uns et des autres, ce qui nous ramène à la graphologie. Ce repère externe n’est pas utilisé ici comme preuve mais comme objet de discussion pour faire avancer la négociation puisque le candidat sera amené à commenter le résultat de ce test, à approuver ou à rejeter, voire à en souligner certains aspects. Source de dialogue qui va enrichir la possibilité de jugement. Toujours dans la même optique, dans le cas où le résultat du test graphologique serait défavorable ; alors ce résultat pourra être compensé par plusieurs indices favorables. Le consultant peut contacter des personnes qui ont approché professionnellement le candidat. (Le réseau – les compétences distribuées).

Dans ce cas, il ne s’agit pas de recrutement de masse, ce qui explique une pratique un peu particulière (trois entretiens). Ce qu’il faut en retenir, sans en faire un modèle de ce que serait un bon recruteur, c’est que ce consultant s’inscrit dans un réseau de clients fidèles, qu’il fait varier les supports de son jugement : annonces ou approche directe, qu’il recherche un équilibre entre plusieurs formes de jugement. Le jugement du consultant s’appuie sur l’interaction, réduisant les tensions générées au cours des entretiens par trois entretiens : il s’appuie sur l’institutionnel : poste précis, diplôme et référence à l’école qui les délivre, la compétence est donc évaluée en référence à des qualifications générales. Ces qualifications entrent en tension avec l’évaluation des aptitudes par un test (validation et non-discrimination). Il met encore ces deux représentations de la compétence en tension avec l’autre forme de jugement qu’est le réseau : réseau des écoles pour diffuser l’offre, réseau professionnel pour saisir des réputations et son propre réseau de relations.

Pour conclure, le passage d’une forme de jugement à une autre fonde la complexité de son propre jugement qui permet de trouver un équilibre entre elles et le jugement final correct, celui qui satisfait toutes les parties prenantes : le candidat retenu qui trouve le travail qui lui convient, le client qui dispose du professionnel recherché, et le consultant qui garde son client et s’assure de son professionnalisme. L’observation montre à dessein que tout ceci n’aurait pas été possible sans que le recruteur assure l’ensemble des opérations en association étroite avec le client.

Le cinquième chapitre aborde l’intuition comme forme de jugement. L’intuition qui émerge entre deux personnes au cours de l’entretien comme nous venons de le voir mais aussi celle vue comme permettant d’évaluer une personnalité de façon instantanée : la psychotechnique et la graphologie.

Le recrutement observé concerne le secteur tertiaire, moins organisé que les précédents secteurs : une secrétaire juridique est recherchée. Les auteurs décident de prendre au sérieux le rôle de l’intuition car, dans ce cas, elle est reconnue par la consultante!

L’étude de poste est moins approfondie que d’habitude et il n’y a pas vraiment entente sur les termes à utiliser. Une annonce est passée. Parution dans un grand quotidien mais en dehors des colonnes juridiques. C’est un échec : peu de candidatures et désistement des candidates sélectionnées. Relance de l’opération.

L’observation de la présélection indique que l’évaluation se fait par comparaison des dossiers et non dans l’absolu. Certains critères, que l’on ne peut pas mettre dans l’annonce : âge, sexe, sont pourtant activés pour répondre à la demande de la cliente. Les jeunes diplômées sont même éliminées par crainte qu’elles ne restent pas dans le poste. La consultante convoque, au fur et à mesure des réponses, dès qu’une candidature semble intéressante, elle attache donc de l’importance à l’entretien ; d’ailleurs, on voit qu’une candidature intéressante s’est révélée négative lors de l’entretien. Elle souhaite que les candidates lui parlent de leur environnement familial, comme un prolongement de la personne. Les candidats sont soumis à une batterie de trois tests et à un questionnaire.

Illustration de trois cas, pour rendre compte de l’atmosphère de ce genre de recrutement.

La première candidature : l’entretien débute mal : retard de la candidate qui affiche sa décontraction, réponses intelligentes et rapides, reconnaît la consultante qui cependant la trouve agressive et doute de sa sincérité. Elle lui fait quand même passer les tests pour réduire cette tension dans son jugement. Ils sont décevants, ce qui fait alors basculer la consultante dans le rejet de la candidature.

La seconde candidate n’est pas bavarde, il faut constamment la pousser à parler, comme si elle estimait que son dossier de candidature devait être suffisant. Elle argumente en réaction à des provocations mais pas dans le souci de se vendre puisqu’elle semble même prête à partir dès que la consultante s’interroge sur son adéquation au poste. Et puis, vive critique de la pratique des tests par la candidate : " c’est scandaleux, pas fiable ". La consultante, qui a apprécié cette franchise et a eu finalement un bon contact au cours de l’entretien, transmettra cette candidature tout en la faisant passer avec une autre qu’elle considère meilleure.

La troisième, elle a un parcours intéressant, une personnalité qui révèle un peu d’ambition et de mauvais caractère mais c’est un atout, car la cliente souhaite quelqu’un d’énergique. Les tests sont aussi bons. Elle sera présentée avec la candidate précédente.

Ces formes d’actions sont peu planifiées et la justification du jugement, propre au régime de l’institution, y est extrêmement réduite. Chaque cas est approfondi pour lui-même, le jugement intuitif ne procède pas par priorité à la discrimination comme dans le marché. La conviction résulte d’un lien interpersonnel. En définitive on se situe donc bien dans le modèle de jugement de l’interaction. Pour les auteurs, l’intuition peut donc être comprise comme l’émergence du jugement dans le cours de l’interaction. Théoriquement, ils précisent que les travaux des cogniticiens sur les mécanismes de l’intuition, la relie à l’émotion (Simon – 1983) : des expériences imprimées dans la mémoire sont activées en priorité lorsqu’on reconnaît une configuration semblable. Le choix intuitif suppose donc une expérience passée du recruteur et n’est justifiable que si l’on suppose que les compétences sont transversales aux emplois.

Bien sûr, c’est la porte ouverte à des associations qui n’ont rien à voir avec le poste : racisme, copinage, etc. mais c’est aussi une ouverture qui donne leur chance à des personnes dont l’itinéraire professionnel ne correspond pas aux canons du marché du travail.

Le sixième et le septième chapitre abordent l’opposition : aptitude contre qualification, de la controverse entre les deux conventions de compétences : individualisation des compétences contre mise en relation au sein des collectifs.

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Dans le premier de ces chapitres, l’intérêt porte sur la psychologie. Nombreux sont les recruteurs psychologues, plus particulièrement, le courant différentialiste, à l’origine des tests utilisés pour sélectionner le personnel.

Quelques débats académiques sont abordés. " l’invention de l’intelligence " qui part des premiers tests d’aptitude issus de la phrénologie au 19e Siècle, en référence à une organisation physiologique repérable dans le cerveau et lisible sur le visage (physiognomonie). Le passage des tests physiologiques aux tests d’aptitude est réalisé par Binet. L’objectif de Binet : " dégager de la gangue scolaire la belle intelligence native ". La connexion est établie avec le courant héréditariste aux Etats-Unis qui augmentent le nombre de tests (rapport Binet-Simon puis Stanford-Binet) et les étendent aux adultes, ce qui amène à remplacer le niveau absolu d’âge mental par le très connu quotient : le QI. L’ambition : mesurer l’intelligence sans l’intermédiaire du langage !

Spearman, psychologue et statisticien introduit l’analyse factorielle encore à la base des tests actuels, conditionnant ainsi fortement la conception d’aptitude.

L’héréditarisme des psychotechniciens disparaît progressivement mais l’outil statistique demeure. Les aptitudes se diversifient, celles qui émergent de cet outil résultent d’une corrélation entre plusieurs épreuves. " Bon en version latine, vous pouvez commander un navire " !). De plus, l’outil statistique privilégie les épreuves qui donnent un bon pouvoir de discrimination. Les économistes s’accordent assez bien avec ces conventions. La démarche repose sur l’hypothèse que les variations interindividuelles des aptitudes l’emportent sur les variations pour un même individu.

Les éditeurs de tests sont des entreprises privées qui mobilisent des compétences scientifiques, des réseaux de psychologues pour étalonner les tests et des supports de commercialisation.

Les comportementalistes, les ergonomes, les cogniticiens critiquent la conception statistique des aptitudes, développée par les différentialistes, et prônent la dynamique des aptitudes : dynamique d’ajustement de l’individu par rapport à l’environnement.

Psychologie différentielle : aptitudes rigidifiées ; L’amélioration de la qualité d’une population passe par des processus de sélection, d’où l’intérêt de leurs techniques dans les situations de recrutement.

Les comportementalistes : flexibilité du comportement ; Ils mettent au premier plan l’apprentissage et la mise au point de méthodes qui assistent les compétences (Watson – malléabilité de l’humain et particulièrement de l’enfant).

Le courant cognitiviste se développe vers les années 60, mettant l’accent sur les processus de traitement de l’information. L’individu est placé devant un dilemme. Pour ces nouvelles théories cognitives, les problèmes sont résolus par le calcul, suivant les lois de la probabilité. Les défaillances sont des erreurs de rationalité. Les psychotechniciens, eux, ne s’intéressent pas aux dynamiques d’interactions des sujets avec leur environnement : Les aptitudes sont considérées comme stables pour un individu. Pour les cogniticiens, la modélisation porte sur les mécanismes de réaction face à l’environnement qui ne fait qu’envoyer des signaux. Avec le courant novateur de la cognition distribuée, cet environnement change de statut, il devient source pour la compétence.

L’intérêt de ces recherches est de rapprocher les travaux psychologiques qui se concentrent sur le fonctionnement de l’esprit humain et les travaux sociologiques pour lesquels la compétence est produite par le collectif.

Hutchins (1995) étudie les propriétés cognitives de réseaux d’unités par d’un biais cognitif souvent constaté : les individus ayant fait une interprétation ont tendance à garder les informations qui la confirment et à rejeter les autres ; L’idée développée formule que certaines formes d’organisation peuvent réduire ce type de biais. Le modèle montre que la communication entre les individus permet d’explorer plus d’hypothèses qu’il n’est possible à un individu et réduit les risques de biais inhérents au verrouillage d’un individu sur une hypothèse. L’efficience ne reposerait pas tant sur les compétences individuelles que sur la façon dont un système cognitif est agencé.

Le descriptif de poste, dans le registre de la description d’une organisation, présente un intérêt limité pour les psychologues qui le considèrent comme trop statique. Pour eux la compétence d’une organisation réside dans la compétence des individus qui la compose en fonction d’un environnement (tout ce qui leur est extérieur). Ainsi, ils ont tenté de contourner la capacité de jugement propre au supérieur hiérarchique : évaluation sur des moyennes, absence d’analyse, en le forçant à répondre à des items dont le sens lui est caché, ce qu’ils ont refusé, trouvant inacceptable de juger sans comprendre ce qu’ils faisaient. Les psychologues opérant dans les organisations ont donc été contraints de revoir leurs pratiques de laboratoire et passer par les perceptions de la hiérarchie. Cela met en évidence la difficulté de faire abstraction des institutions pour atteindre directement les compétences des personnes.

Pour rendre plus précises ces perceptions et éviter les biais relevés dans la pratique, la technique des incidents critiques a été développée au cours de la seconde guerre mondiale puis, appliquée à l’industrie et diverses activités dans les années suivantes. Les chercheurs collectent un grand nombre d’incidents critiques considérés comme fournissant une représentation des comportements dans l’activité. L’exemple de Dunnette (1969) sur l’évaluation des infirmières montre la difficulté de la méthode qui assimile le travail des psychologues à une opération de traduction. La compétence des infirmières est définie en dehors des règles qui structurent l’organisation. Chaque qualité a été étalonnée à partir d’incidents.

Compétences réduites à une mesure unique : l’intelligence. Les opérateurs ne manipulent que des chiffres et par conséquent la diversification des aptitudes se traduit par une place plus importante donnée aux mots par rapport aux chiffres.

Le vocabulaire des aptitudes permet des articulations avec des dispositifs organisationnels: tel trait de caractère rend apte à tel métier alors que le langage est omniprésent dans le modèle de l’institution pour les qualifications : diplômes, activités, professions, types d’entreprises.

Dans le septième chapitre, les chercheurs examinent un outil différent : la graphologie qui occupe une place importante dans l’activité de recrutement.

Les recruteurs qui s’attachent aux traits de personnalité des candidats s’opposent à ceux qui privilégient les marques institutionnelles de la compétence ou de l’expérience. Pour ces recruteurs, les aptitudes, la personnalité, sont des caractéristiques en amont des compétences. Titres et expériences s’acquièrent, les traits de caractère sont des données immanentes à la personne.

Contrairement aux tests, au protocole rigide, la graphologie offre une grande souplesse d’utilisation, d’un simple aperçu de la lettre de motivation à un examen approfondi. A ce titre, elle accroît la productivité du recrutement.

Pour le graphologue, l’écriture est un langage d’action qui exprime les motivations, les valeurs et les intentions de celui qui écrit. De ce fait, il cerne la personnalité du candidat qu’il va confronter à la personnalité de l’entreprise qui recrute. Ainsi, dans le cabinet témoin, les graphologues recrutent successivement aussi bien un médecin du travail, un vendeur, un ingénieur, un informaticien. Pourtant certains graphologues considèrent que l’écriture est marquée par l’empreinte du milieu professionnel du candidat : le milieu pourrait valoriser des traits de caractère.

Contrairement aux tests psychotechniques, dont les résultats sont difficiles à interpréter par des non professionnels, les analyses graphologiques ne sont pas axées sur la mesure des performances cognitives. Elles sont encore moins axées sur les compétences strictement personnelles.

Dans ce cabinet de recrutement, chaque candidature est résumée en deux dossiers, l’un graphologique avec la lettre et l’autre technique avec le CV. Si la lecture du premier dossier est considérée comme plus rapide que celle du second, qui demande de vérifier plusieurs critères, ils ne sont toutefois pas déconnectés.

L’utilisation de la graphologie dans ce cabinet, permet lors du tri des candidatures, d’accéder directement aux aptitudes personnelles sans mener un travail de mise en équivalence des qualifications, elle sert à la distanciation, en passant outre le discours du candidat, sa présentation ou des impressions singulières qu’il laisse au consultant, lors de l’entretien. En revanche, en final, avec une analyse approfondie, elle départage les candidats retenus par l’entreprise (seulement à ce stade pour une question de coût de l’analyse), avec le statut analogue à celui des tests d’aptitude, elle sert à objectiver l’évaluation.

Lors de l’entretien, même si le vocabulaire est identique, le recruteur oublie sa formation de graphologue, mais contrairement aux entretiens suivis précédemment, il s’oriente essentiellement vers la personnalité du candidat. Ce dispositif favorise évidemment les personnalités ouvertes : le naturel, la cohérence, la franchise du discours, la vivacité d’esprit et de synthèse, sont valorisantes dans ce contexte.

Dans la pratique, les consultants amènent souvent le candidat à participer à la construction de leur propre jugement, parfois à réaliser directement leur propre diagnostic sur leur personnalité. Un constat : la capacité de jugement des candidats est inégalement distribuée selon qu’ils sont en poste ou au chômage. Le fait d’occuper un emploi modifie le niveau d’exigence et permet d’être plus critique car on se trouve en position de force. Demandeur d’emploi, la relation devient plus asymétrique, le candidat est prêt à accepter n’importe quel poste pour sortir du chômage.

Les candidats ne sont pas forcément eux-mêmes lors de l’entretien pour différentes raisons : les candidats au chômage ou en charge de famille manifestent souvent de l’anxiété. Effectivement, une difficulté provient du fait que l’entretien déconnecte du contexte dans lequel peuvent être éprouvées les qualités d’une personne. Le consultant doit, par exemple, savoir estimer si les échecs dus au chômage n’obèrent pas leurs capacités.

Les qualités visées ci-dessus comportent peut-être aussi un atout dans le sens où l’efficacité de la présentation du candidat permet au recruteur de procéder à un jugement rapide, donc économique. Il est évident que ce critère prend de l’importance pour certaines fonctions commerciales dans lesquelles il faut impressionner rapidement son interlocuteur.

Les consultants reprochent aux ingénieurs, surtout ceux des grandes écoles, d’avoir une personnalité indifférenciée et de ne pas orienter leur discours dans la direction du poste sollicité. " A trop bien préparer leur entretien on fini par savoir ce qu’est un bon HEC ". " Or, c’est très important de persuader le recruteur que vous avez envie de ce poste et de lui fournir des arguments qui justifient cette envie " : votre adéquation au poste.

L’entretien choisi, montre clairement que le recruteur, expert en personnalité, valorise ici les compétences d’interaction du candidat alors que le poste concerne un produit technique. Les aspects institutionnels de la compétence sont relégués au second plan.

Le paradoxe des approches de la personnalité est de substantialiser des compétences relationnelles. Les outils des psychologues et ceux des graphologues, plus ouverts à l’interaction, permettraient, dans leur optique, de mesurer en toute généralité une compétence à entrer en relation.

Ce type de sélection a pour effet de reléguer au chômage des individus stigmatisés par l’inadéquation de leur personnalité, sans que leur qualification et leur expérience professionnelle soient en cause puisque, au demeurant, elle n’est pas prise en compte.

Ce problème du chômage, évoqué plusieurs fois, fait l’objet du dernier chapitre.

Ce chapitre, qui ne paraît pas très cohérent avec l’ensemble de l’ouvrage doit être considéré comme un complément d’information, bien qu’actuellement le chômage soit un problème majeur sous-jacent au recrutement, plus particulièrement pour les cadres qui ne connaissaient pas le chômage de longue durée et dont la fonction et la perception de leur fonction ont beaucoup évolué entre temps.

Cette partie expose une enquête sur l’action d’un organisme de formation qui aide les cadres au chômage à surmonter leurs problèmes psychologiques et à les former aux méthodes de recherche d’emploi.

Les problèmes psychologiques dus au chômage de longue durée compromettent généralement les démarches quand ils ne les inhibent pas ! Les formateurs misent donc sur les capacités intrinsèques des personnes. Ils les invitent à renoncer à ce qui les protégeait et les rassurait à une époque : leurs bagages, pour mieux appréhender la situation réelle nouvelle. Attitude classique en psychologie : aider l’individu à agir lui-même sur son environnement en se gardant d’intervenir à sa place, d’autant plus qu’on exige d’un cadre une autonomie individuelle.

Cet organisme a pris une option individualiste : réussir dans la recherche d’emploi, sans appui institutionnel ou collectif, seulement avec les compétences acquises par le stagiaire au cours de cette formation. Une approche qui colle bien avec les présupposés de la théorie économique néoclassique qui suppose l’existence d’agents rationnels autonomes et un espace de communication et d’échanges.

Sans entrer dans le détail, l’approche directe du marché amène tout naturellement à s’entraîner aux techniques de communication. Sont actionnés, plusieurs outils : la programmation neurolinguistique, l’analyse transactionnelle, la technique d’entretien et la communication non verbale, sans oublier la maîtrise du téléphone.

Principales conclusions

Au travers des discussions théoriques et des observations recueillies pour confirmer l’hypothèse qu’un jugement, " idéal " selon les prémices de l’étude, est un jugement équilibré, ceci en mettant en évidence le fait qu’il donne des chances plus équitables aux candidats et par conséquent qu’il rétablit l’équilibre des compétences sur le marché du travail, les auteurs concluent en présentant trois conclusions.

Il s’agit là, dans une première conclusion de portée générale, de dire que la nature des liens entre les entreprises et le marché du travail doit être caractérisée par des flux de relations continuels destinés à favoriser la connaissance d’informations émises par ce marché, ceci en opposition à une planification unilatérale de l’emploi.

Quant à l’action de l’organisme de recrutement, les auteurs considèrent qu’Il y a quand même un effet pervers de laisser le chômeur seul artisan du recrutement, sans soutien collectif ou institutionnel, car un échec deviendra alors un problème purement individuel et une sanction d’incompétence irréversible.

Là, dans la réalité, on constate bien l’affaiblissement de la sphère doctrinale.

Pour clore, rapportons l’extrait suivant : " La notion de convention, sur laquelle notre travail est appuyé, vise à propager l’idée que la compétence n’est pas une ressource " naturelle " mais résulte bien d’accords, et en particulier d’accords collectifs ". " Une réflexion de fond devrait être menée sur les dispositifs de négociation collective susceptibles de mieux équilibrer les façons de juger les compétences ".

Discussion et critique

Une telle approche fait penser que ce travail de recherche, sur des cas particuliers, plutôt que sur la construction d’une théorie, rejoint la tendance actuelle qui privilégie la jurisprudence par rapport au législateur.

Il faut encore constater que les auteurs généralisent une situation alors qu’ils ont privilégié dans leurs observations des experts en recrutement qui se positionnent entre le marché et l’entreprise.

Les auteurs se placent à contre courant de ceux qui, dans la psychologie, considèrent que les aptitudes sont ancrées dans les personnes. Ils estiment même cette position comme étant de nature discriminatoire.

La " carte " des quatre formes-type de recrutement pouvait laisser croire, en première lecture, à un paradigme sur la question posée. Il s’agit sans aucun doute, d’une présentation destinée à favoriser la controverse dont se nourrissent tous les chercheurs en sciences sociales mais aussi, pour aborder l’étude d’une présentation qui exclut un angle de vue unique ou, privilégié. Cette carte illustre que, face à un objet social, comme l’organisation du recrutement, comme la formation d’une décision, il faut parler en termes de représentation, et que la réalité n’est pas intangible, qu’il y a des représentations dominantes et que l’on construit la vérité.

Pour rendre compte des variations de convention, les auteurs se démarquent légèrement de l’approche culturaliste. Certes, les acteurs évoluent dans un espace culturel qui marque durablement leur conception de la compétence, mais dans le contexte du recrutement il peut y avoir plusieurs cultures et celles-ci peuvent être non stabilisées.

Par ailleurs, ils sont en opposition avec les évolutionnistes car le recruteur, en faisant varier les relations de son environnement, finit par agir sur lui. En effet, l’étude s’attache à observer l’action dans une forme-type de recrutement, mais aussi dans la confrontation entre plusieurs d’entre-elles ainsi que dans le choix de s’engager dans une autre forme-type au cours du traitement des dossiers ; ceci afin de modifier la relation : " candidat / recruteur " et parfois " recruteur / entreprise cliente " (dans ce dernier cas, pour définir la recherche de candidats).

Si l’on se réfère à la loi du 31 décembre 1992, dans cette optique, seraient subjectifs les jugements que le recruteur à des difficultés à expliciter ou à justifier en généralités.

En effet, chaque forme-type de recrutement, et pour chaque régime d’action, sont fixés des critères dont le choix permet une discrimination (une comparaison entre candidats) sans être discriminatoires (arbitraires). Le recruteur qui se base sur ces critères, disons corrects, peut encore être discriminatoire au sens négatif du mot, en éliminant sur un critère que la loi refuse de mentionner dans l’offre de poste (cas exposé), mais aussi en étant subjectif. La question est donc de savoir quand il est objectif et quand il est subjectif.

Pour les auteurs, sont considérées comme subjectives, des attitudes qui consistent à se focaliser sur un ou des critères pour les besoins de la sélection - on pourrait dire pour l’économie de celle-ci, afin d’être plus clairs – et non pour les besoins du poste à pourvoir. Cas d’un poste à Paris et de candidats en province, éliminés sans savoir s’ils sont prêts à déménager. (dans le cas cité, un simple appel téléphonique aurait pu lever le doute)

A juste titre, les auteurs rapportent tout l’intérêt de l’entretien qui permet de passer " des repères indices" aux " repères critères ". C’est à dire qu’un même repère peut avoir valeur de critère décisif ou valeur d’indice, selon l’utilisation que l’on fait d’un diplôme, d’un test, dans le processus de recrutement ; On a soit une référence irréversible et éliminatoire soit un indice qui va instruire, qui sera associé, comparé, complété à d’autres informations avant de prendre une décision. On voit le paradoxe - ou l’apparence de paradoxe - Le résultat d’un test qui a mis tous les candidats dans les mêmes conditions d’évaluation parait d’une grande objectivité (sauf pour le test graphologique dont le résultat est fortement lié au graphologue) et pourtant c’est l’information du réseau et surtout l’entretien, avec la sensibilité du recruteur, donc, tout ce qui est généralement considéré comme subjectif, qui donne le plus de chances au candidat de faire valoir sa compétence.

L’explication pourrait être dans la distinction entre l’information et la communication dans une perspective de déterminisme organisationnel avec la théorie de la richesse des médias.

Dans le régime d’action de la planification des compétences (l’institutionnel et le marché) on se situe dans le registre de l’information qui répond à l’incertitude sur les candidats ; d’ailleurs, moins les recruteurs ont d’incertitudes sur un candidat, moins ils cherchent d’information dans le dossier.

Mais, dans le contexte du recrutement qui suppose de maintenir, voire d’améliorer, l’efficacité d’une organisation en place (dans l’entreprise qui recrute), le recruteur est confronté en plus à l’ambiguïté : Il n’y a pas que le poste dans l’absolu, il y a aussi le contexte dans lequel le futur embauché va travailler : culture d’entreprise, interlocuteurs, organisation, il faut encore que le candidat soit convaincu de l’intérêt que le poste présente pour lui. Bref, le réseau et l’entretien (dans le régime d’action des compétences négociées) vont permettre de lever l’ambiguïté car ils sont caractérisés par la communication. L’action de contrôle du réseau sur le candidat prend ici toute sa dimension pour lever l’incertitude qui pèse sur lui. Il ressort, que dans les cas exposés, la communication génère de l’information, ce qui prouverait l’incomplétude du régime d’action de la planification pour lever les incertitudes.

Le recruteur est donc amené à gérer deux processus avec des perspectives dissociées : celle de la quantité d’information par rapport à la perspective de l’incertitude, et celle de la qualité de la communication par rapport à la perspective de l’ambiguïté.

On voit bien l’incomplétude des deux régimes d’action, et surtout celle de chaque forme-type de recrutement ; Ce constat valide la perspective de jugement équilibré par la mise en tension de ces éléments ainsi que la notion de jugement équilibré dans un univers de convention de compétences.

S’il faut s’en convaincre, toujours dans la même optique, ajoutons que chaque forme-type de recrutement peut être caractérisée par un qualificatif qui maintien l’ambiguïté : une qualité aussi bien qu’un travers. Le basculement d’un coté ou de l’autre dépend du maintien de la tension entre ces formes et leurs régimes d’action. Des exemples : Le jugement suivant le modèle du marché peut ainsi être qualifié d’économique ; Cette qualité devient un défaut si la préoccupation d’économie devient la seule à gouverner l’action. Le jugement suivant le modèle de l’institution peut être qualifié de général mais avec le risque d’être générique. Celui du réseau, de local et celui de l’interaction, de confiance.

La focalisation sur des situations de recrutement ne réduit-elle pas l’analyse de cette étude ? Recrutements d’ailleurs limités aux cadres et employés qualifiés. Les auteurs admettent que cette approche représente une très faible part des situations dans lesquelles sont jugées les compétences. Il y a aussi les gestionnaires qui licencient, les formateurs qui évaluent les stagiaires, les cadres, la maîtrise dans toute la chaîne de subordination… Les auteurs répondent que l’évolution actuelle des formes de gestion tend à faire de leur analyse un modèle. La systématisation des entretiens annuels d’évaluation me fait penser qu’ils ont raison sur ce point.

Compétences des candidats, admettons que les cas rapportés illustrent dans une synthèse honnête des observations qui peuvent justifier au moins les hypothèses de départ.

Compétences des recruteurs précise-t-on dans le texte, là je pense que l’étude n’aborde pas ce point en profondeur. Certes, constatation d’un professionnalisme, assez divers d’ailleurs, mais nous ne savons rien sur les choix qui ont conduit à sélectionner ces consultants, sinon leur audience sur le marché du recrutement ; Les compétences des consultants se détermineraient-elles par leur influence sur le marché ? Certes l’efficacité à " bien recruter " doit se révéler sur le marché mais il n’y a pas nécessairement de relation avec un jugement équilibré, il suffit que l’entreprise et le consultant y trouvent leur compte, d’autant plus que le candidat n’a pas (malheureusement) son mot à dire dans cette efficacité.

Mais cette satisfaction n’est pas vraiment partagée par les candidats sur ce même marché. Là, si les auteurs estiment devoir leur attribuer une part de responsabilité ils admettent qu’on n’apprend pas aux personnes à se vendre ! On retrouve la logique cynique du marché : tout s’achète, tout se vend selon, demande / offre, mais ici suivant les circonstances. Ici il n’y a pas de morale…mais les cabinets de recrutement ont une déontologie !

Dans le cours des observations on constate comment se construit l’éthique du recruteur notamment lorsqu’il traduit et justifie son choix mais une éthique singulière puisqu’il ne justifie jamais son élimination des candidatures, sauf au chercheur mais uniquement et exceptionnellement pour l’éclairer dans sa présente recherche.

On constate que le recruteur valorise surtout son proche au détriment du lointain : soit qu’il travaille " à l’économie " il valorise le CV ou le test qu’il a en main, au détriment du candidat qui est absent ; soit qu’il s’implique fortement, notamment dans l’interaction, où ce qui émerge du dialogue compte plus qu’un diplôme ou un test, quitte, comme on le voit dans un exemple, à modifier le profil de poste (le profil de poste n’est après tout qu’une représentation plausible de la réalité de ce poste).

Compétences des chercheurs, ajoute-t-on. Effectivement, pour la validité de l’analyse il faut encore s’assurer de ce point comme on le ferait avec l’étalonnage d’un appareil de mesure. Là, les auteurs estiment que la présentation des controverses entre les programmes de recherches en sciences sociales est une condition suffisante de preuve. Controverses fort intéressantes pour s’instruire et situer la présente étude ; La compétence des auteurs, dans leur domaine, n’est ni en cause ni remise en question, mais ces controverses ne valident pas l’étude par rapport aux autres approches. Ou en d’autres termes : quel est le poids de cette étude vis à vis des autres recherches, quel est le poids de cette étude par rapport à une autre étude qui aurait pris en compte une observation de toutes les parties prenantes du recrutement. Sur ce dernier aspect rappelons que les observations sont limitées au recrutement des cadres et d’employés qualifiés.

Actualité de la Question

L’actualité du chômage de longue durée qui n’a pu trouver de solution depuis cette étude, (la pénurie d’emplois a des effets sur les façons de juger le travail), l’extension des évaluations en cours de carrière qui s’apparentent de plus en plus à des recrutements périodiques (développement de la notion de compétence dans les organisations et un alignement des formes de l’organisation sur celles du marché), l’exacerbation des contraintes économiques qui pèsent de plus en plus sur toute organisation (les démarches entraînent nécessairement un coût pour toutes les parties impliquées dans le recrutement), conservent, aujourd’hui, toute son actualité à cette étude.

Ce qui incontestablement reste d’actualité, au cœur des préoccupations de ce livre, c’est la question de la justice dans le jugement.

D’une part, parce qu’aucune théorie universelle ne se dégage de toutes les disciplines (psychologie et ses divers courants, sociologie, graphologie…) pour parvenir à s’accorder sur ce qu’est un jugement juste ; chacun selon sa discipline privilégie les postulats de celle-ci et comme, en plus, nous sommes à rationalité limitée, une fois qu’est faite une interprétation, la tendance est de garder les informations qui la confirment et à rejeter les autres.

A la lacune théorique, s’ajoutent des conditions d’évaluations de plus en plus soumises aux lois du marché : recherche d’économies, offre et demande, qui conduisent par des biais cognitifs, à discriminer et à fixer une évaluation.

Enfin la tendance à s’orienter plus sur la personnalité du candidat que sur ses acquis institutionnels ou son expérience.

Enfin, nous sommes dans une période où les appuis des salariés et des chômeurs pour décider des décisions qui sont prises à leur encontre, sont limités.

Nous voyons, à travers quelques exemples observés lors de l’étude, que la loi ne résout pas ce problème et que, d’ailleurs, elle peut être aisément contournée en matière de discrimination.

Lorsque ce livre a été écrit, en 1997, les pratiques de recrutement, encadrées par la loi de 1992, n’avaient pas encore sensiblement évoluées. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il faudrait peut-être réactualiser cette question.

L’approche qui a permis de montrer le caractère conventionnel de la compétence permet de penser que le sujet restera encore longtemps un sujet d’actualité.