LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Simon ALCOUFFE
Doctorat HEC

 

 Charles Darwin

"L’ORIGINE DES ESPÈCES"

(La Découverte, Paris, 1989)

 

Sommaire

 

 

L'AUTEUR

Charles Darwin (1809-1882) était un naturaliste et biologiste anglais. Son œuvre principale, L’origine des espèces par voie de sélection naturelle (1859-62) est le nœud d’un chassé-croisé entre sciences naturelles et sciences sociales. Alors qu’il s’inspire explicitement de Malthus, sa conception de la sélection naturelle alimentera des courants anthropologiques et sociologiques. Un autre de ses ouvrages, L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1874) est considéré comme le point de départ de l’éthologie. Darwin inspirera l’interactionnisme américain et certaines analyses marxistes. Le darwinisme social, par contre, relève d’une autre conception de l’évolution, qui trouve sa source chez Lamarck.

 

LES QUESTIONS POSÉES

Dans cet ouvrage, comme tout au long de ses recherches, Darwin s'interroge sur l'origine et l'évolution des espèces animales, mais sans jamais parler de l'être humain, ainsi que sur les facteurs ayant une influence sur celles-ci.

 

LES POSTULATS

Jusqu’au milieu du 19e siècle, l’idée d’hérédité était une notion proprement et purement juridique: il s’agissait de la transmission des biens matériels au sein d’un lignage. Darwin transpose cette notion aux sciences naturelles et part ainsi du principe que cela est possible a priori. Un autre postulat implicite est la contraignante domination des mécanismes héréditaires dans les phénomènes d'évolution des espèces.

 

LES HYPOTHÈSES

Les hypothèses à l'origine des recherches de Darwin se transforment ici en postulats ou propositions que l'auteur cherche à appuyer.

 

LES RÉPONSES

Réduite à l’essentiel, la théorie de l’évolution de Darwin est la suivante : en même temps que la rareté des ressources maintient un certain équilibre entre les espèces végétales et animales des mutations se produisent dans chaque espèce qui donnent à l’une des variétés une probabilité plus forte de survie. Ce mouvement, lent et dû au hasard, est une sélection naturelle. Des particularités géographiques peuvent conduire à la formation de niches écologiques où se maintiennent des variétés de l’espèce, préservées de la sélection.

Cette théorie n’est pas téléologique. Pour Darwin, l’évolution n’a pas de but et telle espèce aujourd’hui adaptée à son environnement, peut demain périr avec une transformation de celui-ci si une mutation préalable ne l’a pas dotée de qualités assurant sa survie dans le nouveau contexte. Il n’y a donc chez l’auteur ni adaptation ni hérédité des caractères acquis.

 

LE RÉSUMÉ

Introduction

Jusqu’au milieu du 19e siècle, l’idée d’hérédité était une notion proprement et purement juridique: il s’agissait de la transmission des biens matériels au sein d’un lignage. A partir des années 1850, cette notion a trouvé une application dans les sciences naturelles à travers les travaux de Darwin et de Mendel.

Ces deux personnalités s’attachent alors à construire une notion-force qui reste encore aujourd’hui d’une incroyable puissance: celle de la contraignante domination des mécanismes héréditaires. Les travaux d’observation de Darwin sur les élevages de pigeons qui fournissent la base de cet ouvrage se fixent pour but de relever les régularités d’une transmission biogénétique considérée comme le point ultime de l’analyse du vivant et la clé de sa compréhension.

Mais dans le cas de Darwin comme dans celui de Mendel une absence frappe, celle de l’humain. Darwin, l’un des théoriciens les plus importants des mécanismes héréditaires (mécanismes qui joueront un rôle capital dans la façon dont seront reçus et utilisés ces travaux), n’a pas énoncé ses premières conclusions sur l’espèce humaine.

En outre, à la différence de Mendel, qui se préoccupe de la transmission des caractères en tant que telle, Darwin met l’accent sur la transmission des variations selon leur congruence au milieu.


Direction de la recherche

Darwin aborde dans son ouvrage l’étude de l’origine des espèces et observe les affinités mutuelles des êtres organisés, leurs rapports embryologiques, leurs distribution géographique, leur succession géologique et d’autres faits analogues. Il en arrive à la conclusion que les espèces n’ont pas été créées indépendamment les unes des autres, mais que, comme les variétés, elles descendent d’autres espèces.

Mais ce qui deviendra une source d’inspiration pour un certain nombre de théories en sciences de gestion c’est l’explication de l’évolution des espèces en termes de sélection et de variation que Darwin cherche ici à démontrer et selon laquelle les innombrables espèces habitant la terre se sont modifiées de façon à acquérir «cette perfection de forme et de coadaptation qui excite à si juste titre notre admiration» (Darwin, 1989, p. 43). Il s’agit donc pour nous d’étudier la théorie du changement sous-jacente aux travaux et aux conclusions de Darwin.

Les naturalistes assignent, nous dit Darwin, comme seules causes possibles aux variations, les conditions extérieures, telles que le climat, l’alimentation, etc. Pour l’auteur, ces conditions extérieures ne sont pas les seules causes possibles des variations et c’est ce qu’il cherche à montrer. Quels sont les moyens de modification et de coadaptation autres que les conditions extérieures ?


La sélection naturelle

Dans ses recherches, Darwin va donc se tourner en premier lieu vers l’étude attentive des animaux domestiques et des plantes cultivées. Le premier chapitre de son ouvrage est donc consacré à l’étude des variations à l’état domestique. Et selon Darwin, beaucoup de modifications héréditaires sont possibles à cet état domestique, modifications au sujet desquelles l’homme exerce une influence certaine en accumulant, par la sélection, de légères variations successives.

Darwin étudie ensuite la variabilité des espèces à l’état de nature et les circonstances les plus favorables à la variation.

Dans le chapitre trois, l’auteur considère la lutte pour l’existence parmi les êtres organisés dans le monde entier, lutte qui doit inévitablement découler, selon Darwin, de la progression géométrique de leur augmentation en nombre. L’auteur applique en fait ici la doctrine de Malthus à tout le règne animal et à tout le règne végétal: comme il naît beaucoup plus d’individus de chaque espèce qu’il n’en peut survivre; comme en conséquence, la lutte pour l’existence se renouvelle à chaque instant, il s’ensuit que tout être qui varie de quelque peu que ce soit de façon qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre. Cet être est ainsi l’objet d’une sélection naturelle. Et en vertu du principe «si puissant» de l’hérédité, «toute variété objet de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée» (Darwin, 1989, p. 44).

Darwin traite assez longuement de ce point fondamental de la sélection naturelle dans le chapitre quatre. Il y tente de démontrer que la sélection naturelle cause presque inévitablement une extinction considérables des formes moins bien organisées et amène ce que Darwin appelle la «divergence des caractères».


La variation

Dans le chapitre suivant, l’auteur développe ce que sont pour lui les lois complexes et peu connues de la variation. Pour Darwin, la variabilité entretient un rapport de causalité avec les conditions d’existence auxquelles chaque espèce est confrontée pendant plusieurs générations successives.

Darwin identifie deux facteurs de variation: la nature de l’organisme, qui est le plus important des deux, et la nature des conditions ambiantes. L’action directe du changement des conditions peut conduire à des résultats définis ou indéfinis. Il reste cependant difficile, comme l’admet Darwin, de déterminer la part exacte de la responsabilité de la sélection naturelle d’une part, et de celle des conditions extérieures d’autre part, dans un processus modification.

Il est en effet difficile de dire, comme par exemple dans le cas des animaux à fourrure vivant dans des régions froides, si c’est la sélection naturelle qui a éliminé ceux qui n’en avaient pas ou si les animaux ont développé cette fourrure en réaction au climat.


Les obstacles à la théorie développée

Les chapitres 6 à 10 sont consacrés à la discussion des difficultés qui peuvent s’opposer à l’adoption de la théorie développée par l’auteur. Ces difficultés sont les suivantes: les difficultés de transition, l’instinct ou la puissance intellectuelle des animaux, l’hybridité ou stérilité des espèces et la fécondité des variétés quand on les croises et, enfin, l’imperfection des documents géologiques.

L’auteur examine ensuite la succession géologique des êtres à travers le temps (chapitre onze), leur distribution géographique à travers l’espace (chapitres douze et treize), leur classification ou leurs affinités mutuelles, soit à leur état de complet développement, soit à leur état embryonnaire (chapitre quatorze). Le dernier chapitre est l’occasion pour Darwin de récapituler les développements contenus dans les précédents et d’ajouter quelques remarques finales.


Conclusion

C’est donc une longue argumentation en faveur de la théorie de la sélection naturelle que Darwin développe tout au long de son ouvrage. La théorie que défend Darwin est celle de la descendance modifiée par la variation et par la sélection naturelle. Par variation et sélection naturelle, Darwin entend par exemple le perfectionnement des organes et des instincts les plus complexes, non par des «moyens supérieurs, bien qu’analogues à la raison humaine» mais par l’accumulation, justement, d’innombrables et légères variations, toutes avantageuses à leur possesseur individuel.

En outre, le corollaire à la théorie principale de Darwin est le suivant:

«toutes les parties de l’organisation et tous les instincts offrent au moins des différences individuelles; la lutte constante pour l’existence détermine la conservation des déviations de structure ou d’instinct qui peuvent être avantageuses; et, enfin, des gradations dans l’état de perfection de chaque organe, toutes bonnes en elles-mêmes, peuvent avoir existé» (Darwin, 1989, p. 586).

La sélection naturelle, selon Darwin, n’agit qu’en accumulant des variations légères, successives et favorables, elle ne peut pas produire des modifications considérables ou subites, elle ne peut agir qu’à pas lents et courts. Les effets héréditaires de l’usage et du défaut d’usage de parties apportent ensuite un puissant concours à la sélection naturelle. Enfin, l’action directe des conditions de milieux et les variations jouent un rôle par leur influence sur les conformations d’adaptation dans le passé et dans le présent.

 

MISE EN PERSPECTIVE


Darwin et le social-darwinisme

Les fondements de l'idéologie

Les travaux de Darwin portent sur une fraction du vivant où n’interviennent pas des traits spécifiques aux sociétés humaines, tels que la fabrication et l’utilisation d’outils complexes ou le langage réversible (celui où l’on peut changer les messages selon la conscience des faits). Or ces travaux viendront servir de base d’analyse et de fondement prescripteur des considérations sur les sociétés humaines, sociétés qui sont précisément construites largement sur ces traits spécifiques et en cela distinctes de ces matrices d’interprétation.

Le terrain d’étude préféré de Darwin est le règne animal et c’est là qu’il étudiera d’une façon systématique la transmission des caractères acquis par variation, c’est-à-dire dans une temporalité lente et progressive, distincte de la soudaineté de la mutation. C’est par ce trait que Darwin se révèle le plus en consonance avec la morale élitiste et féroce de la classe sociale qui vient de vaincre l’aristocratie de l’Angleterre du milieu du 19ème siècle, à savoir la bourgeoisie.

Des projections affectives puissantes sont déclenchées par son travail sur l’animal, des projections qui ne suivent nullement les observations faites sur le vivant végétal. Les théories comme les observations de Darwin intègrent donc rapidement une attitude finaliste comme des remarques anthropomorphes. La visée téléologique de Darwin est présente dès le choix de l’objet de l’étude.


Le caractère idéologique du social-darwinisme

Le caractère idéologique des conclusions et interprétations de Darwin est à l’origine du courant de pensée appelé le social-darwinisme. La survivance du plus apte et son triomphe sont les idées-force véhiculées par ce courant. Le domaine animal n’est pas explicitement le domaine humain, toute proposition sur la force ou la faiblesse, l’esclavage ou l’agression, etc. est, sur ce terrain là, considéré comme légitime, neutre, sans signification idéologique. Le domaine animal représente le transfert idéal. Si le social-darwinisme n’est pas exactement Darwin, éthologie et sociobiologie présentent ce caractère commun avec la démarche de Darwin: toute réflexion se fonde sur l’animal non humain et n’aboutit à l’homme qu’en dernier ressort.

Darwin, avec les pigeons, parle de l’homme et ses lecteurs l’entendent ainsi. Sa postérité l’a prouvé: le social-darwinisme a été un puissant mouvement intellectuel qui a dominé le paysage des sciences de l’homme à la fin du 19e siècle et durant la première moitié du 20e siècle. Ce mouvement intellectuel consistait en l’application aux rapports socio-humains d’un schéma discerné par Darwin dans l’analyse des traits morphologiques du vivant.

Le social-darwinisme était une transcription littérale des conclusions idéologiques des travaux de Darwin sur l’animal. Dans les sciences sociales, qu’elles portent sur l’animal humain ou non-humain, le débat ne sera donc pas un vrai débat car il ne portera pas sur les méthodes, ni sur le processus, mais sur le contenu des conclusions de Darwin, ce qui est le plus fragile car relevant de la projection des passions et non pas du travail de rigueur. Le choix du terrain, l’animal plutôt que le végétal, a permis d’associer indissolublement la foi en le déterminisme biologique à la morale des vainqueurs et l’attachement à l’ordre social.

 

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