LES FICHES DE LECTURE de la Chaire D.S.O.

 

 

ROUSSEL Alexandre                                                                     Cours du C.N.A.M. Paris

Théorie des Organisations C1                                                 Chaire Développement des

Mai 2002.                                                                                          Systèmes d’Organisation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jacques BOUYSSOU

 

Théorie générale du risque

 

(Editions Economica, Paris, 1997)

 

 

 

 

 

 

 

 

Sommaire de la fiche de lecture :

 

·        L’auteur

·        Postulat

·        Question posée par l’auteur et hypothèse

·        Résumé de l’ouvrage

·        Principales conclusions

·        Commentaire critique et actualité de la question

 

 

 

 

 

 

 


L’auteur

 

Jacques BOUYSSOU est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a exercé des responsabilités en France et Outre-Mer.

 

 

 

Postulat

 

Dans l’avant-propos de l’ouvrage Théorie générale du risque, Jacques BOUYSSOU constate un fait, postulat de départ de sa démonstration : d’après lui le risque, omniprésent et inséparable de l’action, est volontairement peu ou prou évoqué par le corps politique en raison des peurs qu’il suscite, et  malgré les menaces qu’il représente sur le corps social.

 

 

 

Question posée par l’auteur et hypothèse

 

La question est posée simplement par l’auteur en début d’ouvrage : une théorie générale du risque est-elle possible ?

Dès lors, l’auteur affirme la nécessité de fixer quelques règles et principes communs d’une telle théorie et de suivre plusieurs pistes de réflexion visant à évaluer, gérer et réduire le risque, tout en soulignant avec prudence qu’il s’agit d’un exercice délicat - voire arbitraire et incomplet - et que chaque domaine d’activité doit définir plus spécifiquement les règles et principes d’action de sa propre théorie du risque.

            L’auteur ne formule pas véritablement d’hypothèse de départ, mais le sujet même de l’ouvrage et la question formulée reposent implicitement sur la possible construction d’une théorie générale du risque.

 

 

 

Résumé de l’ouvrage

 

1) Chapitre I : Qu’est-ce qu’un risque ?

 

Dans ce chapitre introductif, l’auteur rappelle que le risque, danger éventuel plus ou moins prévisible, est une notion floue et malaisée à comprendre même si banalisée aux yeux du grand public, et que les peurs qu’elle suscite provoquent traditionnellement l’indifférence ou le refus d’intérêt pour ce sujet.

Cependant, le risque est présent lors de toute décision, notamment pour les personnes ayant en charge la conduite du corps social et s’interrogeant sur le devenir. Aussi est-il proposé de conduire par ordre ses pensées afin d’élaborer une théorie générale du risque exposant les points importants, en apportant de la méthodologie dans l’étude des ensembles de risques et la compréhension de leur diversité, ainsi que d’inventorier les questions à se poser lors de leur gestion.

Après un aperçu historique du risque, les fondements de la théorie du risque de l’auteur ainsi que les principes pouvant donner des règles d’action sont exposés. Il est ensuite proposé d’étudier les attitudes devant le risque connu et le risque inconnu, puis les méthodes pour évaluer, gérer et réduire un risque. Après avoir étudié les possibilités d’enseigner le risque et les règles de son bon usage, quelques tentatives de propositions sont faites et l’auteur finit son exposé sur une réflexion pour la prospective d’une théorie du risque.

 


2) Chapitre II : Histoire d’une doctrine du risque.

 

Au XVIIème siècle, le risque était peu évoqué, les philosophes et les moralistes englobaient le calcul des risques dans la prudentia.

Puis, au XVIIIème siècle, le calcul des probabilités se répand, permettant de mieux percevoir le risque à partir des calculs de durée de vie humaine, pendant qu’apparaissent les sociétés mutualistes dans le monde ouvrier, les premières assurances sur la vie et les retraites. Alors que le développement du calcul actuariel et des mathématiques financières est lent en France, les économistes semblent peu s’intéresser au risque.

Le risque social apparaît à la fin du XIXème siècle aboutissant à une législation sur les risques du travail, puis au XXème siècle sur le risque vieillesse et sur le risque chômage.

Dès lors se banalisent les notions de répartition des risques sociaux, et les économistes s’intéressent aux calculs des investissements et autres risques financiers. La notion de risque s’étend : le risque nucléaire (1950-1955) permet de réfléchir sur la mise au point de méthodes de dissuasion ; les risques civils à la charge de l’état et ceux liés aux progrès technologiques sont mieux inventoriés (vers 1985) afin d’assurer la sécurité civile et d’améliorer la gestion des situations de crise ; la réflexion sur les risques dans le domaine de la santé s’organise autour de nombreux points comme les risques thérapeutiques, les risques d’infections hospitalières et les risques épidémiques. De plus et entre autres, des réflexions sont menées par la suite sur les risques politiques, ceux liés à la dégradation de la biodiversité, aux manipulations génétiques, au terrorisme et aux spéculations sur les produits financiers. 

Même si la connaissance du risque demeure une priorité, les méthodes de réflexion manquent toujours pour aborder une menace inconnue : les analyses partielles et le manque d’information - voire la rétention – peuvent conduire à surestimer ou sous-estimer un risque. C’est pourquoi une certaine objectivité, une indépendance d’esprit, une liberté de jugement et de la méthode appuyées par une théorie générale du risque sont à ce jour importantes.

 

 

 

3) Chapitres III et IV : Fondements et principes d’une théorie du risque.

 

Après cet aperçu historique, l’auteur pose ici les cinq fondements de sa théorie générale du risque :

 

premier fondement : afin de décrire, classer, comparer les différents ensembles flous de risques et exposer les liens existant entre eux, il est nécessaire d’apporter une part de rationalité dans l’étude et l’inventaire des risques.

 

Deuxième fondement : un risque connu à un instant donné peut avoir des conséquences inconnues à plus ou moins long terme représentant des menaces pour le corps social, d’où la nécessité de tenir compte de l’existence possible de ces risques inconnus (exemple : le risque SIDA).

 

Troisième fondement : il est nécessaire de cerner la logique de développement particulière à tout risque et d’évaluer ses probabilités de croissance par différents modes de propagation, même si la connaissance du risque est partielle et incertaine.

 

Quatrième fondement : à chaque risque étudié et évalué doit correspondre une volonté politique de décision et d’action (exemple : les risques épidémiologiques).

 

Cinquième fondement : à tout risque correspondent un coût et des conséquences sur l’ordre social,  qu’il s’agisse par action du coût provoqué par l’évaluation et les mesures prises pour gérer ce risque, ou que cela soit par défaut du coût des conséquences engendrées par la non-considération de ce risque.


Cependant, la construction d’une telle théorie du risque rencontre quelques limites :

-         l’irrationalité de certaines composantes du monde augmente fortement la difficulté d’analyse et d’évaluation du risque.

-         Personne ne peut avoir une théorie du risque parfaite en raison de l’existence d’outils d’analyse incomplets, de mécanismes et conséquences du risque difficiles à décrire, et de la part imprévisible du hasard. De ce fait, les évaluations des risques restent souvent peu fiables et peuvent être à l’origine de décisions mal adaptées voire dangereuses.

-         Il faut vouloir voir, inventorier et tenir compte des risques importants et majeurs menaçant l’équilibre social, souvent occultés par peur ou indifférence (exemple : le vieillissement de la population).

-         L’analyste doit en permanence remettre en question ses certitudes et savoir être critique pour l’étude d’un nouveau risque : aucun ne ressemble totalement à un autre même si la méthode de raisonnement sur les différents risques repose sur des fondements identiques.

-         L’évaluation du risque demande également une certaine maîtrise du temps, car le risque connaît une évolutivité et des déformations dans le temps augmentant la difficulté de l’analyse.

Compte tenu des enjeux qui découlent souvent de ce type d’analyse, le système d’évaluation du risque doit être construit de façon réfléchie, et le décideur doit comprendre ces méthodes d’estimation en raison du caractère manipulateur que peut parfois avoir la connaissance du risque.

 

 

Après les fondements de la théorie générale du risque, plusieurs principes constituant des points de départ pour des règles d’action sont proposés :

premier principe : il existe une analogie entre les différents risques, mais c’est une hypothèse à valider par secteur d’activité.

Deuxième principe : un risque n’est pas isolé et appartient à un ensemble de risques devant être inventoriés et permettant la prise en compte des catégories de risques proches.

Troisième principe : chaque secteur d’activité doit compléter par expérience sa propre théorie du risque et construire un système d’évaluation dans le temps (à t comme à t + n) de tous les types de risques.

Quatrième principe : il est important de réfléchir plus particulièrement et de s’informer sur les risques inconnus, non encore perçus (risques connus à conséquences imprévisibles, ou risques inconnus à t qui émergeront à t + n) en mettant en place un système d’observation et de décryptage des signaux pour comprendre la genèse de ces risques pouvant émerger, et permettant d’agir par anticipation..

Cinquième principe : les risques moraux et non mesurables ayant une incidence sur la survie de l’identité nationale doivent aussi être pris en compte (exemple : le système éducatif).

 

Mais les principes proposés ici se heurtent également à quelques obstacles :

-         le principal obstacle à l’action est d’ordre psychologique : le risque suscite l’inquiétude et l’anxiété face à l’avenir.

-         Le hasard ainsi que les actions des parties adverses jouent un grand rôle dans la perception du risque, et la gestion optimale d’un ensemble de risques au temps t est toujours remise en cause à t + n malgré les contre-mesures mises en place. C’est pourquoi il est nécessaire d’agir avec des marges de manœuvre.

-         Du temps, du courage, de l’expérience et une certaine indépendance d’esprit sont nécessaires pour évaluer au mieux un risque et ses liens avec les autres « systèmes de risque ».

-         Chaque personne a sa propre perception du risque et son habileté à le gérer ; or gérer un risque demande prudence, savoir-faire et sens du devoir d’état, ce qui touche à une part morale de l’action.

-         Même si pour une situation donnée un risque considéré introduit toujours une part de déséquilibre là où l’équilibre était initialement supposé, il est nécessaire que le responsable ou le décideur prenne en compte le risque car il est impossible de le supprimer totalement.


Aussi une théorie générale du risque, même si elle peut paraître quelque peu décevante, doit être durable et adaptable en permanence aux fluctuations du secteur d’activité dans lequel elle est spécifiquement utilisée, et doit utilement et efficacement permettre d’aider les responsables du corps social à prendre des décisions dans le temps. Bien que dérangeante car elle remet en cause les habitudes de pensées minimisant la vision des risques à venir, la théorie du risque est volontariste et s’oppose aux croyances, aux allégations, et au refus de décider.

 

 

 

4) Chapitres V et VI : L’attitude devant le risque et la perception du risque inconnu.

 

L’imaginaire joue un grand rôle dans l’approche du risque, il conduit à en influencer la perception et peut induire des erreurs d’évaluation et de gestion du risque.

Les sources d’erreurs pouvant principalement être citées sont les suivantes :

-         la peur des responsables qui pratiquent la cécité volontaire devant des risques majeurs pour le corps social (exemple : la chute de la natalité).

-         Le refus du corps politique, préoccupé en priorité par des tâches immédiates, de considérer les risques à plus ou moins long terme sujets à polémique (exemple : l’âge de la retraite).

-         La peur ou le refus de lutter contre les habitudes de pensée fortement établies, les résistances et le conformisme, sous peine de déranger l’opinion publique (exemple : la drogue).

-         L’indifférence et l’aveuglement croissants face au risque dans une société qui le banalise en l’incorporant au quotidien et où tout devient assurable.

 

Ces erreurs provoquées par l’imaginaire des responsables comme de l’opinion publique augmentent la difficulté de percevoir le risque et induisent d’autres risques ; les conséquences en sont les suivantes :

-         l’imaginaire réduit la vision globale du risque au présent, il empêche d’en comprendre la logique de croissance, d’en avoir une image programmée dans le temps et de prendre des décisions par anticipation.

-         Dans un ensemble de risques, l’imaginaire ne permet pas de percevoir la mobilité du risque et les conséquences en chaîne induites par ses déplacements.

-         Plus l’incertitude sur la perception du risque augmente, plus la part de l’imaginaire et de l’irrationnel dans la perception du risque est grande (exemple : le risque nucléaire) ; ceci explique la nécessité de calculs de probabilités contrant les visions biaisées.

 

Il est alors compréhensible que les experts et les analystes s’autocensurent et hésitent à donner leur avis, car ce dernier peut être sujet à déformation et intégré dans un discours politique ou médiatique cherchant à manipuler l’opinion par l’utilisation de risques imaginaires ; l’analyste doit avoir une certaine indépendance de statut, faire preuve de prudence et de ténacité, et tenir compte de ce lien étroit existant entre risque et manipulation dans un monde irrationnel du risque où le nombre de gens de bon conseil est très réduit.

 

 

Toujours pour limiter la part de l’imaginaire, il est aussi nécessaire de s’interroger avec attention sur la perception des risques inconnus, groupe incluant : les conséquences inconnues d’un risque connu ; le risque non décrit, non encore advenu mais appartenant à une catégorie de risques connus ; et le risque non connaissable dont on n’a aucune idée.

En effet, ces trois types de risques manifestent la nécessité de prévenir les dangers sous-jacents.

Ainsi, pour les conséquences inconnues d’un risque connu (exemple du SIDA : risque de transfusion de sang contaminé et non chauffé), des tableaux d’évolutivité, des échéanciers, des simulations et calculs de risques inconnus pourraient être méthodiquement établis à partir des informations de départ, même si l’entreprise est délicate, sujette au hasard et à l’incertitude.

Pour les risques non encore advenus (exemple : risque bactériologique), il serait intéressant de mettre en place des systèmes de prévention par observation de signaux d’alerte que les experts exploiteraient par analogie avec les ensembles de risques connus.

Enfin, la tâche est beaucoup plus difficile pour les risques non connaissables, car elle s’opère dans une conjoncture floue très fortement hypothétique. Cependant, on peut surveiller les racines que ces risques émergeant dans le futur ont souvent dans notre présent et qui sont peu observées, permettant de formuler des hypothèses si fragiles soient-elles et d’établir des schémas de risques potentiels en évitant les fictions alimentant le jeu d’intérêts mal connus.

La surveillance de ces risques, même imparfaite et partielle, a un coût mais est préférable à l’inaction ; il est nécessaire de vouloir voir le risque inconnu représentant une menace pour le corps social et un coût possiblement plus important que celui engendré par les moyens mis en œuvre pour la prévention du risque.

 

 

 

5) Chapitres VII, VIII et IX: Comment évaluer, gérer et réduire un risque ?

 

a) Evaluer le risque.

 

Evaluer un risque n’est pas une tâche aisée. En effet, même si dans certains secteurs des méthodes pour le calcul des risques existent déjà (exemple : le secteur économique), le hasard est un facteur qui impose de réfléchir avec des marges de manœuvre, et il est nécessaire d’autre part d’avoir conscience des erreurs pouvant être commises dans l’évaluation et dont les origines sont diverses :

-         la peur même d’évaluer un risque est déjà un facteur pouvant induire des erreurs.

-         Le manque d’objectivité de l’analyste conduisant à des évaluations du risque médiocres.

-         L’idéologie induisant des erreurs dans les évaluations de risques des secteurs « passionnels » (exemple : la chute de la natalité).

-         La difficulté d’identifier le risque lorsque les dossiers scientifiques sont incertains et émettent des réserves (exemple : les risques liés à l’amiante), et lorsque les connexions entre les différents ensembles de risques évolutifs sont peu aisées à percevoir.

-         L’immobilisme du corps bureaucratique pour qui l’évaluation du risque semble peu prioritaire ou inutile, voire dérangeante lorsqu’elle remet en cause les habitudes et les compétences.

 

Pour sensibiliser le décideur en évitant les dangers des surévaluations, il paraît pourtant nécessaire pour chaque étude de risque d’inclure des schémas d’évaluation tenant compte :

à des risques connexes, dérivés, et des effets cumulatifs.

à Des probabilités de croissance du risque, des effets dans le temps, de tableaux d’études et de simulation.

à De l’évaluation des possibilités de freinage.

à Des évaluations des coûts probables, directs ou indirects, et ceux engendrés par les conséquences du risque non géré ; mais aussi de l’évaluation du coût des politiques de prévention et des contre-mesures possibles, ainsi que de leur efficacité.

à De plus, même s’il est semble impossible d’évaluer le risque inconnu par construction, il paraît important de contrer les coutumes de pensée bloquantes afin de détecter par anticipation les signaux possibles du risque émergent.

 

L’analyste doit donc savoir pour chaque évaluation de risque s’adapter à une situation nouvelle, faire constamment preuve de méthode, de discernement et d’objectivité, mais aussi être capable de collecter les bonnes informations, savoir critiquer les chiffres et mettre en évidence les parties sujettes à l’incertitude.

 


b) Gérer le risque.

 

Une gestion optimale du risque est probablement impossible, car un risque est instable et appartient à un ensemble : agir sur une succession de risques donnés a pour conséquence de générer une nouvelle succession de risques. Gérer un risque commence par un inventaire des obstacles, et nombreuses sont les limites : l’insuffisance de formation, le manque d’investissements intellectuels, les faibles connaissances et capacités d’analyse du risque ; la difficulté et le refus d’établir des modèles de développement ainsi que l’insuffisance des outils de gestion des ensembles compliqués de risques ; la médiocrité de l’information des bureaucraties, liée ou non à une certaine rétention ; le désintérêt du corps politique ; mais aussi des freins idéologiques.

 

Gérer le risque demande une véritable politique durable et unitaire permettant de voir les dangers éventuels et de les combattre par des contre-mesures, et dont les principes à réunir et appliquer sont les suivants :

à le risque ne doit pas être nié, et une juste estimation doit en être effectuée.

à Il est nécessaire d’agir dans la durée, de façon entièrement ordonnée et indépendante de pressions idéologiques ou politiques.

à L’application des décisions prises doit faire l’objet d’un suivi de contrôle régulier accompagné d’une mise à jour des informations.

à La constance de la présence des experts est importante et doit permettre d’établir des modèles de développement prospectifs, en s’appuyant sur une doctrine flexible qui intègre l’instabilité continue du risque.

à La mise à jour des informations doit être installée et développée, mais aussi alimentée par les renseignements que fournirait un système de détection et de contrôle de signaux d’émergence.

 

Cette gestion du risque doit également éviter le danger d’être trop éloignée de la réalité, mais aussi se protéger d’un excès de bureaucratisation ayant tendance à occulter les phénomènes de risques et pouvant bloquer les moyens de prévention. C’est pourquoi elle exige avant tout de conduire ses pensées par ordre, de faire preuve de clairvoyance, de bon sens, de volonté, de courage et de ténacité.

 

 

c) Réduire le risque.

 

La notion de réduction du risque, si toutefois elle est possible, demande des éclaircissements par type de risque considéré.

Ainsi, pour tenter de réduire le risque connu, pour lequel des techniques existent déjà, il faut en premier lieu une réelle volonté politique, ce qui n’est pas toujours le cas (exemple : la connaissance du risque drogue mais la non-gestion du phénomène). Même si toute réduction du risque a un coût, le corps politique doit vouloir voir le risque, lui porter l’attention nécessaire, et s’opposer au défaut de consensus dans le corps social pouvant servir de prétexte contre la prise de position et la considération des risques. Une fois cette volonté établie, il est nécessaire de ne pas sous-estimer le risque, de surcroît intentionnellement, afin de lutter contre les fraudes et de contrôler les décisions. De plus, le corps politique devrait anticiper les aggravations des risques connus qui paraissent incontrôlables, sans attendre une catastrophe obligeant à intervenir dans l’urgence.

 

D’autre part, la réflexion pour la réduction des risques ayant des conséquences à long terme, peu ou mal connus (exemple : l’utilisation de la pilule contraceptive), doit également et dès maintenant s’initier à partir d’un certain courage politique afin de mettre en place des mesures préventives. Cette démarche doit s’accompagner d’une volonté de bien informer l’opinion publique afin d’éviter les dérives idéologiques et spéculatives entravant les recherches.


Enfin, les risques non connus et a priori imprévisibles doivent amener à réfléchir sur la mise en place de systèmes d’alerte sectoriels guettant les signaux d’apparition, bien que l’inventaire de tels risques paraisse impossible à réaliser et que la réticence du corps politique empêche généralement quelconque investissement et apprentissage en ce domaine.

 

 

d) Cas d’étude pour l’évaluation, la gestion et la réduction d’un risque.

 

-         L’espérance de vie en 2020-2050 et le risque du « 5ème âge ».

Des risques sociaux peuvent être dégagés d’une prévision démographique réalisée en 1992 par l’INSEE sous forme de tables prospectives établies pour la période 1990-2050 (avec pour hypothèse un taux de fécondité de 1,8 enfants par femme), montrant une augmentation considérable de la proportion des personnes de plus de 60 ans dans la population française, un rapport (personnes de plus de 60 ans) / (personnes entre 20 et 50) qui tend à doubler, et manifestant un net allongement de l’espérance de vie :

 

Année

Part de la population en %

Rapport

(plus de 60 ans) / (29-50 ans) en %

20-59 ans

Plus de 60 ans

1990

53,2

19,0

35,7

2000

53,6

20,5

38,2

2020

50,5

26,8

53,0

2040

46,4

32,5

70,0

2050

45,6

33,9

74,3

Table prospective de répartition de la population en fonction de l’âge.

 

Année

Espérance de vie

à la naissance

à 60 ans

à 75 ans

à 85 ans

 

Hommes

1990

72,8

19,0

9,4

4,9

2020

77,9

22,8

11,6

5,9

2050

82,2

26,2

13,7

7,0

 

Femmes

1990

80,9

24,2

12,0

6,0

2020

86,4

28,4

14,9

7,6

2050

90,4

31,6

17,4

9,0

Table prospective de l’évolution de l’espérance de vie en fonction de l’âge et du sexe.

 

 

Ces tableaux permettent notamment de prévoir les risques suivants, qu’une commission de réflexion spécialement vouée aux problèmes des personnes âgées pourrait examiner :

à Déséquilibre de plus en plus prononcé entre les actifs et les inactifs, et problème du financement des retraites dans une société comportant plus d’un tiers d’adultes inactifs : il y a nécessité, outre d’augmenter les cotisations-retraites, de relever l’âge de la retraite au-delà des 60 ans, d’autant plus les actuaires continuent de calculer leurs prévisions de financement à partir de tables de mortalité non prospectives.

à Croissance des problèmes de dépendance : aux 3ème et 4ème âges déjà définis s’ajoutera un 5ème âge (personnes à partir de 85 ans), pour lequel des situations de fortes dépendances financières, matérielles, psychologiques, et médicales devront être attentivement étudiées, d’autant plus que la Sécurité Sociale ne peut tout compenser.


 

à Problèmes de santé, d’éthique médicale, de répartition et de création de soins : le vieillissement de la population variant d’une région à l’autre, la répartition géographique inégale des personnes âgées risque d’avoir des conséquences sur l’aménagement du territoire en centres de soins. Des investissements sont à faire pour la capacité d’accueil et la sécurité des maisons de retraite, ainsi que pour la formation de médecins et infirmières spécialisés en gériatrie et psychologie de la personne âgée.

à Augmentation considérable de l’isolement et de la ségrégation : un pourcentage élevé de ces personnes vivra seul, avec un besoin accru d’aides ménagères et d’assistance à domicile. Toute la prise en charge ne pouvant et ne devant être assumée par l’état, il paraît important de responsabiliser et d’aider la famille dans l’accompagnement et la prise en charge de la personne du 5ème âge, mais aussi de lutter contre les risques de rejets au sein de la famille.

à Politiquement, une forte proportion de personnes de plus de 60 ans dans l’électorat peut poser problème, car elle augmente les risques de séduction – voire de manipulation – de ces électeurs par des promesses politiques de développement de services sociaux non tenues.

à Aggravation des problèmes de sécurité : les personnes du 5ème âge constituent une cible vulnérable aux phénomènes d’agressions physiques et de vols contre lesquels elles doivent être protégées. 

 

 

 

6) Chapitres X et XI : l’enseignement et le bon usage du risque.

 

Peut-on enseigner le risque, sachant que ne pas l’évaluer a un coût et qu’il s’agit d’une notion générale ? Trop peu abordé aujourd’hui, le sujet du risque est un problème essentiel nécessitant la formation spécifique d’experts et d’analystes, malgré la présence de nombreux obstacles : la multiplicité des formes de risques et l’étendue du champ d’étude, le poids des corporatismes, le peu de volonté des pouvoirs politiques, tout comme la difficulté de sensibiliser les individus tournés vers l’action immédiate et les prises de décisions rapides.

La formation au risque est peu facile, car elle doit viser à diffuser une doctrine du risque et un savoir-faire communs à un grand nombre de secteurs d’activité, parmi lesquels se trouvent : les responsables administratifs, les conseillers ministériels et d’entreprises qui analysent et préparent les décisions, les cellules d’études et de stratégie, les contrôleurs et commissaires aux comptes, les cellules budgétaires de financement, les cellules de veille en charge de détecter les menaces, ainsi que toute personne susceptible de récolter de l’information utile à une étude.

 

Aussi, même si l’unité d’une doctrine du risque semble impossible à établir, il paraît intéressant de faire travailler en commun ces secteurs ayant des responsabilités et des retours d’expérience différents en vue de dégager une théorie générale dont l’enseignement possède les fondements suivants :  

à il est nécessaire d’aller au-delà des analyses sectorielles et d’établir des liens et principes communs.

à Malgré les obstacles, le risque possède une logique interne de développement qu’il faut chercher à identifier pour évaluer, gérer et réduire le risque.

à Le risque inconnu, représentant la véritable menace potentielle, doit être enseigné.

à Les divers coûts d’étude et de gestion du risque doivent être pris en compte.

à Les risques moraux ayant des conséquences sur le corps social et l’identité nationale sont également à intégrer dans un enseignement.

à Enfin, il n’existe pas de science exacte du risque, l’étude reste dans le domaine de l’incertain et invite souvent à l’usage de termes peu explicites. Chaque secteur d’activité doit donc à partir des règles communes chercher à établir plus spécifiquement sa doctrine du risque.


Un enseignement du risque, qui doit être flexible et actualisé régulièrement, viserait donc essentiellement à diffuser des réflexes de prudence, des règles pour mieux raisonner et imaginer efficacement des contre-mesures, tout en évitant une bureaucratie excessive du risque tendant à une « paralysie du vouloir » par refus et peur de décider.

 

 

L’estimation d’un ensemble de risques est une tâche difficile et une théorie du risque reste avant tout un outil d’évaluation devant être utilisé en tenant compte de quelques règles de conduite importantes en rappelant le bon usage :

à l’analyste doit aborder le risque avec prudence, apprendre à remettre en cause les faits, relativiser les situations, chercher à prévoir ce qui peut advenir, et estimer les conséquences d’une non-décision ou du non-vouloir.

à Il doit également être très vigilant, savoir être subtil, courageux et sérieux, posséder une forte capacité critique et vérifier les analyses faites en vue d’éviter les sous-évaluations ou surévaluations d’un risque.

à Evaluer un risque doit permettre de prendre efficacement des décisions et d’agir ; c’est pourquoi les chaînes de risques doivent être étudiées en faisant preuve de réalisme, d’adresse, et en gardant le sens des proportions.

à Savoir évaluer un risque nécessite aussi de savoir « prendre des risques élevés », car une mauvaise estimation peut mener à l’échec : les erreurs de calcul sont toujours possibles, une évaluation faite par un tiers peut comporter une manipulation ou un piège qu’il faut savoir détecter, et se rappeler qu’un risque appartient à une succession de risques doit permettre d’établir des marges de précaution.

à Il faut savoir s’adapter aux conditions dans lesquelles l’estimation du risque est faite, chercher à développer des méthodes de calculs pour chaque métier ou zone d’action en étant créatif et flexible.

à Ces règles d’évaluation des risques ne doivent pas uniquement être utilisées dans l’exercice de sa profession, mais aussi pour son propre profit lors de toute décision ou action à mener, et permettre de changer sa conduite face à l’approche d’un problème difficile.

 

 

 

7) Chapitres XII et XIII : Propositions et prospective d’une théorie du risque.

 

En admettant qu’une théorie du risque fasse l’objet d’une prise de conscience et de prudence, il est alors possible de faire quelques propositions d’ordre pratique, présentées comme autant de nécessités :

première proposition : rendre plausible l’idée de risque inconnu, à long terme, et établir un système d’observation afin de détecter les signaux d’un risque émergent. Cette surveillance est le travail d’analystes et de guetteurs collectant les informations utiles à un inventaire des risques inédits et de leur propagation.

Deuxième proposition : fournir un effort sur la création d’une doctrine générale du risque et de son enseignement afin d’assurer la formation de ces guetteurs et analystes, mais aussi pour permettre de déceler les chaînes de risques ; les systèmes de guet et les analystes sectoriels spécifiquement formés pour chaque secteur d’activité à partir de cette doctrine générale doivent également établir des liens avec les autres secteurs d’activité. De plus, le risque devrait aussi être intégré dans les enseignements économique et social, ainsi que dans les formations des ingénieurs.

Troisième proposition : mettre en œuvre les moyens pour effectuer des recherches sur le risque et prendre les mesures en conséquence. Par exemple, en biodiversité : inventorier et vérifier ce qui peut être perdu ; dans le domaine médico-social : établir les limites de sécurité et étendre l’étude des risques hospitaliers et thérapeutiques ; enfin, étudier également les typologies des risques moraux.

Quatrième proposition : instaurer la recherche sectorielle sur la prévention et la réduction du risque ainsi que sur la gestion des situations de crise dans chaque ministère, où chaque cellule d’étude du risque ferait appel à des analystes professionnels et hommes de terrain collectant les informations.

Cinquième proposition : un « commissaire aux risques », branche d’un « conseil national de sécurité », ayant une vue d’ensemble sur les risques en étant neutre face aux idéologies bloquantes, pourrait centraliser les évaluations des risques futurs pour le corps social.

Sixième proposition : développer l’apprentissage de l’identification des ensemble de risques chez les administrateurs à l’aide de formations particulières les sensibilisant sur la gestion des risques mal connus ou potentiels, notamment pour le corps préfectoral, les administrateurs financiers et ceux des secteurs à risques (exemple : les administrations tutelles de l’industrie agroalimentaire).

 

Cet investissement intellectuel proposé, général, pourrait être complété plus finement, et notamment par : un « programme décennal » de recherches ; des audits et contrôles utilisant des questionnaires sur les risques ; des recherches théoriques proposant des méthodes pour analyser les risques futurs ; des réseaux d’alerte pour les secteurs d’activité critiques ; et par la recherche sur la gestion de l’information et de la communication sur le risque.

 

 

Une théorie générale du risque est un outil d’analyse fragile, et sa prospective est hasardée et liée à la connaissance du développement du risque dans les prochaines années, dont plusieurs facteurs bloquants peuvent être évoqués :

-         la retenue du corps politique à parler du risque en raison de sa mauvaise réputation, ce qui en favorise la méconnaissance.

-         La difficulté croissante d’anticiper les risques inconnus et leurs effets, que les responsables préfèrent taire par peur de déformation et manipulation, notamment par les médias.

-         L’augmentation des assurances, prétendant assurer la protection contre le risque, qui représente le « désordre probable » et détruit les certitudes idéologiques sur le futur.

-         Les mesures de risques de moins en moins faciles à effectuer dans une société augmentant ses échanges avec le reste du monde, induisant de nouveaux risques épidémiques ou spéculatifs et de nouvelles interactions entre ensembles de risques.

 

D’autres observations contribuent à remettre en cause la fiabilité et l’utilisation d’une théorie générale du risque :

-         le développement du « risque moral », non estimable financièrement, mais pouvant désolidariser le corps social et détruire les valeurs communes mettant ainsi en péril le devenir de la nation.

-         Les effets dérivés pouvant être provoqués par l’augmentation des coûts des techniques de réduction des risques : pression de l’opinion, domination des « techniciens » du risque, voire maîtrise du risque et utilisation comme arme.

-         Le dérangement que peut provoquer une théorie du risque qui aborde les sujets tabous (exemple : la chute de la natalité) et les risques inédits (exemple : les manipulations génétiques), évoquant une part d’irrationnel et de démesure troublante, tout en renvoyant à l’idée d’une mort de la civilisation.

 

La prospective d’une telle théorie est donc difficile à deviner, mais cette réflexion permet d’affirmer la nécessité de renforcer les systèmes d’observation, d’analyse et de gestion des risques, tout en préservant l’indépendance d’esprit et la liberté de décision des gouvernants face aux idéologies passionnelles et au conformisme entravant le vouloir politique.

 

 


Principales conclusions

 

Les principales conclusions de l’auteur, proposées comme « leçons provisoires », sont les suivantes :

première conclusion : la théorie générale du risque doit être approfondie et permettre de mieux gérer les problèmes quotidiens difficiles à résoudre.

Deuxième conclusion : elle doit faire prendre conscience de la nécessité d’entreprendre des investissements intellectuels sur les risques connus et inconnus ayant des effets à long terme et menaçant le corps social.

Troisième conclusion : chaque secteur d’activité doit savoir observer, évaluer et analyser les ensembles de risques afin d’agir en tenant compte de leurs effets.

Quatrième conclusion : une théorie générale du risque remet en cause le vouloir et la compétence politique, car elle dévoile le manque de responsabilité des gouvernants du corps social refusant de voir le risque.

 

 

 

Commentaire critique et actualité de la question

 

1) Première lecture.

 

            La première approche de l’ouvrage de Jacques BOUYSSOU peut dérouter le lecteur, voir le rebuter. En effet, en considérant l’aspect purement formel de son livre Théorie générale du risque :

à la rédaction est très souvent proche d’un style oral et d’un ton familier s’apparentant plus à l’allégation qu’à la démonstration étayée, ce qui peut surprendre pour un ouvrage voulant traiter sérieusement d’une théorie ; les formules « on voit bien que », « il faut que », « on est dans », « on saisit alors sur le vif » et autres nombreuses affirmations rapides ponctuent régulièrement le texte et le rendent peu intelligible, rédigé dans une rhétorique a priori critiquable.

à Les notes en bas de page, malgré la légitimité de leur présence en raison de leur utilité, sont parfois excessivement développées et plus importantes que le texte même, si bien qu’elles auraient souvent pu faire l’objet d’un paragraphe explicatif judicieusement intégré au texte ou encore aux annexes, et interrompant ainsi moins souvent la lecture. Une maladresse est par ailleurs flagrante dans le premier chapitre intitulé « Qu’est-ce qu’un risque ? » qui est sensé éclairer le lecteur sur la définition même du mot risque, et permettre ainsi de servir d’élément de départ limpide à la démonstration : l’auteur présente volontiers et à juste titre quelques exemples de risques, fait bon nombre de remarques sur le comportement que suscite le risque, mais la définition n’est donnée qu’en aparté et non dans le texte principal en début de chapitre, ce qui eut été nettement préférable.

à Aussi, une remarque que l’on pardonnera aisément à l’auteur car faisant suite à un défaut de vigilance ne lui incombant pas uniquement et directement : il n’est pas rare de constater quelques oublis et autres erreurs de frappe de texte, ou encore de s’étonner de lire « principe » dans le titre du chapitre IV qui comporte pourtant six principes…

à Enfin, certaines remarques et propositions sont fréquemment répétées d’un chapitre sur l’autre, ce qui rend difficile le dégagement spontané des linéaments du texte, et ce qui fait qu’il est parfois possible de douter sur l’utilité de la présence de certains passage ; ainsi le chapitre XII intitulé « Propositions » ainsi que la conclusion deviennent principalement des recueils redondants des points déjà abordés dans les précédents chapitres.

 

 

Il serait cependant facile et présomptueux d’en rester à cette première impression, car cet ouvrage tient sa réussite des nombreuses pistes de réflexion que l’auteur nous invite à suivre directement ou non sur un sujet vaste qui paraît relativement délicat à traiter et à synthétiser.


2)  Reconnaissance d’une théorie.

           

En premier lieu, même si l’auteur avoue volontiers que sa théorie générale du risque peut paraître hasardeuse, incomplète ou décevante, il est intéressant de s’attarder sur la notion de théorie. Une des acceptions de ce terme (donnée par le dictionnaire Le petit Robert) le présente comme une « construction intellectuelle méthodique et organisée, de caractère synthétique et hypothétique (au moins en certaines de ses parties) ».

Dans les chapitres présentant les fondements et les principes de sa théorie, mais aussi dans les autres parties contenant des réflexions exposées synthétiquement point par point, l’auteur réussit à respecter cette définition de théorie. Il donne en effet les prémices sur lesquels s’appuient sa construction puis organise sa démonstration autour de différents thèmes, montre la nécessité de faire preuve de méthode pour étudier la notion de risque, en n’omettant pas de poser les limites et obstacles, ce qui fait que le titre de l’ouvrage pouvant paraître initialement singulier ou provocateur est en réalité fondé. Il faut donc reconnaître à Jacques BOUYSSOU sa Théorie générale du risque.

           

 

3) Approche de la notion de risque par l’auteur.

 

Il est important ici de préciser la terminologie employée dans ce résumé pour la notion de risque en la comparant à celle du texte original de l’auteur. En effet, même si l’auteur n’hésite pas à souvent utiliser l’expression « système(s) de risques », il aura été préféré de la remplacer avec prudence par « ensemble(s) de risques ».

Ce choix est dû à plusieurs raisons :

·        pour être rigoureux, et si l’on se réfère aux travaux de Jean-Louis Le Moigne (notamment dans sa Théorie du système général) et à la modélisation systémique, il est rappelé qu’un système est identifiable comme une unité active. Or, dans son ouvrage, Jacques BOUYSSOU nous explique à juste titre qu’il est très souvent difficile d’identifier totalement un risque et ses conséquences ; il est donc préférable de le considérer comme un objet à analyser.

·        Pour continuer dans cette démarche, un système possède une finalité. Or, la démonstration de Jacques BOUYSSOU expose essentiellement la causalité et non la finalité de tels ensembles de risques, notamment quand il propose d’étudier les conséquences du déplacement d’un risque appartenant à une succession données de risques. Les ensembles de risques exposés dans son ouvrage ne semblent pas avoir d’activité propre en vue d’une finalité.

·        Puis, l’auteur constate qu’il existe un très grand nombre de risques qu’il tente de mettre en évidence, d’en assurer l’exhaustivité, de les hiérarchiser et de les regrouper en catégories. Toujours à l’aide de cette modélisation , il est alors plus prudent de considérer ces « ensembles de risques » comme des objets compliqués et caractérisés par un grand nombre d’éléments.

·        En revanche, l’expression de l’auteur semble acceptable dans le cadre de son ouvrage pour un aspect : lorsqu’il aborde le fait qu’un nombre important de relations peuvent exister entre les différents risques, il est alors possible de considérer un « système de risques », objet complexe composé de risques pris comme autant d’éléments ayant de nombreuses interactions entre eux. Cependant, en se plaçant dans le contexte de la démonstration de Jacques BOUYSSOU, cette approche est caduque si elle est considérée isolément car l’auteur ne fournit pas assez de données permettant de valider la construction de tels systèmes, et doit plutôt être considérée comme une approche complémentaire d’une analyse cartésienne pour son étude des risques. Il n’est donc pas acceptable de considérer que l’étude porte effectivement et entièrement sur des « systèmes de risques ».


·        Enfin, pour ce qui est du reste des « systèmes » décrits par l’auteur (systèmes de surveillance et systèmes d’évaluation entre autres exemples), la terminologie aura été respectée, car ils peuvent effectivement être considérés comme des unités identifiables, organisées, actives et régulées, mémorisant les procédés mis en œuvre, et ayant chacune une ou plusieurs finalités (exemple : détecter les signaux d’apparition d’un risque émergent, réduire le risque).

 

Les précédentes remarques sont complétées dès la lecture des fondements de la Théorie générale du risque, et plus tard dans le développement de sa réflexion, quand l’auteur propose une étude du risque par une approche qui fait fortement référence au Discours de la méthode (de René DESCARTES) établissant les quatre préceptes que l’on pourrait rapidement exposer de la manière suivante :

-         premier précepte : être ordonné dans sa réflexion.

-         Deuxième précepte : diviser les difficultés.

-         Troisième précepte : ne pas tenir pour vraies les choses peu claires.

-         Quatrième précepte  : faire de temps à autre des bilans de ce sur quoi on a réfléchi.

 

Jacques BOUYSSOU applique ces préceptes dans sa théorie générale notamment lorsqu’il précise que :

·        le risque doit être analysé avec méthode, rigueur et rationalité.

·        Il y a nécessité de vouloir voir, dénombrer et classifier les différents types de risques ; ceci correspond à une nécessité de diviser les difficultés.

·        L’analyste doit faire preuve d’objectivité et savoir critiquer les nombreuses informations qui lui parviennent, et que la Théorie générale du risque s’oppose implicitement aux affirmations sans fondement.

·        Enfin, lorsqu’il propose de faire travailler régulièrement différents secteurs d’activités ayant préalablement fait un bilan de leurs connaissances et qui mettraient en commun leur compétences en vue de compléter et améliorer une doctrine générale du risque.

 

A partir de tous ces constats, il est possible et même préférable de qualifier l’approche du risque par Jacques BOUYSSOU comme étant une approche analytique et non systémique, malgré la terminologie utilisée initialement par l’auteur.

 

 

4) Le risque et la décision.

 

            La démonstration et les éléments de réflexion donnés par Jacques BOUYSSOU pour la gestion du risque suivent de près la modélisation que Herbert A. SIMON propose pour la décision. En effet, il est possible de construire par étape un modèle, général mais applicable à différents secteurs d’activité pouvant le compléter plus spécifiquement, à partir des éléments donnés dans la Théorie générale du risque.

 

            Premièrement, les informations sur les risques doivent être rassemblées. Cela fait notamment appel à la collecte des informations par des spécialistes de recherche, celles fournies par les systèmes de surveillance des signaux d’un risque (par simplification, la méthode sera appliquée pour tout type de risque), ainsi que celle pouvant être apportées par toute étude scientifique validée. La mise à jour régulière de ces informations doit être assurée.

Puis, interviennent un facteur d’ordre cognitif lié aux capacités de l’analyste à savoir faire preuve de volonté et de sens critique à l’égard des différentes informations dont il dispose, et une approche méthodique préconisée par l’auteur afin de décrire, classer et comparer les différents ensembles de risques.


L’évaluation du risque peut alors commencer en mettant à l’œuvre des qualités humaines : lutte contre l’aversion pour le risque, objectivité, habileté ; mais aussi des calculs visant à établir des tableaux d’évaluation de la logique propre du risque, de ses évolutions possibles, et des liens d’interaction entre les différents ensemble de risque.

Ensuite, une modélisation s’effectue en tenant compte des précédentes informations et évaluations réunies, en vue de proposer plusieurs scénarios possibles et les contre-mesures envisageables pour réduire le risque ; cette étape repose également sur l’habileté de l’analyste et sur sa capacité à imaginer différents schémas alternatifs.  

La décision du corps politique intervient suite à la construction des différents scénarios, prend en compte les coûts et conséquences sur l’ordre social, et repose, comme le rappelle l’auteur, sur une volonté affirmée du corps politique de voir le risque et de lutter contre les habitudes de pensée ; cette décision amène finalement à l’action et la gestion du risque.

 

 

Le modèle réunissant les éléments de la Théorie générale du risque, et pouvant être complété par la suite serait alors le suivant :

 

 

 

 

 



5) Le risque, la responsabilité et la précaution.

 

            La notion de risque renvoie aux catastrophes aléatoires (exemple : éruptions volcaniques) et aux catastrophes provoquées intentionnellement (exemple : attentats), tout en mettant en cause le vouloir de l’homme et ses responsabilités pour le prévenir et s’en protéger. La notion de responsabilité établit une relation de causalité entre un acte (propre à l’individu, et qui s’étend au choix par anticipation) et ses conséquences. Le risque peut devenir un concept social intégrant plusieurs composantes comme la politique, le technique, le scientifique, et le naturel.

 

            De plus, si les recherches, évaluations et analyses du risque doivent permettre notamment la prise de décision par le corps politique, les savants ne possèdent pas pour autant tout le savoir scientifique permettant d’établir des certitudes et règles validées quant aux effets futurs d’une action. Un jeu de répartition des responsabilités intervient dans la prise de décision en fonction des situations et des données, et force à rechercher les compromis. Par défaut d’information, un risque peut paraître à première vue potentiellement très grave, l’éventualité du pire est retenu et le politique décide de ne rien faire pour le provoquer. Généralisée et adoptée abusivement, cette approche paraît peu intéressante pour le développement de nouvelles activités. Ensuite, un risque peut être réduit à une évaluation seule de sa probabilité par les savants, et être une donnée peu exploitable, volontairement niée ou incomprise, n’aidant pas la décision politique. Enfin, une autre approche consisterait à réunir les faits scientifiques incontestables, les formes de dangers et les probabilités d’apparition, le tout support à une gestion politique du risque établissant les normes et les seuils d’acceptabilité du risque.

 

            Cependant, en l’absence de certitudes et de dossiers scientifiques incontestables, il est compréhensible que le corps politique respecte un principe de précaution (ou principe de prudence), règle de décision politique légitimant les actions de prévention en vue de limiter ou empêcher certains actes potentiellement dangereux, par anticipation et sans attendre que le danger éventuel ne soit établi scientifiquement. Ce principe, qui soulève pourtant les questions de l’incertitude et de la responsabilité dans une société sans fournir formellement de solution, peut néanmoins devenir une référence collective et guider dans la recherche de compromis en l’absence de données validées, et intervient dans une procédure de décision tenant compte des enjeux, d’une estimation des coûts, de résultats de délibérations et de débats. Il ne s’agit donc pas d’un principe d’interdiction, mais plutôt d’un élément supplémentaire incitant à la recherche de solutions. En France, bien que demeure le consensus séparant l’apport de l’expertise de la prise de décision politique, il n’est pas toujours aisé d’identifier l’origine des décisions et les prises de responsabilité (exemple : le dossier dit « des vaches folles ») ; le principe de précaution aborde d’ailleurs le problème de l’intervention des scientifiques et de leur responsabilité sociale dans la prise de décision politique, et plus généralement celui de la limite connaissance / prise de décision.

 


6) Actualité de la question.

 

            Si dans son ouvrage l’auteur, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, insiste légitimement sur la volonté et la responsabilité du corps politique ayant en charge le maintien de l’ordre social et celui de l’identité nationale, ainsi que sur la nécessité d’effectuer des investissements intellectuels, il laisse une piste de réflexion supplémentaire sur la gestion et les décisions individuelles face au risque.

 

            Cette question peut faire l’objet d’études s’appuyant sur les résultats expérimentaux des choix de différents individus face à des situations dites « à risque » dans un environnement de test donné, et permettant la construction de différents modèles comportementaux.

 

Ces modèles pourraient, dans la mesure du possible, tendre à comprendre et à décrire le plus exactement possible :

-         les processus d’indifférence ou de peur individuelles à l’égard du risque.

-         Les processus de recherche, de sélection et de traitement des informations par les individus.

-         La part de la mémoire et des expériences antérieures.

-         L’influence des flux d’informations et de la communication entre plusieurs individus.

-         La capacité à élaborer des représentations alternatives à partir de différentes valeurs, notamment personnelles mais aussi inédites.

-         La part de l’intuition, de l’incertitude, de la rationalité ainsi que celle de la croyance.

-         La capacité à évaluer les enjeux (pertes et gains).

-         L’intégration du risque dans les attitudes et sa part de considération dans la décision.

-         Et même aller jusqu’à chercher et mettre en évidence pour une situation donnée des différences possibles de perception des risques par les individus de différents pays représentant chacun une culture différente, ou de différentes classes socioprofessionnelles.

La voie reste ouverte pour ce type d’étude visant en fait à construire des modèles explicatifs  cognitifs, psychologiques et sociaux en plus des modèles organisationnels déjà proposés, et pourraient être menées par des centres de recherche dédiés comme l’est actuellement le GRID (Groupe de Recherche sur le Risque l’Information et la Décision).

 

Cependant, il serait nécessaire de rester vigilant quant à l’utilisation des résultats de tels travaux expérimentaux, notamment par les départements des relations humaines en entreprise qui pourraient éventuellement en faire un critère contestable de sélection en matière de recrutement (certaines entreprises sont déjà pourvues d’un ensemble de divers tests de mise en situation plus ou moins pertinents), même si ces travaux permettraient d’optimiser les affectations de certains salariés sur des postes spécifiques en adéquation avec leur attitude face au risque.

 

 


Il serait également intéressant de tenter de construire un autre modèle dans lequel le risque serait produit et producteur de nouveaux comportements mettant en œuvre certaines valeurs, dans un lien de causalité circulaire. Dans son ouvrage, Jacques BOUYSSOU part du postulat que le risque fait peur et qu’il est souvent occulté, décrit essentiellement les comportements de réticence ou d’aboulie, et affirme la nécessité de cerner les dangers provoqués par les risques qu’il faut évaluer, gérer et réduire. En fait, les enjeux considérés par l’auteur sont ceux de perte, avec une volonté affirmée sur la description des effets négatifs des risques.

 

Or, à l’inverse mais sans faire preuve d’un manque de discernement ni d’un excès d’optimisme, les conséquences possiblement positives liées à l’augmentation de la prise de risque sont très peu évoquées. Au lieu de se protéger abusivement du risque, peut-on imaginer qu’oser peut amener à des gains et à la création de valeurs, de sens ou d’ordre ? Quels seraient les avantages que présenterait une société dans laquelle tous les individus sont en mesure de prendre des risques et non de s’en affranchir ? Comme le souligne Jacques BOUYSSOU, le risque est omniprésent, et donc dans chaque fait, décision et action ; il est produit par le comportement individuel. De plus, l’individu qui aborde un risque doit faire preuve d’habileté et développer son imagination pour créer les schémas d’évolution possible de ce risque et des alternatives, posséder et faire intervenir certaines valeurs la perception des risques et l’évaluation des enjeux ; le risque peut produire des comportements et des valeurs.

 

 

Un début de modèle simplifié peut alors être proposé :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ce modèle pourrait être étudié en faisant intervenir de nombreux paramètres, parmi lesquels la notion de chance (il ne faut pas oublier la part importante du hasard), et celle d’opportunité. L’homme contemporain, individu d’une société connaissant une multiplicité croissante des risques (exemple : situation instable ou chômage), tendrait à intégrer de plus en plus la notion de risque dans les processus de réflexion sur sa propre connaissance, l’aidant à développer certaines facultés intellectuelles, à réfléchir sur l’importance de certaines valeurs et ressources personnelles, et à la perception de l’avenir.

 


Outre cet aspect, l’actualité de la question réside également dans le débat politique devant faire face aux menaces des risques sociaux mais aussi à d’autres types de risques. Un exemple de la volonté grandissante de gérer le risque est celui donné par la création d’un Conseil de sécurité intérieure instauré le 15 mai 2002 au lendemain des élections présidentielles, et ayant pour but de lutter contre l’insécurité. La notion de risque semble connaître un nouveau gain d’intérêt face aux menaces comme le terrorisme (les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis est un exemple de danger sur un système n’intégrant pas suffisamment la notion de risque), l’insécurité civile et la violence dans certains quartiers de villes où l’ordre règne de moins en moins. Cependant, il est trop tôt pour mesurer les effets d’un tel Conseil, et l’on peut se demander si ce genre de mesure n’a pas été adoptée par un corps politique encore trop peu soucieux des phénomènes de risques mais devant de plus en plus céder à la montée croissante de la pression de l’opinion publique et la rassurer ; opinion publique pouvant elle-même à la fois influencer et être influencée par un système médiatique modifiant (voire manipulant) l’information dans un environnement concurrentiel alors qu’il devrait se contenter de la chercher, l’analyser et la présenter.

De son côté, l’entreprise tend également à développer des activités dédiées au risque. Ainsi le poste de « Risk manager » (ou manager du risque) commence à faire son apparition dans les grandes entreprises françaises, mais également des associations pour le management des risques en entreprises.

 

Un autre point à exposer et non abordé dans l’ouvrage de l’auteur est celui de la notion de partage. Une entreprise comme une société sont composées d’hommes et de femmes devant être responsables et partager les risques et les enjeux sous-jacents (les échecs ou les succès d’un projet par exemple), postulat acceptable avec la condition d’égalité des chances. Cette répartition des risques peut avoir pour net avantage de préserver un système de l’effondrement que provoquerait un risque aléatoire ou intentionnel, concentré en un centre restreint donné, dont la propagation aurait des conséquences en cascade et une diffusion préjudiciable pour le reste du système. Cette notion de partage est liée à une certaine idée de « dilution » du risque et de ses effets. De plus, cette répartition invite à réfléchir sur une restructuration sociale en définissant d’une part les risques devant être pris en charge par l’entreprise (ceux liés à la relation de travail : accidents de travail, retraite, chômage ; et ceux liés aux échanges de l’entreprise avec son environnement ou à des activités particulières : risques nucléaires, protection de l’environnement), et d’autre part les risques devant être gérés par la société (exemple : maladie, prévention routière), mais aussi en luttant contre les risques encourus par une sur-multiplication des droits sociaux désolidarisant l’individu du corps social et de l’entreprise, et transférant toutes ses responsabilités sur le corps politique qui ne peut et ne doit tout prendre en compte.