LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Rakefet ASHER
Cnam Chaire D.S.O. Cycle C1
2000 - 2001

 

LE MONDE DU TRAVAIL

Sous la direction de

Josiane Boutet, Henri Jacot, Jacques Kergoat, Danièle Linhart

Edition la découverte "textes à l'appui" 1998, 443 pages

 

SOMMAIRE

 

 

Les auteurs

Sous l’égide de RESSY : "Recherche, Société, Syndicalisme", des chercheurs, des praticiens, des syndicalistes ont mené ensemble une réflexion sur le monde de travail.

Initié et animé par 57 chercheurs : historiens, politologues, sociologues, psychologues, linguistes, ergonomes, psychanalystes, philosophes, anthropologues, et par des syndicalistes de toute appartenance, le groupe RESSY a mis le travail au centre de ses recherches. Plusieurs ouvrages sont issus de ses travaux dont le présent, ouvrage collectif, sous la direction des J. BOUTET, H. JACOT, J. KERGOAT, D. LINHART avec la contribution des 48 participants

Josiane BOUTET est linguiste, professeur de linguistique à l’université paris VII

Henri JACOT est économiste, professeur à l’université Lyon II

Jacques KERGOAT est président de RESSY et historien

Danielle LINHART est sociologue, directrice de recherche au CNRS

 

La question posée

Alors qu’une quasi-révolution langagière a submergé le monde de travail, accréditant l’idée d’un nouveau modèle organisationnel et d’une nouvelle entreprise, quelles sont aujourd’hui les formes du travail, sa place et son rôle dans la société ? Quel est l’état réel du travail en cette fin du XXème siècle ? Est - il vecteur de socialisation et d’émancipation ou le caractère aliénant de l’organisation le corrompt de l’intérieur à un point tel que les espaces démocratiques dans l’entreprise ne seraient qu’un leurre ?

 

Les idées clé

 

La démarche

L’ouvrage présente une sorte de maillage de différentes approches disciplinaires et vise à rendre compte des facettes multiples et des divers enjeux de la réalité du monde de travail à travers ses dimensions essentielles :

Ceci afin d’aboutir à un bilan des diverses transformations qui affectent le monde du travail et à situer la place et le rôle du travail dans notre société.

 

L’architecture de l’ouvrage

L’ouvrage se divise en six chapitres :

  1. La place du travail dans la société
  2. Activités et métiers
  3. Les conditions de travail
  4. Travail et emploi
  5. Division de travail
  6. Entreprises, acteurs et enjeux

 

Le résumé


I. La place du travail dans la société


1. Sens et place du travail dans les sociétés
par Noëlle CHAMOUX, anthropologue

L’auteur s’interroge en tant qu’anthropologue sur la question de la contingence du travail qui recouvre des réalités et des significations très différentes selon les principes de fonctionnement des diverses sociétés.
Se pose ainsi la question de la définition du travail dans l’ensemble de l’histoire de l’humanité, de nombreuses sociétés lointaines historiquement ou culturellement de la notre n’ayant aucune notion de "travail" comparable à la notre.
Le travail n’est donc pas un concept simple, objectif, définitif, susceptible d’expliquer l’histoire de l’homme en société.


2. Regards philosophiques sur le travail
par Jean Marie VINCENT, philosophe

Philosophe se referant à MARX, J. M. VINCENT estime que le travail est une marchandise au service du capital.
Certes, il modèle les relations sociales, mais dans un système de dépendance.
Partant des réflexions d’ARISTOTE sur l’esclavage et passant par les théories de MARX sur l’accumulation du capital, il s’appuie sur les conclusions de Max WEBER pour affirmer que la société capitaliste est marquée par un renversement des fins et des moyens : les hommes ne posant plus comme fins socialement reconnues dans la société capitaliste que la fabrication de moyens de plus en plus efficients.
Citant T. W. ADORNO, il pose la question des rapports sociaux fonctionnant comme une seconde nature, des appareillages technologiques transmettant les impératifs du capital comme autant d’exigence "naturelles".
Pour ces philosophes, le sujet marxiste de critique de l’économie est ainsi toujours d’actualité.


3. Le travail fantôme
par André GORZ, journaliste

André GORZ défend l’idée que l’identité sociale ne passe plus par la reconnaissance liée au travail, que celui ci n’a jamais été source d’intégration et de cohésion sociale car même à son apogée la société salariale était déchirée par l’antagonisme des classes et c’est contre leur cohésion, leur identité de "classe" que l’entrepris a toujours lutté, trouvant aujourd’hui l’arme absolue avec l’individualisation et la discontinuité du travail.
D’après GORZ, jamais l’idéologie du travail – valeur n’a été proclamée aussi fort et jamais la domination du capital sur les conditions et le prix de travail n’a été aussi indiscutée.
Jamais la fonction du travail en tant que source de lien social, d’intégration et d’identité personnelle n’a été aussi invoquée que depuis qu’il ne peut remplir aucune de ces fonctions.
Ainsi, pour André GORZ, la prétention de l’entreprise à mobiliser à son profit la personne tout entière aboutit au résultat inverse : le désengagement à l’égard de travail.


4. Centralité ou déclin du travail ?
par Christophe DEJOUR, psychanalyste et psychologue de travail

Abordant d’un point de vue opposé à celui d’André GORZ la question de la centralité du travail, Christophe DEJOUR conteste qu’il y ait diminution du volume de travail et estime que l’identité sociale passe donc par la reconnaissance liée au travail. Encore faut - il s’interroger sur la dimension de ce qu’il nomme le "travail occulte", en particulier dans le secteur agricole car pour obtenir la productivité actuelle, les agriculteurs ne travaillent plus seuls.
Christophe DEJOUR pose également la question du temps "libre" au centre des tous les discours et se demande si le temps "libéré" peut rester "libre" sous la pression du marché et de la concurrence mais ne tend pas à être réinvesti dans des efforts pour améliorer la compétitivité et accroître les compétences.
Ainsi le travail ne se limite- t-il pas à la seule notion du travail salarié et convient-il de signaler qu’entre "travail" et "hors travail" il y a interdépendance.


5. Centralité du travail et cohésion sociale
par Robert CASTEL, sociologue

Robert CASTEL pour sa part pose la question de l’effritement de la société salariale : cette structure se maintient mais son système de régulation se fragilise et les effets des mutations technologiques ont des conséquences parfois dévastatrices sur la condition salariale. On constate en effet un décrochage croissant par rapport au système de garanties minimales attachées au travail dans la société salariale et la transformation majeure n’est pas qu’il y ait moins des salariés mais qu’il y ait beaucoup plus de salariés précaires et menacés de chômage.
L’hégémonie du marché s’impose à la mesure de l’affaiblissement des régulations de travail.
La difficulté actuelle est donc de prendre en charge la question du travail en tentant de lui redonner son statut de régulateur de lien social.

 

II. Activité et métiers


6. Les identités professionnelles
par Claude DUBAR, sociologue

Claude DUBAR aborde les identités professionnelles comme ancrées dans des formes collectives de division du travail et comme s’inscrivant dans des processus individuels de construction de soi.
Il répond à la question : En quoi le travail permet-il à la fois de se définir soi même et d’être défini par les autres ?
En étudiant les identités au travail et les rapports de pouvoir, les identités professionnelles et les identités sociales, il affirme que les identités au travail ne découlent pas mécaniquement des situations définies à partir de critères objectifs mais de la manière dont on considère son travail et dont on se considère ou non comme "acteur" dans son organisation.
Ces identités dépendent donc essentiellement des relations que l’on entretient avec les autres partenaires et d’une situation construite et définie subjectivement.


7. La recomposition du salariat
par Tony ANDREANI, sociologue

Pour ce sociologue, l’analyse qui permet le mieux de mettre en évidence les transformations de la structuration sociale du salariat repose sur le concept de domination.
Analysant "classe dominante" et "classe dominée", il réfute toute théorie d’une "classe moyenne" et affirme que le prolétariat, loin d’avoir régressé, a maintenu sa proportion parmi les actifs = 57,5%, le nombre des employés rejoignant celui des ouvriers.
L’évolution la plus remarquable est la forte progression d’une "petite bourgeoisie du capitalisme" constituant une classe intermédiaire.


8. La galaxie des services
par Jean GADREY, économiste

Pour cet économiste, ce qu’il nomme la "galaxie" des services concerne aujourd’hui plus des deux tiers de l’emploi total en France, mais si l’industrie occupe de moins en mois de place dans l’économie et même si on peut dire qu’elle se "tertiarise" avec le poids décroissant de la fonction de fabrication au bénéfice des fonctions de conception, de marketing, distribution, on constate à l’inverse que les activités de service, "s’industrialisent" en s’organisant sur un modèle de fabrication industrielle : Standardisation des services pour pouvoir les produire en série (restauration rapide, gestion automatisée de polices d’assurance standard par exemple). Dans cette conception normative, la production des services emprunte aux modèles d’organisation industrielle, ce qui devrait permettre des gains de productivité.


9. Différence ou division ? La diversité des métiers ouvriers 
par Michel GOLLAC, statisticien

Déclin, éclatement ou recomposition de la classe ouvrière ?
Pour Michel GOLLAC les changements techniques et organisationnels n’impliquent pas par eux-mêmes un éclatement du groupe ouvrier même s’ils modifient le contenu des métiers.
Ce sont les frontières du groupe ouvrier avec les catégories voisines qui se brouillent, la frontière entre ouvriers et employés étant largement fondée sur le sexisme ; Un même travail, par exemple celui de claviste, pouvant être classé comme travail d’employée (car peu qualifiée) ou d’ouvrier (qualifié) selon le sexe de celui qui l’exerce.
Ainsi les frontières du monde ouvrier ont perdu leur évidence.
La recomposition d’un groupe rassemblant par delà la diversité des métiers des ouvriers et des membres de catégories voisines dépend des mutations dans les pratiques culturelles et d’une action politique.


10. Le travail agricole
par Pierre ROLLE, sociologue

Le sociologue Pierre ROLLE étudie à partir de l’exploitation familiale l’évolution du monde agricole en s’appuyant sur la constatation que l’unité de production devient, comme dans l’industrie, un nœud des réseaux multiples, de fournitures, de contrôle, et de financement.
L’agriculteur se partage de nos jours entre divers groupes qui règlent le capital et le travail dans les nouveaux systèmes productifs et qui fixent leurs normes aux entreprises individuelles.
Selon Pierre ROLLE, certaines formes d’associations imaginées pour surmonter les rigidités de l’exploitation familiale préfigureraient des procédures qui se répandent aujourd’hui dans tout l’appareil économique.


11. Le bureau : espace social, espace technique,
par Alain CHENU, sociologue

Alain CHENU s’interroge sur la place de l’emploi de bureau dans l’évolution générale de l’emploi.
De l’étude "historique" de l’évolution de ces emplois, il dégage trois "ages" :

En ce qui concerne l’époque actuelle, l’impact sur les formes de travail du bureau de l’augmentation de puissance des ordinateurs reste difficile à évaluer car la masse de travail fournie dans les bureaux résulte de la confrontation entre deux tendances opposées :

Ainsi, si la part d’emplois de bureau dans l’emploi total ne cesse de progresser, cette progression ne constituera pas une solution d’envergure contre le chômage.


12. Les nouveaux métiers d’ingénieurs
par Rémy JEAN, consultant

Une autre évolution majeure dans le monde du travail concerne les ingénieurs ;
Remy JEAN met surtout en avant l’élargissement de leur fonction à l’ensemble des situations de travail.
La croissance de cette catégorie est actuellement la plus rapide de toutes les catégories professionnelles (sauf les professeurs et professions scientifiques).
Le métier d’ingénieur se caractérise aujourd’hui par :

La gestion des situations de travail est donc un enjeu majeur pour l’ingénieur du XXIème siècle.


13. Que font les cadres ?
par Hubert BOUCHET, président de l’union des cadres et ingénieurs (UCI – FO) Force Ouvrière

Catégorie typiquement française, les cadres vivent un questionnement sur leur identité.
Du fait de son accroissement, la composante encadrement a vu exploser l’unité distinctive qui la caractérisait.
Le discours sur "la montée des cadres" cache, selon Hervé BOUCHET, une autre forme moderne du discours sur la croissance de la classe moyenne et l’opposition entre patronat et prolétariat.
En fait, le modèle de "cadre jetable" est devenu possible car les opérateurs sont devenus interchangeables et les cadres souffrent de la "servitude par l’employabilité et la compétence", ce glissement sémantique se substituant aux concepts de "capacité" et de "qualification" et traduisant la nouvelle donne pour les cadres, véritable bouleversement des rapports qui les liaient à l’entreprise.

 

III. Les conditions de travail


14. L’évolution des conditions de travail
par Jean HODEBOURG, fédération des travailleurs de la métallurgie – CGT

Au sein de la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, Jean HODEBOURG observe l’évolution des conditions de travail et livre un constat plus général sur l’ensemble des travailleurs.
L’espérance moyenne de vie a certes augmenté mais les inégalités s’accroissent entre les diverses catégories socio-professionnelles alors que la pénibilité du travail s'amplifie.
Or le lien entre conditions de travail et santé est le plus souvent ignoré et l’accident de travail continue d’être utilisé comme indicateur unique, reflétant l’essentiel des risques professionnels.
En fait, la multiplication des contraintes sur les rythmes de travail est inscrite dans l’évolution de la gestion des entreprises. Les objectifs sont masqués par le terme de "productivité" qui se traduit par une intensification des charges de travail et la notion de pénibilité du travail est largement sous estimée.


15. Quand le travail rationalise le langage
par Josiane BOUTET, socio linguiste

Les transformations actuelles des conditions de travail font que la part langagière de celui – ci augmente considérablement autant sous la forme orale que par écrit.
Que fait - on avec le langage dans les ateliers, les services, les bureaux ? Telle est la question posée par Josiane BOUTET qui analyse les aspects du langage au travail dans ses dimensions instrumentales, cognitives et sociales.
Reprenant le débat sur la "sortie du taylorisme", cette socio linguiste s’interroge sur les modes de gestion post-Tayloriens qui modifient la place et la fonction des communications au travail et mettent en place une nouvelle forme de rationalisation du travail dans laquelle l’activité de langage est objet de contrôle et de formatage.

 

16. Le sujet au travail par Yves CLOS, psychologue du travail

Pour Yves CLOS, les contradictions du travail divisant chaque travailleur au plus profond de lui-même n’ont guère changé depuis le début de l’industrialisation.
Comparant le Taylorisme et les nouvelles formes de gestion des salariés dans une analyse psychologique qui s’appuie sur le concept de dissociation, l’auteur souligne qu’à l’activité motrice – activité réflexive s’est substitué une autre dissociation liée au paradoxe actuel d’une mobilisation subjective à la fois requise et récusée, paradoxe moderne de l’autonomie, d’où l’intériorisation psychique des conflits de critères associés à des objectifs intenables.


17. L’activité de travail
par Françoise GUERIN, ergonome

L’auteur dissocie tâche : ce que les salariés ont à faire et prescriptions : la tâche précise des objectifs de production quantitatifs et qualitatifs, les prescriptions ont pour fonction d’encadrer l’action des salariés.
Il signale qu’il existe toujours un écart entre ce qui est attendu du salarié et ce qu’il fait réellement d’où la distinction entre travail prescrit et travail réel.
Les compromis effectués dans ce contexte par chaque travailleur sont préjudiciables pour sa santé psychique. La manière dont le travail est réalisé résulte de compromis tenant compte d’objectifs, de moyens, de résultats et des caractéristiques de la personne.
Ces compromis sont sous la dépendance de l’organisation de travail : plus celui ci est contraint, moins le salarié n’a de marge de manœuvre, plus sa santé est en danger.


18. Le temps de travail
par Michel HUSSON, économiste

La montée de la précarité est au centre de la recherche entreprise par Michel HUSSON sur l’évolution du temps de travail.
Il en fait l’historique des dispositifs législatifs et réglementaires.
Reprenant des réflexions actuelles sur temps de travail – temps partiel – flexibilité, il dénonce quelques idées reçues sur le temps partiel "choisi" (essentiellement féminin) et met en évidence la relation entre la flexibilité accrue du temps de travail, l’annualisation et la réduction du temps de travail ramené au premier plan par l’inefficacité des politiques d’emploi.


19. La santé au travail
par Annie THEBAUD – MONY, sociologue

A travers plusieurs exemples l’auteur montre l’ampleur de la dégradation actuelle de la santé au travail. Excluant les "inaptes" et contribuant à "l’inemployabilité" des nombreux salariés, la rationalisation de la gestion du travail se fait par une sélection accrue des salariés les plus "performants".
En 1898 la loi sur les accidents de travail constituait une reconnaissance sociale et politique de l’impact des conditions de travail sur la santé. Pourtant, paradoxalement le compromis social au terme duquel cette loi fut votée n’a pas fondé un droit des ouvriers à la protection mais construit la légitimité des risques professionnels et leur couverture. L’accident du travail et la maladie professionnelle sont alors considérés comme socialement "acceptables" puisque indemnisables.
Aujourd’hui, le modèle de l’emploi stable, permanent, à durée indéterminée, tend à être remplacé par la flexibilité comme outil privilégié de la rationalisation de la gestion des emplois.
Cette mutation conduit à un affaiblissement des protections contre la maladie et la vieillesse.


20. Le vieillissement au travail
par Serge WOLKOF et Antoine LAVILLE, ergonomes

Ces deux ergonomes analysent la notion de vieillissement au travail, notion complexe si on n’envisage pas un "travailleur moyen" mais qu’on prend en compte la variabilité des êtres humains, diversité niée dans le système de production qui fait référence à un "opérateur" présentant, à priori, des caractéristiques "moyennes". S’attachant à une conception où c’est sur les conditions de travail et son organisation qu’il faut agir afin de maîtriser les effets du vieillissement, les auteurs montrent comment les salariés construisent eux- mêmes des stratégies de compensation qui leur permettent de continuer à occuper au mieux le poste de travail mais ces stratégies ne sont réalisables que si l’organisation et les conditions de travail les préservent ou les favorisent.


21. Concevoir des systèmes de production
par Françoise DANIELLOU, ergonome

La question traitée par cette ergonome est celle de la conception des installations industrielles : Comment associer aux concepteurs de sites les opérateurs eux-mêmes ? Comment appréhender le travail réel et comment concevoir ce que sera le travail dans des installations en cours de conception ?
C’est une méthodologie qui repose sur le dialogue que l’auteur propose.


22.
L’évolution des risques professionnels par Dominique HUEZ, médecin de travail

Pour ce médecin, le mouvement actuel de précarisation de l’emploi, l’individualisation des parcours, l'amplification du travail diminuent les marges de manœuvre qui concourent à la construction de l’identité.
Faute de régulation sociale, l’intensification du travail n’a pour limite que les possibilités physiologiques et psychologiques de l’individu. Il y a donc une relation entre la réalité de l’investissement demandée dans le travail et les conséquences sur la santé de la surcharge qui y est liée.
Dominique HUEZ aborde également les effets de la sous- traitance sur les risques accrus d’accidents de travail dont il dénonce l "invisibilité" car plus le travail est précarisé moins les accidents sont déclarés.
Enfin, l’auteur analyse les conséquences de la précarisation sur la santé et met en évidence l’impact des souffrances psychiques et du stress sur la santé mentale.
Il y a, selon lui, un désajustement entre les outils réglementaires et juridiques destinés à protéger la santé des salariés et les situations réelles de travail telles qu’elles se concrétisent aujourd’hui.

 

IV. Travail et emploi


23.
Travail, emploi ou activité ? par Annie FOUQUET, économiste et sociologue

L’auteur définit l’emploi avant tout comme une "relation qui unit une personne à une organisation". Ceci dans un cadre construit : droit de travail, conventions collectives, accords d’entreprises.
C’est en cela que l’emploi se distingue de la situation d’activité ou de travail.
Pour qu’il y ait emploi, et donc statut, il faut que l’activité s’inscrive dans une relation collective et qu’elle soit échangeable contre un salaire.
Ainsi la femme au foyer accomplit-elle une semaine de 70 heures de travail domestique sans emploi. L’emploi est assis sur la norme du salariat à temps plein de la grande industrie Taylorienne et c’est à la fin du XIXème siècle que furent posés les prémices de la protection sociale et de la notion d’emploi.
Les statistiques se sont coulées dans ce mode de pensée visant à gérer et à obtenir le "plein emploi". Le chômage apparaît donc en même temps que le salariat, au moment où le salariat devient la forme dominante de travail rémunéré et que naissent des institutions de protection qui reconnaissent le non- travail. La définition du chômage dépend ainsi de l’organisation sociale d’un pays.
Aujourd’hui, nous connaissons ce que l’auteur nomme "le retour à l’incertain", l’emploi garanti dans la durée est fortement bousculé par les nouvelles données économiques. C’est dans ce contexte qu’apparaît la proposition du "partage de travail" qui est en fait un "partage de l’emploi".


24.
Les marchés du travail par François MICHON, économiste

L’auteur s’interroge sur l’efficacité des marchés de travail en comparant ces marchés dans divers pays en relation avec les profondes transformations de l’activité productive.
Dans des pays où l’emploi est majoritairement tertiaire, de plus en plus flexible, délocalisé, précaire, de nouvelles règles d’emploi (ou de sous emploi) se multiplient. Les normes de travail ont de moins en mois à voir avec celles des années soixante.
Si les politiques de l’emploi n’ont jamais autant coûté à la collectivité, leur efficacité est contestée.
Le libéralisme en tire argument pour vanter le retour aux vertus des marchés. Le "marché" reste donc au centre des débats sur l’emploi et le travail et toute l’instrumentation théorique aujourd’hui impose le nécessité de repenser le modèle du marché.
S’agit-il cependant d’amender le modèle pour son application au seul marché du travail ? Ou faut- il reconnaître que tout marché, et non uniquement le marché du travail, impose une révision ?
Pour cet économiste, la main-d’œuvre ne s’achète ni ne se vend comme un bien ou un service ordinaire.
Existe- il des régulations du marché du travail plus adaptées que d’autres à l’efficacité économique ? Si modèles il y a, ils sont loin du s’homogénéiser et, en l’état actuel, on ne voit pas quelle organisation des marchés du travail serait capable d’assurer tout à la fois la croissance économique, la création d’emploi et la progression des revenus tout en limitant les inégalités. Cette organisation reste donc à construire.


25. Les enjeux de la politique de l’emploi
par Didier GELOT, économiste et Claire VILLIER, membre d’ "AC" (agir ensemble contre le chômage)

L’analyse des effets réels et des enjeux de la politique de l’emploi aboutit pour ces deux auteurs à une conclusion pessimiste : au-delà d’une réinsertion très partielle des certains chômeurs, cette politique participe en fait à une déstabilisation de la norme de l’emploi.
En effet, le rythme de création d’emplois stables s’est particulièrement ralenti au cours de ces dernières années et les embauches subventionnées constituent une variable non négligeable du fonctionnement du marché du travail. La progression du volume des recrutements effectués dans le cadre de la politique publique de l’emploi contribue fortement au développement de l’emploi précaire.
Ainsi, si la politique de l’emploi ne parvient que très partiellement à atteindre l’objectif de réinsertion des chômeurs, on peut en revanche penser qu’elle participe à la déstabilisation de ce qui reste la norme d’emploi : un contrat de travail à temps plein et à durée indéterminée.
Au total, on constate que l’état a fourni depuis le premier "plan BARRE", au milieu des années 70, les cadres juridiques d’une déréglementation sans précédant.


26.
Qualification et classification par Jean SAGLIO, sociologue

Pour cet auteur, l’importance et les enjeux de la qualification sont typiquement français.
Le concept de qualification joue un rôle clef et permet à la fois de cerner les évolutions de l’organisation et de la production, de comprendre le fonctionnement des marchés du travail.
Il ne s’agit pas, cependant, d’un pur concept scientifique mais d’un concept fortement polysémique.
Même dans sa définition la plus simplifiée, la qualification ne peut être réduite à une expression unique et se décline au moins en deux manières :

Les difficultés éprouvées dans la construction du concept de qualification n’ont cependant pas empêché employeurs et salariés de parvenir à des accords sur l’occupation des postes de travail et sur les hiérarchies sociales.
Dans la société française, on privilégie aujourd’hui les définitions qui assimilent la qualification à une certification de type scolaire des compétences.


27.
Travail et formation par José ROSE, sociologue

D’un point de vue théorique, le lien entre travail et formation est supposé fort. Nombreux sont, en effet, les courants de pensée qui soulignent l’interdépendance entre les deux, tant au regard des pratiques des entreprises que de la structuration des marchés du travail.
La formation est un critère de sélection car elle est un indice de la probable productivité au travail.
Le diplôme apparaît alors comme un signal de structuration du marché de travail et, inversement, l’absence de formation initiale comme un critère de discrimination expliquant le maintien de certaines personnes hors de l’emploi.
De leur côté, les sociologues accordent une attention particulière à la place qu’occupe la formation dans le problème de l’accès à l’emploi.
Les travaux des années 70 sur l’insertion professionnelle que l’on disait alors "adéquationnistes" postulaient un lien individuel étroit entre formation et emploi, lien susceptible d’orienter les politiques éducatives et de fixer un référant à leur évaluation.
Ces dernières années, on assiste à un mouvement contradictoire de dégradation des conditions globales d’accès à l’emploi et d’amélioration des niveaux de formation. De ce fait, le mouvement de dévalorisation des diplômes et d’inflation des titres a pris une grande ampleur.
Ainsi, les relations entre travail et formation apparaissent complexes et multiformes : elles vont du travail vers la formation lorsqu’elles soulignent l’influence des changements du travail sur les compétences exigées.
Elles vont de la formation au travail lorsqu’on constate une probabilité accrue avec le niveau de formation d’exercer ses compétences acquises dans le monde du travail.


28. Le progrès technique et l’emploi
par Jacques FREYSSINET, économiste

La question des liens entre progrès technique et emploi échappe souvent à l’analyse objective du fait de la violence des luttes sociales engendrée par la crainte du chômage technique et de la prégnance de conceptions reposant sur un déterminisme technologique.
Pour clarifier les thèmes du débat, il est nécessaire de distinguer :

Ainsi que les effets quantitatifs et qualitatifs exercés par les changements techniques sur l’emploi.
Depuis les origines de la révolution industrielle, deux thèses s’affrontent :

On constate que pendant la période de croissance forte, la thèse dominante a affirmé l’effet positif du progrès technique sur l’emploi tandis que, depuis la crise, on a vu se multiplier les études qui mettent l’accent sur les réductions massives de besoin de main-d’œuvre résultant de l’introduction de nouvelles techniques.
Ce revirement ne peut guère s’expliquer, selon l’auteur, que par la fonction idéologique de telles "démonstrations" .

Selon lui, une réflexion systématique s’impose donc pour sortir d’analyses aux conclusions fluctuantes.
Il rappelle que le changement technique, sa nature et son rythme sont fonction de critères adoptés pour orienter la recherche. Dès le départ, il n’existe pas de déterminisme mais des procédures de choix. La même observation s’impose lorsqu’on analyse les répercussions du changement technique sur l’activité économique.
Il existe bien une relation entre évolution technique et emploi, mais cette relation est fonction des processus économiques et sociaux qui opèrent dans trois domaines principaux :

Ainsi, le changement technique n’est-il pas, par nature, créateur ou destructeur d’emploi. Il modifie les conditions de détermination du niveau de l’emploi. En résulte-t-il davantage du temps libre ? Plus de chômage ? La réponse réside non dans le progrès technique mais dans les modes de régulation du système production.
Plus largement, la production et la sélection des technologies résultent des modes de régulation et des critères de gestion des activités économiques.


29.
Travail et productivité par Pascal PETIT, économiste

La notion de productivité cherche à repérer l’efficacité avec laquelle une action productive est menée en mettant en rapport les moyens utilisés et les résultats obtenus.
La productivité est donc définie comme le rapport entre le volume de production et le volume des moyens mis en œuvre.
Les gains de productivité peuvent avoir des origines variées. On distingue 4 sources :

Ces 4 facteurs sont interdépendants. La dynamique de la demande définie par les perspectives de marché et les conditions de la concurrence impulse de façon décisive la croissance de la production et l’adaptation de ses structures.

Dans les années dites "de croissance forte" des économies européennes, on a observé des gains de productivité élevés.
Cette croissance s’est accompagnée de développement d’activités de services contribuant à la croissance de l’emploi. La remise en cause de ce schéma de croissance se traduit par un ralentissement de la croissance de la production et des gains de productivité.
La conséquence de ce ralentissement de la croissance de la production a été de réduire considérablement l’emploi industriel.
Cette évolution de la structure sectorielle de l’emploi s'est accompagnée d’une profonde transformation du salariat.
La croissance des salaires s’est longtemps référée dans les négociations salariales à l’évolution des gains de productivité.
Aujourd’hui, le poids de logiques financières, spéculatives, de court terme, se trouve renforcé.
Cet élément devient un facteur de paupérisation d’une partie des actifs.


30. Productivité et performance par Marc BARTOLI, économiste et consultant en entreprise
Le travail n’est pas une fin en soi, affirme l’auteur, mais une activité humaine finalisée visant à créer des biens et des services.
Le point de vue économique ne saurait, à lui seul, rendre compte d’une telle activité, mais le point de vue économique est déterminant quand il s’agit du travail salarié car l’activité est soumise à un but fixé par et pour l’employeur.
Ce but est une performance économique dont l’expression première a été celle de la "productivité" mais qui se définie aujourd’hui en d’autres termes : rendement, efficacité, réactivité, flexibilité, qualité.
La crise du modèle Taylorien ne signifie pas la disparition de la recherche de productivité.

Telles sont les questions posées par l’auteur qui s’interroge sur le statut des "performances productives" attendues au travail.
Dans l’économie marchande capitaliste ces performances ne sont en fait que le moyen d’un objectif de résultat ou de rentabilité qui se rapporte à l’entreprise comme unité économique attachée à rentabiliser un capital engagé.
Cela signifie que le mode de performance de production est marqué par la logique monétaire ou financière de rentabilisation de capital.
Dans la comptabilité générale des entreprises, le résultat est dégagé après déduction de toutes les charges externes payables à des tiers mais aussi de la rémunération des salariés ainsi assimilés à des "tiers" bien que travaillant dans l’entreprise.
Les rapports de propriété et de pouvoir conduisent à considérer les salaires et cotisations sociales comme des charges, mais non les dividendes distribués aux actionnaires.
Ainsi est-on en présence, dans cette logique de résultat, d’un clivage des fins et des moyens selon lequel l’emploi, les conditions de travail et les salaires sont du registre non des fins mais des moyens, au service d’un résultat : la rentabilité du capital.
Le management par objectif et l’assise de la rémunération sur la performance à accomplir tend à évacuer la relation entre temps de travail et salaire.
Dans ces conditions, l’emprise du travail sur l’homme s’est paradoxalement étendue, et ce en pleine crise de l’emploi.
C’est une inversion du clivage des fins et des moyens que préconise l’auteur afin de faire de l’emploi et du développement personnel des travailleurs de véritables objectifs.

 

V. Division du travail


31.
L’évolution de l’organisation du travail par Danièle et Robert LINHART, sociologues

Par rapport aux thèses qui affirment l’émergence des nouvelles formes d’organisation du travail en rupture avec les principes fondamentaux du Taylorisme, ces deux sociologues formulent deux constats :

Dans cette optique, un type donné de contrainte du marché et un type donné des outils techniques déterminent un type donné d’organisation du travail.
C’est faire l’impasse, selon ces deux auteurs, sur le fait que les formes d’organisation du travail sont des "construits sociaux", qu’elles constituent donc un type de réponse au rapport de force entre les différents acteurs.
Pour Taylor, le mode d’organisation qu’il mettait au point était un moyen de contraindre les ouvriers de l’époque. Dans le contexte actuel, les innovations introduites le sont dans une logique qui reste fondamentalement taylorienne (recherche d’un autre mode de contrôle, de domination des salariés) alors que ce courant de pensée du post-taylorisme évoque un nouveau type de travail qui engagerai la subjectivité des salariés, leur esprit d’initiative, leur capacité de communication.
Ce que l’on attend aujourd’hui des salariés est une "coopération consentante" sur le plan subjectif.
Les directions s’efforcent de développer un nouveau type de contrôle social qui s’exerce directement sur les esprits sans engager pour autant de réelles transformations de l’organisation de travail. Elles cherchent désormais à positionner les salariés comme des interlocuteurs à part entière de l’entreprise mais il existe un décalage entre les effets d’une telle demande (transformation de la subjectivité des salariés ainsi que de leur place symbolique dans l’entreprise) et la réalité du rôle qu’ils tiennent dans l’organisation de travail : définition très standardisée des procédures.
Les contradictions sont donc de deux ordres : symboliques et psychologiques.
Les salariés se trouvent pris dans des rôles en conflits car le discours qui accompagne le travail de la subjectivité se traduit par le mot clé de "responsabilisation" dans un univers encore très codifié où les possibilités de prise de décision sont toujours très standardisées.


32. La division internationale du travail
par Claude POTTIER, économiste

Cet économiste analyse les grandes tendances de la DIT (division internationale de travail) et met en évidence le rôle déterminant des grandes multinationales.
Celles ci organisent des transferts d’activité que les Etats ne peuvent véritablement contrôler.
L’auteur distingue deux grandes approches de la notion de DIT :

Ce cadre d’analyse peut aujourd’hui être conservé puisque l’activité économique mondiale est de plus en plus régie par les multinationales et que les inégalités entre nations se reproduisent ou s’aggravent, même si certains pays d’Extrême-Orient (les NPI, Nouveaux Pays Industrialisés) sont sortis du sous développement en acceptant de s’insérer dans une DIT mise en place par les multinationales, tout en prenant des mesures d’accompagnement afin de créer un véritable processus de développement
Ainsi, le commerce international est-il de plus en plus façonné par les firmes multinationales qui en contrôlent la quasi-totalité.
Quels sont les effets de la nouvelle DIT d’une part pour les pays d’industrialisation ancienne, d’autre part pour les NPI ?

L’évolution de la DIT résulte donc d’une dialectique entre la stratégie des multinationales et le rôle joué par les états.


33.
La division du travail entre les sexes par Danièle KERGOAT, sociologue

Le terme de DST (division sexuelle de travail) est devenu usuel en sociologie mais reste dépouillé de toute connotation conceptuelle, il renvoie à une approche socio - graphique qui décrit des faits, constate des inégalités, mais n’organise pas ces données de façon cohérente.
De plus, le travail domestique est rarement étudié si ce n’est en termes de "double journée" ou de "cumul" ce qui en fait un appendice du travail salarié d’où une focalisation sur le seul travail salarié.
On assiste, depuis une trentaine d’années, à une montée très marquée du taux d’activité des femmes. Cependant, les inégalités hommes – femmes restent nombreuses et les femmes sont massivement en bas de l’échelle des qualifications et des salaires :

Formation, promotion, place dans l’organisation du travail, conditions de travail, l’inégalité est flagrante et se retrouve partout malgré la "loi RUDY" de 1983 sur l’égalité professionnelle, peu suivi d’effets concrets.
Qu’est ce la DST ?
Les hommes sont globalement assignés à la production, les femmes à la reproduction et chaque tâche productive à l’intérieur d’une société donnée est réservée soit aux hommes, soit aux femmes. Cet état de fait est commun à toutes les sociétés et à toutes les étapes historiques. Ainsi ces phénomènes sont apparus comme "naturels", c’est à dire non construit socialement, donc non interrogeables scientifiquement.
Les interpellations du féminisme ont fait apparaître les rôles dans le salariat et dans la famille pour ce qu’ils sont : le résultat des rapports sociaux.
Peu à peu, la DST s’est imposés comme une forme à part entière de la division sociale du travail.
D’autre part, les travaux des ethnologues et des Historiens montrent que s’il y a toujours eu division du travail entre les hommes et les femmes, les modalités de cette division varient énormément dans le temps et l’espace : une tâche spécifiée comme "féminine" dans une société peut être spécifiée comme "masculine" dans une autre.

Cependant, la hiérarchie entre la "valeur" de travail masculin et celle de travail féminin ne se modifie pas : toutes les sociétés reconnaissent au travail des hommes une valeur supérieure.
Si tel est le cas, c’est bien parce que la DST n’existe pas en tant que telle mais couvre le produit d’un type particulier des rapports sociaux, et par conséquence antagoniques.
Ce rapport social hommes / femmes s’inscrit dans tel ou tel type de société. Au sein de la société capitaliste, la distinction travail salarié / travail domestique s’est créée corrélativement à l’apparition du capitalisme et ce dernier s’est appuyé, pour se mettre en place, sur les rapports sociaux des sexes existants.
La modélisation de la société marchande et du salariat ont entraîné la notion du "travail domestique", forme concrète que prend le travail reproductif assigné aux femmes dans une société salariale.
Aux femmes est dons assigné un travail domestique avec "en plus" le travail salarié. Il y a pour elles une continuité entre la sphère du travail salarié et celle du travail domestique. Quant aux hommes, il s’agit pour eux de la sphère du "privé" sans continuité aucune avec le travail salarié.
Cette opposition entre continuité pour les femmes et rupture radicale pour les hommes rend compte des conceptions du travail salarié et il est logique que le mouvement ouvrier se soit structuré autour du travail marchand d’où a découlé la manière dont a été envisagée l’action collective.
Plus largement, cette opposition rend intelligibles des conceptualisations différentes du temps et de l’espace dans les deux groupes. Elle permet de montrer combien la construction du binôme "privé-public" est une affaire de dominants, même si la domination masculine n’est pas nommée et si son fondement et ses assises dans notre type de société sont loin d’avoir été clairement analysés.


34
. Travail domestique, service domestique par Dominique FOUGEYROLLAS - SCHWEBEL, sociologue

Cet article traite de la question de la précarisation de travail en ciblant l’analyse sur le travail domestique et les nouveaux services domestiques.
Il ressort de cette analyse que les femmes restent perdantes et qu’on ne voit guère émerger des nouveaux emplois à contenu socialement acceptable dans ce secteur "laissé pour compte" de l’économie.
L’idée la plus souvent retenu pour la définition du travail domestique est un ensemble des tâches accomplies dans le cadre de la famille, travail gratuit effectué essentiellement par les femmes.
En définissant le travail domestique comme un travail, les auteurs féministes ont fondé de nouvelles analyses sur la place des femmes dans la production. Ainsi l’analyse de travail domestique menée par C. DELPHY permet de dévoiler le contenu sexué d’une catégorie apparemment neutre : celle du travail. En rupture avec l’opposition souvent avancée entre production marchande et non marchande, l’exclusion du travail des femmes du domaine économique ne résulte pas pour cet auteur de la nature de leur production. En effet, dés lors que les mêmes biens sont produits hors de la famille, le travail qui les produit est rémunéré. A l’inverse, le travail de femmes reste gratuit alors même que leur production est échangée sur le marché (ex. Travail des femmes dans l’agriculture) car le point essentiel est que le travail des femmes n’a pas de valeur quel que soit son contenu, ceci indique qu’elles ne le possèdent pas pour l’échanger.
Ainsi la famille peut être analysée comme le lieu de l’exploitation économique des femmes et on peut conclure à une appropriation matérielle par les hommes de la force de travail des femmes quel que soit leur statut dans la famille : Epouse, mère, sœur, fille.
Aujourd’hui, des nouvelles conditions d’organisation de travail domestique se dessineraient à partir de l’évolution des structures familiales. Cette évolution cependant ne réduit pas, mais renforce, la prise en charge des enfants par leur mère (familles monoparentales).
L’étude du travail domestique montre l’illusion du partage des tâches : la participation des hommes ne s’exerce que dans des conditions particulières : aides en cas d’urgence et prise en charge des tâches précises qui ne mettent pas en cause la responsabilité prépondérante des femmes. L’étude des emplois du temps montre qu’il n’y a pas d’opposition fondamentale entre les pratiques de femmes au foyer et des femmes actives. Aux contraintes liées aux horaires professionnels du mari et scolaires des enfants s’ajoutent des nouvelles contraintes liées à l’activité professionnelle de la femme.
L’évolution des problématiques du travail domestique vers l’analyse des solidarités familiales et des réseaux d’entraide témoigne des préoccupations actuelles sur les conditions de prise en charge sociale des tâches de la reproduction et plus particulièrement, aujourd’hui, des soins aux personnes âgées, dépendantes. Les pouvoirs publics sont à la recherche de gisements d’emplois et mettent l’accent sur des nouveaux besoins au moment où les réponses de type libéral (réduction des dépenses publiques) dominent l’ensemble des politiques, restreignant les interventions collectives.
Les incitations fiscales à la création d’emplois familiaux sont un des exemples actuels privilégiant l’aide individualisée à la famille.
Si les associations connaissent aujourd’hui une priorité politique c’est qu’elles assurent à moindres frais les coûts que les finances publiques se refusent à prendre en charge.


35.
Quand la précarité redessine le marché de l’emploi par Noël DAUCE, secrétaire du syndicat CFDT de l’ANPE

La définition du dictionnaire "Robert" assimile le mot "précarité" à "fragilité", "incertitude", "instabilité". Elle est perçue comme synonyme de déstabilisation personnelle, de difficultés financières, de problèmes familiaux, même si diverses mesures tentent d’en dissimuler l’ampleur.
Une convention du Conseil d’Etat a permis, en 1995, de modifier le mode de calcul des demandeurs d’emploi. Les demandeurs ayant exercé une activité réduite (voire occasionnelle) de plus de 78 heures le mois précédant la comptabilisation sont sortis de la catégorie 1 : "Demandeurs d’emploi immédiatement disponibles à la recherche d’un emploi à temps plein".
Or, le chiffre "officiel" du chômage est fondé, exclusivement, sur cette catégorie.
Ainsi, les activités précaires ont servi d’appui à une manipulation des statistiques relatives au chômage.
Un rapport du CERC ("connaissance de l’emploi, des revenus et des coûts") a mis au point une nouvelle méthodologie pour le calcul du chiffre réel des actifs privés d’emploi. Sa grille de calcul permettrait, si elle était acceptée par les pouvoirs publics, de dépasser l’alternative chômeur / non chômeur en montrant combien de personnes sont en situation de défaut d’emploi, au sens de l’emploi salarié ordinaire, sans être pour autant en situation de chômage tel qu’il est actuellement défini.
C’est le CDI qui a structuré les mouvements de main-d’œuvre depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’au milieu des années 80. Les contrats précaires ou aidés, les stages, étaient présentés comme essentiellement réservés à l’insertion des jeunes dans le monde du travail.
Le nombre global des jeunes et des femmes concernés par ces formes de travail atypiques (autres que le CDI à temps plein) est aujourd’hui très important. C’est l’ensemble du salariat qui est touché par ce phénomène en croissance constante.
Si le vieux modèle Taylorien n’a pas disparu, les dirigeants d’entreprises ont mis en place de nombreux schémas d’organisation du travail qui intègrent le fait que la gestion de la main-d’œuvre est la variable d’ajustement la plus facile à pratiquer en fonction du carnet des commandes.
La dernière reconfiguration tourne autour du concept de "reengineering" avec l’externalisation de tout ce qui apparaît comme "périphérique". Ainsi le monde de la sous- traitance est organisé autour des principes de réduction des coûts et de rapidité de délais. La "loi Madelin" a donné un appui juridique à cet ensemble. La dernière question posée par l’auteur concerne la relation flexibilité – précarité. Il analyse les variétés de flexibilité horaire, nouvelle forme d’exploitation, en particulier des femmes qui doivent rester totalement disponibles vis à vis de leurs employeurs.
Précarité, donc, "un continent féminisé" souligne l’auteur car, quels que soient les aspects étudiés des différences et spécificités du rapport des hommes et des femmes à l’emploi, les femmes apparaissent particulièrement frappées par les divers aspects du travail précaire.
Le syndicalisme s’est révélé impuissant à adapter ses pratiques à la situation des précaires et à leurs revendications.


36.
Le travail clandestin par Gérard FILOCHE, inspecteur du travail

La notion de travail clandestin est à tort, selon l’auteur, assimilé au problème de l’immigration. Ce travail, dissimulé par les employeurs, ne concerne absolument pas, en priorité, les immigrés. Il est à 80% imposé à des salariés français.
Le salarié est alors totalement privé de droit, rien ne s’applique à lui, ni convention collective, ni code du travail, ni protection sociale. Soumis à une subordination totale en échange d’un "fixe" évalué arbitrairement, le travailleur est plongé dans une zone de non droit, livré aux accidents de travail et "chassé" sans préavis ni indemnité.
Lorsqu’il s’agit d’une activité permanente, d’où de véritables revenus sont tirés, donc régulière, productive et non déclarée, nous sommes au cœur du problème.
Mais il existe d’autres dissimulations. Même après avoir reçu des exonérations de cotisations sociales, nombreux sont les employeurs qui multiplient les "heures complémentaires" c’est à dire des heures supplémentaires non majorées.
Des que la flexibilité joue, des que les modulations de durées du travail, les contrats atypiques, les "annualisés", "intermittents", "à temps partiel" se multiplient, se développent les infractions. Plus le contrat est souple, plus les fraudes sont importantes, moins le contrôle est facile.
L’analyse peut être aussi appliquée aux heures supplémentaires. D’après l’auteur, même pas la moitié de ces heures sont déclarées, et encore moins sont correctement payées.
Il s’agit d’un travail dissimulé gigantesque puisque 1,2 milliards d’heures supplémentaires constitue l’équivalant de 680000 emplois à temps plein.
Le travail dissimulé est, pour cet Inspecteur du travail, un problème national et les responsables sont les donneurs d’ordre des grosses sociétés qui commandent, tout en haut de l’échelle, la sous- traitance. Mais tant qu’on ne visera pas, pénalement, l’entreprise à la quelle appartient le conducteur des travaux, tant qu’on n’aura pas un arsenal juridique dissuasif contre la sous- traitance, il sera difficile de traiter le problème. L’inspection du travail ne peut viser pénalement que le dernier maillon de la chaîne alors que le donneur d’ordre, pourtant responsable, ne peut être directement condamné.


37.
Droit du travail : avancées et déchirement par Claude TRIOMPHE, inspecteur du travail

25 ans de crise de l’emploi, 25 ans de turbulences pour le droit du travail. Tel est le bilan que dresse Claude Triomphe.
En 1973, une loi cadre sur le licenciement est enfin adoptée par le parlement. Désormais, tout licenciement exige un motif "réel et sérieux". Tout salarié doit pouvoir être entendu préalablement à une décision de rupture afin de faire valoir ses arguments.
Réhabilitant un dispositif juridique datant de la libération, les pouvoirs publics créent une catégorie nouvelle : le licenciement économique.
A ce régime administratif est couplé un régime d’indemnisation : "le chômage économique" qui ne durera que quelques années.
En 1989, le parlement donne une définition au licenciement pour motif économique et fait obligation pour l’entreprise de mettre en œuvre, lors de licenciements collectifs, un plan social destiné à prévenir, à limiter, ou à compenser les pertes d’emploi.
Les années 80 apportent des garanties supplémentaires aux salariés en matière de licenciement pour motif personnel avec une série de dispositions anti-discriminatoires et, en 1992, le parlement adopte une loi sur la protection des libertés publiques dans l’entreprise.
Aujourd’hui, le CDI (contrat à durée indéterminée) à temps plein reste la norme bien que le temps partiel atteint 15% de la population active, essentiellement féminine et peu qualifiée, et moins d’un quart des embauches le sont sous forme de CDI.
Il existe, depuis 1990 une sanction pénale contre les CDD (contrat à durée déterminée) abusifs mais l’inspection de travail n’en fait guère usage.
En fait, si le droit du travail présente le CDI comme la norme de l’emploi permanent, cette norme est de plus en plus remise en cause.
Textes législatifs jugés trop rigides et impropres à satisfaire le besoin d’adaptation des entreprises, méfiance à l’égard de l’état, revendication du droit à l’expérimentation ou à l’autonomie, incapacité de la puissance publique à régler des pratiques d’entreprises, récrimination envers les acquis sociaux, tout converge vers des accords dérogatoires et un affaiblissement de la norme étatique.
Un exemple : pour l’inspection du travail, la question du temps de travail est devenue très problématique et la situation quasi-incontournable. L’une des caractéristiques majeures de la nouvelle situation est que les horaires de nombreux salariés ne sont plus mesurés.
Ainsi, le droit n’est plus protecteur, ni même régulateur face à des systèmes de modulation, de dérogation, de compensation de lus en plus nombreux.
Si le code du travail a doublé de volume, l’effectivité du droit n’a pas augmenté, elle a même reculé. Des sous-statuts, des sous-contrats se sont multiplié sous la double influence des pratiques d’entreprises et des politiques publiques.
En 1968, puis en 1982, le syndicalisme a cru que son entrée dans l’entreprise allait conduire à son renforcement. C’est le contraire qui s’est produit. Quant à l’état, il impose des normes aussi nombreuses que précaires. Il n’a su faire évoluer ni son mode d’organisation administrative, ni sa lecture de la réalité du travail.

 

38. Pouvoir, contrôle et hiérarchie par Jean François PERRAUD, secrétaire confédéral de la CGT

Pour cet auteur, le travail a évolué et, avec lui, les relations qui s’y nouent. Mais si les transformations de modes de gestion patronaux ont été bien analysées, le mode de fonctionnement des organisations syndicales, leur façon d’être avec les salariés et dans la société l’ont été beaucoup moins.
Pour les salariés, confrontés à une autorité patronale en mutation, il n’est pas évident d’identifier comme adversaire celui qui vous propose d’être responsable et à l’initiative de votre travail.
Analysant l’évolution de l’encadrement et la liquidation du "petit chef" dans le secteur industriel l’auteur montre comment l’opérateur assiste à une dématérialisation de l’autorité patronale. Cette perte des anciens repères collectifs ouvre, pour la direction, la voie d’une responsabilisation renforcée dans tous les domaines de l’activité de l’opérateur. Il s’agit d’engager le salarié dans un système de contraintes à l’intérieur desquelles il doit s’engager personnellement par ses initiatives et sa prise de responsabilité.
De son coté, la direction de l’entreprise doit, en apparence, faire abstraction des décisions stratégiques prises par ses actionnaires (aussi bien en termes d’objectifs qu’en termes de moyens pour les réaliser) et les contraintes du marché doivent constituer aux yeux du salarié l’autorité suprême.
L’informatisation a permis aux directions de déboucher sur une reconstruction intensifiée du travail. La marge qui permettait d’amortir une partie de la violence du travail a disparu, l’espace de liberté possible a diminué, la logique de contrôle systématique s’est renforcée.
La période récente a donc été marquée par l’éclatement des collectifs de travail, la perte de repères et un développement de la diversité des situations de travail. Alors que l’entreprise a évolué de la centralisation vers une mise en réseaux, l’organisation syndicale est restée calquée sur une structuration du salariat qui n’est plus.
Les difficultés actuelles du syndicalisme sont donc liées à la nécessité de s’adapter aux nouvelles conditions de son intervention et à l’élargissement de sa responsabilité sur les questions de société.
Ce qui est nouveau, c’est l’extrême solitude qui guette le salarié assailli des contraintes et des responsabilités et la précarisation croissante de son identité.
Faut-il laisser l’organisation de travail et l’organisation sociale basculer dans des réseaux sur lesquels seule planerait l’autorité suprême des marchés financiers ? Telle est la question posée par l’auteur.
Bien des choses se jouent aujourd’hui dans la façon de travailler ou de ne pas pouvoir travailler. La négation de la souffrance est devenue une dimension essentielle du dispositif d’exploitation. Les formes de domination se sont affinées. Le pire pour le syndicalisme serait donc de continuer à prendre comme référence un âge d’or mythique d’une conscience ouvrière unifiée. Sur la lancée du mouvement social initié en 1995 et qui a vu en 1999 les chômeurs s’y inscrire durablement, on peut penser à l’émergence d’une nouvelle conscience collective.
Cette évolution donne au syndicalisme une responsabilité décisive dans la gestion de ce mouvement.

 

VI. Entreprises, Acteurs et Enjeux


39.
Les conflits du travail par Jacques KERGOAT, historien

Les conflits liés à la relation de travail prennent des formes très différentes.
Il existe une "microconflictualité" quotidienne qui se traduit par des tracts, des délégations, des pétitions, un taux d’absentéisme et de "turnover" mais leur évaluation est difficile.
Ce sont donc les grèves que J. KERGOAT étudie dans leur évolution.
La période qui va de 1979 à 1994 révèle une chute très nette de l’activité gréviste, particulièrement sensible dans le secteur privé. Les modalités des grèves sont surtout marquées par le souci de contrôler les revendications "de proximité". Ces grèves ont donc pu être qualifiées de "corporatives".
Depuis 1979 les motifs de conflits sont répartis par le ministère du Travail en 4 grandes catégories :

Les conflits portant sur le droit (droits syndicaux, licenciements individuels, règlement intérieur, application des conventions….) se sont stabilisés à partir de 1984 à un niveau élevé (autour de 20%) .
S’il est vrai que les préoccupations liées à l’emploi sont beaucoup plus fortes aujourd’hui qu’à la fin des années 70, les revendications salariales restent au cœur des conflits alors que les revendications sur les conditions de travail représentent un pourcentage faible (entre 5 et 8% ) et restent stables.
Dans les faits, la grille à travers laquelle on tente de recenser les motifs des conflits du travail est peu satisfaisante.
Conflictualité en hausse ou conflictualité en baisse ?
Un premier type d’explication renvoie à la situation économique. Deux thèses s’opposent :

Une autre explication fournit un soubassement théorique à la "mise en conflit". Celle ci se ferait à partir d’un calcul économique analysant les coûts et les avantages d’une action collective et serait dans l’ordre du rationnel.
Aucune de ces thèses n’a pu être vérifiée historiquement.
Des psychosociologues ont, de leur côté, développé la théorie de la "frustration". Il n’y a pas, selon eux, de mobilisations spontanées à partir d’une situation objectivement insatisfaisante. Il faut que celle-ci soit subjectivement ressentie comme frustrante.
Une telle approche fait porter l’attention sur le contexte social et culturel et non plus seulement sur le contexte économique. Elle amène à relativiser l’habituel mépris avec lequel est abordée la question de la "défense des acquis", lesquels sont en fait des "conquis", produits de luttes antérieures.
Révolte et colère dues à la frustration ne se transforment pas automatiquement en conflit ouvert, d’autres éléments interfèrent : passé de lutte et comportement du patronat.
On pourrait penser que plus le patronat est rigide, plus le recours aux conflits va s’imposer. Les éléments statistiques ne confortent pas cette thèse. Au contraire, c’est dans les entreprises familières de la négociation que l’on trouve le plus grand nombre des conflits, d’où une théorie dite de "régulation conjointe" selon laquelle les acteurs : patrons et salariés, mettent au point des règles pour mieux faire fonctionner les relations professionnelles dans l’entreprise. l’existence de conflits est nécessaire pour que ces règles puissent être établies. C’est donc là où existent des politiques de ressources humaines évoluées que les conflits seraient les plus nombreux.


40. Syndicats, dynamique sociale et changements du travail
par Jean Marie PERNOT, politologue

Comment le syndicalisme peut-il retrouver sa capacité à produire des identités collectives ?
La question posée par l’auteur intervient à un moment où la population active se redéploie, modifiant le poids relatif des différentes branches professionnelles et affectant les assises sociales et les figures de référence du syndicalisme.
Déstabilisation des groupes ouvriers producteurs de représentations, déclin de l’industrie pourvoyeuse des effectifs de syndiqués, divisions syndicales, tels sont les éléments de l’affaiblissement des positions syndicales.
La perte de figures de référence est, selon l’auteur, un problème important : l’image du syndicaliste "ouvrier masculin industriel" n’a jamais correspondu à la réalité sociologique du mouvement syndical français. Elle typait une représentation construite autour des "bastions" de l’industrie et de l’hégémonie exercée par la CGT. Cette figure syndicale prenait appui sur des représentations politiques donnant à la "classe ouvrière" le rôle d’agent historique de transformation sociale.
Cette représentation a basculé, libérant l’espace pour la construction de nouvelles figures "plurielles" correspondant davantage à la composition réelle du salariat.
Cette prise en compte syndicaliste s’effectue à une période où la priorité accordée à la lutte contre les licenciements a évacué la lutte contre la souffrance due aux conditions de travail "moderne" : travail précaire, flexible, mal payé, qui touche largement les femmes.
La question est alors posée par l’auteur : le mouvement syndical n’a-t-il pas trop délaissé son approche critique du travail aux prétextes que celui ci se raréfiait ? Ila ainsi laissé la place au discours managériale sur la nécessaire productivité sous forme de contraintes rendues incontournables par la mondialisation et la concurrence.
Une position de résistance a pu être maintenue dans le secteur public face aux pressions de la déréglementation européenne, mais le secteur privé a été le lieu d’une victoire des logiques patronales.
Si le syndicalisme délaisse le champ du travail, il ne peut qu’affaiblir ces propres objectifs.
Il s’agit, pour lui, de reconquérir ce terrain.


41.
Le patronat français par Jean BUNEL, sociologue

Pour ce sociologue, la situation commune des patrons est bien difficile à cerner.
La nomenclature des professions et des catégories socioprofessionnelles ignore le patronat. Elle oppose seulement les indépendants aux salariés.
La modèle sur lequel s’est construite l’identité collective patronale est celui du propriétaire -fondateur ou de l’héritier – gestionnaire d’une entreprise qui risque ses biens dans l’action économique et dont les succès sont récompensés par la formation d’un patrimoine.
Aujourd’hui, le moteur de la croissance sont les créateurs des entreprises innovantes, les petits et moyennes entreprises flexibles et réactives aux évolutions du marché. Le développement des PME est la conséquence de l’externalisation par les grands groupes de leurs activités.
Si le patronat est pluriel, divisé, il est amené par un petit groupe dominant d’entrepreneurs qui n’ont plus une vision nationale de leur action mais une stratégie internationale. La mondialisation n’est, selon l’auteur, ni un destin, ni une fatalité, elle est la création d’ "Europreneurs" à la fois hommes d’affaires et presque hommes d’état car le débat national est inconcevable sans leur participation.
Le CNPF (aujourd’hui MEDEF) considérée comme l’organisation représentante des grandes entreprises refuse d’être l’incarnation de grand patronat de gestion et prétend donner toute leur place aux PME.
Ce n’est cependant pas la construction d’un intérêt commun qui incite les employeurs à l’action collective mais plutôt la défense d’intérêts spécifiques et souvent contradictoires.
Le monde patronal est de plus en plus pluraliste, les engagements sont ponctuels et pragmatiques, les acteurs veulent avant tout préserver leur autonomie.
Peut-on croire aujourd’hui que des finalités générales et universalistes puissent mobiliser les patrons ?
La réponse de J. BUNEL est négative.


42.
Débats et modèle de management par Jean François GAUDEAUX, conseiller en entreprise et philosophe

Existe-il des modèles de management ?
C’est davantage en philosophe qu’en conseil en entreprise que l’auteur répond à cette question.
Le management revendique des fondements théoriques dont on peut appréhender la diversité dans ses appellations multiples :

Affirmation d’une conception unitaire de l’entreprise qui doit régir les moyens et les hommes jusque dans leurs processus mentaux

Système intégré de gestion permettant la saisie rapide "en temps réel" pour les informations financières,  de toutes les indications concernant la marche de l’entreprise

Système qui prétend démontrer la rationalité de l’organisation – entreprise et mesurer les perturbations qu’un changement y produit en anticipant les contraintes et les résistances probables.

La nouvelle théorie des organisations permet d’effectuer une synthèse entre l’étape rationaliste (OST) et l’apport psychosociologique du courent relationnel. Elle prétend parvenir à un raisonnement global qui tient compte à la fois de la rationalité du travail et de l’affect humain. Il ne s’agit pas là de "révolutionner" le travail mais seulement la façon dont les individus se le représentent.
Le management affiche une volonté de réguler et d’optimiser le travail par une implication des "volontés libres des acteurs". Il convient alors de modéliser le travail pour mettre en scène ces acteurs. C’est la mise en place des dispositifs managériaux : contrats d’objectifs, entretiens professionnels, délégations, que l’auteur appelle le "rite managérial". En effet, J.F. GAUDEAUX rappelle que dans une économie libérale les entreprises n’ont qu’un objectif : accroître leurs profits. Il convient alors de justifier le management en se referant à telle ou telle théorie sur la motivation individuelle, l’économie mondiale, l’environnement hostile. Il importe de justifier les règles que l’entreprise impose.
Les rites managériaux dispensent de l’explicitation du pouvoir en même temps qu’ils autorisent son exercice le plus arbitraire. La réalité du management fait donc ici l’objet d’une analyse extrêmement sévère.
Pour l’auteur, passage obligé d’une violence inadaptée aux réalités contemporaines à une violence symbolique, le management est d’abord une immense tentative de modélisation des rapports et des comportements humains dans une économie de marché impitoyable. Ainsi, de restructuration de services en changement de métier, d’informatisation d’activités en suppression d’emplois, il est toujours possible d’impliquer les acteurs.
Le management est devenu un système de règle qui ne concernent plus les relations de pouvoir mais les possibilités d’intégration ou de désintégration des acteurs dans toutes les formes d’organisation de travail.
Dans cette perspective, il doit s’appréhender comme un système de représentation du pouvoir. Un système qui, contrairement aux apparences, n’accorde pas un primat aux hommes mais aux représentations de soumission qu’il incarne afin de servir les intérêts fondamentaux de l’entreprise.


43. Les espaces démocratiques dans l’entreprise
par René MOURIAUX, politologue

Le pouvoir de l’employeur est consacré par le droit et la jurisprudence qui affirment son caractère "souverain".
La mise en place d’instances de représentation du personnel sera longue et conserve encore une portée limitée dans les faits.
R. MOURIAUX présente l’historique d’une construction difficile d’espaces démocratiques dans l’entreprise.
Sauf exception, l’absence d’expression organique des salariés demeure la règle jusqu’en 1936. Avec le front populaire, les délégués du personnel se mettent en place. En 1945, le gouvernement édicte une ordonnance créant le comité d'entreprise.
Jusqu’en 1968, la démocratie dans l’entreprise repose sur des organes élus, le syndicat, en tant que tel, reste officiellement aux portes des entreprises. Le mouvement de mai – juin 68 aboutit à la reconnaissance du syndicat au sein de l’entreprise et la loi du 27 septembre institue la section syndicale d’entreprise.
Dans l’ensemble des textes préparés par Martine AUBRY, la loi du 4 août 1982, consolidée en 1986, concerne le droit d’expression directe et collective des salariés sur leur lieu de travail.
Enfin, la loi du 12 novembre 1996 institue une procédure "en vue de garantie le droit des salariés à l’information et à la consultation à l’échelon européen".
Dès fin 1945 et jusqu’en 1948, les comités d’entreprise se répandent et les militants de la CGT s’y investissent en s’occupant activement de l’accroissement de la production.
Avec la crise, les CE sont secoués et le dégraissage des firmes entraîne une diminution de leurs ressources.
L’affaiblissement du syndicalisme qui s’observe à partir de 1976 atteint les CE, accaparés par les restructurations et les licenciements, impuissants à entrer en relation avec les salariés temporaires. Seuls, quelques-uns prennent part à la lutte contre l’exclusion.
Si un travail considérable a été accompli par des militants afin de permettre à une parole autre que managériale de s’exprimer dans l’entreprise, les résultats restent cependant limités et les déficiences du mouvement syndical ne doivent pas occulter l’incessante volonté des employeurs d’imposer leurs choix.


44.
Travail et autogestion par Pierre COURS – SALIES, sociologue

Le concept d’autogestion implique, selon l’auteur, une rupture avec deux "représentations légitimes" qui restent constitutives de la domination capitaliste :

Ces deux représentations font système dans le pouvoir de la classe capitaliste dirigeante.
On mesure alors le caractère radical de l’idée d’autogestion.
Après avoir noté les différentes étapes historiques de cette notion, l’auteur en présente les aspects contemporains.
Aujourd’hui, il est question de "management participatif". On recherche une plus grande implication des salariés mais on ne leur donne pas les moyens d’un contrôle effectif sur l’ensemble du processus de production.
Les pouvoirs publics sont directement concernés : une "république autogérée" supposerait en effet que chacun(e) ait l’assurance de pouvoir trouver sa place par un usage libre de la mobilité professionnelle, au sein d’une société contrôlant démocratiquement le marché et l’organisation de la production.


45.
Les figures de l’entreprise par Henri JACOT, économiste

Reprenant le débat sur cogestion et autogestion, l’auteur le spécifie par rapport à 3 "figures" de l’entreprise :

Selon cet économiste, l’entreprise doit être définie comme une "unité économique de profit, orientée en fonction des chances d’opération marchande, et ce dans le but de tirer bénéfice de l’échange".
Cette définition permet de mieux comprendre le rapport ambivalent que les travailleurs et leurs organisations entretiennent avec la notion même d’entreprise. Un rapport qui oscille une adhésion complète à cette "forme sociale" dont ni la finalité, ni la légitimité n’est questionnée, et une contestation radicale qui tend à assimiler l’entreprise à un pur instrument d’exploitation patronale.

L’idée de "système de travail" ne doit pas s’en tenir au seul travail "vivant", on doit replacer celui-ci dans un ensemble qui s’analyse comme l’action de ce travail vivant sur un objet de travail, à l’aide d’un moyen de travail. L’évaluation des performances des entreprises ainsi appréhendées comme "système de travail" ne peut se réduire à l’utilisation du seul critère de productivité apparente du travail, encore dominant dans les analyses patronales. Et cela pour deux raisons :

Cette dimension essentiellement marchande de l’entreprise pose la question des rapports entre marché et travail.
L’auteur insiste sur l’ambivalence du marché et ses excès qui consistent à tout ramener à des valeurs d’échange et dont on constate les effets en matière de démantèlement des services publics.

L’auteur aborde le troisième figure de l’entreprise en tant que "microcosme  capitaliste". Ce n’est plus seulement un "centre d’affaires" guidé par le marché mais un compte de capital qui vise à se valoriser par la recherche d’un profit rapporté non plus seulement au chiffre d’affaires engendré mais aux fonds avancés par les détenteurs des moyens de production. Ceci nous fait passer de la notion de compétitivité marchande à celle de rentabilité financière.
Dans cette conception capitaliste, ne sont distingués que les propriétaires et les dirigeants. Les salariés sont ignorés.
Dans le contexte d’une entreprise "institution sociale" , l’intervention des travailleurs et de leurs représentants devrait porter sur les choix d’investissements, sur les implantations, sur la mobilisation des fonds financiers, sur toutes les orientations stratégiques, ce qui écarterait l’actuelle dictature du taux de profit.

 

Commentaire sur l’ouvrage et son actualité

L’ensemble des contributions à cet ouvrage fait du "monde de travail" un livre de référence.
Si les 48 auteurs ne s’expriment pas d’une seule voix et s’engagent à ouvrir le débat, tous témoignent d’une même exigence : il faut changer le travail. Tous s’impliquent également dans une démarche critique face aux données actuelles et au fonctionnement du monde du travail.
L’organisation du travail résulte en effet, selon les auteurs, de la primauté accordée par les dirigeants à la gestion financière à court terme de leur société.
Confrontés à la mondialisation de l’économie et à la versatilité des circuits financiers internationaux, les managers tentent, dans un soucis d’adaptation permanente au marché, d’organiser de la façon la plus flexible possible toutes les ressources de l’entreprise.
Ce faisant, les dirigeants sont amenés à distinguer les groupes professionnels considérés comme stratégique pour l’avenir de l’entreprise de tous ceux qui gravitent autour.
Ainsi, à partir d’un "noyau dur" se développent les zones périphériques correspondant à des zones d’emplois de plus en plus secondaires.
Cette distinction entre le "centre" et les "périphéries" affecte aujourd’hui toutes les catégories socioprofessionnelles traditionnelles : ouvriers, agents intermédiaires, cadres.
L’entreprise fait également appel à des compétences extérieures, les une stratégiques (experts, par exemple) les autres ponctuelles (intérimaires) mais là où une croissance en expansion permettait précédemment de récompenser tous les salariés, seuls les membres du premier cercle sont aujourd’hui assurés d’avoir un déroulement de carrière conforme à des mérites reconnus, les seconds étant abandonnés à la logique du marché interne ou externe à l’entreprise.
Comme le soulignent tous les auteurs de l’ouvrage, ce délitement du lien salarial se répercute, par-delà l’entreprise sur l’organisation de toute la société.
Sous ce qu’on a appelé "la crise", les mutations ont amorcé une recomposition du marché du travail dont tous les auteurs en tant que sociologues, psychologues, politologues, historiens, militants dénoncent les abus, les injustices et les souffrances qui en découlent pour les travailleurs.
Tous s’emploient à montrer que les conditions technologiques de production interviennent dans un environnement de compétition internationale totalement bouleversé dont le caractère structurel se confirme.

Trois axes convergent pour le signifier :

Ainsi, les contours de ce qui fait  un "travail" sont devenus imprécis, les rapports au temps comme à l’espace se sont distendus dans des nombreuses activités professionnelles.
En fonction de ces trois facteurs, qui se recouvrent et se complètent, nous assistons, affirment ces auteurs, à la mise en place d’une nouvelle société.

De quoi s’agit-il ?

Dans quel but ?
Il est clair que la réponse donnée par les auteurs s’inscrit dans une remise en cause du "libéralisme" capitaliste et des dictats du marché mondial, même si tous ne vont pas jusqu’à estimer, comme le philosophe J.M. VINCENT que "le travail n’est qu’une marchandise au service du capital" (MARX).
L’intérêt de ce livre est donc de permettre une réflexion approfondie sur le travail, notion fondamentalement ambivalente car d’un côté le travail permet l’accès à la socialisation, de l’autre il se situe dans une logique marchande. Il est à la fois, et c’est bien ce que montrent les divers auteurs de l’ouvrage, produit d’un grand mouvement historique d’émancipation et d’un mouvement économique d’aliénation.
Bien loin de la "pensée unique" politico-financière et des certitudes du "management" contemporain, le parti-pris de cet ouvrage est une analyse en profondeur de la réalité du monde de travail, de ses acteurs, de ses institutions, de ses règles, sans renoncer à la conviction que les hommes peuvent changer le travail et les données économiques dans lesquelles il s’inscrit.
Pour tous les auteurs, si la défaillance des institutions est manifeste, il est de la responsabilité des travailleurs d’imposer des formes socialement acceptables d’accompagnement des transformations de l’appareil productif.
Prendre en charge la question du travail pour tenter de lui redonner son statut de régulateur du lien social comporte aussi une dimension utopique. S’il est vrai que le travail détermine largement la configuration de notre existence sociale, l’exigence demeure de combattre la dégradation de son exercice et d’y réintroduire la dimension humaine que les principes managériaux ont largement évacuée. Ce n’est pas une mince besogne. Les auteurs de ce livre nous y appellent.
En une période où l’idéologie dominante nous inonde de textes vantant les mérites du "progrès" représenté par l’utilisation des nouvelles technologies et imposant à tous les valeurs de la compétitivité et de la modernité masquant en fait la loi du profit érigée en dogme, dans une société qui laisse sur les marges une population poussée vers l'exclusion et la misère, ce livre nous entraîne à repenser les rapports sociaux dans le monde du travail.
C’est aussi un ouvrage militant de résistance et d’espoir.
Il replace l’humain au centre de tout projet économique et politique.
Pour reprendre un ouvrage connu, l’"horreur" n’est pas seulement économique, elle est aussi politique.
Les auteurs du "monde du travail" nous invitent à repenser le monde à partir d’une analyse de la réalité du travail inscrite à la fois dans le passé, le présent et un avenir à construire.

 

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