LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.


JURADO Hervé,
NICOL Marjolaine
Mastère GIN 00 / Economie Industrielle

 

Pierre BOURDIEU

"LES STRUCTURES SOCIALES DE L’ECONOMIE"

(Seuil, Paris, 2000)

 

Sommaire :

 

 

BIOGRAPHIE

Sociologue et ethnologue Français contemporain né en 1930 à Denguin, il est le continuateur de la méthode et de la doctrine de Durkheim. Il est connu pour avoir su combiner trois grands noms de la sociologie que l’on a traditionnellement opposés avant lui: Karl Marx, Emile Durkheim et Max Weber.
Il est l’auteur de nombreux travaux sur des objets fort divers (mariages Kabyle, célibat paysan, étudiants et professeur, fréquentation des musées, pratiques de consommation…) mais qui tous à leur manière, mettent en perspective les logiques de la différence et de la domination sociale à l’œuvre dans les pratiques, les comportements et les goûts. C’est dans ce cadre qu’il développe les notions d’habitus et de légitimité.

C’est par ses recherches à caractère ethnologique menées en Kabylie que Pierre Bourdieu s’est d’abord fait connaître: seul (Sociologie de l’Algérie en 1958, The Algérians en 1962) ou en collaboration (Travail et Travailleurs en Algérie et le Déracinement en 1964). Repris par la suite, les résultats de ces travaux initiaux n’ont cessé d’alimenter sa réflexion: ils montraient déjà l’importance des phénomènes symboliques dans les relations économiques et ils éclairaient la nature de sens pratique (deux textes importants en sont issus: Esquisse d’une théorie de la pratique en 1972 et le Sens Pratique en 1980). Mais ce sont ses travaux sur l’école (avec Jean Claude Passeron) qui le placent au premier plan des sociologues français contemporains. Les Héritiers (1964) sont l’occasion de débats passionnés, auxquels ont participé notamment les enseignants et leur syndicats. Heurtant de plein fouet la conviction, largement répandue, de l’égalité des chances devant l’école. Il insiste aussi sur les mécanismes qui dissimulent cette sélection à ceux qui la subissent, en particulier la croyance aux dons (il faut être doué pour réussir). Dans la Reproduction (1970), les mêmes auteurs soutiennent d’une manière plus systématique l’idée que l’école joue un rôle fondamental dans la reproduction des inégalités sociales. Ecrit en pleine conjoncture structuraliste, mais s’en démarquant par l’importance qu’il accorde à l’histoire, cet ouvrage eut d’autant d’émules que d’adversaires. Dans le même temps (et en associant toujours pleinement ses collaborateurs), Bourdieu a étendu l’application de ses concepts fondamentaux à d’autres domaines et en démultiplié la portée. Ainsi l’étude de la photographie (Un art moyen, 1965) ou celle de la fréquentation des musées lui ont permis d’étayer l’idée que les échanges culturels peuvent être considérés en terme de marché (‘le marché des biens symboliques’).

Opposé à la constitution d’une ‘école de pensée’ mais soucieux d’offrir à des sociologues non confirmés l’occasion de s’exprimer et de briser ce qu’il appelle "le cercle enchanté de la légitimité". Bourdieu a fondé en 1975 la revue Actes de Recherche en sciences sociales, qui est devenue l’un des vecteurs essentiels de la diffusion de la sociologie auprès d’un public plus large et qui a marqué par son style toute une génération de sociologues. Les objets réputés mineurs (la haute couture, le commérage, la vie dans un petit séminaire, la bande dessinée…) y sont examinés avec autant d’attention que l’école, les paysans ou le patronat. Dans l’esprit insufflé par Bourdieu on ne traite jamais d’un objet sans montrer les conditions historiques dans lesquelles est apparu l’intérêt porté à cet objet, d’où l’étiquette de "structuralisme génétique" qui est parfois attribuée à cette sociologie. Au fil de la publication de la revue, Bourdieu a affiné sa théorie de champ, grâce à laquelle il a pu développer ses résultats antérieurs sur les goûts et la culture (la Distinction, 1979) sur la relation entre système scolaire et champ de pouvoir (Homo. Academicus, 1984 ; la Noblesse d’Etat, 1988), ou sur l’art et la critique littéraire (Les Règles de l’art, 1992).

Depuis les grèves de Décembre 1995, son implication politique est importante. Il créa l’association "Raisons d’agir" et la revue "Liber" afin de démocratiser les sciences sociales. Il reste très critique envers le néolibéralisme a travers de nombreux articles et journaux réunis en partie dans Contre-Feux, 1998.

Aujourd’hui Pierre Bourdieu est professeur titulaire de la Chaire de Sociologie au Collège de France, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, directeur de la Revue Actes de la recherche en sciences sociales et de la revue internationale des livres Liber.

 

Principales caractéristiques biographiques


-Lycée de Pau (1941-1947)
-Lycée Louis-le-Grand (1948-1951)
-École Normale Supérieure (1951-1954)
-Faculté des lettres de Paris (1951-1954)
-Professeur au Lycée de Moulins (1954-1955).
-Assistant à la Faculté des lettres d'Alger (1958-1960).
-Assistant à la Faculté des lettres de Paris (1960-1961).
-Maître de conférences à la Faculté des lettres de Lille (1961-1964).
-Directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (1964-….).
-Chargé de cours à l'École Normale Supérieure (1964-1984).
-Directeur du Centre de Sociologie de l'Éducation et de la Culture (EHESS-CNRS).
-Directeur de la Collection "Le sens commun" (Éditions de Minuit) (1964-1992).
-Visiting Member à l'Institute for Advanced Studies (Princeton) (1972-1973).
-Membre de l'American Academy of Arts and Sciences.
-Membre du Conseil scientifique du Max Planck Institute für Bildungsforschung (1974-1976).
-Directeur de la revue Actes de la recherche en sciences sociales (1975-….).
Consulting Editor de l'American Journal of Sociology (1975-….).
-Professeur titulaire de la Chaire de Sociologie au Collège de France (1982-….).
-Directeur du Centre de Sociologie Européenne (CSE) du Collège de France et de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (1985-….).
-Directeur de la revue internationale des livres Liber (1989-….).
-Docteur honoris causa de l'Université Libre de Berlin (1989), de l'Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort (1996), de l'Université d'Athènes (1996).
-Membre du Conseil scientifique de l'Institut Maghreb-Europe (1991-….).
-Médaille d'or du CNRS (1993).
-Erving Goffman Prize, University of California-Berkeley (1996).
-Ernst-Bloch-Preis de la ville de Ludwigshafen (1997).

 

Bibliographie : OUVRAGES

 

QUESTIONS POSÉES

Avec son livre ‘Les structures sociales de l’économie’, P. Bourdieu tente de ‘réunifier les sciences sociales en travaillant à rendre l’économie à sa vérité de science historique’ (p.266). En effet, l’auteur rappelle que toute ‘pratique est immergée’ (comme le mentionne également K. Polanyi) et doit être pensée comme ‘un fait social total’ (M. Mauss, p.11).

 

POSTULATS

Dans l’introduction de son livre, Pierre Bourdieu esquisse une liste de propositions générales qui représentent autant de postulats. Ces propositions générales sont au nombre de quatre (pp. 11-31).

  1. Le monde social est présent dans chaque action économique.

  2. La science économique est le produit d’une longue histoire collective sans cesse reproduit dans l’histoire individuelle dont seule l’analyse historique peut rendre complètement raison (notion d’habitus) ; en effet, P. Bourdieu rappelle en effet que l’Homo Oeconomicus est un individu historique et que les dispositions économiques telles que le besoin, les préférences ou les propensions ne sont pas exogènes mais endogènes.

  3. L’espace social est présenté comme un champ de force ou de lutte (caractérisé par des relations et interactions entre les acteurs) au sein duquel les individus occupent différentes positions déterminées par les différentes formes de capital accumulées au cours de leur vie. Ceci donne lieu à des rapports de force et des relations de pouvoir du type dominants / dominés.

  4. Les agents économiques s’engagent sur la base de l’expérience acquise en pratique et ainsi, conduites et anticipations sont plutôt raisonnables que rationnelles.

 

HYPOTHÈSES

L’auteur ne pose pas réellement d’hypothèses.

 

RÉPONSES APPORTÉES

Bourdieu, en posant que l’espace social est structuré par la rencontre des deux notions clés que sont l’habitus et le champ, met en évidence une relation qui apparaît comme le mécanisme principal de production du monde social.

 

RÉSUMÉ


Introduction

La science économique consiste généralement à dissocier une catégorie de pratiques (que nous appellerons ‘actions économiques’) de leur essence sociale ou humaine. La démonstration apportée ci-après, reposant sur l’analyse du marché de la maison individuelle dans le Val d’Oise, nous amènera à envisager non pas le discours économique classique associant au modèle économique une formule mathématique et universelle mais l’intégration de ce dernier à son enracinement social et historique. En effet, l’économie néo-libérale doit ses fondements au fait qu’elle est immergée dans une société particulière i.e liée à un contexte historique et social particulier.

 

Le marché de la maison

Le marché de la maison individuelle résulte d’une ‘double construction sociale’ : d’une part d’une demande émanant d’un système de préférence individuelle et d’attribution de ressources nécessaires (à travers notamment des aides de l’Etat) et, d’autre part d’une offre construite par la politique bancaire et étatique.


Disposition des agents et structure du champ de production

La mythologie de la maison

La maison est ici considérée sous deux formes ou plus précisément sous la forme de deux investissements : l’un d’origine économique, l’autre relevant du domaine social. En effet, l’achat d’une maison se rapporte tout d’abord à un acte de thésaurisation dans le sens où cet achat constitue un patrimoine durable et transmissible. Maintenant ce dernier s’inscrit également dans un projet de reproduction biologique et social. Par conséquent, plus qu’un simple bien capital, la maison et par conséquent son achat sont devenus un véritable investissement social.

Le marché s’organise autour de l’adéquation entre une offre différenciée et structurée et une demande de même nature résultant de la mise en relation entre les caractéristiques objectives du produit (de la maison quoi ! !) et les représentations des ‘habitus’ qui en structurent la perception et l’appréciation.

Par ailleurs, sous apparence de respecter les goûts des consommateurs, les entreprises façonnent leur stratégie en donnant à leur production industrielle un ‘vernis’ traditionnel. Ainsi, la production produit la consommation et pour se faire les entreprises utilisent la publicité, véritable piège sélectif.


L’espace des acheteurs et la genèse locale des préférences

Les préférences des agents dépendent de la position occupée dans l’espace social et ainsi s’établissent en fonction de différents facteurs et de leur importance relative : capital économique et culturel, mais aussi structure du capital, trajectoire sociale, nombre d’enfants etc.… (ces préférences évoluant dans le temps à travers l’origine sociale et géographique). La structure du capital i.e le poids réel du capital économique et culturel prend ici toute son importance dans le sens où l’enquête montre que l’accession à la propriété connaît son accroissement le plus marqué dans la région de l’espace social où le capital culturel prend le pas sur le capital économique.


La logique spécifique du champ de production

La logique du marché repose sur les notions de champ de force (ici des constructeurs, définissant le principe de luttes au sein du champ) et de lois générales de fonctionnement. L’espace du champ (que ce soit des constructeurs ou des agents économiques précités, i. e les consommateurs) se définit par la structure de la distribution des atouts des différentes catégories sociales concernées.
Au sein de la production de maisons individuelles, des différences très marquées entre les entreprises (par rapport à d’autres secteurs de production économique) peuvent être mises à jour : taille, mode de financement ou de fabrication, stratégies de commercialisation etc…. Ces différences façonnent la structure du rapport de force au sein du champ et ainsi la concurrence. Face aux grandes entreprises misant sur la fabrication de masse industrielle (investissement symbolique faible), on trouve de petites entreprises positionnées sur des micro marchés axés essentiellement sur les traditions locales et par conséquent sur le symbolique.


Structure du champ constructeur

A partir de différents types d’informations recueillies (p. 64), une construction d’un modèle de champ a été obtenue. Cette analyse du champ constructeur pose avant tout un problème de comparabilité des données (ces dernières se révélant parfois incomplètes) et donc il est possible ‘d’observer’ un réel écart entre le travail fourni et les résultats obtenus. Néanmoins, deux types d’opposition ont pu être mis en évidence au sein de ce champ : une opposition liée à la taille (et qui peut être corrélée au CA, capital et nombre de maisons fabriquées par exemple) et une autre à la structure de l’emploi (mise en exergue de l’existence de deux populations : ingénieurs / techniciens et commerciaux). En ce qui concerne le critère taille, il est à remarquer l’opposition nationale liée d’une part à la relation grands groupes bancaires / grandes sociétés et d’autre part à la relation capital familial / PME, PMI. Par ailleurs, ces grandes sociétés ont une activité à l’échelle nationale, possèdent généralement des produits standardisés et une grande flexibilité par rapport au marché. En terme de structure de l’emploi, ces grands groupes privilégient les cadres, ont recours massivement à la sous-traitance et possèdent une fonction commerciale très développée. Quant aux PME / PMI, elles sont plus intégrées (effectif stable), ont une implantation régionale et emploient principalement des ouvriers industriels et artisans. Elles ont donc une structure plus rigide ce qui ne leur confère pas la réactivité adéquate nécessaire à une bonne adaptation au marché. En outre, elles sont également le berceau de l’innovation technologique et esthétique du secteur.
A partir de la description ainsi faite du champ constructeur et plus particulièrement de l’analyse des structures de l’emploi, il est possible de distinguer trois catégories d’entreprise (très différentes quant à leur force et évolution) :


Les Stratégie publicitaires

Le poids donné à la fonction commerciale dépend de la position occupée par les entreprises au sein du champ. L’objectif des stratégies publicitaires est de transformer les schèmes de perception des acheteurs pour leur donner l’occasion de se reconnaître et de s’accomplir à travers le produit. Le rôle de la publicité est donc de combler le décalage existant entre le produit offert, perçu (contaminé par l’image du constructeur) et le produit attendu.


La crise et l’effet de champ


Rapport de force 


Conjoncture économique globale (crise = modif. rapport)


Stratégie


Stratégie de l’entreprise comme champ

Afin de comprendre précisément la structure du champ, il faut s’intéresser en elles-mêmes. En effet, l’entreprise n’adopte jamais de décision rationnelle. Ses choix ne dépendent pas seulement de sa position au sein du champ mais également de sa structure interne et de son histoire. De même que l’on peut se rendre compte des rapports de force inter entreprise, il existe des rapports intra entreprise dont le résultat dépend du poids des différents agents concernés et plus précisément du volume et de la structure du capital de ces derniers. Aussi, il devient évident que la position actuelle des entreprises (et leur stratégie future) est fortement influencée par leur histoire sociale et l’évolution des rapports de force entre les différentes catégories de dirigeants.


L’Etat et la construction du marché

La demande est par essence un produit social en ce sens qu’elle trouve son principe dans des schèmes de perception et d’appréciation socialement constitués et entretenus par la publicité (notamment). Mais sa plus grande caractéristique réside dans le fait qu’elle est principalement construite par l’Etat et ce par la promulgation de mesures administratives particulières favorisant tel ou tel client potentiel. Il est à noter que ces mesures sont influencées indirectement par les banques et les constructeurs.


La ‘politique du logement’ : des grands changements à la maison individuelle

La politique du logement s’est traduite au fil des années par un désengagement progressif de l’Etat au profit d’une logique de marché. Ceci a été favorisé par la mise en place d’un marché hypothécaire en 1966, permettant un financement bancaire massif pour le secteur de la construction (favorisant le rapprochement des banques et des grands constructeurs); ainsi que par le développement des circuits publics de crédits et la réduction de l’apport initial exigé (favorisant dès lors la construction sur catalogue).


Chronique de la genèse d’une politique

Le marché de la construction est bureaucratiquement construit et contrôlé par une réglementation spécifique déterminée par l’Etat. Cette réglementation résulte d’un rapport de force historique entre les groupes de pressions (banques, constructeurs, élus locaux…) et les membres de la haute fonction publique, ainsi que de l’histoire sociale française (services insubstituables et protection des intérêts des usagers contre une discrimination inacceptable par les prix).


La structure du champ bureaucratique

Cette structure est le résultat des rapports de forces entre ses membres, leur influence au sein du champ et leurs intérêts spécifiques, ceux ci étant liés à l’origine sociale, à la formation scolaire et à l’expérience bureaucratique.


Les fondements de la révolution bureaucratique

Le modèle bureaucratique actuel réside dans l’interaction entre deux forces antagonistes orientée sur deux prises de positions distinctes au sein du champ bureaucratique: l’aide à la pierre (Ministère de l’Equipement et organismes liés au développement du logement social) et l’aide personnalisée au logement (ministère des finances et banques). On assiste a partir des années 60/70, a un "statu-quo" dû à un équilibre entre les forces antagonistes à capital bureaucratique d’expérience. Pour briser ce dernier, il a fallu attendre l’arrivée d’un nouveau "groupes" de hauts fonctionnaires à capital bureaucratique technique : "les novateurs", dont les membres possèdent certes des intérêts différents mais des propriétés communes "rares" (corps élevés, précocité, origine sociale élevé).


La commission et la légitimation d’une minorité agissante

Une propriété inhérente et nécessaire à toute révolution réussie est sans doute, outre la grande quantité de capital, le sens du jeu bureaucratique, atout détenu par ceux que nous avons appelés les ‘novateurs’. C’est par le biais de l’invention de la Commission qui semble plus être ‘une discussion avec l’extérieur sans cesser d’obéir à ses propres règles et de poursuivre ses propres fins’, que la minorité agissante (‘les novateurs’) a pu devenir elle-même une sorte de groupe de pression légitime et pu agir au mieux en fonction de ses intérêts.


Invariants et variation

La politique du logement a été un des premiers terrain d’affrontement entre politique sociale (associée au socialisme et collectivisme) et libéralisme. Aujourd’hui, même si cette politique affiche une orientation libéraliste, elle reste très influencée par les défenseurs des droits sociaux (ceci étant du à l’histoire sociale de la France).


Le champ des pouvoirs locaux

Les mesures réglementaires de la politique du logement résultent en partie d’interactions entre des agents (ayant des intérêts et pouvoirs variés) appartenant à des unités géographiques différentes. Par ailleurs, on peut observer une centralisation du pouvoir bureaucratique, les administrations locales n’étant que pour exécuter les ordres.


Le jeu avec la règle

A l’opposition centre / périphérie que nous avons mentionné précédemment se superpose l’opposition administration locale (bureaucratie) / extérieur (champ local). Souvent personnifié, l’Etat se présente dans la plupart des cas sous les traits d’un fonctionnaire. Cette représentation est généralement négative et résulte d’une perception sélective s’affirmant comme universelle et impersonnelle. Le représentant de l’Etat, ayant statut de fonctionnaire d’autorité, se trouve de part ses fonctions en situation de monopôle devant l’administré, s’agissant de déterminer ce qui est beau et bien en matière d’habitation. En ce sens, le règlement constitue l’arme majeure du fonctionnaire. Par ailleurs, ce dernier possède une certaine marge de manœuvre (dérogation) qui permet entre autres au système administratif, rigide par ses règlements, de fonctionner. La constitution d’un capital symbolique de reconnaissance prend ici toute son importance dans le sens où la notoriété au sein d’un groupe d’inter-connaissances peut permettre ‘un retour d’ascenseur’. Les dérogations ainsi accordées par le ou les fonctionnaire(s) sont dès lors fonction de l’habitus (dispositions) et de l’intérêt (de corps ou de position) de ces dits agents.


Champ à base territoriale

La possibilité de tirer partie des affrontements de l’Administration est associée au fait de pouvoir jongler avec les réseaux relationnels d’interdépendance et profiter des conflits structuraux des parties en présence. Comme tout champ, la structure est déterminée par les rapports de force des intérêts et pouvoirs des agents, ceux-ci découlant d’une double relation : verticale (hiérarchie du corps) et horizontale (champ local).


Un Etat sous contraintes

La vérité de l’interaction acheteur / vendeur réside en fait dans une relation à trois représentée par les deux agents précités auxquels il faut ajouter l’espace social. Généralement, l’échange entre acheteur et vendeur se réduit rapidement à une enquête réalisée par le vendeur . Cet échange prend la plupart du temps une structure à trois temps avec pour variante le tempo. La discussion entre les deux parties est souvent menée par le vendeur par le biais de stratégies d’ambiguïsation (alternance entre rhétoriques bancaires et familières) afin d’abolir la distance et la défiance du futur acheteur et de maîtriser la situation de l’échange. Par ailleurs, le recours à des techniques bancaires telle que la personnalisation du crédit, particulièrement bien adapté aux personnes disposant d’un revenu permanent assuré et calculable, permet à l’organisme bancaire d’évaluer la valeur d’une personne mais aussi de renforcer l’impact de la stratégie d’ambiguïsation. La position du vendeur le met dans un optique de ‘double bind’ : d’une part il est censé représenté un organisme bancaire et il est donc chargé d’en assurer les intérêts et d’autre part une large partie de sa rémunération est liée aux commissions.

 

Principes d’une Anthropologie économique

Structure du champ

Les agents (ou entreprises) définis par un volume et une certaine structure de leur capital déterminent et subissent la structure du champ économique i. e l’état des forces en présence. Ces agents contrôlent ainsi une part du champ (ou sous-champ) c’est-à-dire du marché. Les forces associées à un agent, fonction de ses atouts (‘strategic market assets’) ou facteurs différentiels de succès ou d’échec, dépendent étroitement de l’importance du volume et de la structure du capital (technologique, commercial, social, symbolique). En outre, par opposition à la vision interactionniste, la vision structurale met en évidence le poids des armes spécifiques des différents agents, ceci en dehors de toute intervention directe, dans leur capacité à réduire l’espace de liberté d’action des autres agents. C’est notamment par ce poids que les firmes dominantes font pression sur les firmes dominées et leurs stratégies en définissant la règle de jeu i. e en imposant de définition des atouts la plus favorable (élaboration de barrières à l’entrée). Ainsi, le champ économique autorise et favorise les visions calculatrice et stratégique, ces dernières étant limitées par les contraintes structurales du champ. Cette définition s’inscrit en faux par rapport à la théorie néo-classique qui refuse de prendre en compte les effets de structure et les relations objectives de pouvoir en restreignant la relation inter-agent à un simple calcul économique. L’agent n’est donc pas un simple calculateur aux décisions rationnelles orientées vers la maximisation du profit. Ses actions, et par conséquent sa capacité à négocier et décider un prix (vente ou achat), sont influencées et limitées par la structure du rapport de force. De ce fait, comme le postule Mark Granovetter, l’action économique reste immergée dans des réseaux de relations sociales composés d’agents possédant des atouts distincts leur conférant une position de dominant ou dominé.


Un champ économique comme champ de lutte

Le champ économique est un champ de lutte au sein duquel s’affrontent des agents aux ressources différentes. Leur influence sur la structure du rapport de force dépend de leur position au sein de celui-ci et plus précisément de la structure et de la distribution du capital comme il l’a été dit précédemment.

En outre, la représentation par les agents de leur position ainsi que de la position de leur concurrents déterminent les mouvements au sein de ce champ. Cette représentation est généralement liée à la maîtrise de l’information et des structures cognitives par les différentes firmes présentes dans l’espace économique concerné. Ces espaces économiques ou champs s’organisent autour de l’opposition relativement stable leaders / challengers. Les markets leaders ont souvent l’initiative d’un point de vue stratégique et sont source d’innovation permanente pour pouvoir défendre leur position face aux challengers. Ainsi, ils sont en proie à des menaces constantes et doivent réagir soit en améliorant la position globale du champ (augmentation de la demande globale) soit en augmentant leur position acquise dans le champ (parts de marché). Les stratégies alors mises en place, même si elles s’avèrent de pur bluff sont rendues crédibles et efficaces de part le capital symbolique associé à leur position au sein du champ.

Le succès à l’intérieur du champ dépend de la position relative dans la structure de la distribution du capital et donc de la position au sein de ce champ. Il est à remarquer que le capital technologique joue un rôle primordial dans le succès d’une firme, lorsqu’il est associé à d’autres types de capital car, dans un certain nombre de cas, mutation technologique est synonyme de mouvement entre leaders et challengers. Cette révolution technologique est généralement liée aux changements intervenant avec l’extérieur du champ. Parmi les plus importants, il est à mentionner ceux qui s’établissent avec l’Etat ; c’est pour cette raison que la compétition entre les entreprises prend souvent la forme d’une ‘compétition pour le pouvoir sur le pouvoir de l’Etat’. Ainsi, afin de modifier les rapports de force dans le champ, les entreprises dominées peuvent exercer des pressions pour que celui modifie le jeu en leur faveur. En effet, plus qu’un arbitre ou un gardien, l’Etat contribue véritablement par ce moyen à la construction de la demande et de l’offre (cf. Marché de la maison). D’autres facteurs externes (liés à des exigences particulières) peuvent transformer la structure du rapport de force mais seulement dans la mesure ou les challengers peuvent en tirer profit (niche de marché).


L’entreprise comme champ

On peut s’apercevoir que l’entreprise elle-même fonctionne comme un champ en ce sens qu’en son sein il existe également une lutte de pouvoir entre les dirigeants propriétaires (owners) et fonctionnaires. (managers à dominante technique ou commerciale) qui tendent à identifier leurs intérêts spécifiques à ceux de l’entreprise.


L’Habitus économique

Dans un processus de prise de décisions, l’habitus d’un agent social ne correspond pas à un simple calcul rationnel. En effet, comme le présente James S. Duesenberry, le principe de la décision de consommation reposerait plus sur ‘l’apprentissage et la formation des habitudes’ (learning and habit formation).Produit de l’histoire individuelle et collective, cet habitus en permettant des anticipations raisonnables permet une énorme économie de calcul et de temps.


Une illusion bien fondée

La théorie de l’habitus peut se justifier empiriquement, à partir de lois statistiques qui peuvent donner, comme le mentionne Alan Kirman, à des comportements individuels hétérogènes des une dimension homogène.

 

Post-scriptum : Du champ national au champ international

Le champ économique est lié à un Etat national qui n’est pas le résultat mécanique de l’extension graduelle des échanges mais le fruit d’une politique d’Etat délibérée, voyant dans l’unification et l’intégration un moyen d’augmenter son pouvoir. L’unification du champ économique se réalise au travers de l’unification monétaire qui abolit les particularismes et s’accompagne d’une normalisation imposée par les dominants.

Si avant cette unification se limitait aux frontières nationales, aujourd’hui elle pénètre le champ économique mondial grâce à la libéralisation et aux nouveaux modes de communication. Les capitaux sont désormais plus accessibles et mobiles ce qui permet aux entreprises de se délocaliser et de profiter des différences de rémunération entre les pays. Le champ économique mondiale est également un champ de lutte au sein duquel les économies dominantes orientent le fonctionnement du champ et la position des firmes au sein de celui-ci dépend d’une part de leurs avantages propres et d’autre part des avantages de leur pays d’origine (capital culturel).

Tout n’a été possible qu’avec la création d’un champ financier mondial. L’argent se concentre alors chez les grands investisseurs institutionnels et devient une force autonome et spéculative au détriment de l’ investissement productif, capable d’imposer aux entreprises des exigences de rentabilité financière, et donc de réduction des coûts. Dans ces conditions, l’Etat ne plus intervenir en tant que régulateur.

L’unification du champ mondial de l’économie et de la finance exaltée sous le nom de mondialisation a été vendue comme moyen de démocratie universelle. A cette dernière s’est finalement substituée la démocratie des actionnaires et profite finalement aux dominants : les grands investisseurs. Les rapports de force sont déséquilibrés et les dominants imposent les règles du jeu et leur donnent une apparence universelle grâce notamment aux grandes instances internationales (FMI, OMC).

 

COMMENTAIRE CRITIQUE

Afin de nous démontrer que le monde social est tout entier présent dans le monde économique, Bourdieu se livre ici à une étude du marché de la maison individuelle (dans le Val d’Oise). Après nous avoir exposé la méthode employée (recueil des données…) et les difficultés rencontrées lors de son application, il nous expose les résultats statistiques associés à son enquête et démontre en même temps que les concepts les plus utilisés en économie sont incapables de rendre compte de façon complète et précise de la complexité et du sens des opérations mises en jeu. A partir de cette constatation, il met ainsi en place les notions d’habitus et de champ afin de ‘proposer un véritable modèle explicatif des stratégies individuelles et collectives’ (p.128).

Contrairement à ce qu’expose la théorie néo-classique, le marché n’est dès lors plus la résultante d’une simple rencontre rationnelle entre offre et demande basée exclusivement un calcul économique. En effet, les agents mis en jeu se trouvent dotés selon Bourdieu, de capitaux culturels et économiques différents dont la construction se trouve liée à leur histoire, ces derniers définissant autant de rapports de force et de relation de pouvoir. On voit apparaître ce qu’appelle l’auteur : l’habitus et le champ. Les champs sont selon lui des espaces structurés par des relations objectives entre des positions au sein desquels interagissent des agents en fonction de leurs habitus fruits de leurs expériences passées. C’est ainsi par le jeu même des habitus et de la structure du champ (champ lui-même associé aux forces externes) que l’on peut comprendre comment les individus sont amenés à avoir des pratiques, faire des choix sinon rationnels du moins raisonnables (p.208). La ‘Structure du champ des constructeurs’ et ‘L’espace des acheteurs et de la genèse sociale des préférences’ (et plus généralement le marché de la maison) sont alors le produit de stratégies différenciées et hétérogènes.

A partir de l’analyse descriptive des transactions immobilières, Bourdieu expose sa vision du champ national puis la mondialisation de celui-ci. Au sein du champ économique mondial s’inscrivent des relations de lutte où les économies les plus fournies en capital s’imposent, façonnent les règlent du jeu et exploitent les ressources des économies dominées.

 

haut de la page

 

"Les fiches de lecture"

"Page d'accueil D.S.O."