LES FICHES DE LECTURE de la Chaire D.S.O.

 

Thierry ZOUMARA

Cours C1

CNAM 2001- 2002

Olivier BEAUD

LE SANG CONTAMINE

‘‘Analyse de la criminalisation de la responsabilité’‘

PUF, 1999

 

 

 

 

 

 

 

I- L’auteur

Professeur de Droit public à l'Université de Paris II (Panthéon-Assas)

ancien membre junior de l'Institut Universitaire de France

Bibliographie

Articles

- ‘‘Le traitement constitutionnel de l'affaire du sang contaminé. Réflexions critiques sur la

criminalisation de la responsabilité et la criminalisation du Droit constitutionnel’‘, Revue du Droit

public, 1997, n° 4, pp. 995-1022.

- ‘‘La renaissance de la compétence concurrente pour juger pénalement des ministres’‘ Chronique

Recueil Dalloz, 1988, pp. 177-182

- ‘‘La contribution de l'irresponsabilité présidentielle au développement de l'irresponsabilité politique

sous la Vème République’‘, à paraître n° spécial de la Revue du Droit public, n°6 , 1998, , 40 ans de

la Vème République

Livres

- Les derniers jours de Weimar – Edition : Descartes et Cie Novembre 97

Collection : Droit

- La science juridique française – Edition : PUF Novembre 97 – 350 p.

Collection : Annales fac Droit de strasbourg.

-Le sang contaminé – Edition : PUF Novembre 1999 – 170 p.

Collection : Droit

- La Puissance de l’Etat – Edition : PUF Novembre 2000 – 512 p.

Collection : Leviathan

 

II- Thèse 

L’affaire du sang contaminé est un drame qui a provoqué la contamination accidentelle de centaines d’hémophiles et de transfusés.

Le traitement de cette affaire, qui a débouché sur une criminalisation de la responsabilité, révèle une tendance, dans notre Droit, à la disparition de la responsabilité politique au profit de la responsabilité pénale.

Cette évolution témoigne d’une crise de la représentation politique qui est la base de toute démocratie constitutionnelle.

L’analyse, sous l’angle du Droit constitutionnel, permet de comprendre la nature des responsabilités politique et pénale et de saisir le danger de cette criminalisation du Droit.

Il existe certaines tendances dans la société qui poussent à cette dérive et, en réalité, sont animées par une idéologie : l’Etat de Droit poussé à son extrême, avec pour corollaire la paralysie des institutions.

L’issue de cette dérive ne peut être que la disparition, pure et simple, d’un ordre fondé sur la responsabilité au profit d’un système où l’irresponsabilité et le secret (ne pas avoir à rendre de comptes) l’emporterait.

III- Hypothèses

Le drame du sang contaminé a provoqué la contamination de quelques centaines d’hémophiles et de transfusés et constitue un drame personnel pour les victime et un drame public.

Drame personnel : ces personnes sont devenues séropositives en recevant du sang censé les soigner.

Drame public : Certaines de ces contaminations auraient pu (auraient dû) être évitées.

La perception de cette affaire – drame ou scandale - varie selon la responsabilité que l’on attribue aux autorités dans la contamination accidentelle des victimes.

Pour l’homme de la rue, elle se résume à cette formule malaDroite : ‘‘Responsable, mais pas coupable. ’‘

Pour les acteurs et les observateurs de cette affaire, les avis divergent selon que l’on fait partie des ‘‘avocats ’‘ ou des ‘‘procureurs. ‘‘

Pour la justice, cela se traduit par un accroissement des contentieux.

Les nombreux procès, ont abouti :

Pourtant, ces différentes condamnations n’ont calmé ni la colère des victimes, ni paraît-il, celle de l’opinion publique : le premier procès pénal continue sous une autre forme avec une nouvelle incrimination pénale pour les anciens condamnés et la mise en examen de nouvelles personnes.

Dénouement politique : Les ministres concernés sont renvoyés devant la cour de justice de la République.

Les ministres répondent, sur le fondement d’une responsabilité purement pénale, d’actes accomplis pendant l’exercice de leur mandat ministériel.

L’auteur note la portée d’un tel événement. Il poursuit : ‘’cela mérite l’attention de chaque citoyen et devrait, également, retenir celle de la doctrine constitutionnelle’’.

IV- Postulats

Postulat explicite :

Les responsabilités politique et pénale constituent un socle sur lequel est érigée une démocratie constitutionnelle. La primauté de la responsabilité politique sur la responsabilité pénale permet à une société d’établir un équilibre garant des libertés individuelles.

La rupture de cet équilibre, dans un sens ou dans l’autre, est un danger pour la démocratie.

Postulat implicite :

L’évolution de nos sociétés vers un individualisme intégral, contribue à instaurer une crise de la représentation qui facilite le rejet des catégories politiques. L’absence de représentativité politique favorise le repli sur soi (réflexe communautaire) et son pendant, la violence sociale.

En réaction, on assiste à l’émergence d’une nouvelle idéologie – l’Etat de Droit – et son corollaire la criminalisation du Droit.

 

V- Orientation

L’auteur veut démontrer que l’affaire du sang contaminé est symptomatique du fonctionnement de nos institutions et que le choix d’un traitement par le Droit pénal ne pouvait aboutir qu’à une impasse.

Il affirme que le traitement de cette affaire a permis de masquer le vrai problème sous-jacent : le fonctionnement de nos institutions et plus particulièrement la prise de décision politique.

Il entreprend d’analyser cette affaire du point de vue du Droit constitutionnel, bien que ce problème ait été traité sous l’angle du Droit pénal.

Il étudie les responsabilités politique et pénale pour attirer l’attention sur le fait qu’il est aberrant d’appliquer des catégories pénales à des situations politiques : il aurait fallu renforcer la responsabilité politique.

VI- Commentaires

L’auteur met en évidence le problème sous-jacent à l’affaire du sang contaminé : la crise de la représentation politique et son corollaire, la crise des institutions. Il en analyse les conséquences sur la responsabilité : la criminalisation de la responsabilité.

L’auteur attire l’attention sur le fait que la justice a la perception d’une rationalité pure et parfaite (Wéber) des phénomènes politiques. Il est donc malsain, selon lui, d’appliquer des catégories pénales à des situations politico- administratives que certains sociologues (Setbon) ont décrit comme le résultat de conflits entre rationalités limitées.

Toutefois, l’auteur reste dans l’analyse constitutionnelle et n’aborde pas d’autres aspects de ce problème qui sont aujourd’hui des problèmes chroniques dans nos sociétés :

Il aborde, en revanche :

Il conclut que l’affaire du sang contaminé révèle en réalité un dysfonctionnement au sommet de l’Etat et que le procès des ministres n’a servi qu’à exorciser un mal plus profond de la société : la crise de nos institutions.

Il suggère que la qualité des institutions soit la condition nécessaire pour une meilleure qualité des hommes. Ce genre d’affirmation reste à démontrer.

En effet, cela suppose que les institutions reflètent une sagesse qui est l’apanage de certains hommes exceptionnels. C’est ce fond de conception qui est aujourd’hui contesté. Les citoyens veulent avoir le sentiment qu’ils peuvent influer sur leur existence. Que les institutions ne soient pas que de simples symboles, qu’elles ont une utilité et le cas échéant que l’on puisse les réformer si nécessaire.

 

 

VII- Résumé

Chap I – Du drame au procès des ministres

L’affaire du sang contaminé commence par la publication d’un article de presse dans ‘‘l’événement du jeudi’‘. Dans ce texte, il est stipulé que ‘‘les responsables de la transfusion sanguine française auraient sciemment permis la contamination d’hémophiles par le virus du sida en laissant se distribuer à leur intention des produits sanguins infectés ’‘.

Plusieurs conséquences :

1- Une version plus équilibrée des faits

Le système français de la transfusion sanguine

De par son caractère de service public, la transfusion sanguine relève de l’autorité de l’Etat. Au nombre de 180, les centres n’ont pas tous les mêmes statuts juridiques. :

Ce système est très décentralisé.

Certains établissements mettent en œuvre la technique du ‘‘fractionnement ’‘, qui consiste à fractionner le sang en deux parties :

Les produits stables sont au cœur de ‘‘l’affaire du sang contaminé. ‘‘

Le CNTS était le principal centre de fractionnement - et donc le principal ‘‘vendeur’‘ de ces produits dérivés -

A ce titre, il tendait à devenir une puissance industrielle. D’où le conflit, en son sein, entre une logique administrative de service public et une logique commerciale de société industrielle.

Que viennent faire les ministres dans cette affaire ?

Le secrétariat d’Etat à la santé gère la santé publique et à ce titre, exerce une tutelle sur le CNTS.

Il dépend, lui-même, du ministère des affaires sociales, responsable du financement, qui fixe par arrêté le prix de cession des produits sanguins. Par ce biais, le ministère décide des recettes des centres de transfusion sanguine qui, bien que juridiquement autonomes, sont de facto dépendant de l’Etat.

Enfin par son Droit ‘‘d’évocation’‘ de tout dossier ministériel, le Premier ministre a été rendu compétent par sa décision de prendre en charge le dossier du dépistage.

Première grande affaire : le dépistage

En 1983, l’équipe du pr. Montagnier identifie un nouveau retro-virus. Cette paternité est vainement contestée par le pr. américain Gallo au cours d’une longue et pénible bataille de brevets.

Suite à des informations communiquées par le CNTS, La Direction Générale de la Santé rédige une note importante mentionnant l’identification de groupes à risque (homosexuels, bisexuels.)

Il y a conjonction de trois phénomènes :

Conséquence : l’insuffisante sélection des donneurs va propulser le dépistage comme dernier rempart à la contamination accidentelle.

Bataille des brevets

Une bataille va opposer la firme américaine ABOTT, liée au pr. Gallo, à la firme française DIAGNOSTIC PASTEUR du pr. Montagnier.

Dès février 1985, la société américaine dépose une demande d’agrément pour un test de dépistage du Sida. Les autorités françaises sont surprises de la rapidité avec laquelle est accordée l’autorisation de mise sur le marché américain de ce test dès le début mars. Le CNTS décide la mise en place d’un comité d’évaluation des différentes trousses de diagnostic disponibles. Entre-temps, alerté par la société Diagnostic Pasteur d’un risque d’enregistrement du test américain, le cabinet du Premier ministre se mobilise et demande que le dossier soit retenu quelque temps. Fin mai 1985, ce comité d’évaluation du CNTS rend des conclusions favorables aux tests ABBOTT et PASTEUR.

Dépistage obligatoire

La question du dépistage systématique parvient très lentement à recueillir un consensus chez les experts et dans l’administration.

Cette question suppose des réponses aux questions préalables :

Le secrétariat d’Etat est de l’avis des experts alors que le ministère des affaires sociales craint le coût financier de cette mesure. Le Premier ministre tranche en faveur du dépistage systématique, et du fait de son poids politique fait prendre conscience au pays de l’urgence de la situation. Un compromis est trouvé entre les ministères concernés : le surcoût du dépistage sera financé en augmentant le prix de cession des produits sanguins. Une part du marché français est garanti à DIAGNOSTIC PASTEUR.

Non-chauffage des produits sanguins

Deux circonstances vont jouer contre une prise de décision rapide en faveur de la solution d’un chauffage des produits sanguins :

Les facteurs concentrés permettent aux hémophiles de se soigner eux-même de manière préventive. Les traitements antérieurs bien que plus sûrs (moins de risques de contamination) sont mal supportés car plus pénibles. Un retour en arrière n’est pas possible, car les hémophiles plébiscitent les facteurs concentrés. La seule solution d’inactivation du virus qui s’impose est la technique du chauffage.

Toutefois, cette vérité scientifique fut longue à s’établir. Le CNTS décide, alors, d’acquérir la technique du chauffage auprès d’un laboratoire autrichien. Il devra modifier sa capacité de production pour satisfaire la demande en produits sanguins chauffés.

Période transitoire et rôle de Garetta

Le CNTS et les autres centres de transfusion sanguine ne peuvent fournir des produits chauffés en quantité suffisante. En attendant, Il décide, pendant une période déterminée, de réserver les produits chauffés en priorité aux hémophiles et transfusés séronégatifs et de continuer à distribuer les produits sanguins disponibles aux demandeurs séropositifs.

Une chose est certaine, révélée par l’enquête judiciaire et journalistique : Le Dr Garetta a fait croire à ses autorités de tutelle à la nécessité d’une stratégie d’urgence alors qu’il menait en réalité une stratégie de retardement. Certains pensent que la solution de l’importation des produits sanguins n’aurait pas dû être écartée si facilement.

2- Le crescendo pénal des procès

La révélation du scandale provoque un crescendo dans le développement des contentieux dans cette affaire.

Le traitement non-pénal de l’affaire du sang contaminé

Le traitement de cette affaire a été poursuivi sur deux terrains :

Dans une première phase amiable, les victimes pensaient obtenir réparation du grave préjudice subi en se tournant vers l’Etat pour une indemnisation et vers les tribunaux pour une recherche des responsabilités.

Seulement, les sommes proposées par l’administration seront très inférieures à celles accordées par les juridictions administratives ou civiles. Cette situation déclenche la frustration des victimes qui se tournent alors vers des juridictions pénales.

Des contrôles administratifs et parlementaires

Des contrôles sont effectués par l’inspection générale des affaires sociales dépendant du ministère du même nom (avec à sa tête un nouveau ministre) qui tendent à accréditer deux idées :

Des contrôles parlementaires aboutissent :

Les conclusions de ces deux commissions contrebalancent largement les conclusions de l’IGAS et se fondent sur l’audition de nombreux experts et de scientifiques faisant autorité en matière de Sida.

A la recherche de coupables : du procès Garetta au second procès pénal

Au premier procès, la qualification judiciaire retenue sera celle de ‘‘tromperie’‘ qui relève du Droit pénal spécial. Le procès donne lieu à une condamnation de plusieurs responsables du CNTS.

Mais, ce résultat ne satisfait personne :

Suite aux procès en appel, la cour de cassation laisse la porte ouverte à une nouvelle qualification celle ‘‘d’empoisonnement’’. Ce qui permet de lancer de nouvelles poursuites envers les mêmes accusés, déjà condamnés pour les mêmes faits.

Procès-fleuve :le second procès pénal du sang contaminé

La nouvelle inculpation des deux responsables du CNTS émeut de nombreuses personnalités juridiques qui perçoivent, en l’espèce, une dangereuse atteinte à l’autorité de la chose jugée et au principe selon lequel on ne doit pas juger les mêmes personnes deux fois pour les mêmes faits. On assiste à un inquiétant crescendo, tant par l’aggravation de la qualification des faits que par le nombre impressionnant de personnes mises en examen en l’absence de toute expertise judiciaire globale dans cette affaire – des médecins et des conseillers ministériels.

Sommet de la vague : le procès politico-pénal des ministres

Lors du premier procès, il a été évoqué l’action personnelle des trois ministres. On assiste à l’union sacrée entre les parties civiles et les condamnés pour exiger l’incrimination des responsables politiques.

Une première plainte déposée par des avocats des parties civiles aboutit à une ordonnance d’incompétence du juge d’instruction car à cette époque la mise en accusation d’un ministre était de la compétence exclusive du parlement. Une seconde plainte déposée auprès du bureau de l’assemblée nationale est rejetée pour vice de procédure : C’est l’impasse.

Afin de sortir de cette impasse, le principal intéressé, l’ancien Premier ministre (Laurent Fabius) propose d’être jugé par un jury d’honneur composé de personnes indépendantes. C’est alors qu’intervient le Président de la République (François Mitterrand), inquiet de la tournure des évènements :

Proposition différente de celle de l’ancien Premier ministre qui suggère :

L’intervention du président permet de relancer la procédure de la haute cour. Mais l’instruction s’arrête rapidement pour cause de prescription.

Intermède entre deux procès politiques : la réforme de la Haute cour et l’instauration de la cour de justice de la République.

L’idée présidentielle d’une réforme de la Haute cour débouche sur l’instauration en 1993 de la cour de justice de la République en lieu et place de la Haute cour pour juger les membres du gouvernement pénalement responsables, et eux seuls. Cette juridiction ne peut-être saisie que par le biais d’une plainte soumise à une commission des requêtes, organe chargé de filtrer les actions à l’encontre des ministres. Elle est exceptionnelle, mais dans le cas de l’affaire du sang contaminé, on accepte une rétroactivité pour permettre de régler ce cas, déjà soumis à une autre juridiction (la défunte Haute cour).

Second procès politique : Trois ministres devant la cour de justice de la République.

La commission d’instruction de la cour de justice re-qualifie les faits reprochés aux ministres : ils sont poursuivis pour complicité d’empoisonnement. Néanmoins, le procureur général requiert un non-lieu.

Le juge du second procès des dirigeants du CNTS transmet à la commission d’instruction des documents relatifs à l’action des conseillers ministériels. Cette chambre décide alors de poursuivre les investigations et reprend la qualification initiale de ‘‘crime de complicité d’administration de substances nuisible à la santé’‘. Il est à nouveau requis un non-lieu pour les trois responsables politiques.

Malgré tout, la commission d’instruction s’oppose au procureur général, en renvoyant les trois ministres en cause devant la cour de justice. Elle est toutefois obligée de retenir la qualification d’homicide involontaire et d’atteintes involontaires à l’intégrité d’autrui.

Chap II –Les ministres sont-ils coupables ?

Pour qu’il y ait responsabilité de manière générale, il faut l’existence :

En Droit pénal, la fait qualifié est une infraction. Le dommage n’a pas toujours besoin d’être certain.

Dans l’affaire du sang contaminé, il a fallu chercher le lien entre le dommage (la contamination) et les éventuelles infractions imputables aux membres du gouvernement.

La question des faits est donc l’objet véritable du procès des ministres car la responsabilité pénale d’un accusé suppose de vérifier si son comportement est constitutif ou non d’une infraction pénale.

Dans leurs différentes plaintes, les victimes invoquent souvent :

En d’autres termes, pour la justice, il s’agit de répondre aux questions suivantes :

1- Incertitude des connaissances contre principe de précaution

Controverse sur le retard : état des connaissances et appréciation de l’urgence sanitaire

L’urgence sanitaire n’a pas été suffisamment prise en compte au niveau administratif et financier. La question est de savoir si cette sous-évaluation est constitutive d’une faute pénale.

D’un côté, certains affirment que l’état des connaissances n’a pas changé depuis 1984. De l’autre, certains soulignent l’incertitude des connaissances de l’époque.

Cette opposition se retrouve au niveau des magistrats de la cour de justice – commission d’instruction et procureur général.

 

Traduction juridique : querelle sur le point de départ de la période de prévention.

De ce désaccord découle des appréciations différentes de la date ou des dates à partir desquelles la responsabilité des ministres pouvait être engagée sur tel ou tel point de l’affaire. D’un côté, on parle d’hésitations coupables, attribuées à des arrières-pensées marchandes qui engagent la responsabilité des ministres. De l’autre, on parle de ‘‘diligences normales’‘ chez des responsables consciencieux et probes.

Dans le cas de l’inactivation du virus par le chauffage, la commission d’instruction considère que les scientifiques savaient tout ce qu’il fallait savoir dès la fin 1983 ou au plus tard en août 1984. Le procureur général estime que les informations fiables sur l’innocuité des produits chauffés ont été réunies par les experts, et connues par eux seulement, lors du congrès d’Atlanta en Avril 85. Il estime que c’est seulement à partir de mai 85 que la nécessité de chauffer les produits sanguins doit être admise pour les ministres.

Mais compte tenu de ses inconvénients, cette technique sera finalement abandonnée pour une autre technique : celle des produits dits ‘‘immunopurifiés.’‘

La thèse de la commission d’instruction s’effondre alors en grande partie. Il n’est pas étonnant qu’elle invoque, en l’absence de certitude scientifique, le principe de précaution.

De l’incertitude scientifique au principe de précaution

Pour les accusés, une connaissance scientifique est certaine lorsqu’une hypothèse a été vérifiée, validée et reproductible. Leurs critères d’appréciation sont purement scientifiques.

Pour les accusateurs, c’est une grave erreur d’attendre la preuve d’une certitude scientifique pour agir administrativement ou politiquement. Selon eux le doute scientifique n’interdit pas de prendre des mesures préventives si l’on connaît l’existence de risques certains. C’est le principe de précaution dont la reconnaissance est aujourd’hui générale.

Le principe de précaution est-il réellement un principe de Droit pénal capable de fonder une incrimination pénale et une condamnation pénale ? A supposer qu’il ait un contenu juridique en Droit pénal, existait-il au moment des faits (1985) ?

Son invocation récurrente se heurte à deux principes fondamentaux du Droit pénal :

2- Ignorance des ministres ou machiavélisme étatique ?

Une question capitale : le degré d’information des ministres

Les ministres invoquent leur ignorance des faits avec pour conséquence de ne pas avoir pu prendre les décisions qui s’imposaient.

Cela soulève deux problèmes :

Les questions médicales sont tellement techniques qu’elles ne peuvent être tranchées que par des scientifiques, pour ensuite être traduites en langage administratif pour décision.

Le point de vue adverse soutient que le rôle d’un ministre est de s’informer, de comprendre et de décider : Que les informations relatives à la question du chauffage étaient parues dans la presse et donc connues de tous !

Traduction juridique des débats

En invoquant l’absence ou l’insuffisance des informations qui leur auraient été transmises, les ministres se déchargent de leurs responsabilités sur leurs collaborateurs directs (les conseillers) ou sur les fonctionnaires de leur administration centrale. Cela pose la question de l’exonération de responsabilité pénale pour fait d’autrui. Il y a sur cette question une divergence profonde entre le procureur général et la commission d’instruction.

Pour le procureur général, il faut prendre en considération :

Pour la commission d’instruction, les ministres étaient correctement informés et ne sauraient être exonérés de responsabilités résultantes :

Le machiavélisme des ministres ou la thèse du complot ‘‘sanitaro-industriel’‘

Selon l’accusation, le protectionnisme et le mercantilisme d’Etat seraient les causes principales des retards :

Elle insinue qu’il y aurait eu connivence entre le cabinet du Premier ministre et la direction de DIAGNOSTIC PASTEUR.

Pour le procureur général, la vision de l’accusation est mono causale. Pour lui, le retard est dû à plusieurs facteurs, notamment :

Il balaye l’argument du lobbying : la société concurrente ABBOTT utilise des méthodes autrement plus critiquables (bluff, dumping, … ) que celles de PASTEUR (Utilisation des grands corps de l’Etat).

Chap III – Faut-il juger pénalement les ministres ?

Une question est constamment occultée dans cette affaire : Etait-il opportun de juger pénalement les ministres ? Cela pose la question de la criminalisation de leur responsabilité.

1- La cour de justice de la République : juridiction pénale ou politique ?

La cour de justice poursuit-elle la tradition de la Haute cour (juridiction politique) ou au contraire rompt-elle avec cette tradition de la justice politique (juridiction pénale).

Sous la IIIème République, la Haute cour était un instrument de protection politique de l’Etat contre ceux qui pouvaient menacer les institutions. C’était un corps judiciaire placé au-dessus des tribunaux ordinaires, composé de magistrats judiciaires, même si le parlement avait, seul, le pouvoir de la mise en accusation.

L’affaire du sang contaminé ne relève pas de la justice politique, pour laquelle la Haute cour était compétente:

La cour de Justice, rompt avec cette tradition :

L’introduction de recours contre les décisions prises par ses instances est contraire à la Justice politique.

2- La nature des crimes et délits imputables aux ministres

Le législateur n’a pas donné de réponses aux questions suivantes

Doit-on utiliser les crimes et délits du Droit commun pour incriminer les ministres ?

Faut-il isoler des crimes et délits propres à l’activité gouvernementale ?

La solution de l’application indifférenciée des crimes et délits de Droit commun

La solution qui s’est imposée est celle du Droit commun, sans que l’on ait délimité, ni explicité le périmètre de ces ‘‘crimes et délits’’. Ceci a pour conséquence, que désormais les ministres sont pénalement responsables pour tous les crimes et délits visés par le code pénal. Ils le sont également pour tous ceux auquel renvoie le code pénal, soit un océan infini d’incriminations débordant largement le cadre du code pénal.

L’oubli de la solution alternative de la ‘‘criminalité gouvernante’‘.

La notion de criminalité gouvernante est une notion autonome de Droit constitutionnel distincte :

Cette notion désigne les conduites délictueuses qui ont une incidence néfaste et directe sur le fonctionnement des pouvoirs publics. Elle recouvre deux types de délits :

3- Débat sur la justification de la responsabilité pénale des ministres

Remédier à l’impunité des gouvernants, telle est l’idée qui permet de justifier la mise en accusation des ministres. Cette thèse se fonde sur la notion d’ ’‘Etat de Droit’‘, notion caractérisée par les principes suivants :

Selon un autre point de vue, le Droit constitutionnel rendait tout acte d’un gouvernement passible d’une responsabilité politique. En substituant, dans l’affaire du sang contaminé, la responsabilité pénale à la responsabilité politique, on a institutionnalisé l’irresponsabilité politique.

Sur une prétendue justification pragmatique

A partir d’une jurisprudence de 1963, qui interdisait toute compétence aux tribunaux répressifs ordinaires de juger des ministres, on a assisté :

De grands juristes (doyen Vedel) invoquent l’impossibilité, dans ces conditions, de contrôler politiquement des ministres. C’est la justification pragmatique d’une substitution d’une responsabilité pénale à leur responsabilité politique. En effet il existe, selon eux, un puissant antagonisme entre ces deux responsabilités. Ils constatent, par ailleurs, que la responsabilité politique a, de facto, disparu de notre horizon institutionnel car plus aucun responsable politique ne démissionne quand il est désavoué.

Ce constat aboutit à la reforme de la Haute cour, puis à la création de la cour de Justice de la République.

Il est à noter, que le résultat aurait pu être un renforcement de la responsabilité politique des gouvernants car il n’est pas établi que ces responsabilités (pénale et politique) seraient interchangeables.

Point de vue critique

A l'inverse, un autre point de vue fait la constatation que le blocage intervenu, lors de la mise en accusation des ministres au parlement, ne soit fondé :

Mais sur l’impossibilité pratique de mettre en œuvre une certaine forme de responsabilité politique.

En effet, les faits ont été découverts alors que les gouvernants accusés n’étaient plus en place.

Deux questions s’imposent :

En tranchant implicitement en faveur de cette seconde solution, le législateur a créé une nouvelle responsabilité : la responsabilité criminelle. Ce nouveau type de responsabilité a non seulement vocation à se substituer à la justice politique antérieure, mais aussi à remplacer la responsabilité politique devant le parlement.

Plusieurs conséquences :

Ce phénomène de criminalisation de la science du Droit révèle la crise actuelle de la représentation de l’Etat et implique, si elle est poussée à son terme, la disparition du Droit public et donc du Droit constitutionnel.

Chap IV – Responsabilité politique contre responsabilité pénale

La littérature constitutionnelle française a su mettre en relief deux différences majeures qui séparent ces deux types de responsabilités :

Caractéristiques différentes :

Sanctions différentes :

1- Une différence de nature en raison du mode de sanction

Selon Colin Turpin, constitutionnaliste anglais, la responsabilité politique existe lorsqu’il y a :

Dans une démocratie représentative, l’autorité ultime est le peuple et le parlement son émanation. De là, découlent pour les gouvernants, deux obligations :

Cette dernière remarque suggère le trait le plus original de la responsabilité politique qui la distingue nettement de la responsabilité pénale : la responsabilité ministérielle n’a pas besoin d’être sanctionnée par un juge.

2- Fondements des responsabilités politique et pénale

La philosophie pénale pose depuis très longtemps, la question centrale de la justification de l’incrimination et plus globalement de la peine comme institution sociale. Selon Herbert Packer, cette question oppose les ‘‘rétributivistes’‘ aux ‘‘utilitaristes ’‘ (au sens non béhavioriste).

Les premiers considèrent que le but d’une peine est d’imposer une souffrance à l’auteur d’une infraction sans s’interroger sur les conséquences sociales, utiles ou non, de la sanction :

Les seconds pensent que le but du Droit pénal est de prévenir ou réduire l’incidence d’un comportement antisocial.

On peut contester ce point de vue par l’utilitarisme : la finalité sociale poursuivie par la sanction est mieux assurée par la responsabilité politique.

En effet, la notion de gouvernement politique responsable inclut :

La responsabilité politique s’exerce essentiellement devant le parlement.

3- Des régimes juridiques opposés

La thèse de Denis Baranger est consacrée à l’émergence de la responsabilité politique en Angleterre au XIIIè siècle. A partir de la procédure de l’impeachment, il éclaire la nature très particulière de la responsabilité politique. Il la présente comme étant tendanciellement une responsabilité pour fait d’autrui, en raison du mécanisme de l’imputation d’une faute politique d’un ministre à cet ensemble collectif qu’on appelle le cabinet (En France, le gouvernement.)

On distingue deux cas d’imputation :

Cette imputation fictive de la responsabilité politique procède d’un besoin pratique : celui d’une meilleure efficacité administrative de la machine gouvernementale. L’imputation politique des actes de toutes les autorités administratives aux ministres est un puissant facteur d’unification de l’action publique.

Il en résulte que le caractère le plus singulier de la responsabilité politique tient à ce que n’étant pas individuelle, elle est une responsabilité en raison de la fonction. A cet égard, elle apparaît comme distincte de la responsabilité pénale dont l’un des principes fondamentaux est celui de la responsabilité personnelle.

Conséquences de cette différence :

Autres conséquences : le caractère nécessairement vague des principes ou normes de référence par rapport auxquels on évalue la responsabilité politique.

Chap V – La politisation de la responsabilité criminelle

Dans une démocratie constitutionnelle, il y a harmonie tant que la responsabilité politique prime sur la responsabilité criminelle. En effet, il existe une équivalence fonctionnelle entre l’action gouvernementale et la responsabilité politique..

Toutefois, cet équilibre entre ces deux responsabilités peut basculer dans deux cas opposés :

Le danger vient de ce que le juge est conduit à recourir à des catégories pénales inadaptées dans sa prise en compte de l’action politique. La responsabilité pénale cesse alors d’être une responsabilité personnelle pour devenir une responsabilité pour fait d’autrui. Elle n’est donc plus régie par le principe très strict de qualification pénale.

1- La dérive vers une responsabilité pénale pour fait d’autrui

L’organisation d’un ministère ou d’un gouvernement implique un travail de nature collective. On ne peut donc isoler une part de responsabilité individuelle, sauf à admettre une présomption de responsabilité pénale du ministre pour fait d’autrui. L’enquête du ministère public nous apprend que le ministre exerce une double fonction, à la fois politique et administrative. Il en résulte des conséquences pratiques importantes : l’existence de larges délégations à ses collaborateurs pour gérer les dossiers.

Le ministre a un besoin impératif de se baser sur :

La dépendance du ministère vis-à-vis de son administration est d’autant plus forte que le problème est technique.

De la prééminence du cabinet sur les directions, il découle une tension entre ces deux auxiliaires du ministre.

Ainsi, de l’organisation du ministère et des liens habituels entre le ministre et son cabinet, la juridiction d’instruction induit que ce dernier est réellement informé, sans en avoir la preuve expresse.

Le modèle de la responsabilité politique, transposé à la responsabilité criminelle, est devenu ici une responsabilité pour fait d’autrui.

2- Le jugement pénal des ministres à l’aune de critères politiques.

En déclarant la procédure pénale ‘‘applicable à tous ’‘, les magistrats de la cour de Justice justifient l’extension de la responsabilité criminelle à tous les secteurs de la société, y compris le secteur politique.

La révérence au principe bute sur deux obstacles :

Cela revient à juger de l’opportunité d’une politique gouvernementale, ce qui est la stricte compétence du Parlement.

L’absorption de la responsabilité politique par la responsabilité criminelle témoigne d’un renversement de situation : la criminalisation de la responsabilité signifie, inévitablement, la politisation de la responsabilité criminelle. En réalité, il est contradictoire d’affirmer le principe de responsabilité des gouvernants dans une démocratie constitutionnelle et de la mettre en œuvre par la responsabilité criminelle.

Chap VI – Ubu-juge ou une curieuse vision de l’Etat

Le système français sépare, de manière, étanche, les deux ordres juridictionnels : l’ordre administratif et l’ordre judiciaire. Mais le choc, entre ces deux cultures, devient plus frontal quand les magistrats de l’ordre judiciaire s’estiment compétents (sens juridique) pour juger de la compétence (sens technique) des ministres, conseillers ministériels et directeurs de l’administration centrale.

1- L’ignorance des réalités politico-administratives

Les magistrats de la cour de cassation semblent considérer le pouvoir politique comme un simple pouvoir ‘‘normatif’’ soumis aux contraintes du Droit pénal. Ils interprètent la vie politico-administrative comme si la bureaucratie moderne fonctionnait comme Max Weber le décrit : un modèle de rationalité pure.

On peut citer quelques exemples qui révèlent la méconnaissance judiciaire de certaines réalités institutionnelles et politiques.

Premier exemple

Il est reproché au secrétaire d’Etat à la Santé, les non-application des circulaires de la DGS sur l’absence de sélection des donneurs de sang. Celle-ci serait constitutive d’une faute de négligence de sa part. Pourtant, il s’avère que cette carence est due aux ‘‘résistances ’‘ d’une partie de la société civile qui craignait un risque de discrimination. Le directeur d’un centre régional de transfusion sanguine (Paul André Perrin) est plus explicite devant la commission d’enquête de l’assemblée nationale : ‘‘Les circulaires ministérielles sont mal rédigées (…)inapplicables, on a tendance à considérer que si le sujet était vraiment très important, il y aurait un décret (…) la circulaire sert d’abord de garde-fou à celui qui l’a écrite ’‘.

Second exemple

La commission d’instruction affirme qu’une prétendue lenteur aurait présidé à la mise en œuvre de la décision du Premier ministre sur le dépistage obligatoire. Selon elle, le délai de cinq semaines qui s’écoule entre la décision politique et la signature des arrêtés ministériels révèlerait un ‘‘retard ’‘ et des ‘‘atermoiements coupables ’‘. Or, une décision gouvernementale prise à la suite d’une procédure interministérielle prend normalement des mois pour aboutir. A cet égard, le délai de cinq semaine témoigne que la décision a été considérée comme urgente.

2- Une vision caricaturale de l’information

Le conflit entre rationalité politique et rationalité juridique : l’exemple des cabinets

Dans son arrêt de renvoi, la commission d’instruction semble considérer que la finalité de toute décision administrative est d’être conforme au Droit pénal. Elle fait le choix d’adopter une conception idéalisée de la circulation de l’information au sein des ministères. Ce choix est d’autant plus surprenant qu’un sociologue (M. Setbon) a décrit, dans son analyse sur le problème du sida en France, comment l’information est un objet de conflit au sein des structures ministérielles. Ce conflit de pouvoir est évidemment au cœur de l’affaire du sang contaminé. Il exprime la façon dont s’effectue la prise de décision au sein de l’Etat français. Autrement dit : la rationalité qui gouverne les décisions de l’Etat est, quelle que soit l’importance du sujet, une rationalité limitée qui concède une part d’irrationalité dans la prise de décision.

En conclusion, la vision judiciaire de la commission d’instruction confine à l’irréalisme politique en raison son ignorance de certains faits.

Presse-justice : un couple infernal ?

La commission d’instruction a tendance à élever certaines informations parues dans la presse au rang de preuves. Pourtant, à l’époque, la presse écrite n’a pas été plus avisée que les ‘‘acteurs ’‘, même si elle s’est installée plus tard dans un rôle confortable de procureur rétrospectif.

Par ailleurs, il est surprenant de constater le commentaire du tribunal correctionnel de Paris dans un procès pour diffamation qui oppose la juge d’instruction (Bertella-Geffroy) à un journaliste.

Ce commentaire relève que : ‘‘l’opinion publique et la pression des victimes peuvent constituer des paramètres que le juge peut parfaitement intégrer dans sa décision sans pour autant trahir sa mission ni faire preuve de servilité’’.

Le pouvoir judiciaire veut s’émanciper du pouvoir politique, mais il ne doit pas devenir dépendant de la presse ou de l’opinion publique.

De ce point de vue l’affaire du sang contaminé est une illustration plus qu’inquiétante de l’alliance entre la presse et la justice, les deux seuls pouvoirs qui de nos jours revendiquent la responsabilité des autres ‘‘pouvoirs ’‘, tout en gardant jalousement leur propre irresponsabilité et leur secret professionnel. On comprendra que ce duo infernal revendique, ni plus, ni moins, que la souveraineté et le pouvoir de contrôler les autres, sans être soi-même contrôlé.

 

Chap VII – Une étrange absence : la responsabilité politique

La santé publique relevant de la politique de la nation les dysfonctionnements, du système politico-administratif, révélés par l’affaire du sang contaminé engagent la responsabilité politique des trois ministres accusés. Dès lors, ils devraient rendre des comptes à la nation.

1- Fuite des ministres devant leur responsabilité politique

Les réactions de dénégation des ministres face aux accusations pénales sont compréhensibles car il y a disproportion entre les faits reprochés et les sanctions encourues. Par contre, on comprend moins bien qu’aucun d’entre eux n’ait reconnu sa responsabilité politique concernant les fautes commises par son ministère ou son propre gouvernement.

Ignorance de la responsabilité politique

Les ministres semblent ignorer ce qu’est précisément la responsabilité politique.

Certains d’entre eux (Georgina Dufoix) parle d’une responsabilité collective qui serait opposée à une responsabilité individuelle. D’autres (Laurent Fabius) parlent d’une responsabilité morale à côté d’une responsabilité pénale. Ils semblent ignorer que la responsabilité politique est un point de Droit constitutionnel et que sa nature véritable est celle d’une responsabilité pour fait d’autrui. Ils oublient qu’ils ont à assumer une responsabilité politique qui est la leur et qui découle de leur statut de ministre.

2- Des ministres politiquement responsables des fautes de leurs collaborateurs

La thèse Wéberienne qui oppose le chef politique au fonctionnaire suppose que l’on puisse distinguer l’activité politique de l’activité administrative. Le chef politique fixe les objectifs et le fonctionnaire agit au niveau des moyens. La neutralité de ce dernier et le fait qu’il ne prenne aucun risque politique est la contrepartie de son irresponsabilité politique. Cette règle constitue l’un des piliers de la responsabilité politique en régime parlementaire. Toutefois, la responsabilité individuelle d’un ministre du fait de son administration ne figure pas dans la constitution de la cinquième République.

Dans un même ordre d’idée et du fait du système de délégation gouvernementale, les membres du cabinet sont irresponsables car c’est le ministre qui doit endosser à leur place la responsabilité politique.

Le mécanisme juridique existant confère donc au ministre une omnipotence fictive à laquelle correspond une imputation fictive.

3- Peut-on appliquer une responsabilité politique ‘‘posthume’‘ ?

L’argument pragmatique de l’impossibilité de sanctionner politiquement les ministres a justifié le palliatif de la responsabilité pénale. Les ministres n’étant plus en fonction, on ne pouvait plus leur infliger, éventuellement, la sanction politique de la destitution.

Dissocier la responsabilité politique de sa sanction suprême

Rien n’empêche les ministres de rendre compte de leur action, même après leur mandat, comme ils le font actuellement pour la responsabilité criminelle. L’objection de l’impraticabilité de la responsabilité politique repose sur une assimilation de celle-ci avec sa sanction suprême : la destitution.

Assimiler la responsabilité politique à sa sanction suprême a aussi peu de signification que d’assimiler la responsabilité pénale à la peine capitale.

Colin Turpin distingue deux obligations pour les gouvernants :

Il existe pourtant des formes mineures de la responsabilité politique par opposition à la forme majeure (la destitution) qui traduisent cette obligation de répondre. Elles mettent en œuvre cette responsabilité des gouvernants devant les représentants de la nation et devant l’opinion publique. Une fois l’enquête réalisée et l’éventuelle impéritie des ministres démontrée, la principale sanction ne serait autre que le blâme public, c’est-à-dire la connaissance par le public des éventuelles ‘‘fautes ou erreurs ’‘ d’appréciation commises par les gouvernants.

Conclusion

L’affaire du sang contaminé révèle un grave dysfonctionnement au sommet de l’Etat. Le drame résulte d’une mauvaise organisation du gouvernement de la France qui fait des cabinets ministériels les véritables centres de décision politique alors que les administrations centrales sont de plus en plus autonomes. Il faut d’abord faire le procès des institutions au lieu de vouloir absolument accuser les hommes.

Le credo libéral à l’origine du Droit constitutionnel est la foi dans cette idée que seules de bonnes institutions peuvent pallier les défaillances humaines. Le Droit constitutionnel, Droit politique, ne saurait se confondre avec le Droit pénal, surtout tel qu’il est devenu aujourd’hui.