LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Hélène DAULIER
DESS 202
Cours Yvon Pesqueux

 

Bartlett et Ghoshal

"L'Entreprise Individualisée :
une nouvelle logique de management"

Edition Maxima

 

Sommaire :

* Présentation des auteurs
* Postulats
* Hypothèses
* Mode de démonstration
* Résumé de l'ouvrage
* Commentaires

 

I) Présentation des auteurs :

 

Il est diplômé de l’université de Queensland d’Australie en 1964. Il obtient son master et son doctorat à Havard University en 1971. Il a travaillé à Alcoa en Australie comme directeur du marketing, a été consultant manager au cabinet Mac Kinsey à Londres et directeur général des laboratoires Baxter en France. Avant de rejoindre Havard, il s’est plus particulièrement penché sur les enjeux stratégiques et organisationnels auxquels étaient confrontés les dirigeants des multinationales. Il se concentre aujourd’hui de plus en plus sur les entreprises de petite et moyenne taille. Parmi les sept livres dont il est l’auteur ou le coauteur, on retrouve Management sans frontières, Managing the Global Firm, Buisiness Policy. The Individualized Corporation a remporté l’Award d’Igor Ansoff comme le meilleur nouvel apport en management stratégique. Il a en outre publié une quarantaine d’articles dans la Havard business Review , Sloan Management Review, Strategic Management Journal et une centaine de cas d’entreprises. Il est aujourd’hui enseignant à Havard où il a occupé une chaire de l’international Senior management Program entre 90 et 93 avant de diriger le MBA de gestion des entreprises En parallèle, il occupe des fonctions de consultant et d’administrateur auprès de plusieurs grandes entreprises américaines.

Né en 46 à Calcutta, il étudie la physique à New Delhi et exerce des fonctions de manager commercial dans plusieurs multinationales avant d’émigrer aux Etats Unis au début des années 80. Il obtient son PhD au MIT en 86 et son DBA à la Havard University. Il occupe la chaire Robert Bauman de leadership stratégique à la London Business School où il dirige un programme de recherche. Il avait auparavant enseigné à l’Insead en politique générale (88-94) et comme professeur visiteur au MIT (85-88) Il a notamment publié : The differentiated network (Jossey-Bass 1997), Organizational Theory and the Multinational Corporation (Macmillan 1993), The Transactional Management (Irwin 1990), Managing across the Borders : the transactional solution (Havard Business School Press 1998. Il s’intéresse sur le Management International, l’Entrepreneurship et le renouvellement stratégique. Il est également membre du comité de rédaction de plusieurs revues de management et de stratégie et il est aussi consultant dans plusieurs grandes entreprises américaines.

 

II) Postulats

 

III) Hypothèses

 

IV) Mode de démonstration

Cet ouvrage se base sur une étude réalisée au début des années 90 (1990-1996) auprès d’une centaine d’entreprises américaines et européennes, déjà publiée sous la forme d’un article en trois parties dans la Havard Buisiness Review. Il ne s’agit pas pour les auteurs d’analyser en détail le déclin des entreprises fers de lance de l’ancien modèle mais plutôt de découvrir de nouveaux exemples de management censés répondre aux contraintes d’un environnement de plus en plus complexe. Le but n’est pas de découvrir le modèle idéal, le one best way reproductible partout mais d’ouvrir des pistes de réflexion .

On peut distinguer trois grands types d’entreprises dans cette étude : des entreprises comme ABB ou General Electric qui ont du accomplir une véritable métamorphose, des entreprises fondées dès le départ sur des modèles managériaux alternatifs comme Intel ou Ikéa, d’autres comme le conglomérat Kao ou 3M ont su sur plusieurs décennies prendre petit à petit leurs distances avec le modèle traditionnel et ses faiblesses.

Ces exemples émaillent une démonstration en trois points :

Dans ce modèle : les dirigeants prennent les décisions stratégiques et les opérationnels les exécutent. Cependant ce système prend insuffisamment en compte le facteur humain qui est devenu la ressource rare en cette fin de 20ème siècle et doit évoluer vers une nouvelle approche laissant plus de place à l’initiative et à la créativité.

On peut alors schématiquement résumer ses caractéristiques en trois points :

    1. elle favorise l’initiative individuelle en décentralisant radicalement ressources et responsabilités à de petites unités de performances
    2. elle parvient à coordonner et à intégrer les expertises individuelles pour en optimiser l’efficacité au niveau de l’ensemble de l’organisation notamment grâce à la promotion d’échanges transversaux de connaissances et d’informations
    3. elle assure un renouvellement continu de ses compétences grâce à une forte ambition partagée, une valorisation de l’esprit d’innovation et d’initiative
    1. Modeler le comportement des individus pour "changer l’atmosphère au travail" c’est à dire passer d’une culture basée sur la contrainte, le contrôle, l’obéissance et le contrat à un système plutôt centré sur le soutien, l’autodiscipline, la confiance et le dépassement de soi
    2. Accroître les compétences des individus en s’impliquant dans leur développement personnel
    3. Modifier moins la structure qui n’a au final que peu d’importance que la répartition des rôles au sein de l’organisation :

- les dirigeants doivent être des bâtisseurs et des leaders plus que des stratèges en chef,
- les managers des niveaux intermédiaires ne doivent pas se limiter à une mission de contrôleur des décisions de la direction mais au contraire jouer les relais entre les différents niveaux, s’assurer de la coordination des efforts dans l’entreprise et se comporter comme des coachs auprès des opérationnels.
- les opérationnels doivent se comporter en véritables entrepreneurs et non plus en simples exécutants.

 

V) Résumé de l’ouvrage :

Partie 1 : naissance d’un nouveau modèle d’entreprise

Barlett et Goshal se félicitent dans cet ouvrage de pouvoir assister comme témoins directs à l’émergence d’un nouveau système de management.

Forgé sous l’impulsion de manager d’exception comme Jack Welch, Président de General Electric ou Percy Barnevik, Président d’ABB, qui sont présentés dans cet ouvrage comme les Sloan et les Dupont de Nemours des temps modernes, ce système correspond à une conception nouvelle de l’élément humain dans l’entreprise. Avec l’émergence de la société des services, l’individu devient un facteur d’avantage concurrentiel surtout s’il est créatif et capable d’initiative. La conformité à la norme et la recherche de l’homogénéité à tout prix sont au contraire source d’appauvrissement pour l’ensemble de l’organisation.

On passe ainsi d’un système où on a longtemps cherché à faire entrer de gré ou de force les employés dans le modèle normé de l’entreprise dite de l’ "Homme organisation" à un système où la flexibilité vient de l’entreprise elle-même qui doit évoluer pour exploiter au mieux le savoir-faire et les compétences de chaque employé.

Ce nouveau modèle dit de l’entreprise individualisée est ici présenté comme une alternative durable aux anciens schémas, plus complète que beaucoup de techniques trop partielles comme ABC, reengineering etc…

Le but de cet ouvrage est répondre à la question que se pose tout manager : Comment agir dans la pratique pour mener à bien une transformation réussie ? Il ne s’agit pas pour autant de fournir des outils de consultants mais plutôt de fournir un cadre conceptuel et une grille de lecture des situations qui se focalisent plus sur les origines des problèmes que sur leurs conséquences.

Le chapitre suivant apporte une illustration à travers l’histoire d’ABB et Westinghouse. Alors qu’elle était la filiale de Westinghouse, la division des relais électriques affichait une faible rentabilité et une croissance pratiquement nulle. Quatre années après le rachat par ABB de cette unité, le chiffre d’affaires de l’unité avait augmenté de près de 45 % et sa rentabilité de 120 %. Cette performance s’avérait d’autant plus remarquable que l’ancienne équipe de direction avait été maintenue dans ses fonctions. Le problème venait ainsi beaucoup moins des hommes que de la structure.

Il eut donc un changement en profondeur de la structure : simplification par suppression des niveaux hiérarchiques superflus (de 5 à 2), gestion du siège beaucoup moins bureaucratique, mode de prise de décision plus participatif et écoute des attentes et indications du terrain. Il y eut également un changement radical dans la façon d’envisager le marché. Il fallait le conquérir et non plus le subir ABB a réfléchi pour créer une entreprise à la fois bien implantée sur le plan international et suffisamment grande pour faire des économies d’échelle et pour pouvoir financer de lourds investissements de R & D mais aussi assez solide sur le plan national et suffisamment réactive pour répondre aux mutations du marché. Le problème ne venait pas vraiment des individus qui étaient en règle générale compétents et bien formés mais du cadre trop rigide dans lequel ils évoluaient.

ABB a alors replacé les employés au centre du système Du rang de simples exécutants des décisions du siège, les responsables de chaque division sont passés au rôle d’entrepreneurs challengés mais soutenus par ABB. Pour pouvoir créer cet esprit entrepreneurial, il a fallu retrouver des petites unités réactives dont la cohérence était assurée par un système performant de reporting centralisé. Il était également nécessaire de mettre fin au climat détestable de concurrence interne et aux barrières culturelles et géographiques en vigueur dans l’ancienne organisation. D’où la promotion d’un certain benchmarking interne, une promotion des échanges formels et informels entre les managers et leurs collaborateurs, entre les opérationnels de différents services ou pays et surtout un effort pédagogique important pour diffuser la vision et les objectifs du top management, en particulier sa conception du rôle sociale de l’entreprise en termes environnementaux. L’autonomie était grande mais la liberté n’était pas synonyme de licence. Chaque cadre applique la ligne de son supérieur et rend des comptes à un conseil d’administration auquel participent mutuellement les différents dirigeants des Grand Pôles. Les fonctionnels ne sont pas exclus du système. ABB a essayé de transformer les ingénieurs en directeurs de centres de profit et en règle générale la motivation était censée passer par un élargissement du champ de responsabilités de chacun

 

Partie 2 : De l’homme organisationnel à l’entreprise individualisée

Insuffler l’esprit d’initiative

Une même entreprise peut offrir deux visages très différents selon qu’elle est observée à partir de sa base ou de son sommet. Le PDG a souvent une vision idéalisée de l’entreprise et compte sur une mécanique bien ordonnée et bien huilée. Vu des cadres intermédiaires, la vision est bien moins idyllique : une masse informe d’allégeances croisées qui stérilisent l’activité dans l’organisation. Le risque est alors pour reprendre l’expression de Jack Welch de voir " une entreprise tournée vers le PDG et qui tourne le dos au client".

Reste à savoir si cette pesanteur bureaucratique est une fatalité. Beaucoup de très grosses entreprises reconnaissent avoir perdu une grande partie de leur créativité et ont essayé de lutter. IBM, Kodak, General Motors ont ainsi essayé de créer en dehors de toute hiérarchie des petits groupes de recherche protégés qui peuvent par la suite devenir des sociétés à part entière. Mais aucune solution n’a pendant longtemps été obtenue au niveau de l’entreprise dans son ensemble. L’esprit d’innovation pouvait survivre mais, de manière isolée, et ne se diffusait pas réellement au sein de l’entreprise.

L’entreprise 3M offre le contre exemple de l’entreprise qui a réussi à imprégner l’ensemble de son organisation d’un esprit d’innovation. Il a ainsi une sorte d’esprit d’entreprise institutionnalisé dans cette entreprise. L’objectif n°1 de cette entreprise depuis de nombreuses années est de créer un environnement propice à la performance en laissant à l’individu l’espace nécessaire à l’exercice de sa créativité. D’où la célèbre règle des 15 % : chaque employé pouvait consacrer 15 % de son temps à un projet personnel qui pourrait bénéficier à l’entreprise. Ce projet était avant tout jugé sur le marché : "créez un peu, vendez un peu" . De ces projets ont ainsi émergé les grands succès de 3 M. Ce succès est né en grande partie des libertés prises par rapport à la structure traditionnelle. Les divisions pouvaient ainsi se structurer autour de petites unités autonomes susceptibles de devenir des divisions à part entière en cas de succès du produit.

On retrouve chez toutes les entreprises innovantes un certain nombre de caractéristiques communes :

Le sentiment de propriété est inéluctablement trahi dans l’organisation classique : l’idée appartient certes à ses inventeurs et promoteurs au départ mais ceux-ci sont vite contraints de la faire rentrer dans un moule au fur et à mesure de sa remontée vers la direction et ils sont au final obligés de la voir passer par des filtres successifs qui finissent par la dénaturer. Face à cette fatalité deux attitudes sont possibles : la résignation ou le manque de motivation et une perversion du système (on s’exprime en contournant les règles).

Le remède est de créer de petites unités proches du marché, pas forcément des centres de profit mais des structures susceptibles de motiver les employés. ISS, une société danoise de nettoyage industriel, a promu ce type de méthodes à travers la constitution de petites unités centrées sur un marché particulier. L’idée était de créer un sentiment d’identité très fort et une plus grande implication des salariés dans les grands projets. L’entreprise a été couronnée de succès car les équipes, plus proches du terrain, ont réussi à anticiper les attentes des clients. Les unités organisationnelles restent cependant toujours centralisées. 3M a exactement la même organisation autour des innovations qui sont retenues comme projet. Décentraliser les ressources même stratégiques et les responsabilités paraît être la clé de ce sentiment d’appropriation. Une fois placés en première ligne dans un réel climat de confiance, techniciens et commerciaux s’impliquent beaucoup plus et sont plus performants. La contrepartie est évidemment d’alléger souvent de façon drastique l’administration centrale pour que les décisions soient prises par les personnes les plus proches possibles du terrain. La difficulté est de conserver un contrôle et dans ce cadre, le seul contrôle possible reste un contrôle basé strictement sur les résultats. Chez 3 M, un projet en instance de développement est jugé uniquement en fonction de ses premiers résultats sur le terrain.

Le contrôle passe aussi par l’autodiscipline. C’est la meilleure manière d’éviter le chaos et les conflits. Le but est de réduire au minimum le petit jeu du gendarme et du voleur et la constitution des slacks protecteurs mais contre-productifs. Pour parvenir à cet autocontrôle, il faut évidemment donner les moyens d’action qui correspondent aux responsabilités à assumer mais aussi clarifier dès le départ les règles du jeu : diffusion large de l’information, normes de performance transparentes négociées pour que chacun visualise bien la barre à franchir…Chez 3M le système est poussé jusqu’à sa limite car des normes uniques sont fixées pour l’ensemble des divisions (ex 25 % au moins du CA généré par les innovations). Chez ABB, l’uniformisation passe plutôt par des guides de comportement et la communication des "valeurs" de l’entreprise. Il faut dans ce cadre accepter de démocratiser l’information financière pour qu’elle puisse aussi bien remonter vers le top en vue de l’évaluation et l’analyse que redescendre vers la base sous une forme exploitable. Chez ISS, le reporting se fait contrat par contrat et se trouve sous la responsabilité directe des opérationnels formés à la gestion. qui sont plus à même de mettre en place des mesures correctives adéquates sous les plus brefs délais. De même le benchmarking interne est pratiqué à grande échelle dans cette entreprise car il est jugé plus pertinent que la comparaison avec la performance des concurrents. Il est supposé créer un sentiment d’émulation et parfois certains échanges de savoir-faire productif pour l’ensemble de l’entreprise.

La délégation doit enfin s’accompagner d’un climat de soutien qui s ‘articule autour d’un effort important sur le plan pédagogique qui repose surtout sur le middle management supposé "coacher" les opérationnels. Le management doit être capable d’accepter la critique et les remises en cause pour pouvoir éviter de sombrer dans l’immobilisme fatal à de nombreuses entreprises qui ont connu un succès trop important. Et surtout, il doit être capable de tolérer l’échec. Le cas échéant, aucune prise de risque n’est possible. Même si chacun doit assumer ses actes, il est contre-productif de sanctionner les gens trop tôt et il est parfois intéressant d’accorder une seconde chance à certains projets.

Acquérir et démultiplier les connaissances : de l’entreprise individuelle à l’entreprise apprenante

Les entreprises devraient être capables de savoir investir dans un actif risqué mais créateur de valeur : le facteur humain. Il est risqué car il offre une rentabilité à long terme peu compatible avec les logiques financières actuelles et n’est pas inamovible. Cependant, pour tirer partie au maximum de ce type d’investissement, il ne faut pas perdre de vue que l’individu ne réussit pas seul et qu’il faut gérer les compétences à l’échelle de l’entreprise. Une des fonctions essentielles du manager est de fertiliser l’entreprise avec un maximum d’échanges de connaissances.

La planification stratégique qui guidait les efforts collectifs a fait son temps et paraît mal adaptée à la gestion de l’innovation.. Pourtant l’entreprise se trouve plus que jamais face à deux impératifs : démultiplier les connaissances collectives et accroître les compétences individuelles. Pour le premier, les cabinets de conseil ont ouvert la voie du partage systématisé de l’expérience. L’exemple le plus réputé reste la base de données de Mac Kinsey, qui réunit des comptes-rendus détaillés des missions et des listes d’"experts". Cette mutualisation des connaissances se fait au niveau mondial et permet en plus d’abolir les frontières au sein de l’entreprise. Au niveau des compétences individuelles, l’effort à faire se trouve au niveau des exigences de recrutement et de la formation continue (Intel a ainsi développé un système d’université interne pour assurer le perfectionnement continu de ses employés). On ne peut baser l’organisation sur l’individu que si l’individu est performant. Mac Kinsey fait ainsi du recrutement une de ses toutes premières priorités stratégiques et beaucoup d’entreprises ont recours à des prestations de consultants pour mener des actions de formation.

Les systèmes d’information jouent également un rôle important dans la circulation de l’information et des connaissances. Il ne faut pas pour autant perdre de vue l’importance jamais démentie des modes plus traditionnels de communication comme les réseaux personnels et le "bouche à oreille" Le grand changement de ces dernières années vient du passage d’une circulation verticale plutôt top-down que down-up à une circulation horizontale de l’information. Il est nécessaire de bien formaliser ces liens horizontaux. Cela passe par exemple par la création de groupes de travail spécialisés sur un projet qui se superposent aux divisions traditionnelles parfois un peu réductrices car trop centrées sur une aire géographique ou sur un secteur particulier.

Se pose toujours le problème des moyens d’évaluation. Le danger des moyens classiques verticaux dont le plus célèbre exemple reste le ROI est de créer des comportements pathologiques et des guerres de clocher. Il paraît aux auteurs plus sain de pratiquer des comparaisons horizontales entre pairs, d’institutionnaliser les meilleures pratiques, d’élargir les tableaux de bord vers une dimension plus financière, orientée qualité/client, centrée sur l’individu, sur les processus, sur l’innovation…

Le corrélatif a tout contrôle doit de toute façon être un certain climat de confiance et de partage des valeurs. Or la confiance n’est possible que s’il existe une véritable transparence dans les processus. Dans l’absolu, on devrait trouver des pratiques uniformisées quelle que soit l’unité considérée, un recrutement commun aux différentes divisions Le but serait de créer un véritable esprit de partenariat même dans les situations les plus délicates afin qu’elles paraissent justes et équitables. Les auteurs évoquent ainsi une procédure de licenciement massif qui auraient été moins "douloureuse" pour les employés car la sélection se serait faite sur la base de critères d’évaluation objectifs et non d’inimitiés personnelles…. Même difficulté chez Mac Kinsey dans la promotion des consultants. La philosophie du cabinet étant "Montez dans la hiérarchie ou partez !" La promotion ou le déclassement des individus est censée se faire sur les bases les plus objectives possible. Il est également très difficile d’arriver à faire passer aux employés les véritables valeurs de l’entreprise. C’est bien plus difficile que d’expliciter une stratégie mais cela reste un ciment indispensable à l’action commune.

Se pose enfin un certain nombre de choix organisationnels. L’entreprise doit-elle être centralisée au risque de brimer ces employés ou plus décentralisée au risque de s’avérer rapidement trop cloisonnée. Doit on créer des spécialisations dans l’espoir de réaliser des économies d’échelle ou au contraire privilégier les structures de taille humaine plus proches du marché et censées apporter à l’entreprise de la flexibilité ? L’idéal serait d’arriver à concilier coordination et flexibilité et de parvenir à organiser l’entreprise en réseau intégré où les interdépendances sont clairement codifiées.

Veiller à se renouveler constamment : du perfectionnement à la régénération

Il existe un véritable syndrome de l’"échec du succès" dans de nombreuses organisations.

Trop de réussite peut en effet pousser les entreprises à céder à la tentation de vivre dans un passé glorieux et ainsi de manquer les opportunités pour l’avenir. A trop regarder derrière, on finit par foncer dans un mur. IBM dans les années 80 été un exemple de ce type de difficultés de gestion du succès et est tombé dans le piège d’une trop grande auto-satisfaction qui les empêchait de voir la vérité en face.

Le conglomérat japonais Kao est par contre le parfait contre exemple avec sa logique de renouvellement permanent. Cette philosophie trouve ses racines dans une vision bouddhiste humaniste de respect profond de l’individu et une propension marquée chez les Japonais à la prospection et à l’innovation. L’idée est simple : non seulement une équipe doit savoir-faire progresser ses produits mais doit dans le même temps lancer de manière régulière de nouveaux chantiers. Une idée de dépassement de soi continuel doit être présente dans l’esprit de chaque employé pour forger une organisation flexible capable de mener de front régénération et perfectionnement.

La difficulté pour les managers réside dans l’incitation au dépassement de soi qui va plus loin que la simple motivation. L’objectif est ambitieux car il est toujours plus confortable de regarder derrière que de regarder devant. Un des points clés est de susciter une ambition commune, de créer des challenges collectifs souvent très ambitieux, de faire naître l’ambition de gagner et d’élargir les perspectives de vue de chacun. Pour cela on retrouve toujours les mêmes impératifs qu’évoqués dans les chapitres précédents : il faut toujours forger une identité collective autour des valeurs spécifiques à l’entreprise, apprendre en coopérant, diffuser l’information sans diluer la responsabilité individuelle et inculquer à chacun la volonté de s’impliquer personnellement.

L’organisation joue également un rôle important. Il faut savoir bâtir une organisation flexible. Kao a choisi de bâtir une structure multidimensionnelle appelée "cercle démocratique et égalitaire" Cela passe plus classiquement par des structures matricielles qui ouvrent le travail du manager sur une multiplicité de tâches extrêmement variées. L’idéal est de parvenir à une structure dynamique comparable au corps humain. On pourrait ainsi imaginer un système immunitaire de l’entreprise où des actions correctives et des éléments réparateurs sont mis en œuvre dès qu’un problème est détecté. L’image d’une même matrice mentale au niveau mondial est séduisante : on pourrait rechercher des informations sur n’importe lequel des éléments de l’entreprise et ainsi d’ouvrir à un maximum de gens de véritables espaces de décision.

Il faut savoir également jouer sur les incertitudes et sur le risque pour atteindre un déséquilibre dynamique, source de progrès dans l’entreprise. La stabilité est bien sûr quelque chose de généralement très positif. C’est une garantie de cohérence et de logique très valorisée par les salariés. On pense bien sûr à la recherche d’une certaine stabilité de l’emploi. Ce n’est pourtant pas une raison de refuser la remise en cause. Il peut y avoir également une certaine harmonie dans les déséquilibres. Il s’agit d’être capable de faire évoluer constamment les gens et les organisations sans heurts et dans une forme d’harmonie qui n’est pas propice à la satisfaction. Paradoxalement, l’entreprise a tout intérêt à se montrer très ambitieuse dans ses mouvements pour avoir une chance de remplir ses objectifs. C’est le rôle des managers de dégager l’entreprise de ses expériences passées pour la pousser à se lancer dans un avenir plus incertain.

 

Troisième parie : bâtir et diriger une entreprise individualisée

Modeler le comportement des individus : "changer l’atmosphère au travail"

Les entreprises ne peuvent régénérer leurs activités que si elles re dynamisent au préalable leurs employés et agissent en profondeur sur leur comportement. Cependant au lieu d’essayer en vain de forger de toute pièce un état d’esprit particulier chez ses employés il est plus efficace d’essayer de réveiller la créativité et l’esprit d’entreprise latent dans l’organisation en agissant sur l’environnement comportemental, la fameuse ambiance de travail.

C’est un élément qui n’est pas anecdotique dans une organisation car elle peut empêcher les sociétés de développer leurs capacités d’entreprendre. Le problème est que depuis de nombreuses années les entreprises ont développé un environnement comportemental corrosif pour leurs employés. Cet effet nuisible est la conséquence directe du modèle hiérarchique dont de nombreuses entreprises ont hérité.

Toutes les entreprises ne connaissent pas de la même manière ces effets pernicieux sur leur organisation car cette dégradation est loin d’être inéluctable et il est toujours possible de faire évoluer ce contexte vers un cadre plus favorable à l’initiative. Les deux auteurs illustrent leur propos en mettant en parallèle l’évolution de deux entreprises placées face à la nécessité de réagir à une mutation de leur environnement concurrentiel : Westinghouse et Andersen Consulting. Chez Westinghouse, le renouvellement était avant tout l’affaire de la direction et prenait souvent le sens d’une rationalisation. Chez Andersen, le renouvellement était au contraire la préoccupation principale des employés à tous les niveaux, le management a surtout essayer dans ce contexte de soutenir leur effort.

Pour cela, quatre éléments peuvent être mis en place :

Si on parvient à réunir ces quatre éléments on obtient un environnement aussi dynamisant qu’éprouvant. Le problème sur le terrain se résume souvent à une simple question : Comment puis -je remodeler les caractéristiques de l’environnement de mon organisation ?

L’exemple de Phillips semi-conducteurs peut permettre d’y répondre au moins en partie. Au départ l’entreprise connaissait de sérieuses difficultés : un mauvais positionnement stratégique, une décevante 10ème position au niveau mondial, des investissements et un budget de r&d très lourds comparés à une part de marché mondiale très réduite. Le premier réflexe fut de mettre en pace un plan drastique de réduction des coûts passant par une réduction d’effectifs touchant 20% des salariés et une diminution de près de 50 % de la R&D suite à un repositionnement stratégique sévère. Cette restructuration a rapidement porté ses fruits. Cependant cette réussite ne dépendait pas uniquement d’une restructuration financière et d’une réflexion stratégique assez radicale mais aussi d’un changement en profondeur de l’ambiance de travail

Beaucoup d’employés interrogés ont d’abord évoqué le renforcement de la discipline grâce à la fixation d’objectifs clairs, d’un reporting efficace et un système d’évaluation (positive ou négative) bien toléré car cohérent. Les normes étaient en général acceptées par tous car jugées crédibles étant donné que leur fixation se faisait sur la base d’un benchmarking externe et interne De même, grâce à un retour rapide de l’information, il y avait possibilité d’organiser des réunions en cas de problèmes et de débattre sur les performances réalisées. Les sanctions, même le plus dures comme les licenciements, étaient mieux acceptées après ce type de dialogue car elles paraissaient plus équitables, chacun ayant eu l’opportunité de défendre son bilan.

L’entreprise a également inciter ses employés au dépassement grâce à quatre ingrédients :

Le climat de soutien est né d’une démocratisation de l’accès au système d’information et aux différentes ressources techniques de l’entreprise, à une véritable décentralisation accompagnée d’un renforcement de l’aide apporté par l’encadrement avec lequel tout fonctionnel est censé pouvoir dialoguer ouvertement.

Quelles sont concrètement les manifestations de ces éléments sur le comportement des employés ? les auteurs répondent en disant que la capacité et la volonté des individus à faire preuve d’initiatives naissent de la tension entre dépassement de soi qui apporte l’énergie à la tâche et la discipline qui permet la réalisation dans les standards et délais impartis. La coopération et la collaboration naîtraient de la même façon de la confiance et du soutien .

Bâtir le potentiel de l’organisation : un portefeuille de processus

L’environnement de travail n’est pas le seul sujet d’interrogation pour le dirigeant soucieux de transformer son système de management. La deuxième question qui lui vient à l’esprit est très souvent : Quelle structure doit on mettre en place ?

Curieusement il n’y a pas de véritable réponse à cette question car la structure a, au final, assez peu d’importance. Les auteurs utilisent l’image du vol du bourdon. Certaines entreprises par leur taille et le poids de leur bureaucratie devraient être incapables de tout dynamisme.. Or certaines entreprises très performantes comme Canon ou 3 M correspondent parfaitement à ce modèle sans que leur performance en soit le moins du monde affectée. Canon par exemple est une entreprise qui s’est développée rapidement grâce à une très bonne maîtrise de la gestion sur le long terme de son portefeuille de produits. Il y existe un véritable esprit d’entreprise et l’entreprise sait se remettre en cause et se renouveler. Cependant elle est bâtie sur un système fonctionnel des plus classiques, très vertical avec une administration assez lourde à tous les niveaux. 3 M est aussi centré autour d’un système vertical assez complexe dont Jack Welch disait encore il y a quelques années qu’il était un "aller simple pour le cimetière en cette fin de millénaire". Chez ABB, on a préféré un système matriciel (géographie/produit) parfois très compliqué. Mais, dans tous ces exemples, la structure n’est qu’un cadre et n’influe pas réellement sur l’essence du management dans l’entreprise.

Encore une fois, ce qui compte réellement c’est la psychologie de l’organisation à savoir les valeurs et la culture qui influent tous les jours sur l’attitude et les convictions de ses membres. La structure peut toutefois véhiculer certains messages. L’organisation matricielle d’ABB en fait la fédération de 1000 unités en général de petite taille qui s’articulent autour de 4/5 centres de profit. Cette structure est censée lutter contre un sentiment de fausse sécurité liée à l’appartenance à une trop grande entreprise et favoriser une plus grande identification.

L’entreprise individualisée implique un changement profond du rôle des managers. Le fonctionnement de l’organisation hiérarchique traditionnelle est ancré dans le rôle confié à chaque type de managers.

Or on doit faire évoluer la répartition des rôles de manière assez différente :

Accroître les compétences des individus

Il est intéressant d’étudier les conséquences de cette évolution des managers dans les politiques de ressources humaines. En effet cette redéfinition des rôles poussent les entreprises à élargir leur perception des différentes attitudes connaissances et compétences qu’on peut attendre d’un manager. Il faut donc réfléchir à comment recruter des individus réunissant ces qualités puis comment les aider à les développer sur le long terme.

Les auteurs reprennent l’idée-force du chapitre précédent. Les rôles des managers changent et les qualités à développer sont également différentes.

Un tableau peut résumer cette évolution

 

Managers opérationnels

Managers intermédiaires

Managers du niveau supérieur

Évolution du rôle

Du rôle d’exécutants opérationnels à celui d’entrepreneurs offensifs

Du rôle de contrôleurs administratifs à celui de coach

Du rôle de distributeurs de ressources à celui de leaders institutionnels

Valeur ajoutée primaire

Etre le moteur de la performance de l’entreprise en se focalisant sur la productivité, l’innovation et la croissance des unités en prise directe avec l’extérieur

Fournir le soutien et la coordination nécessaire pour que les unités profitent des avantages dont bénéficie une grande entreprise

Créer un sentiment de direction, d’engagement et de défi et l’inculquer à tous les individus de l’organisation

Activités et tâches fondamentales

* Provoquer et exploiter des nouvelles opportunités de croissance

* Attirer et développer les ressources et les compétences

* Améliorer constamment la performance

* Contribuer au développement des individus et les soutenir dans leurs activités

* Relier les connaissances et les compétences et les meilleures pratiques au sein de l’organisation

* Gérer la tension entre performance à court terme et ambition à long terme

* Remettre en question les hypothèses enracinées tout en incitant au dépassement de soi, en élargissant les perspectives et en élevant des normes de performance

* Institutionnaliser un ensemble de nomes et de valeurs pour favoriser coopération et collaboration

* Fédérer l’entreprise par rapport à un projet

Cependant il ne faut pas en conclure trop vite qu’il existe un profil de manager idéal. Les managers sont par essence différents et c’est à l’entreprise de savoir tirer parti de leur diversité. Les auteurs ont essayé d’affiner le concept de compétences personnelles en le divisant en trois catégories : les caractéristiques personnelles intrinsèques (attitudes, valeurs, tempérament de la personne), les connaissances, l’expérience, l’aisance à comprendre les choses (formation et carrière) et les compétences spécifiques au poste occupé. A partir de là, on peut dresser une esquisse de profil pour guider les ressources humaines dans leur sélection afin de trouver la bonne personne susceptible de s’adapter rapidement au bon poste. Il faut cependant parfois se méfier de l’expérience si celle-ci se traduit par un refus de se détacher de l’ancien modèle de gestion. Certains managers peuvent très bien atteindre les objectifs fixés sans pouvoir adhérer au projet global. Jack Welch tend à considérer qu’ils n’ont plus leur place dans l’organisation.

Les programmes de formation ont également un rôle crucial. Très coûteux ils ne sont pas toujours très efficaces. Un des critères d’efficacité est notamment leur liaison plus ou moins directe avec l’expérience des individus. D’autre part, ils sont nécessaires mais non suffisants car l’acquisition de compétences nouvelles devrait avant tout passer par l’échange quotidien d’informations dans l’activité. La qualité la plus difficile à développer est certainement le sens des situations, et plus largement la faculté à s’adapter aux exigences particulières d’un poste. Il est difficile de concevoir cette qualité comme innée et il est tout aussi mal aisé de concevoir une formation pour l’inculquer. D’où les vertus du coaching qu’on pourrait définir comme l’action d’un mentor qui aide l’individu à faire le lien entre ses qualités et son expérience en lui apportant conseil et soutien. Mac kinsey, Pepsi Co ont essayé avec un certain succès de développer ce système.

Gérer le processus de transformation de l’entreprise

Seul un nombre infime d’entreprises n’ont pas cherché ces dernières années à se renouveler d’une façon ou d’une autre. Ce chapitre vise à démonter les grandes étapes du processus de transformation des entreprises. Il est en effet nécessaire d’avancer en ordre en sélectionnant ses priorités dans ce type de chantier.

Le modèle proposé repose sur une hypothèse : la performance d’une entreprise quelle qu’elle soit dépende de la force des entités qui la composent et de leur intégration.

Les étapes proposées sont celles de Jack Welch qui les a mises en pratique pour General Electric. Société autrefois emblématique du modèle traditionnel, c’est une des premières sociétés à avoir évolué vers le modèle de l’entreprise individualisée et elle s’est imposée comme référence dans le monde entier.

Phase 1 : la Rationalisation ou Enraciner l’esprit d’entreprise

Jack Welch a pris les rênes de GE en pleine récession et s’est lancé dans une révision drastique du portefeuille d’activités de GE en se débarrassant de toutes les divisions incapables de se placer au trois, voire deux premiers rangs mondiaux. Au cours de cette restructuration, J Welch s’est irrité de la lourdeur de son organisation et a entrepris une simplification par une réduction du nombre de niveaux hiérarchiques afin d’obliger ses cadres à beaucoup plus déléguer. Cela passa par une décentralisation massive des responsabilités au niveau opérationnel qui voyait ses ressources et ses responsabilités considérablement augmenter. Cette réforme fut, au final, efficace mais assez traumatisante en entraînant un nombre massif de départ. Il essaya également par la suite de faire évoluer la culture vers plus d’autodiscipline. Chaque responsable d’unité avait toute latitude stratégique mais une obligation de résultat. Cependant faire évoluer le climat de travail est une tâche de plus longue haleine qu’un changement stratégique et J. Welch dut rapidement revoir ses méthodes en apportant plus de soutien à ses collaborateurs sous la forme de réunions entre les différents niveaux pour identifier les problèmes et rechercher collectivement des solutions.

L’étape suivante porta plus sur la gestion des ressources humaines : effort de formation, recrutement et gestion de carrière. Le mode de rémunération évolua également pour récompenser par des bonus ou des stock options les managers les plus créatifs. Restait un problème : si les unités faisaient preuve d’un réel dynamisme, leur coordination et leur collaboration laissaient à désirer. D’où la deuxième phase.

Phase 2 : La Re-dynamisation : développer les synergies d’ intégration.

Du fait des vagues de réduction d’effectifs, GE était redevenue une entreprise "svelte" pour reprendre l’expression de J. Welch. Si svelte que d’aucuns craignaient qu’elle n’ait pas le dynamisme nécessaire pour prendre le train de la reprise. J. Welch fit alors porter ses efforts sur l’intégration en institutionnalisant des forums d’échanges entre les unités et la direction pour faire partager ses expériences, discuter de l’allocation des ressources etc.. Une université interne fut créée pour diffuser les best practices et les administratifs furent priés de se mette au service des opérationnels pour promouvoir cette collaboration.

J. Welch fit également à cette époque des gros efforts de communication et de pédagogie en sillonnant les implantations de GE à travers le monde pour retrouver un climat de confiance très ébranlé par les vagues de licenciement. Il fit également porter ses efforts sur la modification des comportements individuels vers plus de collaboration et de confiance en soi. Ses efforts se traduisirent rapidement en terme d’innovation..

Phase 3 : la Régénération ou s’auto-renouveller en permanence

J Welch s’est enfin employé à pérenniser son nouveau système. Des modifications de telle ampleur tendent à affaiblir l’organisation et un retour en arrière est toujours possible en cas de crise. J Welch a donc veillé à laisser le système s’enraciner sur le long terme en ne restant surtout pas statique pour que le progrès soit continu et régulier.

 

Conclusion : Une ère nouvelle pour les entreprises

Un nouveau contrat psychologique : l’entreprise créatrice de valeur

La théorie de Porter a dans un certain sens nuit à l’image de l’entreprise dans la société. Selon Porter, l’un des principaux défis du management vise à renforcer l’influence des entreprises sur ses fournisseurs et ses clients et réussir à écarter ses concurrents. En un certain sens, les entreprises s’efforceraient de confisquer la valeur qu’elles créent au détriment du bien être de la société. Or le jeu n’est pas à somme nulle car la taille du gâteau économique est plus souvent dynamique que statique. On passe alors à un jeu à somme positive, la valeur créée par l’entreprise bénéficiant en règle générale autant à l’entreprise qu’à l’ensemble de la société. Or c’est en innovant, en créant de nouveaux produits, en ouvrant de nouveaux marchés que le cercle vertueux s’enclenche.

Les auteurs soulignent aujourd’hui le rôle central des entreprises dans la société et reconnaissent leur responsabilité sociale. Cependant, ils s’indignent de la mauvaise presse des patrons et du tabou social que constitue l’argent. Ils reconnaissent toutefois que si les managers ne sont pas hostiles à l’idée de jouer un rôle social ils ne font pas toujours assez d’efforts pour traduire leur bonne volonté en actes.

Le contrat de travail traditionnel ne paraît pas être une forme d’exploitation du salarié. Il se base au contraire sur un certain équilibre L’entreprise accepte les risques en offrant la garantie d’un contrat stable mais s’assure en contrepartie de la loyauté et l’obéissance de ses employés pour accomplir ses objectifs. L’employé développe son expérience et ses compétences tout en acceptant de perdre sa mobilité. Cependant le contrat a changé sous l’influence des plans massifs de licenciements des années 80. On ne peut plus parler de sécurité de l’emploi mais les salariés sont censés progresser beaucoup plus vite sur le plan personnel et gagnent en employabilité ce qu’ils ont perdu en sécurité. La seule stabilité vient dans le nouveau système de la performance. C’est un jeu difficile à accepter car beaucoup de managers ont du prendre eux-mêmes les décisions de rationalisation qui s’imposait pour conserver leur propre place. Même si la démarche n’est aucunement altruiste – il ne s’agit pas de former des employés au bénéfice du concurrent - elle offre certaines garanties car le système tend à échouer dès que le top management trahit ses engagements.

Evolution du rôle des dirigeants : au-delà de la stratégie, de la structure et des systèmes, un projet, un processus et un potentiel humain

Beaucoup d’entreprises ont connu des difficultés à la fin des années 80 et sont pourtant parvenues à renaître de leurs cendres sans recentrage drastique.

Cependant leur philosophie a évolué. Le concept stratégie/structure/système hérité de Sloan est miné dans ses fondations car la ressource rare est bien plus le potentiel humain que le capital aujourd’hui. Au-delà de la stratégie, lui faut arriver à exprimer un vrai projet qui implique en profondeur les individus et en tout cas dépasse les frontières de l’entreprise. Au-delà de la structure il faut raisonner en terme de processus pour créer des liens horizontaux dans l’entreprise tout en gardant à l’esprit que ce type de raisonnement doit être rigoureux car il est très déstructurant pour l’organisation. Enfin, au-delà des systèmes il faut raisonner en terme de potentiel humain comme l’a démontré l’ensemble de l’ouvrage.

 

VI) Commentaires :

L’entreprise individualisée : un exemple de la "douce barbarie" du management moderne ?

A la lecture de cet argumentaire serré et étayé d’exemples tirés de très grandes entreprises qui ont connu une réussite exemplaire ces dernières décennies, on pourrait être convaincu, voire enthousiasmé par des perspectives aussi prometteuses pour l’individu.. L’entreprise du XXIème siècle serait ainsi une entreprise de dialogue qui réconcilierait les buts de chaque individu - notamment son aspiration au bien être - et la performance économique de l’entreprise.

Cette théorie n’est pas nouvelle et rappelle la théorie X/Y de Mac Gregor et l’ouvrage tend à diffuser l'exemple de sociétés devenues presque mythiques comme General Electric, Intel, 3 M etc…Cependant reste à savoir si cette théorie résiste à l’épreuve du feu et trouvera un écho dans un grand nombre entreprises bien qu’elle paraisse avoir fait ses preuves dans les multinationales américaines

Certains critiques font justement remarquer que, depuis le temps qu’on affirme que les hommes sont les ressources clés de l’entreprise, bien peu de choses ont changé dans le management. De la même façon des techniques telles que l’empowerment –donner le pouvoir à la base- très à la mode aux Etats-Unis donne pour l’instant des résultats décevants sur le terrain. Il est en effet rare que les employés constatent un réel changement dans leur réalité quotidienne. La valorisation de l’esprit d’initiative ne se traduit pas toujours au niveau des rémunérations, la remontée d’information est souvent dans les entreprises plus théorique que pratique etc.… La réponse à ce type de critique est souvent identique : cet insuccès viendrait du fait que ces techniques ne sont pas mises en œuvre correctement. Soit l’entreprise fait semblant de décentraliser –elle délègue les responsabilités tout en gardant le contrôle exclusif des ressources. Soit l’entreprise abandonne trop brusquement ses responsabilités à des managers insuffisamment formés. D’autre part, l’autonomie ne peut qu’être de façade et les employés sont toujours plus ou moins dans une situation d’incertitudes. Ils sont sommés d’être autonomes en même temps qu’ils doivent se conformer à des normes strictes de performances. Quelque part, il n’a guère d’autre choix que de réussir dans le sens prévu par ses supérieurs…

On peut se demander s’il y a alors réellement nouveauté dans le sens de plus d’autonomie. Car, si on va sans conteste vers une décentralisation des responsabilités, on voit apparaître dans le même temps de nouveaux instruments de contrôle de la performance individuelle et collective. A la lecture de cet ouvrage, on se demande si on ne va pas au plutôt vers l’établissement d’un nouveau contrat qui pose une obligation de résultat à l’individu en lui donnant au moins en théorie les moyens pour réussir. D’autre part, cette glorification de l’autonomie ou de la décentralisation des ressources et des responsabilités est par essence ambiguë. Il est difficile de décréter l’autonomie du jour au lendemain et le système a besoin de temps pour se mettre en place. Les occasions de le voir se pervertir sont alors très nombreuses même si les intentions de départ sont sincères. On peut certes donner la parole aux individus mais reste à savoir si cette expression de la vox populi ne risque pas d’être instrumentalisée et tournée rapidement à la démagogie.

Or l’ouvrage est extrêmement connoté d’un point de vue idéologique et paraît très représentatif du mode de pensée anglo-saxon. Une bonne partie de la conclusion est d’ailleurs consacrée à un véritable éloge de l’entreprise basé sur rôle de créateur de valeur dans la société. On retrouve l’influence de Schumpeter et de sa théorie de la destruction créatrice. Il faut reconnaître qu’en apparence le discours est assez séduisant mais il laisse planer quelques doutes sur ses finalités.

Difficile en effet de célébrer le message humaniste d’un tel ouvrage. Le message des auteurs est d’ailleurs clair sur ce point. Dans une interview à la Tribune, Goshal a précisé : "les dirigeants doivent comprendre que l’entreprise est "sociale" (…), ce qui ne signifie pas que l’entreprise a une responsabilité sociale mais que ses performances économiques dépend de ses composants sociaux et non économiques et financiers". Il ne revendique aucune exhortation à l’altruisme mais recherche des moyens pour tirer bénéfice du potentiel humain des entreprises trop longtemps inexploité toujours dans le but de faire progresser l’entreprise. Certaines interprétations autour de cet ouvrage sont moins claires sur ce point et l’enthousiasme pour de telles théories tourne alors assez vite à l’hypocrisie.

Il est en effet intéressant de noter que l’on peut donner d’autres acceptions au terme d’entreprise individualisée et voir l’ouvrage étudié de toute autre manière. Jean Pierre Le Goff* utilise le même vocable pour décrire une entreprise d’employés dits "autonomes" qui "responsabilisés" pensent que ce qui est bon pour l’entreprise est automatiquement bon pour eux. La porte serait alors ouverte sur une douce barbarie : les mots utilisés – que l’on retrouve en partie dans notre ouvrage - comme "autonomie", "transparence", "échange" véhiculent l’utopie d’une société transparente où tout pourrait se résoudre par l’argumentation rationnelle, la négociation, un contrat profondément égalitaire aboutissant un jeu à somme positive. Une partie de la conclusion de l’Entreprise Individualisée est consacrée justement au contrat de travail et à l’évolution des termes de l’échange et vise au fond à montrer que personne n’est perdant. Reste d’ailleurs à savoir si perdre la sécurité de l’emploi est réellement compensé par l’employabilité apportée par la formation que l’entreprise vous a généreusement dispensée…Ce discours rend ainsi beaucoup plus difficile la révolte parce qu’il est lisse et n’offre pas réellement de point d’appui pour la critique. Qui peut réellement s’élever publiquement contre l’autonomie, contre la transparence, le dialogue ?

*Jean Pierre Le Goff La barbarie Douce La découverte 1999

de manière paradoxale, les thèmes développés ne sont pas si loin de ceux de mai 68 dans un contexte bien sûr très différent. Jean Pierre Le Goff cite le Manifeste du comité d’Action de Censier : "les idées d’autonomie, d’autogestion, de participation sont lancées avec les différents sens qu’on veut bien leur donner. Elles feront leur chemin. Que tous les travailleurs de chaque catégorie créent et recréent par eux-mêmes les chartres de l’autonomie". Ce type de discours explique que ces idées ont imprégné consciemment ou inconsciemment de nombreuses personnes de gauche ou de droite qui essayent d’élaborer un discours dit moderne. D’où l’accueil positif voire enthousiaste qui est généralement réservé à ce type d’ouvrage en France sans que l’on se rende véritablement compte de ce qui se cache derrière

On peut alors utiliser l’ouvrage de Jean Pierre Le Goff, Le mythe de l’entreprise : critique de l’idéologie managériale, pour essayer d’esquisser une lecture un peu critique de l’ouvrage de Barlett.

Si on doutait de la sincérité des intentions des auteurs, on pourrait trouver dans cet ouvrage la promotion d’un certain nombre d’impostures dénoncées par JP. Le Goff.

Toutes ces techniques d’intégration communautaire sont sans conteste très positives pour les entreprises car elles favorisent les logiques d’échange, de collaboration et de coordination. Cependant on peut se demander si cela est vraiment bénéfique pour les salariés. Par certains côtés, le livre contribue à la promotion de tous les moyens visant ce que d’aucuns appellent une servitude volontaire des individus. L’autodiscipline qui est souvent évoquée dans l’ouvrage correspond à cette intériorisation des normes et des contraintes de l’entreprise et un tel discours crée presque un sentiment de culpabilité quand on transgresse ces normes alors même qu’elles peuvent porter atteinte à la liberté de l’individu. Il n’y a qu’un pas à franchir pour parler de manipulations car, quelque part, on essaye de substituer au commandement hiérarchique de moins en moins bien accepté des pratiques visant à amener les gens à faire d'"eux-mêmes" comme si c’était le fruit d’une décision volontaire et autonome tout simplement ce qu’on désire leur voir faire.

Pour Jean Pierre Le Goff l’entreprise est un terrain privilégié de ce type de discours particulièrement pernicieux. A l’intérieur des entreprises la barrière public/privé est franchie sans bruit : Les qualités, les comportements requis dans le travail vont au-delà des strictes compétences professionnelles et touchent de plus en plus près la sphère privée et la liberté de l’individu.

L’entreprise publique EDF GDF sous l’égide de laquelle a été publiée la traduction française de The Individualized Corporation a été ainsi accusée d’avoir franchie le Rubicon. La direction de la distribution aurait ainsi mis en place des outils informatiques dits "d’assistance à l’élaboration de bilan de compétences et de comportements. Les deux logiciels visés consisteraient en l’élaboration d’un profil de chaque salarié à partir de son auto-évaluation de sa personnalité. Or le livre l’entreprise individualisée a été alors accusée d’être l’assise théorique de telles pratiques. Certains passages de l’ouvrage ont choqué et l’interprétation donnée est très différente de n’importe quel commentaire des revues de management. Cet ouvrage a ainsi été accusé de faire le lit d’une prochaine privatisation : il s’agirait de "libérer l’individu d’un système basé sur la soumission et l’obéissance, du carcan de l’évaluation hiérarchique, du paternalisme voire de l’arrogance qui sous-tend les contrats d’emploi à vie". Il n’y alors qu’un pas, vite franchi par certains, pour voir dans cet ouvrage presque de commande- l’éloge hypocrite d’une libération rapide du fonctionnaire écrasé par la bureaucratie des entreprises publiques qui entrerait dans l’allégresse dans un système qui place l’humain, la transparence, le dialogue au centre de l’organisation.

Cependant, l’évocation des licenciements dans l’ouvrage chez Phillips division semi-conducteurs* qui ont porté sur près de 20% des effectifs a paru particulièrement cynique et même si le passage incriminé est sorti de son contexte, il reste difficile de ne pas se poser quelques questions. "Etant donné l’ampleur sans précédent du nombre de postes supprimés la plupart des employés s’attendaient à ce que les décisions de licencier soient entachées de parti pris, chaque manager de chaque unité pesant de son influence. Au contraire les décisions furent prises collectivement au cours de réunion sur une base objective en fonction de performances mesurées en regard de critères établis et des priorités de la division, et aucune négociation en coulisse ne vint les modifier. Cette nouvelle philosophie de l’organisation doit permettre aux employés d’agir comme s’ils étaient des entrepreneurs autonomes". Autrement dit, le système est assez transparent et les employés autonomes pour décider de leur propre licenciement… C’est peut-être une façon un peu radicale d’envisager ces passages mais on peut douter que ce type de licenciement soit réellement beaucoup moins douloureux qu’un licenciement classique.

* p. 86 et p. 144 de l’édition française

En conclusion, il est difficile de s’enthousiasmer ou de condamner sans appel ce type de théorie, surtout dans l’ignorance des véritables intentions de auteurs . L’autonomie est un concept extrêmement positif et on ne peut pas nier que plus de dialogue entre les différents niveaux hiérarchiques contribue à améliore la performance des entreprises et le bien être des individus si on ne se trouve pas dans une démarche totalement démagogique. Il paraît tout de même nécessaire de rester prudent quand ce type de discours s’apparente à de la manipulation et on ne peut qu’espérer que les cadres ont un esprit critique suffisamment développer pour ne pas croire aveuglément à ce type de discours.

 

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