LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.


Juliette Leclercq
DESS 202
2000-2001

 

SOLE Andreù et PHAM Dang

"Cette image dont nous sommes si prisonniers"

Questions de contrôle - PUF 1999

 

SOMMAIRE

  1. La déconcertante démarche d’un dirigeant
  2. Besoin de Moïse
  3. Une volonté déchaînée de maîtrise du monde
  4. Produire du possible
  5. Responsabilité, peur et désobéissance

 

 

Biographies des auteurs

Dang Pham et Andreù Solé sont professeurs au département comptabilité-contrôle de gestion du Groupe HEC.
Dang Pham est responsable de la filière de spécialisation "audit, conseil et expertise" au sein du groupe HEC. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la comptabilité anglo-saxonne et la consolidation des comptes de groupe. Ses recherches portent sur l'harmonisation internationale des normes, la communication financière et la valeur actionnariale, et l'évolution du management. C’est de ce thème que traite l’article étudié.
Andreù Solé est entré dans le groupe HEC en 1979. Il est titulaire d’un doctorat en sociologie du travail. Dans ses ouvrages et articles, il s’intéresse particulièrement aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, à l’organisation et au système social de l’entreprise, au processus de décision dans l’entreprise et à la philosophie.

 

Postulats

Dans la société occidentale, nous sommes prisonniers d’une image qui veut que l’entreprise soit dirigée et contrôlée.
Cette image conditionne nos comportements.
Nous attendons d’un dirigeant d’entreprise qu’il se conduise en manager ou en leader.
Cette attente est d’autant plus forte que l’entreprise traverse une crise.

 

Hypothèses

Une entreprise, en particulier en période de crise, a plus besoin d’un "non dirigeant" que d’un manager ou d’un leader.

 

Mode de démonstration

Les auteurs utilisent une argumentation inductive, qui part du cas particulier d’une entreprise pour ensuite tenter de généraliser.
Plus précisément leur démarche se déroule en plusieurs points :

Il convient de préciser que leur but n’est pas de créer une nouvelle théorie de la "direction" d’entreprise. Les conclusions qu’ils tirent de leur argumentation sont applicables au cas particulier de l’entreprise dont part leur démarche. Ils veulent avant tout donner un point de départ à une réflexion sur la façon dont les entreprises sont dirigées dans notre société.

 

Résumé

Le management se pose la question de comment diriger une entreprise. Mais, une entreprise doit-elle être dirigée ? Le besoin de diriger et de contrôler ne serait-il pas une image dont nous sommes prisonniers ?

    1. la déconcertante démarche d’un dirigeant

En 1984, P.N. devient PDG d’une entreprise proche de la faillite. Tous lui prédisent sa disparition. Au sein de l’entreprise, tout le monde le considère comme un sauveur, et lui demande ce qu’il faut faire pour sauver l’entreprise. Mais il n’a pas de plan, pas de proposition et refuse d’appliquer le plan de redressement prévu par l’actionnaire.
Il préfère demander aux membres de l’entreprise ce qu’ils veulent faire. De son attitude déconcertante résulte en prise en mains par les gens qui se mettent à réfléchir par eux-mêmes. Des GEP (groupes d’études et de proposition) se forment alors sur la base du volontariat.
Une réunion regroupant tous les membres de l’entreprise a lieu pour présenter les résultats des travaux de ces GEP. Aucune réelle stratégie n’est proposée, il s’agit plus d’améliorations au niveau de l’organisation et du fonctionnement. P.N. ne propose toujours rien, il se contente de donner son avis : il faut selon lui suivre les recommandations des GEP.
Avec le développement de la réflexion et des débats internes à l’entreprise, les gens reprennent confiance dans les capacités de l’entreprise.
Finalement, une opportunité de commande en Australie se présente. Le comité de direction pense qu’il ne faut pas la saisir, sous peine d’aggraver les pertes de la société. P.N. demande leur avis aux GEP, qui fixent des conditions dans lesquelles ils pensent que la commande peut être honorée. Il suit les recommandations des GEP. La société va ensuite se développer sur ce marché et sortir de sa situation délicate.
Cette expérience amène à se poser des questions sur la nécessité de diriger une entreprise. Il convient avant tout de comprendre pourquoi le comportement de P.N. est si déconcertant.

    1. Besoin de Moïse

La démarche de P.N. surprend car il ne fait pas ce qu’on attend d’un dirigeant.
En effet, il ne se conduit pas comme un manager. Cette figure est apparue avec l’entreprise moderne, aux Etats-Unis, vers 1915/1920. A cette époque, la direction de l’entreprise, qui appartenait jusqu’alors au propriétaires, passe aux managers. Leurs principales caractéristiques sont :

    Ces caractéristiques sont les fondements du pouvoir du manager. Il apparaît que le manager est un fait le héros comme l’avait décrit Platon à son époque.
    P.N. n’agit pas comme un manager car il n’apparaît pas comme un homme raisonnable, il ne semble pas agir pour le bien commun et il ne sait pas ce qu’il faut faire.
    Le manager a souvent été critiqué pour son côté bureaucrate et technocrate. C’est pourquoi on lui a opposé la figure du leader.

    Le leader est une personne qui motive, mobilise, communique, anticipe, crée, innove. Il s’oppose donc clairement au manager, souvent considéré comme un conservateur. "Le leadership est le processus qui consiste à donner une vision des choses à autrui et à pouvoir traduire cette vision dans la réalité et l’y maintenir" (Hellriegel). La crise de l’entreprise amène un besoin de leader, pas de manager, car il mobilise, innove, crée un "rêve collectif". Contrairement au manager, dont les qualités sont impersonnelles, le leader a de grandes qualités personnelles, comme l’intuition, l’instinct ou encore le charisme. On valorise chez le leader ce qu’on oppose à la raison. Il apparaît que P.N. n’agit pas non plus comme un leader, puisqu’il ne semble pas avoir d’intuition ni de vision mobilisatrice.

    Bien que ces deux visions soient souvent opposées, elles ont un point commun : chacun de ces acteurs, que ce soit le manager ou le leader, dirige. On a tendance à penser que le besoin de dirigeants est d’autant plus important que l’entreprise est en crise. En effet, le dirigeant :

    Le manager et le leader sont deux images du dirigeant. Le premier dirige en se fondant sur la raison, l’autre sur l’émotion. P.N. ne se conduit pas comme un dirigeant.

  1. Une volonté déchaînée de maîtrise du monde

    La vision occidentale explique en partie le besoin d’un dirigeant. Deux aspects sont particulièrement utiles à cette compréhension.

    Tout d’abord, la vision occidentale, ou façon occidentale d’être au monde, est téléologique ("doctrine qui considère le monde comme un système de rapports entre moyens et fins", Le Petit Robert). On pense en termes de buts. Les dirigeants, leaders ou managers, utilisent les autres pour atteindre ces buts. Les individus sont ainsi considérés comme des moyens. On ne s’interroge pas vraiment sur ces buts.
    P.N. ne se conduit pas de manière téléologique : il ne fixe pas d’objectifs ni de moyens découlant d’une analyse stratégique, et ne considère pas les membres de l’entreprise comme des moyens d’atteindre ces buts.

    Le deuxième élément caractérisant la vision occidentale est la conviction que nous devons maîtriser le monde, en maîtrisant :

    Le manager tente de maîtriser le monde grâce à la raison et à sa compétence, le leader grâce à son charisme et son intuition. Le contrôle contribue à cette maîtrise (c.f. le verbe "to contrôl" en anglais). P.N. refuse de maîtriser et de contrôler l’entreprise. Il se refuse à faire preuve de cette arrogance qui veut des dirigeants qu’ils maîtrisent le monde.

  1. Produire du possible

L’attitude de P.N. fait peur car elle ne correspond pas à la vision occidentale, caractérisée par la direction, la fixation de buts et la maîtrise. Pourtant, son attitude n’est pas passive. Il agit de manière différente de ce que l’on attend. Pour comprendre ce comportement, il faut sortir de cette vision occidentale.
Il est tout d’abord possible de faire référence à la pensée taoïste chinoise. Elle énonce le principe du non agir, ou "wu wei". D’après Lao Tseu, "par le non agir, il n’y a rien qui ne se fasse". "Wu wei" signifie aller dans le sens de la nature, être en harmonie, coopérer plutôt que contraindre. Pour la pensée taoïste, le changement est la résultante d’une évolution naturelle des choses. Il est spontané et se fonde sur la sagesse.
La pensée taoïste permet de mieux comprendre l’attitude de P.N. Il n’opère pas de changement (de direction, de stratégie,…). Il ne prend pas de décisions contraires à l’évolution naturelle de l’entreprise (plan de redressement). Il fait confiance à la dynamique et au savoir-faire des membres de l’entreprise. Le fait qu’il ne dirige pas met en route une dynamique collective qui opère naturellement un changement.

La théorie des possibles et des impossibles (Andreù Solé) est un autre éclairage intéressant sur le comportement de P.N.
En période de crise, ce n’est pas le fait de se fixer des buts qui permet de s’en sortir mais le fait de "se mettre en chemin". Ça nous paraît illogique et irrationnel de se mettre en chemin sans établir préalablement de destination. Cette situation tend à augmenter l’incertitude. Selon la théorie d’Andreù Solé, l’homme est un animal qui crée perpétuellement des possibles et des impossibles, de manière spontanée et sans s’en rendre compte. C’est sa liberté qui s’exprime ainsi. On ne peut donc pas maîtriser l’homme. P.N. pense qu’il est possible que l’entreprise s’en sorte. Cette conviction n’est pas visible au départ, c’est pourquoi son attitude inquiète. Il croit en la capacité des GEP à produire des possibles à même de sauver l’entreprise.
Lorsque qu’apparaît l’opportunité d’une commande en Australie, les dirigeants, suite à une analyse rationnelle, pensent que c’est impossible. Les GEP pensent que c’est possible. P.N. a "parié" sur ce possible. En ne dirigeant pas, P.N. a rendu possible l’accomplissement des possibles collectifs de l’entreprise.

Il ne s’agit pas d’une méthode mais d’une "manière d’être au monde". Un dirigeant doit être capable, en période de crise, de ne pas diriger afin de favoriser le développement des possibles de l’entreprise, puis de diriger en utilisant les plans stratégiques et le contrôle, afin de permettre le développement de l’entreprise. Ces deux démarches sont antagonistes mais complémentaires.

  1. Responsabilité, peur et désobéissance

    L’entreprise n’a-t-elle pas plus besoin de responsables que de dirigeants ? Un responsable est une personne qui assume ses décisions, c’est-à-dire qui les reconnaît et accepte de rendre des comptes. Or les principales décisions que prennent les dirigeants, ce sont les possibles et les impossibles qu’ils se donnent et dans lesquels ils entraînent, consciemment ou non, les autres membres de l’entreprise. Etre responsable d’entreprise serait donc rendre des comptes sur ses possibles et ses impossibles. Le problème est qu’ils ne sont pas maîtrisables (opposition avec le pilotage d’entreprise).
    Il convient d’insister sur l’importance de l’éthique du responsable, qui est engendrée par sa peur (c.f. Jonas, heuristique de la peur). Le responsable d’entreprise est celui qui a peur des conséquences de ses possibles et des ses impossibles sur les autres, et qui s’impose donc une éthique. Il s’agit d’une peur altruiste. Un responsable n’a pas peur de regarder l’autre dans les yeux. Peut-être cela explique-t-il pourquoi il y en a si peu.
    Au premier abord, P.N. n’agit pas comme un responsable :

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