LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Michèle JAOUEN

 

Renaud SAINSAULIEU

"SOCIOLOGIE DE L'ENTREPRISE

ORGANISATION CULTURE ET DÉVELOPPEMENT"

Edition Presse Science Po et Dalloz,1995

 

SOMMAIRE

1. L'auteur
2. Questions posées par l'auteur
3. Postulats
4. Hypothèses
5. Démarche
6. Résumé

Chapitre 1 : La cohérence des modèles d'organisation
Chapitre 2 : L'effet de développement des systèmes sociaux de production
Chapitre 3 : Dynamique culturelle des ensembles organisés
Chapitre 4 : Régulation Sociale de l'entreprise
Chapitre 5 : Du diagnostic au pronostic de développement
Chapitre 6 : Cinq voies contemporaines de développement social
Chapitre 7 : Acteurs de changement

7. Actualité de la question
8. Commentaires
9. Conclusion

 

 

1. L'AUTEUR

Renaud Sainsaulieu, Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines est professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il a dirigé au CNRS, le Centre d'Etudes Sociologiques et fondé le LSCI (Laboratoire de sociologie du changement des institutions)

Psychologue et sociologue, il porte un intérêt central aux relations du travail. Depuis son livre "l'identité du travail" (1977) jusqu'à "méthode pour une sociologie de l'entreprise" (1994) en passant par l'ouvrage collectif  "l'entreprise une affaire de société" (1990), il s'intéresse à l'entreprise en tant qu'institution sociale.

 

2. QUESTIONS POSÉES PAR L'AUTEUR

Pour R. Sainsaulieu l'homme est au centre de l'entreprise, donc de la société, c’est ainsi l'Entreprise Conciliatrice émerge avec l'importance de la dynamique propre de ses échanges internes pour le devenir de la Société Civile tout entière.

Que devient alors le gouvernement d'une entreprise tout à la fois société civile et système d'action concret de production ?

Comment parler de management si l'expression d'autonomie croit chez les gouvernés ?

Face à la fragilité nouvelle des entreprises du marché, comment mobiliser des gens autonomes sans pouvoir leur affirmer d'autre cause sacrée que celle de la défense de l'emploi , au prix de calculs sur la durée du contrat, de la retraite, de l'aménagement du temps de travail et des salaires redevenus variables ?

Comment fonder l'esprit d'entreprise et la prise de risque économique sur une nouvelle autonomie des régulations sociales, tout en imposant aux acteurs de multiples pressions présentées comme inévitables au nom de l'économie mondialisée ?

 

3. LES POSTULATS

D'après la masse des enquêtes faites sur la réalité sociale des entreprises, R Sainsaulieu tire les postulats suivants :

Il existe 4 modèles d'identité au travail

- les fusionnels - ce sont les gens sans pouvoir
- les affinitaires - ce sont les gens motivés par des mobiles professionnels
- le modèle de négociation - ce retrouve plutôt dans OP et les cadres
- le modèle de retrait - ce sont des gens qui ont du pouvoir à l'extérieur

Il existe 3 conceptions de la société d'entreprise qui coexistent de nos jours :

- l'entreprise réparatrice
- l'entreprise négociatrice
- l'entreprise conciliatrice

Il ne peut y avoir de développement économique sans un développement social de l'entreprise

La vie dans les organisations repose sur des valeurs explicites ou implicites qui servent à définir des règles d'action qui inspirent les jugements et les conduites

La mondialisation et la concurrence doivent conduire les entreprises à rénover leur organisation afin de devenir de véritables sociétés humaines

Bien que la culture soit présente dans toute entreprise , chaque entreprise n'a pas forcément sa culture propre dans la mesure ou elle est traversée par un ensemble de régulation culturelle qui ne réussissent pas obligatoirement à se fondre en culture spécifique

 

4. HYPOTHÈSES

Les turbulences parfois douloureuses qui viennent de l'environnement provoquent encore aujourd'hui dans les entreprises des incertitudes fortes qui déclenchent des peurs de perte d'identités sociales et qui font naître tous les symptômes de résistance aux changements qui sont si mal vécus par les services de gestion des ressources humaines

Renaud Sainsaulieu pose les hypothèses suivantes :

Et si l'entreprise n'était plus l'obstacle au changements mais l'une des médiations clés de l'invention de la société d'avenir ?

Pourra t-elle alors prendre sa place dans l'invention d'une nouvelle civilisation visant l'articulation permanente entre les objectifs économiques et sociaux d'une société compréhensive aux questions de son temps ?

 

5. DÉMARCHE

L'ouvrage vise à guider le lecteur vers les bases de références théoriques nécessaires à la mise en pratique d'une nouvelle sociologie de l'entreprise , explicative et critique des ressorts fondamentaux du développement social.

L'auteur développe ces éléments en 7 points importants :

 

6. RÉSUMÉ

Chapitre 1 : La cohérence des modèles d'organisation

L'auteur explore la dynamique des modèles de l'histoire industrielle et post industrielle des organisations. Des logiques d'interprétation et de traitement des problèmes sociaux de l'entreprise n'ont cessé de s'édifier au croisement des problèmes pratiques rencontrés et du système de développement des sciences sociales. Ces logiques coexistent au cœur de chaque entreprise et posent le débat d'une volonté de développement social au sein d'entreprises contemporaines . Développer l'entreprise doit commencer par l'aménagement d'un débat social sur l'intégration des modèles rationalisateurs qui ont cours dans chacune d'elles. Il faut donc repérer, classer, reconnaître les pratiques normatives et les règles qui constituent les logiques de références au sein de l'entreprise

R.Sainsaulieu cite 3 références : les communautés monastiques, l'armée, et les sciences.

L'invention de la rationalité organisationnelle en entreprise apparaît avec Max Weber dans les essais sur la théorie des sciences ou il distingue 2 rationalités qui correspondent à 2 types de comportement humain : La rationalité subjective , et la rationalité objective

Un autre facteur de rationalisation des modèles d'organisation a été l'évolution des sciences sociales et leur intégration dans le secteur de la production économique

En fait 4 grands courants de rationalisation dans l'entreprise coexistent dans le monde contemporain :

L'intérêt de l'approche professionnelle de la rationalité repose sur une sorte de confiance nécessaire en la pratique du métier

Au moment ou la précarité menace tout individu dans l'entreprise avoir une compétence reconnue comme profession officielle apparaît comme une valeur fondamentale du travail

Le problème de rationalité qui se pose à l'entreprise dès lors que sa taille augmente et celui de l'articulation de ses éléments économiques et techniques et humains

Les travaux de F.W Taylor , de Max Weber , de H. Fayol , de H. Ford , ont éclairé des générations d'ingénieurs

Après l'organisation scientifique du travail , le modèle bureaucratique apparaît le modèle de management des ressources humaines

Dickson et Roethlisberger ont découvert la considération comme facteur humain de motivation et l'existence de relations informelles .On peut dire que l'école des relations humaines n'a pas entièrement transformé l'OST , mais a suscité une attention concrète aux problèmes humains.

Une autre façon d'aborder le processus de rationalisation en entreprise est la démocratie . Cette quête d'une vie plus sociale et plus juste est issue des politiques dites paternalistes .

La réflexion engagée en France sur la démocratie a été imposée par 3 courants

 Les lois Auroux qui ont permis la mise en place de groupes d'expression dans l'entreprise ont fait apparaître de difficiles problèmes d'apprentissage culturel pour les bases et n'ont pas débouché sur une conception renouvelée de l'entreprise.
On ne peut négliger l'impact sur la rationalité de l'organisation d'un ensemble important de réalisations organisationnelles, dont l'objectif est de fonder l'organisation du travail sur un triple principe :

Toutes ces expérimentations sont restées fragiles sur le plan économique et se heurtent aux résistances des fonctionnements alentour ou des environnements plus classiques

En conclusion de ce premier chapitre on peut dire que l'histoire des entreprises du XX siècle restera marquée par la recherche de modèles rationalisateurs capables d'enserrer tous les facteurs économiques, techniques et humains de la production

 

Chapitre 2 : L'effet de développement des systèmes sociaux de production

L'entreprise ne pourra jamais se développer contre son propre système social.
Le système social d'une entreprise est un ensemble d'interactions ou de rapports entre acteurs reproduits au point d'établir des liens collectifs durables qui médiatisent et transforment les effets prévus par la règle issue de l'organisation formelle

L'analyse de ce système social doit faire comprendre en quoi les systèmes d'interactions constituent une ressource sociale majeure de développement des entreprises et fait aussi apparaître l'analyse des dysfonctions qui sont des conséquences inattendues qui accompagnent un plan rationnel et qui empêchent d'atteindre les but fixés par les dirigeants.
On retrouve plus particulièrement trace de ces dysfonctions dans les organisations bureaucratiques.
On peut dire que ces dysfonctions montrent qu'un ensemble humain à but productif se compose de règlements et de régulations surprenantes qui deviennent force de loi et mettent à jour la dimension informelle des rapports sociaux .

L'analyse sociologique permet de révéler des structures de jeux et des logiques d'action qui définissent le tissu social réel de l'organisation. On est donc amené à étudier l'organisation comme une matrice de jeux, et il apparaît lors des études menées par l'auteur, que certains jeux de pouvoirs sont associés aux circonstances quotidiennes et d'autres aux situations de crise. Michel Crozier en fournit nombres d'exemples dans le "cas du monopole".

Les jeux d'acteurs comme dans les années 60 sont une zone de pouvoir stratégique au cœur même des fonctionnements de la production des entreprises et la réussite organisationnelle d'une entreprise dépend bien des ajustements entre acteurs.

L'entreprise doit être capable de raisonner sur le passage d'un système clos en système ouvert car elle est soumise aux pressions de l'environnement qui l’oblige à gérer les adaptations de son système social et de sa structure d'organisation dans la perspective de flexibilité. Il peut apparaître alors un acteur marginal sécant qui tire son pouvoir d'une capacité d'action dans le système interne et le système externe.
Cette ouverture est indispensable, lorsqu'il existe une interdépendance très forte entre l'entreprise et son environnement, dans le cadre de réservoir permanent de ressources humaines ou d'initiatives économiques locales.

 

Chapitre 3 : Dynamique culturelle des ensembles organisés

Les entreprises contemporaines qui , plus qu'avant rencontrent le changement de leurs structures sociales internes pour répondre aux pressions de l'environnement, ne peuvent faire l'impasse sur la dimension culturelle de leurs rapports organisés. Pour Hofstede, la culture est bien caractéristique des nations et les sous cultures, caractéristiques des sociétés locales , des métiers et des organisations.
Quand à D'Iribarne, il propose le concept de pacte social pour tenter de jeter un pont entre la culture sociétale et celle de l'organisation

L'étude qui a porté sur l'implantation des entreprises japonaises en France et au Brésil a démontré que les structures d'organisation des entreprises devaient être ajustées aux spécificités culturelles nationales pour réussir.
De même une entreprise quelle qu'elle soit ne peut éviter de prendre en compte la société nationale et locale dans laquelle il faut produire pour élaborer une conception plausible de sa rationalité.
Différentes études à ce sujet ont été menées en France, en Allemagne, en Angleterre et enfin au Japon par l'auteur.
Enfin , il apparaît en France que l'Etat qui permet le passage des ingénieurs des grands corps et des élèves de l'ENA dans les cabinets ministériels avant d'occuper des places de dirigeants dans les entreprise , induit par la même l'application de ses règles, ses coutumes, ses projets, et a tendance a devenir une donnée fondamentale de l'entreprise.

L'entreprise doit aussi compter sur ses communautés sociales et professionnelles internes pour organiser son développement.
On peut recenser 2 sortes de construction de forme de sociabilité durable :

  • sociabilités collectives au coeur du travail
  • enjeux communautaires

L'entreprise devient alors une véritable institution capable de diffuser ses conséquences culturelles sur le reste de la société . L'entreprise est considérée comme source d'apprentissage culturel.
Une scène sociale majeure de la transformation culturelle est celle du groupe ,ou l'individu vit des relations durables et différentes de la vie quotidienne, et ou il perçoit l'image de soi qu'il reçoit des autres.

Le changement pouvant conduire à d'autres regards sur soi et les autres, l'évolution des identités collectives résulte donc de processus groupaux et relationnels.

On peut dégager 4 modes d'identité collective

  • identité de fusion
  • identité de négociation
  • identité d'affinité
  • identité de retrait

Le développement des capacités stratégiques par le biais de l'expérience quotidienne des rapports de pouvoir au travail est certainement l'une des circonstances d'apprentissage les plus fortes et les plus durables de la vie d'adultes. Le système de représentation concernant le travail et ses relations est profondément marqué par les rapports de pouvoir qui s'y déploient.
L'organisation offre plus ou moins l'occasion de constituer des coalitions offensives ou défensives, de développer des jeux de pouvoir plus ou moins complexes et changeants.
On peut dire que l'expérience du travail organisé fait émerger de véritables types d'acteurs sociaux

Les apprentissages qu'on peut faire au travail sont aujourd'hui modifiés par le chômage, l'augmentation du temps libre et la formation continue.
Le changement technologique a un impact sur la façon d'être acteurs et introduit un véritable désordre dans les jeux habituels au sein du système social au point que les individus vivent une redéfinition d'identité.

La mobilité forcée des salariés pour conserver leur emploi est un facteur de changement important que beaucoup refusent pour conserver les relations locales qu'ils ont édifié.

La dernière perspective de changement culturel est la loi tendant à développer l'expression des salariés dans l'entreprise, a laquelle il faut ajouter la loi de 1971 sur la formation continue. Toutes ces tentatives pour mettre en place une forme d'organisation plus participative ont fait apparaître l'ampleur culturelle de tels fonctionnements

Compte tenu des contingences qui pèsent sur l'entreprise dans les années 90 ,la bonne organisation ne suffit pas à mobiliser les forces productives de l'entreprise.
La reconnaissance des manières de se comporter et la compréhension des identités collectives qui s'y élaborent et influencent les motivations devraient tenir lieu de pratique indispensable à la gestion .
Il ressort globalement que les attraits du temps libre , les démotivations liées aux pertes de perspectives ascensionnelles, les menaces de chômage , semblent avoir accru l'idée d'aller au travail pour s'investir un minimum, et pourtant la réalisation de l'individu continue à passer par l'expérience du travail en entreprise.
Pour sortir de la crise économique , le développement devra être social en misant sur les interventions de l'Etat dans le secteur des activités bénévoles et de proximités.

Le processus de la confrontation culturelle longtemps occultée par les luttes de classes ou les formes tayloriennes bureaucratiques de l'organisation , se développe en conséquence directe de la multiplicité des relations informelles de travail engendrées par la croissance puis par la crise.
Le problème de la culture conduit à s'interroger sur 3 types de confrontation : avec les autres, avec le passé, avec les alentours.

Les recherches effectuées sur les identités au travail dans divers contextes d'entreprises conduisent à percevoir 4 types de confrontations identitaires ayant permis l'instauration d'une forme de culture intégrative en entreprise

La culture d'entreprise peut devenir un véritable concept de développement dans les processus de créativité interne , fondée sur la reconnaissance des différences, l'émergence de nouvelles identités, la formulation collective de projet.

On peut définir 3 modes de production sociale de la culture

Le management du changement suppose que l'on soit en permanence capable de confronter les acquis du passé lointain, transmis avec force d'exemples dans le présent pour préparer l'avenir, aux expériences d'un présent récent, qui peuvent soit confirmer, soit bousculer, l'héritage antérieur au point d'influencer profondément les cohésions sociales porteuses d'avenir.

L'entreprise est fondamentalement un lieu ou se rencontrent et se transforment divers courants culturels issus de groupes sociaux et d'institutions environnants. L'entreprise apparaît comme une institution culturelle par l'intensité, la durée et la complexité des rapports humains qu'elle met en oeuvre au cours de ses fonctions.

 

Chapitre 4 : La régulation sociale d'entreprise

On peut recenser 2 types de sociologie :

On peut citer 4 périodes importantes :

  1. Le mouvement de mai 68 a voulu réaliser l'utopie d'une société plus fraternelle, impersonnelle, créative et communautaire
  2. Les années 70 voyaient l'entreprise au carrefour de plusieurs conceptions théoriques du changement. Croyant à la croissance indéfinie, les sciences sociales se concentraient sur l'invention de meilleurs rapports entre producteurs
  3. En 80 avec la crise pétrolière, la crise du dollar, puis celle du chômage dans un monde ouvert à la concurrence internationale, le management découvre l'importance des ressources humaines pour résister aux pressions de l'environnement technologique et commercial de plus en plus menaçant
  4. Avec l'effondrement du mur de Berlin en 89, la société libérale de marché se généralise au niveau de la planète, l'économie se mondialise et la concurrence se globalise . Les entreprises se trouvent obligées de procéder à des plans sociaux drastiques pour sauver l'équilibre économique. Ainsi apparaît en 90 une nouvelle sociologie fondée sur l'articulation des dynamiques sociales de la production avec les logiques commerciales et financières de la concurrence internationale

Les enquêtes effectuées sur le développement économique et social de l'entreprise permettent d'affirmer qu'il n'y a pas qu'une Entreprise, mais 5 mondes sociaux qui se conjuguent de diverses manières. "Duale" "bureaucratique" "modernisée" "en crise" "communautaire", l'entreprise apparaît comme un univers différencié, traversé par des stratégies économiques, et des traditions sociales et culturelles multiples.

Le diagnostic sociologique d'entreprise fait apparaître 3 fonctions du système social : fonction d'interaction stratégique, fonction de socialisation identitaire, fonction symbolique de légitimation.
Les sociologues ont démontré l'existence de régulations sociales qui produisent des états d'équilibre systémique durables par le moyen de coopération entre acteurs, de sociabilisation d'individus au travail, de légitimation de projets et d'objectifs communs (modèle SIC)

A l'inverse de la période de croissance, notre monde est plus incertain sur ses finalités que sur ses moyens, la sociabilisation en entreprise doit donc reposer sur une production identitaire subjective, c'est à dire capable de plus d'esprit critique envers l'expérience d'altérité transmise, vécue et projetée.
Cette rationalité d'entreprise peut être qualifiée de constructiviste, car son principe résulte d'une constante mobilisation des acteurs pour inventer le futur, en tenant compte des structures sociales produites par l'histoire, transmises par la culture et disponibles dans les projets d'avenir.

 

Chapitre V : Du diagnostic au pronostic de développement

Le problème sociologique du changement consiste donc à refuser a priori l'hypothèse d'une innovation générale de société à partir du moment ou les structures bougent et que les groupes humains doivent apprendre d'autres pratiques organisationnelles et gestionnaires.
Le pronostic du sociologue doit en fait considérer simultanément 3 options sur l'avenir : celle d'une transformation en cours, celle d'une reproduction de la société antérieure, celle d'une forte crise pouvant conduire à une désintégration sociale.

Le développement implique de transformer un état antérieur en quelque chose de différent, c'est plus qu'un courant ou une tendance, c'est la mise en question des structures de toute société. Les programmes d'assistance au tiers monde se sont soldés par des échecs économiques, sociaux et politiques parce que l'obstacle culturel est bien plus important que celui des capacités techniques.

Le travail de pronostic est axé sur la reconstitution des processus transformateurs au sein des modalités de régulations sociales.

On distingue 3 sortes de processus :

Le repérage et l'analyse des processus transformateurs engagés au cœur des fonctionnements et des contingences de la vie des entreprises sont des éléments essentiels de la méthode de développement social.

Le pronostic de l'entreprise ne peut pas provenir de l'étude contemporaine des mondes sociaux de l'entreprise qui montre que 5 modalités de régulation sociales en entreprise coexistent et sans que l'on puisse affirmer que l'une l'emporte sur l'autre. La pression des contingences et l'autonomie croissante constituent des points forts qui peuvent permettre de représenter un avenir en gestation.
Une régulation sociale capable de baser son développement sur plus d'acteurs, et d'orienter ses fonctionnements collectifs sur plus de créativité peut offrir des perspectives d'invention coordonnées sur 4 axes : l'acteur, l'identité, la culture, le débat.

En conclusion, même si l'analyse des modèles ne permet pas de faire émerger de véritables écarts, on peut néanmoins arriver à 3 types de pronostics de développement social qui permettent d'interpréter les changements autour de

3 dynamiques :

 

Chapitre 6 : Cinq voies contemporaines du développement social

Les 25 années d'interventions dans les entreprises menées par l'auteur font apparaître que 5 types de changements ont eu des effets de développement social approfondi.

1) Expérimentation sur les structures

Changer les structures d'organisation en entreprise pour obtenir une meilleure implication des individus selon une procédure expérimentale n'est pas nouveau.
Cette expérimentation qui remonte à Taylor, à été suivie par de nombreuses entreprises qui ont engagé des programmes expérimentaux d'amélioration des conditions de travail.
Ces expérimentations structurelles ont eu des effets importants sur toutes les régulations sociales d'entreprise, et engendrent une co-définition des objectifs, puisque c'est la confrontation des expériences individuelles qui débouchent sur une redéfinition de l'organisation.

2) Technologie nouvelle

Les technologies nouvelles ont profondément modifié les fonctions hiérarchiques et techniciennes, en introduisant ainsi des changements significatifs dans le fonctionnement social des entreprises. Les conséquences complexes de ces changements techniques convergent sur 3 constats majeurs - la nature des tâches et la qualification - la structure des ateliers - les rapports entre fonctions.
Les nouvelles technologies ouvrent des opportunités considérables de développement social des entreprises, mais les politiques de modernisation techniques devront tenir compte des multiples effets dans les domaines de légitimation de projet, de sociabilisation des individus, et d'organisation des structures de production.

3) Formation, outil de développement

Les actions de formation continue sont des occasions inespérées de modifier la régulation des rapports sociaux en entreprise, car elles sont porteuses de processus et de changements organisationnels suffisants pour qu'elles puissent directement induire le développement social des entreprises. La formation professionnelle est un moyen de redonner vie au projet d'avenir dans le domaine professionnel ou celui du temps libre, c'est une dimension importante de l'avenir des grandes organisations. Elle apporte de plus une expérience irremplaçable et profondément attendue des rapports de groupes.

4) Expression, participation et projet démocratique

Du constat de l'expérience participative des entreprises des années 80, il apparaît 3 points.

5) Le développement des entreprises et l'emploi

Les années 90 s'ouvrent sur la recherche de solutions nouvelles pour fonder le développement social de l'emploi en entreprise et dans la société.

La question de l'emploi est devenue une dimension clé du développement des entre prises, après les conditions de travail, les nouvelles technologies, la formation et l'organisation du participatif.
La gestion de l'emploi devient pour certaines entreprises un processus d'ajustement itératif entre l'analyse des orientations en terme de marché, et l'évaluation du potentiel humain en terme de savoir faire et de motivation.
Il apparaît malgré tout, que les méthodes de gestion prévisionnelle des emplois se heurtent aux difficultés d'anticipation des besoins à 4 ou 5 ans, dans un contexte d'adaptation brutale aux exigences du court terme et des logiques financières internationales. Ces transformations environnementales et la créativité en matière d'outils de gestion de l'emploi ont conduit les entreprises à mettre en oeuvre d'importants efforts de transformations sociales et culturelles pour soutenir les politiques de développement de l'emploi.

 

Chapitre 7 : Acteurs de changement

Les acteurs de changement doivent donc faire vivre des dynamiques sociales d'invention, d'autonomie, de créativité, de transition, de projet, de participation et de développement partenarial.
La compréhension classique de l'entreprise capitaliste n'est plus adaptée à la structure sociale de sa réalité humaine, il faut des acteurs capables d'inventer l'entreprise qui feront ressortir une conception nouvelle et porteuse d'avenir.
Le développement social de l'entreprise comme solution aux problèmes de crise ne peut se réaliser sans reposer sur plus d'autonomie de l'entreprise, considérée non plus comme société de capitaux , mais comme société d'actions collectives.

Les entreprises doivent viser le passage et la transition d'une communauté devenue fermée vers une société plus ouverte, sur ses forces réelles en internes, et sur ses environnements multiples. Elles doivent donc développer des identités sociales nouvelles, reconnaître les logiques collectives.
Pour que le développement soit l'expression du système social, il faut que soient combinés les projets d'évolution personnelle, en terme de parcours de vie privée avec les projets de construction collective. Cette réussite devient l'un des défis majeurs pour l'acteur de changement en entreprise.

D'autre part, les actions participatives ont produit des effets culturels dans la vie des entreprises, et il en ressort l'idée qu'une action de changement ne pourra réussir de nos jours qu'en s'appuyant sur l'implication des managers et des employés concernés par la réalisation commune de projets d'avenir.

Le changement en profondeur d'un système social ne peut se réaliser sans une structure particulière, dont l'objectif est la mise en mouvement du système social, autour d'une mobilisation d'acteurs réunis par l'intervention, la conduite, et l'évaluation des changements de rapports sociaux justifiant un changement de politique.

Au niveau des stratégies sociales d'entreprises, il faut que vive le partenariat entre dirigeants, syndicats, spécialistes internes de développement, pour permettre l'élaboration des pratiques inventives de l'avenir.

 

7. ACTUALITÉ DE LA QUESTION

La prégnance de l'ordre mondial est aujourd'hui plus forte qu'hier. De nombreux signes en témoignent : l'économie ne cesse de se mondialiser, les entreprises consolident leur édification, les frontières nationales s'estompent . Les menaces écologiques deviennent elles même mondiales. Le monde actuel, en constituant une dimension de plus en plus importante de l'existence humaine par ses caractéristiques propres (globalité, rivalité, inégalité, coopération, logique économico-financière ), dessine le contour à l'intérieur duquel, les sociétés, les organisations , les individus doivent désormais de plus en plus se mouvoir. Cette mondialisation des échanges ne fait pas que structurer le monde économique, elle contribue par la voie de la multinationalisation des entreprises à bousculer les identités collectives, ce qui a pour conséquence, le bouleversement des organisations.

La concrétisation de tous ces éléments se retrouve dans les bouleversements qui ont clôturé cette fin de siècle : les fusions, les 35 heures, l'actionnariat salarié

"le nombre record de fusions réalisées par les sociétés hexagonales l'année 1999, restera dans les mémoires marquant la volonté des entrepreneurs de placer leurs poins sur l'échiquier mondialisé..."
Ce qui pose le vrai problème de la dimension culturelle au cœur des fusions.
A l'heure ou l'on constate partout un net recul du pouvoir hiérarchique pur et dur (commandement et contrôle) et des procédures, la flexibilité et l'émulation favorisent la rapidité de réaction, devenue l'une des toutes premières conditions de compétitivité. La culture constitue le ciment d'une entreprise et assure son fonctionnement. Si elle est adaptée elle donne à l'entreprise son avantage concurrentiel le plus difficile a imiter.
Il parait donc essentiel de placer la dimension culturelle au centre d'une phase préparatoire, trop souvent bâclée. Seule la bonne compréhension initiale du contexte culture permettra d'éviter des erreurs de stratégie dans la conduite de la fusion irréparables par la suite.

La mise en place de la loi Aubry sur les 35 heures pose les problèmes d'aménagement du temps libre, de mobilité, de salaire et de formation.

D'ailleurs les sociologues sont aujourd'hui bien en peine pour imaginer ce que les salariés vont faire de ces heures de liberté, car l'engagement dans les activités associatives ou culturelles ne s'en trouve pas forcément accru , sauf pour ceux qui sont déjà engagés.
Le développement de la formation si important pour contribuer à l'autonomie des acteurs pourrait être freiné par la raréfaction du temps, et par la recherche de productivité provoquée par le passage aux 35 heures.
Certaines entreprises ont baissé le nombre d'heures consacrées à la formation et quelquefois, les ont limitées aux cas urgents d'adaptation au poste de travail.
La formation évolue vers une réalisation pendant le temps libre du salarié. La demande de formation sera ainsi considérée comme le fruit d'une réflexion commune hiérarchie - salarié.
Ce qui est antinomique avec le fait que la meilleure façon de réduire réellement l'intensité du travail est bien de se recentrer sur les tâches véritablement créatrices de valeur.
Les entreprises devront recréer les fonctions d'assistance supprimées au gré des plans sociaux et les cadres accepter le partage de leur mission avec d'autres professionnels qualifiés.
Les 35 heures seront elles capables de faire émerger une nouvelle représentation du travail qui ne serait plus fondée sur la seule affirmation d'un territoire ou d'un statut, mais plutôt à la capacité de créer des relations et des réseaux autour des projets ?

Le mouvement récent de l'actionnariat salarié n'est pas un mouvement neutre, car il permet une évolution des relations sociales dans l'entreprise .En devenant actionnaire le salarié n'est plus seulement employé de son entreprise, il est aussi associé. Ce nouveau statut entraîne un changement des relations avec l'entreprise. Mieux informé sur la marche de son entreprise, l'actionnaire salarié quitte sa position de sujetion traditionnelle pour devenir partenaire.

"la question de l'actionnariat salarié se greffe sur l'émergence d'une nouvelle forme d'identité au travail dans les entreprises françaises : le salarié entrepreneur sensible à la performance" dit encore Sainsaulieu.

 

8. COMMENTAIRES

Dans cet ouvrage Renaud Sainsaulieu apporte une définition plus satisfaisante de l'identité, car elle inclut l'articulation entre l'identité individuelle et l'identité sociale. Par la même apparaît que l'identité est un construit social qui s'établit dans un rapport de force, dont l'enjeu est la reconnaissance de soi par autrui.

On peut dire que l'espace social fonde les identités individuelles et collectives.

Eugène Henriquez écrit :

"Le lien social se présente d'emblée comme un lieu tragique. Il nous permet de comprendre que les autres existent , non comme objet possible de notre satisfaction , mais comme sujet de leurs désirs , autrement dit comme autant susceptibles de nous rejeter que de nous aimer, de manifester des volontés contradictoires aux nôtres, de présenter des dangers permanents ,non seulement pour notre narcissisme, mais également pour notre simple survie".

Les organisations en tant que lieux ou se tissent de nombreuses relations sont des terrains fertiles ou l'on peut observer cette dynamique psychique individu-organisation.

L'auteur insiste aussi sur l'importance de l'autonomie relative dont dispose tout être humain dans tout système social . Cette autonomie est marquée par ses désirs, ses aspirations et ses possibilités. Elle témoigne du degré de liberté que l'homme peut avoir dans un cadre donné, celui qu'il peut atteindre, et le prix qu'il est prêt à payer sur le plan social pour y parvenir.

Renaud Sainsaulieu part de l'hypothèse que, si la culture est présente dans toute entreprise, chaque entreprise n'a pas forcément de culture propre, dans la mesure ou elle est traversée par un ensemble de régulations qui ne réussissent pas forcément à se fondre en une culture spécifique.

La notion de culture d'entreprise a donné lieu à de nombreux échanges théoriques divergents. A l'opposé de Sainsaulieu, pour les tenants de la "corporate culture", les source de la culture d'entreprise sont à trouver dans l'entreprise elle même, et la question de l'autonomie de la culture de l'entreprise est un postulat de départ.

 

9. CONCLUSION

Cet ouvrage nous place face à l'évolution des différents modèles sociaux de l'entreprise du XX siècle, et nous oblige à réfléchir au nouveau modèle social d'entreprise qui permettra d'articuler les capacités de réactions économiques aux contingences multiples du marché.

Renaud Sainsaulieu permet d'éclairer la façon dont les rapports humains au travail ont contribué à répondre aux besoins de société, qui se sont manifestés aux différentes phases de la mutation du monde industriel, grâce aux études importantes qu'il a faites au sein des entreprises occidentales et plus particulièrement françaises.
Le fait que de nos jours ,on remarque une réelle élévation du niveau de vie, d'éducation et de communication, jointe aux effets individualisants des politiques de gestion des ressources humaines, aux dangers d'exclusion sociale par la perte de l'emploi, perturbe considérablement les anciennes manières de concilier l'individuel et le collectif dans le seul espace du travail.

Il est maintenant nécessaire d'amorcer une réflexion sur les fonctions, les valeurs, les logiques d'entreprises insérées dans la construction de sociétés post-industrielles.

Sainsaulieu termine sur une note d'espoir, en affirmant que malgré tout il devient possible de cerner les contours d'une nouvelle entreprise citoyenne et solidaire, qui se situera entre l'entreprise à but social d'inspiration associative, l'entreprise issue de la sociale démocratie industrielle, et la vieille entreprise paternaliste.

 

haut de la page

 

 

"Les fiches de lecture"

"Page d'accueil D.S.O."