Les fiches de lecture de la Chaire D.S.O

 

 

Marie SAJUS

 

 

Renaud SAINSAULIEU

 

" DES SOCIETES EN MOUVEMENT

LA RESSOURCE DES INSTITUTIONS INTERMEDIAIRES "

 

Edition Desclée de Brouwer, juillet 2001.

 

SOMMAIRE

    1. Biographie de l’auteur.
    2. Hypothèses et postulats.
    3. Démarche.
    4. Résumé de l’ouvrage.
    5. Introduction. Institution et légitimité sociale

      1. : Un parcours de recherche : de l’organisation à l’institution.

      2 : Les crises à vivre.

      3 : La ressource des institutions intermédiaires.

      4 : Légitimité des institutions productives.

      5 : Le défi démocratique des institutions intermédiaires.

      Conclusion. Les ressources d’une société démocratique en mouvement.

    6. Commentaires et actualité de la question.

 

 

  1. BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
  2. Renaud Sainsaulieu, docteur d’Etat ès lettres et sciences humaines a consacré une quarantaine d’années durant, un travail de recherches et d’enquêtes sociologiques sur la question du travail, de la culture et de l’entreprise. Paraphraser ses résultats revient à énoncer que vivre au travail, c’est vivre en société. C’est dire la place prépondérante de la personne dans la stabilité de la démocratie.

    Son parcours est celui d’un professionnel au service de l’entreprise. De chercheur au centre de sociologie européenne (CSE), il passe treize années au centre de sociologie des organisations crée par Michel Crozier. Les identités au travail deviennent son sujet de prédilection, pivot d’une thèse en 1977. Puis de 1978 à 1984, Renaud Sainsaulieu dirige le centre d’études sociologiques (CES) tout en développant en parallèle une équipe de recherche de l’Institut d’études politiques (IEP) associé au Centre national de la recherche scientifique : le groupe de sociologie de la création institutionnelle et intégrée dans le CES. Cette équipe est transformée en 1986 par le CNRS en LSCI (Laboratoire de sociologie du changement des institutions), lui-même partie prenante de la fédération de laboratoires de l’IRESCO (Institut de recherches sur les sociétés contemporaines. Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris et au sein de nombreux organismes universitaires, lieux de formation de jeunes et d’adultes. Président de l’AISLF (Association internationale des sociologues de langue française) il coordonne des recherches françaises et internationales sur les rapports entreprise et société.

    Ce travail d’observation de terrain et théoricien donne lieu à la publication par Renaud Sainsaulieu de nombreux ouvrages : En autres, Les relations de travail à l’usine, Paris, Les Editions d’Organisation,1973 ;  L’identité au travail. Les effets culturels de l’organisation, Paris, Presses FNSP, 1977 - réédition 1985 ;  L’entreprise, une affaire de société, Paris, Presses FNSP, 1991 ;  Sociologie de l’organisation et de l’entreprise, Paris, Dalloz, Presses FNSP, 1991 ;  La sociologie de l’entreprise. Organisation, culture et développement ", Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 1997 et plus récemment " Sociologie de l’association ", Paris, Desclée de Brouwer, 2000.

     

     

  3. HYPOTHESES et POSTULATS
  4. Au tournant du siècle de la modernité vers celui du libéralisme démocratique mondialisé, l’invention d’une nouvelle société est d’actualité, à la condition de mobiliser les dynamiques de changement nécessaires garantissant des socles institutionnels pérennes, au sein desquels les individus seraient les promoteurs reconnus pour que vive la démocratie. L’espoir de Durkheim se fondait déjà sur une société capable de socialiser les individus dans des relations de solidarités intenses qui légitiment les institutions.

    Il y a débat de par les changements politiques, économiques, technologiques et sécuritaires qui génèrent de nouvelles demandes sociales. L’ordre institutionnel, menacé par le délitement du tissu social, met en danger la cohérence sociale et avec elle la solidarité sociale et collective. Un déficit dans le concept de la démocratie est à éclaicir.

    La crise laisse exprimer un malaise à l’égard de la politique et des politiciens, de la justice en passant par la crise identitaire vécue au travail au nom de la rentabilité et concurrence économique, le remodelage des valeurs familiales et éducatives, le malaise de la jeunesse. Les espaces géographiques s’ouvrent vers l’Europe et le monde alors que les espaces sociaux se rétrécissent, ce qui n’est pas sans créer un véritable conflit et défi pour les civilisations démocratiques.

    L'hypothèse faite est celle d'une élaboration de nouvelles règles, définitions pour un avenir collectif fait appel aux ressources humaines impliquées et reconnues. La légitimité des institutions en place est garante d'un développement durable, pour des repères sociétaux.

    Les méthodes du changement institutionnel passent par l’identité au travail. Car entre l’Etat et la famille, les organismes intermédiaires élaborent les réponses appropriées aux nouvelles donnes de l’économie, de la culture et de la politique.

    Les institutions politiques et éducatives sont engagées au côté des institutions intermédiaires productives dans une nouvelle dynamique d’institutionnalisation visant à concéder à leurs acteurs davantage de reconnaissance identitaire par le travail.

    En d’autres termes, comment équilibrer la part de l’Etat, la famille et les ressources intermédiaires de production et ce pour un système viable et stable. Le recours à la sociologie est l’une des alternatives d’accompagnement du changement.

     

     

  5. DEMARCHE
  6. Cet ouvrage prend appui sur une quantité importance d’enquêtes monographiques, d’entretiens, d’observations auprès de très nombreux acteurs de terrain de la vie des entreprises, des administrations et des associations. Ce sont près de vingt mille entretiens et questionnaires approfondis qui constituent le corpus d’analyse et d’observation des faits sociaux du travail.

    La retranscription au niveau de l’ouvrage prend la forme d’une réflexion, plus proche de l’essai que la démonstration scientifique écrit Renaud Sainsaulieu. Successivement, l’auteur expose ses recherches de terrain ; use de la description des processus et des dispositifs de changement en période de crise ; explore les ressources sociales propres aux institutions intermédiaires ; analyse les voies de réformes possibles des entreprises, associations, administrations et enfin élargit aux autres institutions le débat de leur devenir, le tout au sein d’une société en mouvement.

     

     

  7. RESUME
  8. Introduction. Institution et légitimité sociale

    Renaud Sainsaulieu propose une réflexion, reposant sur les travaux de recherche en sociologie visant à apporter la vision de la société actuelle, telle que les constats la décrivent : en mouvement, enlisée dans une déficience des ressources intermédiaires productives qui présentent un retard en décalage avec les institutions de l’Etat et de l’éducation, et ce en France.

    Concernant la crise de l’entreprise, Renaud Sainsaulieu fait état des contraintes liées à la reconstruction industrielle majorées des contraintes économiques, sociales qui n’ont pas permis d’atteindre la légitimité attendue. Ce fait permet à Renaud Sainsaulieu de qualifier le champ social du travail d’inégalitaire, dominateur et injuste.

    Le changement des institutions productives est inéluctable, car il ne suffit pas de rationaliser aux dépens de la variable humaine d’ajustement, mais de situer les expériences individuelles et collectives du travail au cœur de l’invention de société.

    Mais, l’équilibre de la société nécessite un réajustement de l’ensemble des institutions les unes par rapport aux autres : le politique ne peut feindre le malaise des rapports sociaux et l’éducation se doit de former des futurs acteurs producteurs, citoyens et consommateurs. Telle est la nouvelle exigence de sociétés démocratiques en difficulté de régulations institutionnelles stabilisées.

     

    1 : Un parcours de recherche : de l’organisation à l’institution.

    Renaud Sainsaulieu retrace le chemin qui a permis de construire un modèle de passage de l’organisation à l’institution (avec d’autres chercheurs en sociologie) susceptible d’apporter plus d’intensité sociale et de conscience de soi dans une solidarité organique annoncée par Emile Durkheim comme symbole même du projet sociologique. Penser la création institutionnelle résulte des travaux d’une équipe du CSO qui s’efforce de servir une finalité sociétale plus large que celle de la seule ambition rationnelle. Comment ? En ajoutant à la mission économique de l’entreprise une œuvre de socialisation identitaire et culturelle par l’expérience, héritage du mouvement de mai 1968, à savoir l’espoir d’autres structures, d’autres règles, plus humaines, de la vie collective.

    C’est ainsi que l’importance du phénomène organisationnel rejoint la question des légitimités collectives, des dynamiques institutionnelles de par l’implication des acteurs autour d’objectifs dépassant la simple rationalité organisationnelle. En effet, la réforme organisationnelle prônée pour améliorer la productivité et la compétitivité n’a pas permis d’éviter la crise sociale.

    Renaud Sainsaulieu propose une approche sociologique du changement des institutions par une approche en quatre points : la légitimité sociale d’une institution, la compréhension des processus transformateurs, les ajustements systémiques à l’environnement et enfin les régulations sociales et culturelles confiées aux instances et dirigeants.

    La légitimité sociale d’une institution, que ce soit une organisation productive, une administration, une entreprise, une association ne se décrète pas. Elle s’élabore au niveau de la vie collective et doit créer un équilibre social. Renaud Sainsaulieu confère une compréhension tridimensionnelle de la légitimité sociale de l’institution : en premier lieu, la dynamique institutionnelle se doit d’inscrire les acteurs dans un système de rapports identifiés intégrateurs de pouvoir dont l’issue est l’élaboration collectives de règles acceptables. En second lieu, la démarche participative doit engendrer des reconnaissances d’identités collectives autour des projets émergents pour une intégration culturelle, sociale et symbolique partagée par tous : la finalité étant la socialisation des adultes pour une cohésion sociale effective. Et enfin, la troisième dimension se situe dans la dynamique de confrontation, source de conflits et de débats mais créateur d’accords pour une logique commune collective centrée sur une démarche projet porteuse de régulations sociales entre acteurs à propos des problèmes du quotidien et sur les orientations d’avenir.

    La compréhension de la réalité contemporaine des institutions et de leur processus de changement, par l’analyse sociologique des dynamiques s’observe tant par la crédibilité des finalités que par la transformation des rapports entre les acteurs impliqués dans le changement que par l’existence d’une représentation collective partagée d’acculturation reconstructrice.

    L’ajustement systémique aux nombreuses contingences pesant sur l’organisation concerne la légitimité des régulations de systèmes qui peuvent s’interfacer avec d’autres institutions aux modèles d’organisation en dynamique ou d’autres champs en évolution, le tout constituant un environnement influent.

    Et enfin, la régulation sociale et culturelle confiée aux dirigeants et aux instances. L’approche sociologique du changement des institutions porte sur les capacités d’action d’instances conseils ou de dirigeants sur les régulations sociales et culturelles en crise. L’objectif ne se limite pas seulement à l’accompagnement gestionnaire du changement social par l’approche de la sociologie des professionnels, de l’action dirigeante mais plutôt par l’élaboration de systèmes et mondes sociaux plus légitimes.

     

    2 : Les crises à vivre.

    Des sociétés aristocratiques d’Ancien Régime à une société européenne, autant de transitions vécues, que les sociologues Ferdinand Tonnies, Georg Simmel, Emile Durkheim et Max Weber ont proposé de penser comme dynamiques d’ouvertures à des modalités plus individualistes, complexes et interdépendantes, menant à davantage d’échanges et de compromis entre forces sociales différenciées et c’est l’apport de Marx à la sociologie que d’avoir souligné l’importance des luttes sociales dans la mutation de sociétés. Ce sont les crises ou encore révolutions ou encore guerres.

    Par crise, il faut comprendre ces états d’incertitude généralisée sur les solidarités présentes et futures : fragilisation des repères et des individus dans leurs identités. La crise à vivre est le point de départ des périodes de mouvance de société. Quel est la nature des processus sociaux qui les accompagnent et permettent de s’en sortir ?.

    L’Histoire et l’analyse sociologique, contextuelles, permettent le recensement ainsi que la compréhension des effets sociétaux produits par les institutions intermédiaires, tant par leur présence que par leur absence.

    Concernant l’impact des institutions en France, Renaud Sainsaulieu révise l’Histoire à partir de l’après-guerre et la reconstruction industrielle caractérisée par ses structures intermédiaires de gestion paritaire, de la reconnaissance des appareils syndicaux, des bases partenariales crées comme le Commissariat au plan et le Conseil économique et social et enfin la mise en place d’appareil de formation adultes (AFPA et le CNAM).

    Dès 1950, la période des " trente glorieuses " époque de croissance, d’organisation, de consommation a trouvé un puissant levier dans la capacité de s’organiser de façon perfectible, par l’effort technologique et social d’organisation au delà des anciens conflits de classe ; levier efficace mais ne pouvant toutefois éviter la crise de génération de mai 1968, en France, signant une demande d’expérimentation sociale sur les conditions de travail pour une autre société : ce seront autant d’actions collectives intermédiaires ne relevant ni de l’Etat ni de la famille qui inventeront l’imagination créative et l’autonomie des acteurs.

    Les années 1980 de la modernisation et des technologies s’appuient sur le modèle entrepreunarial cautionné par les gouvernements. La performance apparaît alors une source de légitimité. L’ouverture et la concurrence internationales (Asie) mettront en péril les emplois, créant une exclusion du monde du travail, une fracture sociale nécessitant de nouvelles institutions intermédiaires de proximité que le milieu associatif et dispositif local couvriront, mais sans réellement " sortir du tunnel ".

    Le symbole de la chute du mur de Berlin et la phase de libéralisation démocratique généralisée à l’échelle de la planète conduit, lors des décennies 90, vers l’espoir d’une construction européenne ; les efforts de régulation sévères imposés par Maastricht créent une crise de société de transition vers la mondialisation à gérer.

    La carence des institutions intermédiaires s’est faite ressentir au moment de l’effondrement des pays d’Europe anciennement communistes. Un manque d’institutions comme les syndicats s’est fait ressentir alors que le parti unique n’assurait plus d’autonomie créatrice suffisante. Après 1983, ces pays ont connu la mise en place d’institutions légales accompagnées d’une destruction du système bureaucratique étatique de l’ancien régime communiste : Privatisation, impuissance administrative, développement d’économies informelles et de mafias ont instauré un monde d’activités sans ressources intermédiaires légitimes conduisant au repli identitaire sur les familles, sur le voisinage ainsi qu’aux guerres civiles et militaires dans les Balkans, le Caucase et l’Afghanistan.

    Pour le court et moyen terme, en devenir et émergentes dans le contexte de la mondialisation, de nouvelles ressources intermédiaires peuvent trouver leur légitimation ; il s’agit des médias sans frontières avec les réserves liées au traitement et à la capacité d’intégrer la réception mondialisée de l’information ; il peut s’agir des organisations associatives, ONG élaborant les prémices d’une société civile internationale ; il peut s’agir des entreprises globalisées dont le pouvoir surplombe l’influence des Etats et des cultures locales, génératrices de nouveaux pouvoirs étatiques.

    Changement social et ruptures des légitimités institutionnelles : Pendant les crises, par delà les chocs et les tensions, le risque d’élaboration de structures irrationnelles pervertirait l’évolution attendue. D’où la nécessité de connaître les processus même du changement social. Deux courants sociologiques ont visé à expliquer les fondements du changement social : le premier établit des sources de compromis et d’équilibre joués autour des rapports de force, mais cette conflictualité positive peut déraper sur des exclusions et dominations en défaveur d’acteurs. (femmes, immigrés, jeunes, pré-retraités …). Le second courant s’appuie sur l’étude des processus de légitimation des structures d’autorité et d’organisation. En 1950, Michel Crozier proposait le modèle du changement par la crise, sur le cas des administrations françaises, qu’il situait au niveau des régulations dysfonctionnelles installées offrant une occasion de s’adapter aux évolutions de la société.

    Trois pistes de compréhension des crises sont apparues pour expliquer la crise : le désordre créatif, la souffrance identitaire et la modernisation critique. Norbert Alter affirme qu’au cœur du désordre, l’innovation, la confrontation de pionniers inventifs avec les exclus de l’innovation, ainsi que la présence médiatrice d’une troisième catégorie technicienne et managériale permet l’innovation durable. C’est donc trois conceptions de l’avenir qui s’affrontent : celle qui prend appui sur les cultures reçues, celle qui porte les aventures de l’imaginaire créatif, celle, enfin qui s’impose de poursuivre les exigences de la rationalité. Bref, il s’agit bien d’une crise créatrice. Ces dynamiques de créativité supposent que se rencontrent et s’expriment tous les acteurs de la scène du changement, or cette crise crée de profondes difficultés psychologiques, vécues actuellement sous la forme de l’inquiétude généralisée quant à la possibilité d’être reconnu comme acteur et sujet d’une histoire personnelle et familiale. L’identité est en jeu.

    Crises et recompositions identitaires par le travail : Accéder à l’identité au travail peut se réaliser par l’action collective, la réalisation professionnelle par la compétence, l’évolution par la mobilité ou la promotion et enfin l’appartenance comme sujet ou citoyen à un monde de rôles et de fonctions formelles et durables. En ce début de siècle, les institutions productives doivent faire face à un déficit de reconnaissance sociale de leurs salariés de tous grades conduisant à des modifications comportementales au travail comme le retrait, l’absentéisme, la dénégation et un ressentiment personnel et un refus de s’engager comme acteur de l’avenir. Or sortir de la crise signifie l’implication de forces créatrices, les acteurs, autour de projets. La crise à vivre d’aujourd’hui connaît le désenchantement, le désengagement et " la fatigue d’être soi " (Alain Ehrenberg). La crise des identités semble plus réelle et concerne les repères sociaux vécus à tous les échelons de la vie civile ; Claude Dubar dans son ouvrage la crise des identités, l’interprétation d’une mutation démontre que toute une série de crises de définition de soi par le métier, le statut, l’action syndicale, mais également par la famille stable, les références culturelles, morales et religieuses majoritaires sont réunies en cette fin de siècle.

    Cette crise de références stables est certes traumatique mais elle porte aussi l’émergence de nouvelles identités à diagnostiquer pour sortir de la crise. L’autonomie dans le travail, la mobilité et la nécessaire reconquête permanente de compétences ouvrent des perspectives de la vie des entreprises en créant une nouvelle dynamique identitaire : celle de la compétence apprenante.

    Renaud Sainsaulieu conclut que d’une part le travail est bien un lieu de socialisation, d’autre part les dynamiques identitaires au sein du travail sont les éléments fondamentaux des crises et redéveloppement de la société.

     

    3 : La ressource des institutions intermédiaires.

    Entre l’Etat chargé du contrôle social et les structures éducatives chargées de la socialisation primaire, les institutions intermédiaires constituent une modalité de réponse aux changements ; synonymes de parenthèses, voire de transitionnelles, elles se situent entre le passé et le futur, le rationnel et le chaos, entre l’Etat et l’individu. Au vu de leur position, Renaud Sainsaulieu explore la valeur ajoutée de ces ressources sociales crées sous la forme d’une dynamique sociale de rapprochement des individus comme acteurs, mais aussi un lien social ou reliance, et encore une capacité de réflexivité particulière.

    Entre deux sources de reconnaissance : Bernard Eme, en 1993, de l’équipe du CRIDA a théorisé cette question des institutions intermédiaires en y voyant tout d’abord des expériences ancrées dans le monde vécu des sujets sociaux et non déterminées au départ par les exigences fonctionnelles de l’organisation politico-administrative ou encore une ramification au sein de la société, visant à créer une logique de réciprocité fondée sur la confiance. Blaise Ollivier situe l’acteur de ces intermédiarités entre deux pôles dynamiques psychiques et sociaux, conférant un sens de l’altérité et donc la conscience de sa propre différence. Renaud Sainsaulieu rejoint les psychosociologues dans cette nécessité de reconnaissances de soi et de l’autre dans les situations intermédiaires où s’opère le passage d’un état social à l’autre.

    L’implication de l’auteur effectuée dans le social intermédiaire, en tant qu’acteur cette fois, le conforte dans sa quête de signification des contraires et des différences : ayant hérité des caractéristiques de la classe bourgeoise, privilégiée et fermée, centrée sur le chef d’entreprise et l’affaire, Renaud Sainsaulieu a finalement recherché les caractéristiques du monde ouvrier des années 1962, la compréhension des différences et la ressource issue de leur confrontation. L’expérience identitaire des classes moyennes des années 1960 lui permet de découvrir des modèles, des manières de vivre les relations humaines, appelées modèles identitaires : la fusion identitaire, l’identité de négociation, la position de retrait et enfin une modalité identitaire dite affinitaire, caractéristique de la classe moyenne et définie par des relations interpersonnelles fortes et complexes. Acteur au sein d’associations, créateur d’université, médiateur au bureau de l’AISLF et enfin formateur d’adultes sont autant d’expériences qui permettent à Renaud Sainsaulieu d’en retirer la notion d’un besoin des acteurs de notre temps d’espaces intermédiaires et de sens pour soi, pour l’autre, mais aussi pour constituer un collectif.

    Dynamiques de reliance et création d’acteurs : Le lien social apparaît fondamental dans la reliaison entre des pôles séparés par leur différence identifiée. Il faut reconstruire un ensemble et c’est précisément la définition de la reliance au cœur de systèmes médiateurs. Marcel Bolle de Ball, psychosociologue, a évoqué, en 1996 dans son ouvrage " Voyages au cœur des sciences humaines - De la reliance ", l’importance culturelle et conceptuelle de la reliance. Renaud Sainsaulieu tire pour sa part de ses diverses contributions sur ce thème l’idée qu’en période de bouleversement, de crise à vivre, le changement profond passe par le changement des individus, par un éclatement ou une fragmentation des structures sociales antérieures, au point de recourir davantage aux ressources individuelles… confrontées aux résistances conservatrices des grands systèmes. Comment l’intermédiaire agit-il ? Par la mise en place des régulations locales de socialisation entre adultes bien avant que de nouvelles lois et de nouvelles cultures n’aient pu s’installer dans l’esprit et la conscience civique des gens. Elles offrent donc un espace de médiations nécessaires à cette quête de reliance, source de motivation fondamentale à l’action. L’illustration par l’exemple conduit l’auteur à énumérer un certain nombre d’institutions intermédiaires comme les syndicats, les mutuelles, les organisations, les administrations et associations éducatives et sociales, les services publics et privés de proximité, les ONG, les espaces de négociation entre partenaires sociaux sur les conditions de travail, la formation, le temps de travail, la participation. Autant d’exemples de reliance directe ou déléguée.

    Toutefois, la réalité du terrain se heurte à la lenteur de transformation des mentalités et des pratiques d’actions collectives. C’est ainsi que la résistance provient (LSCI) des représentations symboliques du monde d’une part, et de l’autre de l’expérience stratégique des rapports de force. Renaud Sainsaulieu recense parmi les résistances, la conception culturelle de l’autorité descendante fondée sur l’Etat, le pouvoir du capital, la technostructure. Le frein bureaucratique se rajoute à l’élitisme de classe. D’un autre côté, la mondialisation renforce le poids des grands systèmes de contraintes et de contrôle sur les capacités de négociation autonomes entre les acteurs : Autant de pouvoir, de systèmes bloquants sur les intermédiaires. Pour que perdure l’efficacité de ces institutions du changement, la démonstration de nouveaux rapports de pouvoir est claire. Il faut déplacer le face à face pour le situer sur une autre perspective, une ouverture. Pour nous en convaincre, Renaud Sainsaulieu affirme que la régulation syndicat et direction ne suffit pas pour gérer la création d’emplois et que s’ouvrir à d’autres partenariats, structures en réseau ouverts offre une modalité de traitement. Dans un autre domaine, celui des administrations, ce sont les rapports aux usagers qui président en tant qu’ajustements mutuels aux contraintes de l’autre.

    La ressource de la dynamique des institutions est la reliance des acteurs entre eux et aux partenaires. Toutefois, la projection dans l’avenir fait appel à la prise en compte du passé, des actions présentes pour une vision du futur, nommé réflexivité.

    Changements sociaux et réflexivité : L’histoire a retenu l’impuissance des grandes visions idéologiques et des grands projets technocratiques. Joseph Schumpeter a observé une certaine logique des rapports sociaux. L’objectif d’un changement réussi est d’intégrer au sein de l’intermédiaire dans un même mouvement transformateur la vision d’avenir, la force des reliances et l’investissement des identités et des cultures reçues du passé : La réflexivité dépasse la simple créativité de l’imaginaire. Anthony Giddens considère que la réflexivité permet la distanciation par rapport aux évènements tout en introduisant une capacité de résistance, de synthèse. Au sein des organisations productives, comment opérer cette dynamique réflexive ? Le passé des années 80 a montré l’inefficacité des méthodes employées par les dirigeants d’entreprise à la recherche d’une mobilisation collective des salariés pour répondre aux exigences de la concurrence, à savoir qualité, cultures et projets d’entreprise, dynamiques participatives, flux tendu, gestion des carrières, formation. Or, et Renaud Sainsaulieu le démontre par les constats établis lors des crises (conflit, pouvoir, domination brutale, contre-pouvoir, antagonismes entre pairs), on ne peut pas changer les institutions en ne fondant l’action que sur le structurel, formel, organisationnel. Les acteurs doivent avoir intériorisé le changement au point de fonder une autorité dans les rapports sociaux. L’auteur s’attache, alors, à démonter les fondements concrets de l’autorité dans les situations de régulation sociale réussie et dans le cas de crises profondes des rapports humains. Dans un cas, les crises perpétuent les oppositions sociales et leur effet de réflexivité est nul, alors que dans l’autre l’autorité est fondée sur une capacité à reconnaître les différences identitaires issues du passé et produites par le changement, sur des manières de vivre des rapports sociaux d’échanges et d’équilibres dans des structures capables d’évolution et d’attention aux individus, en d’autres termes capacité réflexive de reconnaissance, gestion de l’altérité des identités par la conversion des rapports de pouvoir en une dynamique d’ajustements flexibles et réciproques et réflexe gestionnaire d’accompagnement des dynamiques humaines et sociales du changement. Sur le versant économique. Les sociologues retiennent quatre logiques : communautaire, professionnelle, entrepreneuriale et de projet personnel qui confrontées, permettent la définition d’objectifs légitimes par la mise en débat où s’actualisent l’effet créatif et réflexif de ces logiques.

    L’institution intermédiaire, un lien social transformateur : Le type de lien social conditionne la légitimité institutionnelle : savoir vivre la dynamique de la différenciation identitaire (reconnaissance), créer une activité de médiation (reliance) et savoir créer le présent dans la pensée du changement (réflexivité).

    Renaud Sainsaulieu confère alors une véritable dignité institutionnelle aux organismes confrontés à ce niveau intermédiaire des sociétés.

     

    4 : Légitimité des institutions productives.

    Renaud Sainsaulieu l’a démontré tout au long des chapitres précédents, les structures intermédiaires sont indispensables à la reconstruction des sociétés ébranlées et ce indépendamment de leur nature juridique : une entreprise, une association ou une administration. La nature des régulations sociales au sein des intermédiarités est à reconsidérer, entité par entité.

    L’entreprise légitime dans la nouvelle croissance : L’ensemble humain de ces entreprises est en quête de positionnement au sein des entreprises, alors que des effets pervers mettent à mal la représentation futuriste globalisée et mondialisée. Certains maux du monde du travail font l’objet de publications comme Le harcèlement moral (Marie-France Hirigoyen), L’horreur économique (Viviane Forrester), La souffrance en France (Christophe Dejours). De nos jours la libéralisation du marché réinstalle le profit à réaliser pour les actionnaires ce qui constitue le risque à prendre mais dont les répercutions sur les emplois n’échappent à personne. L’analyse de la performance à atteindre modifie la donne et soumet l’entreprise à des réajustements permanents, règles et procédures rationnalisantes mais étouffantes. L’intervention de la sociologie a contribué, depuis les travaux de Mintzberg (la théorie de la contingence), à affiner les bases profondément sociales et culturelles de la performance collective confrontée aux aléas et risques du marché surpassant le seul facteur organisationnel.

    Renaud Sainsaulieu établit cinq typologies d’entreprise productives ou encore mondes sociaux de l’entreprise dans leur rapport avec la règle formelle et la culture définis comme axes de référence pour caractériser chacune d’entre elles pour un éclairage des voies d’accès à la légitimité institutionnelle. Les trois entreprises légitimes, à savoir l’entreprise communauté, l’entreprise bureaucratique et l’entreprise modernisée. La première est guidée par la culture et éprouve de la difficulté à s’ouvrir au changement. La seconde bureaucratique est un monde social des procédures et des règlements de reliance dont le défi est de tenir compte d’une réalité économique, sociale et professionnelle pour qu’une capacité réflexive d’ajustements s’esquisse. La troisième modernisée vit la crise de culture, l’incertitude des transformations, la dynamique sociale du désordre chère à Norbert Alter, la confrontation et donc l’invention en commun d’une compréhension commune de l’avenir. Elle seule est sur l’axe des modèles en transformation. Puis, Renaud Sainsaulieu analyse les deux entreprises qualifiées d’illégitimes l’entreprise en crise et l’entreprise duale. Définir l’entreprise duale revient à décrire un mode d’organisation scientifique de type taylorien qui entretient de très fortes inégalités de pouvoir et une absence d’autonomie professionnelle ; base et sommet de l’entreprise sont coupées de toute reconnaissance. Les mondes sociaux en crise connaissent une désorganisation de la confiance, de la reliance, et de la réflexivité. Pour s’en sortir et rendre sa légitimité, Renaud Sainsaulieu sollicite l’intervention sociologique de consultants spécialistes qui pour sortir de la crise useront de trois forces de changement :  la dynamique des sociabilités collectives, la force des recompositions professionnelles, et l’exigence de rationalité des organisations.

    Dans une démarche de démocratisation, la gestion des ressources humaines au sein des entreprises apporte la connaissance des milieux humains et professionnels démontrant ainsi que l’entreprise est une société, qu’elle fait de la société, faite de reliance, d’accords et de compromis pour un management de proximité et enfin une réflexivité basée sur un débat confrontant les logiques professionnelles, communautaires. Toute formule de dialogue social sera source de légitimité.

    Association et légitimité de ses fonctionnements collectifs : Fondamental pour toute société démocratique, le phénomène associatif instaure des espaces individuels et collectifs entre les institutions politiques et les normatives. La démonstration de son exceptionnelle légitimité en est que tous les Etats totalitaires et toutes les dictatures ont eu pour premier souci de supprimer la liberté d’association, et que toute libéralisation commence par la restauration de la liberté d’association. Pourquoi ce tissu est-il si légitime ? En fait, l’association apporte une complémentarité de vie sociale exprimée par un engagement de la personne qui vise en premier lieu une liberté d’agir et de créer des actes porteurs de mieux-être visant une problématique commune et amorçant une résolution de problèmes. Au stade embryonnaire cette association vit en autogestion, la reliance est à son apogée. Toutefois, la complexité des individus, la multiplicité des pouvoirs menacent cette institution de bénévoles sitôt qu’une règle formelle se doit d’être établie et Renaud Sainsaulieu attribue l’échec de la capacité collective de reliance, à ce que ces structures butent sur l’économie de marché au point de les faire basculer vers l’entreprise classique ou dans le giron des secteurs administratifs. Le décalage s’instaure alors entre bénévoles et salariés, entre élus et professionnels, entre noyau des fondateurs et gestionnaires. Préserver l’intérêt collectif visé par cette association passe par la culture de partage des valeurs spécifiques du secteur associatif et par le développement d’une entreprise sociale, nouveau concept d’une entreprise d’innovation et d’expérimentation sociale basée sur une économie solidaire.

    Administrations et légitimité du service public : Renaud Sainsaulieu démontre que le modèle français de l'administration est en évolution d'autant que des bases de service public européen se doivent d'être recherchées. Si la capacité d’adaptation aux changements de société s’avère une possibilité reconnue au secteur administratif, il est par contre attendu un grave décalage identitaire né de la difficile articulation entre fonctionnaires et contractuels : deux statuts, mais d’avenir différent au sein des mêmes établissements et pour les mêmes services au public : les contractuels temporaires et les fonctionnaires à long terme. Une définition égalitaire et mixte de leurs fonctionnaires statutaires et contractuels s’impose. Une autre urgence s’annonce : la réflexivité des administrations à leurs usagers dans l’anticipation des changements de besoins. Des enquêtes montrent toutes l’importance des postes de guichet où se vit l’invention de solution dans l’urgence, postes de confrontation, de retour d’expérience avec les structures centrales, de définition de la règle. Mais cette rationalité administrative est difficile à atteindre et équivaut en quelque sorte en un nouvel effort d’innovation institutionnelle. L’expérience du débat est impérative à réaliser autour des objectifs de la production avec les acteurs réels de la production de service, sur leur contribution effective aux processus techniques, sur leur investissement domestique et professionnel, sur leur engagement dans les collectifs de travail. Pourquoi susciter ces débats ? La finalité attendue par Renaud Sainsaulieu est l’observation sociale rapprochée des acteurs de l’administration, la reconnaissance des personnes, une capacité d’échange et de reliance coopérative, l’expérience de réflexivité sur les dynamiques collectives de travail. L’unification européenne est ,elle même, source de confrontations et de rénovation du service public.

    Parler de réinvention du service public en économie libérale suppose pour Renaud Sainsaulieu de faire passer sa culture de négociation paritaire de sommet à un débat de conciliation et de compromis avec la base autour du service public réel.

    Conclusions pour une intervention du sociologue : L’espoir que Renaud Sainsaulieu met dans la pratique légitime des institutions intermédiaires amène la fin des arbitraires et des incohérences sociales. Une demande sociale s’adresse aux sociologues pour aider à produire les règles légitimes de ces dynamiques collectives. De plus, l’usage appliqué des sciences sociales à la connaissance de la complexité des systèmes d’acteurs engagés, par des sociologues intervenants produisent des réseaux d’échanges permettant d’aider à la construction de nouvelles régulations sociales là où s’annoncent des crises. Apporter sa contribution d’observateur des mondes sociaux d’entreprise, et de pourvoyeur de débats entre acteurs sur les dysfonctions et sur les objectifs d’un système fait du sociologue l’intervenant de choix dans l’avènement d’institutions intermédiaires en situation de travail.

     

    5 : Le défi démocratique des institutions intermédiaires.

    Héritage d’un passé idéologique fondé sur la non reconnaissance du tiers secteur économique et social en tant qu’institutions légitimes et autonomes, la société française se trouve face à un défi démocratique pour que l’individu y exerce, à l’heure des changements, ses droits et devoirs en toute légitimité.

    L’individu, dans la société française, se confronte à un double individualisme selon Renaud Sainsaulieu, positif et négatif. Par individualisme positif il faut entendre la socialisation primaire acquise du système éducatif et politique par opposition à l’individualisme négatif représenté par la seconde socialisation au sein des entités productives dont les débouchés sont de deux ordres : un risque de régression individualiste purement défensif et auto-protecteur ou bien une évolution conduite sous forme d’actions individuelles et collectives, intégratives et génératrices de légitimité institutionnelle.

    Renaud Sainsaulieu conçoit alors que le trouble provient du concept même de la démocratie, tant dans la représentativité du peuple que dans le partage des pouvoirs au niveau productif. Atteindre la finalité d’une citoyenneté démocratique pré suppose de conjuguer les institutions éducatives, politiques et dirigeantes avec une meilleure légitimation des institutions productives. A partir d’un tel postulat, les institutions normatives et politiques impactent et sont impactées par l’institution productive. Les espoirs se fondent sur une socialisation primaire réussie par l’institution éducative, l’idée d’un contrat social adapté à notre époque et une autorité légitime de l’action dirigeante.

    Institutions éducatives pour un individualisme positif : Le message est bien compris et urgent : Il faut préparer les jeunes acteurs de l’avenir à une capacité collective, contrant l’effet pervers de l’individualisme contemporain et visant à restaurer une créativité collective. Pour cela, Renaud Sainsaulieu use d’une formule forte le tout autre m’intéresse, qui signifie que les institutions normatives (famille, églises, cultures mais surtout médias et écoles) ont pour mission de mener une éducation ouvrant sur la reconnaissance des autres, sur un agir communicationnel reliant dans une expérience compréhensive de solidarité durable, sur une capacité d’analyse et de jugement réflexifs. Le lieu de cet apprentissage s’est déplacé des familles, du voisinage, des mouvements de jeunesse et du service militaire obligatoire vers des structures d’accueil de proximité (association de sport, musique, loisir…), vers des lieux et temps d’appartenance à des milieux humains et chaleureux et vers un partenariat efficace entre administrations, associations et famille. Reliance et réflexivité sont les maîtres mots de l’adaptabilité aux changements, à la mondialisation afin de conserver une identité source de force et de jugement.

    A charge pour les institutions normatives d’instaurer ou de rétablir la confiance par le dialogue réflexif entre adultes et jeunes, de bâtir une imagination sociale, de comparer les manières de socialisation primaire menées au niveau de chaque pays européens. Le but est de construire des personnalités fortes dans un monde changeant".

    Institutions politiques à l’écoute des institutions intermédiaires : Les institutions politiques et sociales connaissent de par la transformation de socialisation des individus dans les organisations productives, une modification des attentes et par là même la nécessité d’une adaptation des instances à la réalité naissante. Renaud Sainsaulieu analyse en premier lieu les administrations centrales de l’Etat et en second lieu les partis politiques, les syndicats.

    L’Etat dispose d’un puissant appareil de structures locales de mise en œuvre des politiques centrales. Toutefois, les principes d’un pouvoir régalien, centralisé sont confrontés à l’autonomie des institutions intermédiaires de base. Les risques de perte de sens pour le service public sont grands dans ce contexte et la Pologne en temps de crise en a fait la démonstration par les contrôles renforcés, la perte d’autonomie et la révolte des bases. Fondamentale, la définition du service public dans un monde libéral devient une urgence, aidée par la gestion des ressources humaines qui se doit de reconnaître plus fortement les individus, assurer l’évaluation, la formation et leur expression. Parallèlement au système français, l’Europe amène son lot de contraintes, ses services publics différents, et surtout la place intermédiaire jouée par l’administration centrale française entre ses propres citoyens et Bruxelles. Renaud Sainsaulieu parle d’un service public européen, réalisé non pas par la recherche épuisante d’un modèle souche commun, mais par une capacité à s’entendre et se comprendre, se comparer et se confronter.

    Les partis politiques et les syndicats sont eux aussi confrontés au développement des légitimités institutionnelles et connaissent une altération de leur mission de médiation entre les organisations productives et les institutions centralisées. Plusieurs facteurs mis en avant par l’auteur expliquent cette rupture. Premièrement, la construction politique et sociale de l’Europe diminue le poids des instances parlementaires nationales, obligeant les syndicats à se repositionner vers le haut leur faisant perdre le rôle de relais et de médiation régulatrice. Les attentes des salariés se tournent plus vers des mesures de protection personnalisé qu’un vaste mouvement social. L’augmentation des capacités d’autonomie professionnelle et technicienne constitue le second facteur de rupture dans les institutions politiques et Renaud Sainsaulieu pense que les syndicats n’ont pas su comprendre les préoccupations quotidiennes des salarié, et sont probablement remplacés par la gestion des ressources humaines plus organisée et proche du quotidien des salariés. Enfin, le rôle des partis politiques est mis à mal par une dérive médiatique des périodes électorales, les partis ne sont pas présents dans la compréhension des phénomènes microéconomique. Mais, certains débats publics ont alimenté l’action politique (loi Delors sur la formation permanente, par exemple) alors que certaines initiatives publiques sont restées trop coupées de l’expérience concrète des acteurs de production (expression des salariés des lois Auroux, modalités d’insertion des exclus, contrôle des plans sociaux). Ils restent aux salariés les échanges inégalitaires entre professionnels et hiérarchie, la médiation revenant alors dépendante des services de gestion des ressources humaines.

    Une autre légitimité de l’action dirigeante : L’autorité légitime revient au cœur du débat, dès lors que les exigences, les contraintes et les rapports se modifient. Il apparaît que dans le cas des organisations productives, la légitimité fondatrice de cette autorité repose sur une dynamique de rapports sociaux entre trois forces : celle de la direction et de la hiérarchie, celle des milieux professionnels et techniciens de l’exécution, celle enfin militante et syndicale des représentants du personnel. Une autorité légitime de gouvernance se met en place. Une technicité nouvelle de la gestion vise à fonder la force du management sur davantage de reconnaissance des motivations et de souci d’expansion participative, théoriquement source de reliance créative et de réflexivité critique. La maîtrise a été suggérée par Françoise Piotet et Renaud Sainsaulieu dans l’ouvrage Méthode pour une sociologie de l’entreprise, entre cultures transmises, apprises et prescrites face aux pressions du changement. Communication, échanges, débats, management de proximité des acteurs économiques, coopération entre services, gestion du développement social ou socioprofessionnel et culturel des entreprises de production sont autant de facteurs de réussite de l’action dirigeante.

     

    Conclusion. Les ressources d’une société démocratique en mouvement.

    L’ouvrage de Renaud Sainsaulieu sensibilise et alerte les citoyens d’une nouvelle exigence de création institutionnelle pour la société en mouvement et d’un véritable déficit de légitimité des ordres institutionnels reçus de la croissance. Un tel constat nécessite des propositions d’amélioration portant sur les modalités sociales de la vie collective, en prise avec le risque de démotivation et de retrait des acteurs de terrain en perte de reconnaissance, de reliance et de réflexivité.

    Le devenir des sociétés passe par la reconnaissance d’institutions plus légitimes situées aux avant-poste du changement pour une démocratie. Entre le politique et l’éducatif, des espaces sont attendues pour l’élaboration des rapports collectifs confrontés aux changements ; comprendre le monde libéral peut contribuer à l’invention de société dans le chaos du changement mondialisé.

    L’enjeu de nos sociétés est d’apprendre que la stabilité de leur civilisation ne peut reposer sur la seule force des régulations étatiques, pas plus que sur le seul développement de la scolarité des enfants. Encore faut-il trouver les voies efficaces d’une dynamique de légitimation des institutions intermédiaires.

    Les espoirs que Renaud Sainsaulieu met dans la ressource des institutions intermédiaires se perçoivent dans ses écrits : c’est dans cette ressource des activités productives que doit s’inventer concrètement plus d’égalité sociale, plus de compréhension entre les hommes, plus de mobilisation sur des projets d’avenir, puisque les citoyens consommateurs et salariés s’y vivent aussi comme acteurs de réalisations collective.

     

     

  9. COMMENTAIRE et ACTUALITE DE LA QUESTION

L’ouvrage sur le fond alimente le débat des sociétés contemporaines et des défis auxquels elles doivent faire face. Devenues de plus en plus réflexives, elles posent sur elles-mêmes, leurs institutions et leurs traditions, un regard critique systématique. La classification des institutions proposée par Renaud Sainsaulieu en politique, normative et productive est pertinente pour un essai qui se veut résolument optimiste et porteur d’espoir, ce qui peut sembler par certains côtés idéaliste par rapport à la réalité de terrain et aux rapports de forces qui s’exercent au sein de la société.

Le mérite de Renaud Sainsaulieu est de disséquer le tissu social de la société et d’en analyser les composantes sociologiques qui permettent de dégager des constats et des voies d’accès à une légitimité.

Les citoyens de la démocratie. C’est ainsi que le citoyen du XXI siècle est souhaité par Renaud Sainsaulieu acteur du système, pourvoyeur d’une ressource dynamique du changement centré sur des objectifs collectifs, citoyen participatif aux débats publics que Michel Callon, Yannick Barthe et Pierre Lascoumes analysent dans un article " Qu’en pensent les citoyens ? ", dans Sciences Humaines, N°124, 2002, p.44-47 : les débats publics répondent aujourd’hui au besoin de partage entre spécialistes et profanes exposés aux incertitudes  que les politiques ne peuvent résoudre sur les seules conclusions scientifiques contribuant à faire entrer les sciences et les techniques en démocratie, par le débat.

Pour sa part, Jacques Généreux, professeur à l’IEP, directeur de collections aux Editions du Seuil, et coproducteur d’une émission économique déplore dans son ouvrage Une raison d’espérer : L’horreur n’est pas économique elle est politique, Agora, 2000, le mutisme des citoyens qui ne se dressent plus pour dire le monde qu’ils attendent  générant la démocratie muette et hurlante, majorité muette, pétrifiée et impuissante face à des minorités hurlantes, séduites par ceux qui font commerce du désarroi et de la frustration générale. Cette perte de substance du politique, poursuit-il, se trouve aggravée par la convergence des discours et des programmes : stratégie du pourrissement social et la rhétorique des contraintes mondiales ont fini par convaincre nombre de citoyens que les gouvernements ne peuvent plus grand chose face à une histoire qui s’écrit ailleurs. Le terme de choix politique est vide de sens. On nous demande de construire des temples sans nous donner la foi !. En conclusion, les auteurs sont unanimes : le nouveau contrat social naîtra d’un ample et durable processus de formation, de négociation et de débat public, soit la reconnaissance, la reliance et la réflexivité en phase avec l’ouvrage.

La démocratie par les institutions : Renaud Sainsaulieu fonde ses espoirs sur la force collective des institutions intermédiaires qui dans une dynamique de changement porteront les stigmates d’une autorité légitime et durable.

Le secteur associatif constitue une force utile d’alerte et d’interpellation, un vecteur de vie publique, un acteur fondamental de développement, d’innovation et de cohésion de la société qu’une Charte d’engagements réciproques entre l’Etat et les associations, signée le 1er juillet 2001 par le Premier ministre, consacre. La quête de légitimité de cette institution est atteinte.

Le secteur des entreprises productives, privées et publiques, connaissent des expériences de changement qui produisent de nouvelles institutions. Les établissements publics et privés de santé Français s’engagent, depuis 1996, dans une démarche d’accréditation qui consiste à apprécier la qualité et la sécurité des soins au sein de ces structures. En phase avec le rapport aux usagers, décrit par Renaud Sainsaulieu, la prise en charge des patients est au centre de l’auto-évaluation pratiquée par les professionnels, réunis en groupe pluridisciplinaire ce qui constitue une véritable ressource dynamique des institutions basée sur la reliance des acteurs entre eux et l’apprentissage d’une culture qualité.

Les institutions politiques et sociales sont en crise et Renaud Sainsaulieu déplore leur évolution, laissant un vide social au plus proche des acteurs de terrain. L’émiettement des syndicats s’accélérant, leur légitimité à représenter les salariés est de plus en plus contestée. " La démocratie sociale en danger : Laissons vivre les partenaires sociaux ! " titrent Jean-François Amadieu et Denis Boissard, Paris, Editions Liaisons, 2001 : Le particularisme français est à la croisée des chemins. Les partenaires sociaux et la négociation collective restent, dans notre pays, confinés dans un rôle secondaire du fait de l’interventionnisme de l’Etat et de l’hypertrophie de la loi. En 1791, la Révolution a décidé la négation complète de toute forme de corps intermédiaire. Il faudra un siècle pour mettre en place des embryons d’espaces intermédiaires. L’Etat est prié de retrouver une place plus modeste dans la régulation du social et privilégier la négociation, sans céder à la tentation du " tout entreprise " comme le désengagement du MEDEF des caisses de sécurité sociale peut le laisser supputer. Les auteurs dépassent l’analyse de Renaud Sainsaulieu dans l’illégitimité des intermédiaires, par une remise en cause de la Constitution qui laisse peu de place à la négociation collective et aux corps intermédiaires. Pourquoi ?. D’une part le préambule de 1946 accorde aux salariés une place mais en même temps son article 34 accorde au législateur le pouvoir de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. Le Parlement n’est pas tenu par une obligation de respecter les partenaires sociaux. Une révision de la Constitution serait pour les auteurs une première étape d’une refonte plus générale de notre démocratie sociale. Asseoir la sphère d’autonomie des partenaires sociaux.

A Bruxelles, politiques européens et eurocrates sont tenus de laisser une place significative au dialogue social entre patronat et syndicat. Traités d’Amsterdam et protocole social Maastricht intègrent cette donnée sociale en amont de toute décision. Des paradoxes s’annoncent. La France pourra-t-elle longtemps résister à cette forte inflexion européenne en faveur du développement de la négociation collective ? Renaud Sainsaulieu espère que des formules de dialogue social comparables dans tous les pays européens se mettent en place.

La société en Mouvement : la ressource des ressources intermédiaires, ouvrage absolument contemporain plaide en faveur d’une protection de notre démocratie qui souffre de sévères distorsions. L’acteur de cette société est placé sur la scène civile, dans ses droits et ses devoirs. Toutefois, il est surprenant que Renaud Sainsaulieu ne le place pas sur la scène juridique, totalement absente de cet ouvrage et ce malgré l’élaboration de règles légitimes, sous tendant les règles établies en vue de régir les relations au sein d’une société : le droit.

Dans le domaine juridique, le problème est de définir la capacité à agir, à savoir " persona " qui signifie " masque théâtral ", ou encore " le masque porte voix ". Ce rappel culturel du droit Romain intégrer dans le droit Français apporte une notion fondamentale : ce qui caractérise l’être humain, en droit, est sa volonté d’agir. Nous y voyons une argumentation supplémentaire pour un agir de la personne capable, par opposition à l'incapable ou la chose juridique.

La question se pose alors de savoir si la scène juridique octroie au citoyen la volonté d’agir dans des relations sociales établies que la scène civile lui retire et que Renaud Sainsaulieu s'évertue à restituer.