LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

CNAM
Système d'Information - C1

 

Gareth Morgan

"Les images de l'organisation"

 

Sommaire

Biographie *
Postulat *
Hypothèse de travail *
Idées clés *
L’imaginisation *
Interdépendance entre organisation et environnement *
Bien gérer c’est comprendre *
Résumé *
Introduction *
L’organisation vue comme une machine *
L’organisation vue comme un organisme *
L’organisation vue comme un cerveau *
L’organisation vue comme une culture *
l'organisation vue comme un système politique *
l'organisation vue comme une prison du psychisme *
l'organisation vue comme flux et transformation *
l'organisation vue comme instrument de domination *
de l'utilisation de la métaphore *
Commentaire *

 

 

Biographie

Consultant et professeur conférencier dans plusieurs universités d’Amérique du Nord et d’Europe, Gareth Morgan, d’origine canadienne détient le titre de "Life Fellow" à l’International Academy of Management et il est actuellement "Distinguished Research Profesor" à l’Université York à Toronto.

 

Postulat

L’ouvrage entier de Gareth Morgan s’appuie, à des fins d’explication, d’illustration et d’analyse, sur le principe de la métaphore. On considère dans ces conditions que l’auteur part du principe que ce processus intellectuel qui vise à identifier une réalité par une image, est un moyen, voire de façon plus restrictif le seul moyen, de représenter l’organisation.

Cela implique, en toute logique, de considérer que cet ouvrage omet la possibilité et l’opportunité de comprendre et de représenter l’organisation autrement que par le biais d’une image approchante.

A l’énoncé de cette réalité, il reste en suspend une question qui consiste à savoir si justement, l’organisation en tant que système, peut être représentée et comprise dans sa complexité, autrement que par le biais de l’utilisation de métaphores et d’images associées ?

 

Hypothèse de travail

Cet ouvrage vise à donner une méthode concrète d’analyse des différents types d’organisation. L’utilisation de la métaphore répond à une logique de démonstration constructiviste où chaque étape de l’analyse mène le lecteur plus avant dans sa découverte et compréhension de l’organisation.

Par le biais de la métaphore, Gareth Morgan se propose de nous faire découvrir l’organisation sous différents angles d’approche. L’organisation apparaît comme universelle, dans la mesure où elle est présente partout. Au travers des images choisies, tout notre univers peut être identifié et compréhensible. Ainsi, chaque image fait référence à un monde particulier "d’objets" qui nous entourent ou nous concernent : les machines, les organismes vivants, la réflexion, la psychologie.

Dans sa démarche constructiviste, Gareth Morgan nous entraîne plus avant, à chacune de ses métaphores, dans la déclinaison qu’il fait de l’organisation, de ses formes, de sa nature et de ses objectifs.

A la lecture de cet ouvrage on assiste réellement à la naissance d’une entité vivante : l’organisation, objet virtuel par excellence, devient en effet palpable, presque visible et délimitée par une naissance, une vie et une mort.

On perçoit cette entité vivante au fur et à mesure que notre investigation progresse : elle est en tout premier lieu dotée d’une structure corporelle et biologique (les images de la machine et de l’organisme), ensuite, d’une forme d’intelligence (l’image du cerveau) ouverte et en phase avec son environnement (les images de la culture et de la politique), et enfin, confrontée à son pouvoir, ses limites et ses dérives (l’organisation perçue comme une prison du psychisme, un flux de transformations et un instrument de domination).

En fin de compte, l’organisation ressentie et présentée comme une entité vivante, permet au lecteur de comprendre et de saisir à la fois la complexité d’un tel système et d’obtenir des moyens d’actions quant aux problèmes et dysfonctionnements dont il peut être l’objet.

 

Idées clés

Terme créé par l’auteur pour désigner l’art de décoder les problèmes de l’organisation où image et action ont un lien étroit. L’image est le moyen le plus adapté pour décrire une organisation. La métaphore, donnant vie à l’image en se référant à des modèles connus et reconnus, permet de comprendre et d’explorer les organisations dans leur complexité.

L’organisation n’est pas seulement le fruit d’une modélisation de son environnement. Bien qu’il faille faire appel à des modèles existants dans la nature pour la représenter, l’organisation influence son milieu autant que ce dernier lui impose des contraintes d’évolution et d’adaptation.

Un bon gestionnaire se distingue par sa faculté à analyser une situation sous différents angles. Ainsi, l’art d’interpréter une situation, et donc d’être à même de prendre les décisions les plus appropriées, repose sur la capacité détenue de représenter une organisation sous forme de métaphores et de décoder, par ce biais, la réalité et les enjeux d’une situation donnée.

 

Résumé

L’efficacité, notamment dans le domaine de la gestion, repose sur un savoir faire intuitif qui conduit à considérer pour une situation donnée, plusieurs scénario possibles d’analyse.

Ce savoir faire s’exprime par une aptitude intellectuelle à représenter les théories de l’organisation et de gestion sous forme d’images et de métaphores.

L’emploi de la métaphore nous permet de comprendre un élément de notre expérience à partir d’un autre élément. Se référer à une image connue, influe sur notre façon de penser et de comprendre un concept ou une situation particulière.

Toutefois, bien que la métaphore permette de mettre en évidence les ressemblances entre deux images, elle occulte complètement leurs différences. C’est sans doute pour cette raison que la métaphore est paradoxale. Elle nous permet à la fois de saisir et de comprendre de façon intuitive une situation, se servant des ressemblances avec une image que l’on maîtrise, et peut nous conduire de même à nous égarer dans une représentation faussée par le seul fait d’en omettre les différences.

L’emploi efficace d’une métaphore réside dans l’utilisation appropriée et limitée que l’on en fait. Ce qui différencie un bon gestionnaire, c’est justement sa capacité à choisir plusieurs métaphores pour représenter une même situation, obtenant ainsi une vision et un cadre de réflexion plus adaptés à la réalité.

"Les images de l’organisation" propose un large éventail des représentations possibles des formes d’organisation.

 

Le premier modèle est celui de la machine : la vision de l’entreprise se réduit à un ensemble mécanique de rouages, assemblés en vue de répondre chacun à un objectif particulier. Chaque geste et attitude sont codifiés. Pour chacune des tâches à accomplir il existe un cahier des charges, des responsabilités et un degré d’autonomie définis à l’avance.

Historiquement, la métaphore de l’organisation vue comme une machine repose sur plusieurs faits marquants. Ainsi, la réforme de l’armée de Frédéric le Grand, roi de Prusse au XVIIIème siècle, visant à automatiser les comportements et spécialiser les tâches des soldats, a été un des premiers champs d’expérimentation d’une organisation mécaniste.

En 1776, Adam Smith, élabore de nouveaux concepts qui placent les individus dans l’organisation au service des machines, réduisant de fait leur autonomie aux stricts besoins mécaniques et à des tâches précises et spécialisées. La révolution industrielle avec son cortège d’inventions fût marquée par l’émergence d’une approche scientifique de l’organisation et de la gestion.

C’est au début du XXème siècle, que s’élabora une théorie générale de l’organisation et de la gestion, à laquelle contribuèrent de manière importante les travaux de Max Weber et des théoriciens classiques.

L’analyse, la division, la normalisation du travail en tâches simples, parcellaires et répétitives, sont les principes de base de l’"organisation scientifique du travail" ou "direction scientifique de l’entreprise".

Il existe cinq principes élémentaires :

- Planification et conception du travail de l’ouvrier par le dirigeant.
- Préparation du travail de l’ouvrier de façon scientifique.
- Choix de l’individu en fonction de la tâche à accomplir.
- Formation de l’ouvrier.
- Contrôle du travail fourni, des méthodes employées pour atteindre les objectifs.

Ces principes ont fait évoluer les mentalités dans la mesure où le rendement des organisations a considérablement augmenté et que les individus ont perdu leur qualification et gagné en automatisme.

Représenter l’organisation comme une machine, a conduit à élaborer des théories et des concepts qui ont eu pour conséquence de rendre impossible pendant des décennies, la représentation de l’organisation sous d’autres formes.

Avec un environnement stable, des tâches répétitives simples, une production unifiée, des ressources humaines "obéissantes", il est possible de concevoir l’organisation sous la forme d’une machine et d’obtenir des résultats très performants. Les principes de l’organisation scientifique du travail (O.S.T.) sont aujourd’hui d’actualité dans des secteurs particuliers tels que la restauration rapide et perdurent dans les usines, hôpitaux et toute organisation désireuse de diriger ses efforts sur la rationalisation de son activité.

Il est aujourd’hui difficile d’envisager qu’une organisation n’ait pas les moyens de faire face à l’évolution des circonstances, qu’elle n’ait pas non plus les moyens de réagir et de s’adapter à la fois à son environnement et aux bouleversements d’ordre culturel de la société. La souplesse d’une organisation et sa capacité à répondre aux évolutions de son milieu deviennent plus importantes que le strict rendement.

Ce principe d’organisation trouve ses limites lorsque les conditions de son environnement changent. Ce type d’organisation est conçu pour atteindre des objectifs prédéterminés, il n’est en rien préparé à se régénérer, à innover.

Cependant, il se peut que l’histoire considère Taylor comme un visionnaire, dans la mesure où ses principes peuvent aujourd’hui s’appliquer parfaitement à des robots et non pas à des individus.

 

En raison des résistances sociales, politiques et culturelles rencontrées dans la mise en place de l’organisation scientifique du travail dans les entreprises, la vision de l’organisation a évolué vers un modèle biologique.

En effet, l’étude du comportement animal a montré que certaines espèces sont davantage adaptées à un environnement particulier. Il en va de même pour les organisations. C’est à partir de cette logique que s’est développée à partir des années 20 une nouvelle vision de l’organisation. Ainsi, concevoir l’organisation comme un organisme implique une étude de son environnement, de sa composition, de ses mutations et de son cycle de vie.

Le développement de la métaphore de l’organisation vue comme un organisme vivant, permet aujourd’hui de reléguer au second plan les idées mécaniques de structures et de rendement au profit de nouvelles notions biologiques telles que le positionnement, la cohérence et l’efficacité des organisations dans leur environnement.

Les travaux de E. Mayo ont permis de mettre en évidence l’existence au sein des organisations d’un système implicite de relations et d’interactions, basées sur les comportements et les affinités des individus entre eux. La théorie de la motivation, développée entre autres par A. Maslow, ont permis de mieux comprendre les besoins des individus dans leur quête de développement personnel.

Occultée par la vision mécaniste de l’organisation, cette découverte a été à l’origine du développement de la gestion des ressources humaines : "augmenter le rendement et la satisfaction du travailleur, tout en améliorant la qualité de la production". Cette vision dualiste, individu et technique, a conduit à considérer les organisations comme des systèmes socio-techniques, où l’interdépendance des besoins techniques et humains, prime.

Concevoir les organisations et leur évolution dans le cadre de leur environnement, a conduit à l’élaboration d’une nouvelle approche : la systémique. L’organisation est étudiée selon un ensemble de systèmes dont les relations, qu’elles soient humaines, politiques, économiques ou techniques, sont interdépendantes.

Cette vision apporte à l’organisation une dimension d’anticipation, dans ce qu’elle suppose de contacts rapprochés avec son environnement et ses structures internes, et une dimension d’efficacité, dans la mesure où cette vision englobe des paramètres techniques, économiques et socio-culturels, reliés et interdépendants les uns des autres.

La théorie des systèmes implique concrètement qu’il existe autant de types d’organisation que d’environnements, dans la mesure où cette théorie élabore le principe selon lequel c’est l’environnement interne et externe qui modélise l’organisation et sa gestion en interne.

A partir de leurs études réalisées dans les années 50, deux chercheurs britanniques, T. Burns et G.M. Stalker, ont défini trois types d’environnements qui impliquent chacun, une modélisation particulière de l’organisation.

- Un environnement stable se caractérise par des techniques de production maîtrisées et des besoins de consommateurs connus et canalisés. Modèle mécaniste, où l’individu reste un instrument de production.

- Un environnement moins stable caractérisé par des techniques de production qui évoluent et des besoins à définir avec le client. Modèle organique, qui réclame une capacité d’adaptation où les individus s’informent et coordonnent leur activité en dehors du système hiérarchique établi.

- Un environnement instable où l’innovation est un principe de survie. Modèle organique très ouvert, qui positionne l’individu dans l’organisation au travers de ses compétences, de son savoir-faire et de sa contribution générale à l’ensemble.

Cette analyse forme la base de la théorie moderne de la contingence. Ce sont deux chercheurs de Harvard, Lorsch et Lawrence qui par le biais de leur travaux, ont confirmé et donné une impulsion nouvelle à cette théorie. L’environnement d’une organisation est le facteur essentiel du type de modélisation à mettre en place : il se peut que cohabitent plusieurs types d’organisations adaptés chacun à un environnement spécifique au sein d’une même structure.

Ainsi, dans une même entreprise, certaines activités de gestion et de production peuvent être conçues sous un angle mécanique et d’autres sous un angle organique. En fin de compte, cette théorie tend à prouver qu’il est possible d’atteindre les mêmes objectifs par des dispositifs différents.

Les travaux entrepris par H. Mintzberg et poursuivis par Miller et Friesen ont montré que l’efficacité d’une organisation dépendait effectivement de la cohérence entre ses structures, sa taille, ses techniques et son environnement. Ainsi, il est logique de dénombrer plusieurs types d’organisation qui sont une réponse aux contraintes de l’environnement : l’adhocratie, des formes d’organisations en grappe, en trèfle, fédérales ou bien encore matricielles.

Bien qu’il soit prouvé qu’une organisation, qui se veut efficace, réponde à des conditions environnementales particulières, il existe deux courants théoriques qui s’opposent quant à la question de la pérennité des organisations dans leur environnement.

Ces deux théories partagent une vision commune qui s’attache à distinguer l’organisation et le milieu, les considérant comme des phénomènes indépendants. Les développements récents de la théorie moderne des systèmes ainsi que les réflexions menées par les biologistes, remettent en cause cette approche dualiste en faisant ressortir que les organisations, au même titre que les organismes biologiques, et leurs environnements sont tributaires les uns des autres.

L’organisation doit être comprise, étudiée et analysée dans un système global qui sous-entend que l’organisation et son milieu sont engagés dans une forme de cocréation où chacun contribue à produire l’autre.

Analyser et concevoir l’organisation sous la forme d’un organisme, permet de comprendre l’action et l’incidence du milieu environnant, de mener une gestion des ressources humaines en vue de créer un milieu beaucoup plus harmonieux et productif.

Enfin, cette métaphore donne un large éventail de possibilités, tant dans la conception des organisations que dans la mise en valeur de l’innovation.

Toutefois, représenter l’organisation sous la forme d’un organisme peut engendrer à court ou moyen terme une vision unique où chaque individu serait considéré comme une ressource à développer, annihilant du même coup la spécificité et la caractéristique humaine. En effet, concevoir l’organisation selon un modèle copié dans la nature, occulte partiellement ou complètement la capacité humaine à influencer son environnement.

Cette vision met aussi l’accent sur le fait qu’un organisme est constitué d’une multitude de cellules, qui, si elles ne produisent pas dans une même logique conduit à la disparition du système tout entier. Il en va de même pour une organisation.

 

La métaphore du cerveau propose de concevoir l’organisation comme le fruit d’une interaction entre des entités. A l’image des deux hémisphères qui composent notre cerveau, l’organisation peut-être le fruit d’une action réciproque entre hémisphères spécialisés, coordonnés et distincts qui se retrouvent dans l’action, complémentaires. Cette métaphore s’applique tout particulièrement au traitement de l’information.

L’organisation peut être perçue comme un cerveau traitant de l’information. A la base de toute organisation, on constate en effet la persistance d’une donnée fondamentale : l’information.

Les pionniers de "l’approche de la prise de décision", Herbert Simons et James March entre autres, ont, dès les années 40, présenté et analysé les organisations comme des systèmes de prises de décision.

Cette conception de l’organisation tend à démontrer que la décision organisationnelle ne peut être totalement rationnelle, comme peut l’être a contrario la décision individuelle, dans la mesure où les décideurs ne détiennent pas concrètement les moyens de gérer et de traiter toute l’information.

L’image du cerveau, capable de traiter à différents échelons l’information, la gérer et la fragmenter, permet de concevoir un modèle où les informations qui parviennent aux décideurs sont exploitables et permettent du même coup de gouverner une organisation.

La montée en puissance des nouvelles technologies de l’information, telles que l’informatique ou mieux encore "internet", transforme la vision que pouvait avoir H. Simons de la gestion de l’information et de son contrôle opérationnel. On est aujourd’hui à l’heure des systèmes d’information globale, qui ne sont plus limités à leur structure, mais qui se situent au centre de flux d’informations générales.

En perpétuelle évolution, le monde impose aux organisations, outre le fait de gérer l’information, de s’adapter continuellement. L’organisation est dans l’obligation d’innover, d’apprendre, d’apprendre à apprendre. Cette réalité des choses renforce cette métaphore du cerveau.

La cybernétique, science interdisciplinaire créée à l’origine par Norbert Wiener, s’attache à comprendre les mécanismes de l’information, de la communication et du commandement. Les principes de la théorie de la communication et de l’apprentissage, découlent des analyses et des réflexions menées dans le domaine de la cybernétique. Ces principes sont au nombre de quatre.

- Les systèmes doivent être capables de prévoir, comprendre et analyser les données de leur milieu environnant.

- Les systèmes doivent être capables d’exploiter les informations obtenues en fonction de leurs normes et procédures internes

- Les systèmes doivent être capables de mesurer et détecter les éventuelles variations entre ces informations et leurs normes internes.

- Les systèmes doivent enfin, être capables d’entreprendre les mesures correctives en vue de s’adapter.

La notion d’adaptation requiert de l’organisation qu’elle apprenne par elle-même. C’est à dire qu’elle doit être en mesure de s’adapter continuellement à son environnement pour répondre aux besoins existants et émergeants. Ce système est valide et opérationnel tant que les mesures définies par les normes internes restent en adéquation avec les évolutions environnementales. On parle alors d’apprentissage en boucle simple.

L’étape de l’apprentissage à l’apprentissage implique que l’organisation soit en mesure de remettre en question ses propres règles, conditionnements et normes internes. Cette question reste aujourd’hui au centre des préoccupations des gestionnaires.

Les études menées in vivo sur des organisations existantes font ressortir que l’apprentissage reste lié à plusieurs aspects fondamentaux d’anticipation et de remise en question.

Une organisation apprenante doit ainsi cultiver, d’une part, l’expertise de son milieu en brisant les obstacles qui l’en séparent. Il s’agit de coller concrètement à la demande et de développer des aptitudes à l’anticipation.

D’autre part, l’organisation doit se doter des compétences et des outils pour entamer un processus de remise en question. Les séances de remue-méninges, les cercles de qualité totale, l’amélioration ininterrompue (le Kaisen japonais), sont des outils donnés aux organisations et à leurs gestionnaires pour mettre en place des réflexions poussées de remise en question des normes existantes, et pouvoir ainsi promouvoir l’innovation interne.

Il existe un pré-requis à ce processus de remise en question, l’ouverture à une nouvelle culture d’apprentissage, sans laquelle l’évolution stratégique peut être bloquée par la dimension opérationnelle de l’organisation.

En somme, l’organisation doit à la fois se doter des moyens de sa remise en question sur un plan stratégique et encourager les principes et concepts organisationnels qui soient en mesure d’accueillir et d’appliquer de nouveaux processus.

Cette capacité organisationnelle à gérer une remise en question stratégique peut-être étudiée sous la forme d’un cerveau holographique. Le concept de l’hologramme permet de distinguer l’organisation sous forme de sous-systèmes dans lesquels on retrouve dans chacun d’eux les qualités de l’ensemble.

Bien que la vision holographique de l’organisation puisse apparaître d’emblée comme un idéal, il n’en reste pas moins vrai que certaines entreprises tendent déjà vers ce modèle et que les entreprises ont généralement le potentiel pour y accéder.

Ainsi, chaque individu, avec ses propres connaissances et son intelligence, les canaux d’information qui distribuent et véhiculent l’intelligence et l’information dans l’entreprise, sont les premières conditions nécessaires à l’éclosion de nouvelles formes d’intelligence.

Ce principe de l’hologramme, outre le fait qu’il implique de retrouver dans chacune des entités que le système recouvre, les mêmes qualités, sous entend que l’organisation elle-même est en mesure de continuer à fonctionner, voire à se développer, dans le cas de perte plus ou moins importante d’entités la constituant.

Concevoir une organisation de type holographique requiert de réunir cinq conditions majeures.

- Création d’une sorte d’"ADN de l’entreprise", valeur commune à tous les individus d’une même structure qui véhicule les aspirations, les normes, la culture de l’ensemble et permet ainsi à chacun de comprendre et réaliser au mieux les missions et objectifs poursuivis par l’entreprise.

- Développer l’intelligence en réseau. Cela implique des flux d’échanges et de réalisations communes qui s’effectuent par le biais de systèmes d’information adéquats.

- Prôner l’émergence de structures auto reproductrices, qui essaiment selon leurs besoins en restant soudées et intégrées à l’organisation dans sa globalité. Chacune des entités créées contient dans sa propre structure les caractéristiques de l’ensemble.

- Structurer l’ensemble en équipes holistiques et rôles diversifiés. Cette démarche consiste à concevoir une organisation sous la forme d’équipes projets (reflet des compétences et qualités de l’entreprise) qui ont la gestion complète d’une action, projet ou activité.

Le principe de redondance est à la base de tout système doué d’auto organisation. En effet, c’est le surplus de capacité qui donne à l’organisation une marge de manœuvre nécessaire quant à son évolution. Sans cet aspect de redondance, les systèmes opérants sont structurés et agissent dans un cadre limité à leurs seuls besoins. Ce principe qui consiste à laisser plusieurs voies de réflexions et d’informations perdurer, donne l’opportunité à l’organisation d’admettre plusieurs visions d’une même situation. Dans ces conditions, l’entreprise aura la faculté d’aborder la solution à un problème ou la réalisation d’un produit innovant, sous des perspectives multiples, qui du même coup généreront une réelle capacité à l’innovation en générale.

Formulé par le cybernéticien W. Ross Ashby, le principe de la variété requise repose sur l’analogie qui doit exister entre l’organisation et son environnement. Il s’agit en effet, pour un système autorégulateur de prendre en considération, à la fois la complexité et les dimensions critiques de son milieu, et de les intégrer dans ses propres structures. Si le degré de complexité ne peut être atteint par chacun des individus, il s’exprime alors au travers d’entités qui regroupent des connaissances, compétences et capacités diverses et complémentaires.

Le principe de spécification critique minimale sous entend qu’une organisation est susceptible de s’auto-organiser dans la mesure où elle dispose de suffisamment d’espace et d’autonomie pour le faire. Cette capacité réside dans l’autonomie laissée aux individus et aux groupes de travail de réfléchir et de déterminer eux-mêmes leur degré d’action. Cette autonomie responsable se situe entre l’anarchie totale et la centralisation à outrance.

Outre ces quatre principes, l’organisation doit aussi, pour accéder à ce type de représentation holographique, posséder l’aptitude et les capacités à intégrer en son sein une remise en question de la pertinence de ses normes de fonctionnement en interne.

La métaphore du cerveau remet en cause les perceptions qui ont dominé l’ère industrielle. En effet, l’importance d’une structure hiérarchique, la mise en place d’objectifs précis, la vision verticale de l’autorité et des compétences dans l’entreprise, sont aujourd’hui dépassées par l’émergence d’une théorie de gestion moderne.

Cette nouvelle perception des entreprises conduit à réfléchir plus avant sur les transformations et les incidences des nouvelles technologies de l’information sur la modélisation de leur organisation.

Toutefois, concevoir l’organisation à l’image d’un cerveau aborde la dimension complexe, variée et quelque peu abstraite du processus d’identification.

Enfin, cette nouvelle perception induit un partage et une complète refonte du système de gouvernement de l’entreprise, avec comme enjeu principal la distribution et le devenir de l’autorité et du pouvoir.

 

L'émergence du modèle japonais dans les années 70, et notamment ses succès commerciaux remportés dans les domaines de l'industrie, ont poussé les théoriciens occidentaux à étudier plus en profondeur cette nouvelle forme d'organisation.

L'apport majeur de l'étude de ce nouveau modèle a mis en évidence l'incidence et l'importance de la culture dans la construction et l'analyse d'une organisation.

Concevoir une organisation sous la forme d’une culture revient à l’étudier sous l’aspect des valeurs, des idées, des croyances, des rites et autres modèles de signification commune qui persistent et identifient les systèmes auxquels l’on fait référence.

La culture d'une organisation reste à l'image de son environnement immédiat, c'est-à-dire qu'elle est le fruit des traditions et des coutumes inscrites dans la culture nationale ou régionale : un asiatique n'a pas la même perception du travail qu'un occidental.

Il en résulte en fin de compte, que l'étude et l'analyse d'une organisation restent dépendantes de la perception culturelle que l'on a de son environnement. Cette même logique d'approche, permet de s'enrichir de la vision que peuvent avoir les étrangers de notre propre culture en comparaison avec la leur.

La culture d'entreprise s'appuie et reste le reflet, plus ou moins net des valeurs et croyances qui caractérisent nos différentes cultures. Les organisations, bien qu'elles adoptent pour certaines d'entre elles des valeurs novatrices, restent dépendantes d'une culture type qui les caractérise. Elles se développent dans un cadre culturel défini.

Pour l'individu, la culture représente les normes de son existence, et tout individu qui y déroge, sort du cadre de représentation commune et offre à la majorité l'image d'un individu en opposition. La culture c'est avant tout un ensemble de codes et de règles non écrit qui favorise et assure la cohésion et la réunion paisible de plusieurs individus.

C'est bien dans cette notion d'une culture commune que l'entreprise peut se développer. L'organisation, si elle se veut cohérente et efficace, se doit d'être conçue et pensée sur des valeurs partagées. La culture reste donc le ciment fondateur d'une idéologie et d'une organisation performante.

Concevoir l'organisation comme une culture, c'est offrir une alternative aux modes de représentations individuelles ou collectives. Changer les façons de voir, les visions et les images, les croyances et les significations communes qui servent de soutien aux réalités de l'organisation relève d'un défi majeur.

La culture de l'entreprise représente l'ensemble des comportements qui définissent l'identité d'une organisation. Le mode de comportement joue un grand rôle dans la motivation ou le désintérêt des salariés, il est largement influencé par le contexte culturel dans lequel évolue l'entreprise.

Un des aspects les plus importants de la métaphore de la culture réside dans la vision détaillée qu'elle apporte de chaque aspect de la vie organisationnelle. Les comportements, bien sûr, mais les structures mêmes de l'organisation sont le fruit d'une philosophie culturelle, qui se veut rationnelle et identitaire.

Un autre aspect de cette vision culturelle de l'entreprise met en évidence que toute organisation repose sur des valeurs et des systèmes de significations communes, et par conséquent, une fois identifiés, peuvent être à la source d'innovations et de changements organisationnels.

Le danger de ce type de représentation réside dans le désir de mécaniser et d'apposer des règles de gestion rationnelle à une donnée qui se veut en perpétuelle évolution et source de dynamisme collectif.

Les principes du concept de l'organisation vue comme une culture s'enrichissent, comme nous le verrons plus loin, de "l'imaginisation" de l'organisation comme prison du psychisme et comme instrument de domination.

 

Cette vision de l'organisation met en avant la dialectique de l'employé et du citoyen. En d'autres termes, il s'agit du parallèle qui existe pour un même individu entre sa qualité d'employé et sa reconnaissance de citoyen, des oppositions qui en découlent entre ses droits civiques et ses droits de salarié.

Le jeu des pouvoirs qui coexistent dans une organisation est comparable à un véritable système politique à l'image de nos gouvernements. Toutefois, la notion de politique au sein de l'entreprise prend des connotations négatives dans la mesure où elle reflète davantage un choix particulier qu'une action collective, fruit de négociations et de consultations.

On distingue plusieurs types de gouvernements régissant les organisations :

Le gouvernement et les pouvoirs associés sont détenus par un très petit nombre de responsables, voire d'une seule personne. Il s'agit d'organisations qui évoluent dans un environnement stable et bien défini.

Le gouvernement s'exerce par le biais de l'écriture et s'inscrit dans une autorité de type rationnel ou légal.

Il s'agit en général d'entreprises qui font preuve de souplesse, qui s'accommodent bien du changement et dont le contrôle et les pouvoirs sont distribués en fonction des compétences techniques et du savoir faire des individus.

C'est un gouvernement représentant des parties en opposition gérant des intérêts en commun. On parle alors de coalition ou de cohabitation.

Le pouvoir revient aux employés ou à des gestionnaires les représentant. Chaque individu, ou actionnaire est alors partie prenante dans la chaîne de décision.

Toutes ces formes de gouvernements trouvent leur légitimité dans leur principe de création et de fonctionnement. Il s'agit pour les unes d'assurer une cohésion totale sur un projet d'envergure, pour les autres, d'instituer en leur sein une opposition maîtrisée, source d'innovations.

Si l'on reprend les idées énoncées par Aristote, il est souhaitable d'analyser en détail les diversités d'intérêts et la manière dont ils sont appréhendés et traités, car c'est là que naît la dimension politique. Elle se caractérise alors par des manœuvres diverses, des négociations et des jeux d'influence mutuelle.

La dimension politique d'une organisation est le fruit des rapports entre intérêt, pouvoir et conflit.

Les intérêts d’un individu caractérisent ses buts, valeurs, désirs, attentes et tendances, qui sont autant de préoccupations individuelles et particulières défendues et protégées. Analyser les intérêts d’un individu au sein d’une organisation c’est prendre en compte ses désirs et aspirations concernant l’intérêt qu’il trouve dans la réalisation d’une tâche donnée, l’intérêt qui sert son désir d’évolution professionnelle et l’intérêt préservé de ses activités réalisées en dehors de l’organisation.

Le conflit naît dans l’inadéquation de la réalisation des intérêts de chacun. L’individu, dans l’organisation, adopte une attitude particulière afin d’atteindre ses objectifs personnels et répondre ainsi, tout ou partie, à ses aspirations. La notion de politique apparaît alors : combiner ses propres intérêts avec ceux du plus grand nombre. Le conflit est donc révélateur d’un déséquilibre entre plusieurs individus, ou groupes d’individus, appartenant à la même organisation, qui, bien que poursuivant un but identique, choisissent des orientations distinctes qui répondent au mieux à leurs aspirations.

En fin de compte, le pouvoir représente le moyen par lequel les conflits d’intérêts peuvent être réglés. C’est donc le pouvoir qui donne à l’organisation son dynamisme et qui reste au centre de son évolution. Le pouvoir dans l’entreprise peut revêtir plusieurs formes. Il peut-être officiel (hiérarchie), il peut être lié à la gestion des fonds (pouvoir économique), lié à la maîtrise d’une technique ou de l’information (pouvoir technique). D’autres formes de pouvoirs coexistent aussi au sein de l’organisation, telles que la faculté de composer avec l’incertitude, la capacité d’être reconnu comme porte parole d’une catégorie d’individus (représentants, syndicats), ou bien encore une certaine forme de pouvoirs issue directement de la condition de l’employé, homme ou femme.

La gestion de la dimension politique dépend directement du type de relation qu’entretient l’individu avec son organisation.

En 1979, Burrell et Morgan ont répertorié trois types de vision de l’organisation : unitaire, pluraliste et radicale.

- La vision unitaire met en avant la poursuite de buts communs, peu de conflits et des pouvoirs limités,

- La vision pluraliste mise sur la diversité des intérêts, le conflit et le pouvoir sont parties prenantes de la bonne marche de l’organisation,

- La vision radicale coordonne des intérêts antagonistes, le conflit est une caractéristique et le pouvoir est une donnée fondamentale.

Toute organisation en définitive, génère, de par la diversité de la population qu’elle emploie, des conflits d’intérêts et des sources de pouvoirs officiels et officieux, qui sont autant de possibilités de régler les différents entre individus ou groupes d’individus. La politique et la démarche politique au sein d’une organisation vise à mettre en évidence et au-dessus de toute préoccupation individuelle, des intérêts communs et rationnels.

Les jeux de pouvoir, les conflits, les modes de représentation ainsi que la prise en compte de l’existence au sein d’une même structure de diverses stratégies personnelles, conduit à considérer l’organisation comme un système de gouvernement. L’analyse stratégique permet d’étudier la dimension politique de l’organisation, par le biais de l’étude des stratégies personnelles qui sont à la base des systèmes d’action de l’entreprise.

Concevoir l’organisation comme un système politique permet d’acquérir une vision plus large et plus juste de l’ensemble. Cette métaphore nous conduit à reconnaître les conséquences socio-politiques de différentes sortes d’organisation et les rôles que ces dernières jouent dans la société.

Toutefois, l’étude et l’analyse d’une organisation sous l’angle politique peut représenter un danger dans la mesure où elles peuvent faire naître l’envie de manipulation. Dans cette optique, on s’éloigne de la vision et des buts recherchés : restructurer les relations entre les individus et les groupes d’individus au sein d’une organisation.

 

La métaphore de la prison du psychisme vient de l'idée que des phénomènes conscients et inconscients créent les organisations et les maintiennent en l'état. La notion de la prison souligne le fait que les individus peuvent se voir confinés, enfermés dans la vision et les images qui leur sont propres.

Cette notion de prison du psychisme développée par Platon et reprise par Socrate, met en évidence la transformation de la réalité que les individus opèrent à partir de la perception qu'ils ont de situations particulières.

Il en va de même pour les entreprises qui génèrent des images fortes et qui d'une certaine manière emprisonnent leurs employés dans des schémas et des visions qui ne sont que le reflet d'une certaine réalité.

En fin de compte, la manière dont les organisations modèlent le monde ne leur permet pas d'envisager d'autres modélisations. Elles se trouvent du même coup prisonnières de leur vision unique sans avoir la possibilité de prendre en compte d'autres réalités et d'être par conséquent suffisamment réactives aux nouvelles orientations.

Les prisons du psychisme sont de cette nature : des façons de penser et d'agir choisies une fois pour toutes qui deviennent des pièges qui enferment les individus dans des mondes construits par la société et qui empêchent d'autres mondes de naître.

D'après les psychanalystes, on trouve les causes de la réalité de l'organisation et de la vie quotidienne dans les préoccupations inconscientes des individus. Considération qui nous amène à comprendre l'organisation sous un nouvel axe : beaucoup de choses qui se déroulent dans l'entreprise doivent être analysées en tenant compte de la structure cachée et de la dynamique du psychisme humain.

Cette idée est largement développée par Freud, selon laquelle tout individu est prisonnier ou fruit de son expérience passée. On peut ainsi considérer l'organisation comme un produit, à la fois, de la somme des individus et de leur histoire personnelle, et de l'histoire commune et collective de l'entreprise.

La psychologie freudienne insiste sur la façon dont la personnalité se forme à mesure que l'esprit apprend à composer avec des pulsions et des désirs. Qu'il les domine ou les rejette, l'individu met en place certains mécanismes de défense, tels que le refoulement, la dénégation, le déplacement, la fixation, la projection, l'introjection, la rationalisation, la régression, la sublimation, l'idéalisation ou le clivage.

Ce type de défenses que l'individu développe face à certaines situations se retrouvent dans le comportement des organisations. Ainsi, Eliott Jacques et Isobel Menzies, ont montré que certaines structures organisationnelles pouvaient s'interpréter comme des défenses sociales contre l'angoisse.

Certains rôles dans l'organisation, cibles de formes variées d'angoisse, canalisent et redirigent ces projections. Ce qui en fin de compte donne aux employés la possibilité d'avoir le sentiment de se protéger en partie de leur propres persécuteurs.

Dans le même ordre d'idée, le psychanalyste Donald Winnicott a repris la théorie de Klein sur les relations objectales et du rôle joué par les objets transitionnels dans le développement de la personnalité de l'individu.

Winnicott met en évidence le besoin des individus à croire en quelque chose et à apposer une envie et un fort désir à une image, un objet, un titre. Ce constat aboutit à faire de cette réalité imaginée un moteur d'avancement et dans le même temps, un piège dans lequel la réalité de l'individu peut rester cloisonnée.

Si l'on porte foi aux théories de Winnicott, cette perspective ajoute à notre compréhension de la façon dont nous engageons et construisons la réalité de l'organisation. Le rôle de l'inconscient devient du même coup un des moteurs du changement et de la résistance au changement.

D'autres théoriciens, psychologues et philosophes ont étudié et analysé le comportement des individus dans le monde de l'entreprise. En fin de compte, Frances Delahanty et Fred Gemill de l'Université de Syracuse, ont résumé en une seule expression le rôle joué dans l'organisation par l'inconscient : une sorte de "trou noir".

Cette métaphore empruntée à la physique définit un champ gravitationnel invisible et pourtant intense, qui absorbe tout objet qui s'en approche. On revient alors à cette idée de prison, qui englue les individus dans une logique et une vision décalée de la réalité.

L'imaginisation de l'organisation comme prison du psychisme, met en évidence le fait que les individus détiennent la possibilité de s'enfermer comme celle de se libérer de visions restreintes de la réalité.

Cette image est aussi l'opportunité d'aller plus loin dans la compréhension d'une organisation et des tenants et aboutissants qui la caractérisent. Ainsi, le management du changement doit prendre en compte des facteurs cachés et les restituer dans une réalité plus large.

Concevoir l'organisation comme ayant de fortes données psychiques, c'est accepter de la comprendre et de l'analyser dans toute sa complexité et sa richesse, et d'attirer l'attention sur la dimension éthique de l'entreprise.

La modélisation de l'organisation comme prison du psychisme, suscite néanmoins quelques dangers à mettre en évidence. Comprendre et analyser le psychisme d'un individu c'est la possibilité offerte de le manipuler. Le risque certain est de vouloir en fin de compte rationaliser et dompter un facteur, l'inconscient, qui de par sa nature indiscipliné apporte une conscience et une richesse à l'entreprise.

Cette vision donne aussi l’opportunité de réfléchir sur les aspects psycho-dynamiques et de gestion de l’organisation.

 

Héraclite à été le premier philosophe occidental à avoir développé l'idée selon laquelle l'univers est dans un état de flux constant où l'on trouve les caractéristiques à la fois de permanence et de changement.

Plus tard, David Bohm, Physicien, à élaboré une théorie tendant à prouver que l'univers se compose d'une réalité fondamentale et d'une réalité visible à un instant donné.

L'exemple donné par Héraclite du remous dans le fleuve illustre cette théorie : "l'on ne peut mettre deux fois le pied dans le même fleuve, car l'eau n'arrête pas de couler". On distingue qu'il existe bien un ordre impliqué (mouvement du fleuve et de l'eau qui coule) et un ordre expliqué (le remous ponctuel crée par le pied dans le courant de l'eau).

Les fondements de cette théorie offrent une vision nouvelle de l'organisation. Si l'on entend l'organisation comme un flux de transformations, on s'offre la possibilité de comprendre et de gérer le changement organisationnel.

On distingue quatre mécanismes, logiques de changement, issus de théories ou de principes scientifiques.

Le terme d'autopoïèse inventé par deux scientifiques Maturana et Varela, désigne la capacité d'auto production par l'entremise d'un système de relations clos. Ce concept sous entend que les systèmes s'auto-produisent. Cette capacité est générée par le besoin de garder une identité propre. On obtient en fin de compte des systèmes qui au contact de leur environnement, entrent en interaction et finissent par se régénérer eux-mêmes.

La difficulté de cerner un système de cette nature est qu'il est construit en boucles d'interactions et que du même coup il est paradoxal de vouloir lui donner un commencement et une fin. Ce type de système a aussi été décrit par d'autres théoriciens qui en ont étudié les aspects écologiques. En définitive, le système dit d'autopoïèse doit se comprendre comme un tout possédant une logique propre.

Faire de l'autopoïèse une métaphore donne à la compréhension des organisations un nouvel éclairage : les organisations tentent sans cesse d'intégrer leur environnement dans un système d'interactions et cherchent à faire face à leur environnement tout en gardant leur identité propre.

Dans une logique de changement, cette métaphore implique qu'il est nécessaire de prendre en compte à la fois l'organisation et le milieu au sens le plus large.

Le défi de cette théorie est de cerner et comprendre comment les organisations changent et évoluent et dans quelle mesure elles agissent et interagissent sur leur milieu environnant.

L'étude de l'écologie ou de l'entreprise, comme systèmes complexes et non linéaires, à permis de mettre en évidence qu'un évènement survenant au hasard peut provoquer des situations imprévisibles, mais qu'en fin de compte un ordre cohérent naît toujours de ce type de situations.

En réalité, cette théorie montre que tout système complexe génère en son sein des systèmes autorégulateurs ou d'auto-organisation spontanés.

La mise en avant d'une telle théorie a des répercussions importantes en termes de logique de changement au sein des organisations. En effet, il est alors indispensable de repenser l'organisation, d'introduire un art de la gestion et du changement des contextes, d'apprendre à se servir des petits changements pour provoquer de grands effets et enfin, de rester à l'écoute des nouvelles métaphores qui peuvent faciliter les mécanismes d'auto-organisation.

Les travaux de Magorah Maruyama ont mis en avant le rôle de la rétroaction positive et de la rétroaction négative dans la dynamique d'un système. Il s'agit en réalité d'apporter un éclairage nouveau sur le fait qu'une action peut engendrer une série d'autres actions, ayant de plus en plus d'importance et qui en fin de compte, peuvent produire l'inverse de la situation recherchée originellement.

L'idée soulevée est de prendre conscience qu'une action et son résultat ne sont pas forcément des éléments linéaires, mais qu'il peut exister une résonance à l'action entreprise, qui conduit à un système exponentiel. L'image de la faille dans une pierre, qui s'agrandit au fur et à mesure que l'eau y pénètre, gèle et évase de plus en plus le trou, est représentative de cette idée de système complexe non linéaire.

La prise en compte de ce concept en matière de changement organisationnel conduit à étudier de manière appropriée et en profondeur les boucles importantes qui définissent un système, à éluder les conséquences des dysfonctionnements pour en déterminer les causes. Car, en fin de compte, de petits changements dans l'organisation peuvent aboutir à de grandes réalisations.

Cette logique inspirée du taoïsme et reprise par des théoriciens occidentaux, tend à montrer que tout phénomène suppose et engendre son contraire. Il s'agit en réalité de trouver un équilibre interne en exerçant une influence sur les relations entre les deux éléments fondamentaux qui constituent tout système : le ying et le yang.

Cette vision des choses représente un apport important dans l'art de la gestion. Ce type d'analyse permet aux gestionnaires de reconnaître les contradictions qui existent au sein du système et surtout de mettre en évidence de réelles solutions aux problèmes rencontrés.

Dans les années 90, le socio-psychologue Lewin a suggéré que tout changement potentiel subit une résistance exercée par des forces qui travaillent dans le sens contraire. On retrouve là le principe dialectique qui veut que toute action engendre son contraire. Toutefois, bien que ces deux théories partent du même constat d'analyse, les réponses apportées ne sont pas identiques.

Pour Lewin; la solution à l'équation réside dans l'élimination ou la réduction des forces à la résistance au profit de celles menant au changement. Le changement dialectique prône quant à lui de réunir et d'intégrer dans une même logique à la fois des éléments de l'une et l'autre des forces en présence.

En définitive, par le biais de cette approche dialectique de l'organisation, un gestionnaire peut aider au développement de nouvelles compréhensions qui remodèleront les façons de penser parce qu'il s'appuie sur l'ensemble des forces reconnues dans l'entreprise.

Voir l'organisation comme flux et transformation, c'est analyser la nature et la source du changement et en comprendre la logique organisationnelle.

Au travers de cette métaphore, l'art de la gestion s'avère être quelque peu mal mené dans la mesure où il ressort de ces différentes théories, qu'il est pratiquement impossible de prédire, organiser et commander des systèmes à la complexité aussi étendue.

Toutefois, chacune des images et des théories associées, développées dans le cadre de cette réflexion, nous amène à repenser notre façon de voir la complexité et les possibilités de mettre en place des logiques de changement adaptées aux problèmes rencontrés.

 

L’image de l’organisation vue comme un instrument de domination prolonge celle du système politique et de la culture.

Cette métaphore part d'un constat : tout au long de l'histoire, les organisations ont été associées de près ou de loin à des phénomènes de domination sociale, le pouvoir d'un petit nombre imposé à la majorité.

Plusieurs théoriciens se sont penchés sur l'étude de cette domination. Trois penseurs sont à l'origine de la prise en compte de cette aspect particulier de l'organisation.

Weber, Michels et Marx se sont attachés à comprendre comment différentes sociétés et différentes époques se caractérisent par des formes différentes de domination sociale. Dans nos sociétés modernes, la domination s'exerce d'après Marx par la recherche de la plus-value et pour Weber, c'est la logique de la rationalisation qui y conduit.

Michels rejoint les préoccupations de Weber concernant le type de domination engendrée par la bureaucratie et la rationalisation. A partir de ses travaux, Weber distingue différents types de domination :

- La domination charismatique caractérise une situation où le pouvoir est aux mains d'un seul homme reconnu par ses subordonnés et qui véhicule son autorité et sa domination par le biais de disciples ou intermédiaires.

- La domination traditionnelle s'inscrit dans une logique de tradition. Le pouvoir est transmis de génération en génération et sa légitimité repose sur le respect des valeurs traditionnelles.

- La domination relationnelle légale est légitimée par des lois et des règles. Accéder au pouvoir implique de suivre les mécanismes et le cheminement adéquats dans l'organisation.

De nombreux théoriciens radicaux s'accordent à dire que, bien qu'ayant parcouru beaucoup de chemin depuis le temps de l'esclavage, les organisations modernes produisent encore certains aspects de l'exploitation des individus, notamment en reproduisant la structure des classes sociales dans leur structure, la façon dont elles traitent les risques professionnels et gèrent les maladies dites psychosomatiques.

La montée en puissance de l'industrie au début du 20ème siècle a institué lentement un partage des tâches et des responsabilités. L'emploi de la main d'œuvre salariée a amené les dirigeants à insister davantage sur le rendement et à concentrer leurs efforts sur la meilleure utilisation possible du temps passé à l'usine.

La division des classes dans le milieu professionnel est née de la cohabitation des ouvriers et des gestionnaires, chargés de rentabiliser le travail et de rationaliser la production.

L'étude de la structure des emplois dans les sociétés occidentales montre que ce sont les groupes minoritaires et défavorisés qui exercent les métiers les plus ingrats. Ce constat met en avant le parallèle existant entres les organisations et les sociétés dans lesquelles elles prospèrent dans la mesure où elles en reproduisent les modèles de préjugés et de discrimination.

La discrimination d'individus ou groupes d'individus existe à travers le monde. L'organisation, quelle que soit l'idéologie dans laquelle elle se développe, semble donner forme à des modèles systémiques d'exploitation et de domination sociale.

Marx a attiré l'attention sur la façon dont beaucoup d'entreprises de son époque obligeaient leurs employés à travailler dans des conditions effroyables. Aujourd'hui de nombreux chercheurs en santé et en sécurité au travail estiment que les conditions ont bien changé. Ce sont les lois et les obligations faites aux employeurs qui améliorent les conditions de travail.

Cependant, les accidents et les maladies du travail continuent à frapper les êtres humains de façon alarmante. Aux Etats-Unis, on évalue le nombre de décès attribuables au travail, directement ou indirectement, à près de 56.000 par an.

En dépit des progrès réalisés dans le domaine professionnel par la mise en place de lois sur la sécurité et la santé des salariés, l'opposition entre les coûts et la santé reste un facteur officieusement intégré dans la prise de décision au sein d'une organisation. C'est souvent la considération économique qui l'emporte.

En fin de compte, des exemples extrêmes cohabitent avec des exemples à suivre en matière de sécurité et de santé au travail. Il n'en reste pas moins vrai que pour la majorité des organisations, ce sont les résultats financiers qui priment face à la sécurité.

Ce type de manifestation concerne davantage les employés du secteur tertiaire dans la mesure où ils se trouvent en général en dehors d'une logique d'efforts physiques ou de manipulations à risques.

Le stress naît du manque de sécurité ressenti par les employés dans leur activité professionnelle. Le niveau de tension que l'on éprouve au travail peut être réduit par une meilleure gestion du temps consacré aux activités professionnelles et aux activités extra professionnelles.

Il semble cependant qu'un certain niveau de stress soit endémique. Les organisations s'en nourrissent et parfois le créent pour améliorer leur efficacité. En réalité les études menées dans ce domaine tendent à prouver que le stress, même si dans un premier temps il est bénéfique, finit par engendrer des conséquences coûteuses telles que les absences et les maladies de longue durée.

Pour assurer sa domination, l'organisation a recours à des instruments de surveillance, qui produisent autant de tension entre les membres d'une même structure. Cet état de fait conduit un certain nombre d'individus à se dépasser et à tenter de se réaliser dans le travail. Les conséquences sur la vie quotidienne sont souvent désastreuses : le travail devient alors l'unique référence.

Le 20ème siècle marque aussi l'émergence d'organisations multinationales qui détiennent pour beaucoup d'entre elles, des pouvoirs et des capacités financières largement supérieurs à ceux de certaines nations. Les entreprises de ce type exercent notamment leur domination à l'étranger en vue de s'approvisionner en matières premières et de développer leur réseau de commercialisation.

Pour maîtriser leur environnement, les multinationales pénètrent le domaine politique. Elles constituent aujourd'hui une très importante force politique dans l'économie mondiale, qui n'ont pas à rendre compte de ce qu'elles font.

Les options choisies et les tendances suivies par les multinationales, toujours centralisées sur des aspects liés à leur rentabilité et à leur croissance, conduisent à la décentralisation ou suppression de certaines de leurs activités, qui entraînent à des niveaux régionaux ou nationaux, des situations de crise sociale aiguë.

Ce qui ressort en fin de compte de cette analyse, c'est que les multinationales exercent une véritable domination, non plus au niveau d'une structure ou d'une région, mais bien à un niveau planétaire. Les valeurs qui les caractérisent sont de même véhiculées à travers le monde.

Ce que révèle cette métaphore de l'organisation vue comme un instrument de domination, c'est que les effets négatifs constatés ne sont pas obligatoirement intentionnels mais qu'ils sont la conséquence d'une certaine optique mercantile.

Le rôle le plus important de cette image est d'attirer notre attention sur la nature à double tranchant de la rationalité. Peut-on dire d'un acte qu'il est rationnel s'il conduit dans le même temps, à l'augmentation des profits et à la paupérisation et à la maltraitance d'êtres humains ? Ce qui est rationnel d'un point de vue organisationnel ne l'est pas forcément d'un autre point de vue.

Cette vision permet de saisir et de mettre en avant les logiques potentielles d’exploitation des entreprises et offre la possibilité d’analyser l’organisation selon le point de vue des groupes qu’elle exploite. Cette approche permet enfin de concevoir l’organisation de deux points de vues divergeant et mettre ainsi en avant des logiques de perception et d’actions différentes.

 

Les organisations sont complexes et peuvent être représentées de multiples façons. Chacune des métaphores utilisées ou la combinaison de plusieurs représentations d'une organisation conduit de même à multiplier sa complexité.

Ce constat implique pour les gestionnaires chargés de diriger et de rationaliser ces organisations, d'être à l'écoute des possibilités de représentations diverses qu'offre l'imaginisation, sans perdre de vue la difficulté de la tâche à accomplir.

Une difficulté apparaît aussi dans le choix de la représentation que l'on souhaite faire d'une réalité. Des modèles existent, certes, mais chacun détient une donnée nouvelle. En fin de compte, le choix de la modélisation reste entier dans la mesure où chacune des métaphores offertes à l'esprit ne sera qu'une représentation de la réalité, avec ses forces, faiblesses et la déformation logique qu'elle sous-entend.

Le réel défi de la métaphore réside non pas dans la représentation que l'on fait d'une situation ou d'un objet, mais dans l'analyse qui en découle. Ainsi, une situation sera perçue au plus juste, si une mise en valeur différente, par le biais de modèles distincts, a été pratiquée.

Ce qui en réalité distingue un bon gestionnaire, c'est sa capacité à prendre du recul et à l'aptitude qu'il développe dans la lecture et la formulation des situations et évènements qu'il analyse.

 

Commentaire

L’opportunité donnée aux gestionnaires d’analyser des situations particulières et de prendre les décisions les plus adaptées, réside dans l’aptitude qu’ils ont de modéliser une organisation dans son milieu. Cette perspective ouvre un large éventail de possibilités, tant dans la conceptualisation de l’organisation que dans les opportunités d’actions à entreprendre.

Ce que rappelle cet ouvrage de Gareth Morgan, c’est qu’au delà des images et des représentations que l’on peut faire de l’organisation, les méthodes et les approches analytiques sont autant de points de réflexions que de possibilités d’actions.

La pertinence des "images de l’organisation" réside dans son degré d’actualité. Concevoir l’organisation comme une machine pourrait aujourd’hui paraître dépassé, et la représenter sous la forme d’une entité biologique hybride, avant-gardiste. Il n’en est rien dans la mesure où tout type d’organisation peut-être actuellement observé, ce qui en en fin de compte, replace l’organisation et son mode de fonctionnement dans un environnement défini et particulier.

Dans la logique de la représentation des différentes formes que peut revêtir une organisation, l’auteur s’attache judicieusement à mettre en évidence, outre les exemples forts d’une actuelle réalité, les avantages et inconvénients des métaphores choisies.

Cette remarque conduit à considérer le processus métaphorique comme utile, dans l’aide qu’il apporte à la compréhension d’une situation, et limité, dans la restriction que toute représentation de la réalité sous-entend.

Enfin, cet ouvrage reste une source importante d’informations dans la mesure où l’organisation est étudiée et analysée sous différents angles. La somme des métaphores présentées par l’auteur approche d’une réalité existante.

L’image d’une organisation où la complexité empêche une juste compréhension est remplacée par une représentation "visuelle", qui s’exprime par le biais d’objets ou de concepts appartenant à notre environnement.

Le processus d’analogie entre réalité et image offre ainsi de grandes possibilités de réflexion mais reste une démarche intellectuelle à manier avec beaucoup de circonspection, dans la mesure où la représentation que l’on fait d’une situation reste parcellaire et jamais exhaustive.

 

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