LA GUERRE DU TEMPS

Le travail en quête de mesure

De Jean LOJKINE et Jean-Luc MALETRAS

 

 

 

Sommaire

 

 

 

I _ Présentation des auteurs

 

II _ Ce que nous montrent les auteurs

 

III _ Postulats

 

IV _ Comment les démontrent-ils ?

 

V _ Résumé

 

A ) De la révolution industrielle à la révolution informationnelle

Le flux informationnel

Une contradiction qui touche de plus en plus de salariés

Derrière le mythe de Taylor, la rentabilité financière

Temps marchands, temps non marchands

 

B ) Le contexte de deux accords de la RTT

La généralisation du pointage dans P

Auto – évaluation du temps de travail dans l’entreprise A

L’avis des syndicats

Les ingénieurs : un groupe divisé ?

Les techniciens : entre l’identité ouvrière et l’identité cadre

Les secrétaires : un métier en voie de disparition ou un métier d’avenir ?

 

C ) Une productivité en quête de mesure

La RTT rattrapée par la charge de travail et la pression sur les salaires

L’impossible mesure de la productivité informationnelle

Les cercles vicieux informationnels

Le tabou de la rentabilité

Une normalisation illusoire

 

 

D ) Une nouvelle organisation conflictuelle

L’informatisation à l’envers

Vers l’organisation transversale

Une nouvelle division du travail

Les pilotes des affaires

Les gestionnaires de configuration

E ) Des relations sociales en crise

Le tabou de la gestion

Le TRILD : un échec qui n’a pas été analysé

La crise des relations de confiance

Le combat des organisations syndicales

L’action syndicale pour un autre usage de la bureautique

Expression directe : concurrence ou complémentarité ?

Anticiper le changement : l’exemple des ERP

Le projet PHIDIAS

F ) Conclusion

Un miroir grossissant des mutations du travail

Une imbrication nouvelle entre travail et vie familiale

Un temps de travail en quête de mesure

Le travailleur flexible du capitalisme informationnel

Une crise d’efficacité

De nouveaux droits à conquérir

 

 

 

I _ Présentation des auteurs

Jean LOJKINE est directeur de recherche au CNRS et mène depuis quinze ans des études sociologiques sur les mutations du travail et sur l’intervention syndicale dans la gestion.

Diplômé en sciences de la production et des organisations, Jean-Luc MALETRAS a été successivement responsable du suivi de l’industrie électronique à la fédération CGT des travailleurs de la métallurgie, conseiller technique à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales et enfin directeur de la recherche à l’Institut Syndical d’Etudes et de Recherches Economiques et Sociales.

Ils sont tous deux auteurs d’un grand nombre d’articles et d’ouvrages.

 

II _ Ce que nous montrent les auteurs

Cet ouvrage est le résultat d’un long travail d’observation et de recherche. En effet, les auteurs établissent un véritable constat de l’existant mettant en évidence la fin de l’ère de la révolution industrielle au profit d’une révolution informationnelle. Cette dernière, comme nous allons le découvrir, génère de nouveaux modes de pensée et d’action produisant eux-mêmes des pertes de repères et de valeurs entre les salariés de tous les niveaux ainsi que des difficultés à exécuter ses nouveaux fonctionnements dans un code du travail ne collant plus à la réalité du moment ou des règles de fonctionnements obsolètes.

Ainsi, les auteurs chercheront à nous montrer les mutations que le travail subit à travers la nouveauté du travail informationnel cassant les anciens cloisonnements entre les cadres, ingénieurs, techniciens, administratifs et opérateurs ; que le transfert des activités improductives sur les opérationnels, cadres ou non, perturbent les institutions d’alors ; ou encore, que la remise en cause des anciennes valeurs et méthodes d’évaluations devraient, avec l’ère de la révolution informationnelle, dépendre des capacités, des compétences et des qualités de coopération des employés, afin de développer une véritable efficacité dans la chaîne de régulation de l’information.

Les auteurs dénonceront les malaises et les tensions conflictuelles que l’on rencontre dans les entreprises, tous secteurs d’activités confondus, en raison de la course à la rentabilité entretenue par le système capitaliste. Aussi, tenteront-ils ne nous proposer des solutions, " syndicalement " pensées, aux dysfonctionnements complexes constatés en prônant la concertation de tous les représentants de l’entreprise, patrons, cadres, salariés et instances syndicales afin de construire de nouveaux modèles de fonctionnement et d’organisation du travail.

 

III _ Postulats

Les constats, les questions et les propositions développés par les auteurs ne font pas ressortir un postulat unique. A partir de la remise en cause des méthodes d’évaluation du temps du travail, l’ouvrage nous mène à plusieurs sujets de réflexion d’où un certain nombre de postulats. En voici quelques-uns :

3 La révolution industrielle est achevée. Nous sommes dans l’ère de la révolution informationnelle. Les méthodes d’évaluation du travail de l’ère Taylorienne sont donc obsolètes.

3 Le salarié d’aujourd’hui, polyvalent, fait l’expérience des surcharges de travail provoquées par la logique de la rentabilité.

3 La logique de décentralisation, de mise en réseau, de liaisons horizontales facilitant la coopération entre métiers et fonctions cloisonnés se heurte à la logique gestionnaire qui continue d’évaluer la productivité du travail informationnelle comme s’il s’agissait d’un travail de fabrication industrielle.

3 La transformation des processus économiques génère des changements sociaux et professionnels importants.

3 Pour développer l’innovation, dans un monde professionnel et social de plus en plus complexe, la seule méthode de réussite reste l’instauration d’un dialogue social.

 

IV _ Comment les démontrent-ils ?

Pour la réalisation de cet ouvrage, les auteurs s’appuieront sur des expérimentations syndicales exercées dans le monde de l’industrie de l’électronique. Ils mettront en avant le fait que notre société est passé de l’ère de la révolution industrielle à celle de la révolution informationnelle.

La démonstration se déroule à partir d’un constat de changement socioprofessionnel apparu il y a une vingtaine d’année et qui prendra tout son sens à la mise en place des Aménagement de la Réduction du Temps de Travail, les 35 heures. Bien que le temps de travail ai été réduit à la satisfaction générale des salariés, la stagnation des effectifs, la suppression en douceur des acquis des salariés dans les entreprises, la généralisation de la polyvalence et de la polycompétence ou encore l’augmentation du travail en équipe sont à l’origine des surcharges de travail. Les enjeux sociaux et économiques remettent en cause un grand nombre de principes, depuis la mesure du temps de travail jusqu’à la question des pouvoirs dans l’entreprise.

Les auteurs accusent le système capitaliste de favoriser la logique de la rentabilité au détriment d’une surcharge de travail et des temps de formation, de concertation ou de réflexion. Les outils de l’information, l’informatique, permettant l’amélioration des conditions de travail et facilitant la gestion des entreprises sont malheureusement trop souvent utilisés comme des outils de suppression de postes et des moyens pour transférer les tâches " improductives " des administratifs sur les opérationnels.

Conscients des conséquences que peuvent générer la refonte des fonctionnements et des organisations de l’Entreprise tant nationale, européenne qu’internationale, les auteurs proposent de valoriser le dialogue social entre tous les partenaires concernés – patrons, salariés et représentants syndicaux – dans le but d’accompagner cette transformation économico-culturelle et de rechercher, prévoir le meilleur compromis possible, en fonction des différents besoins des activités professionnelles et de ses acteurs, afin de mesurer et définir les charges de travail selon de nouveaux critères d’efficacité.

 

V _ Résumé

A ) De la révolution industrielle à la révolution informationnelle

Selon les auteurs la révolution informationnelle s’opposerait à la révolution industrielle pourtant à l’origine du développement capitaliste. Cette dernière se caractérise " par une révolution technologique dans un secteur précis de l’économie : l’industrie ". La révolution informationnelle quant à elle " concerne toutes les branches économiques et plus largement, toutes les branches d’activités de la société, et pas seulement professionnelle, comme le prouve l’essor de la domotique et des multimédias ". Les instruments de mesures classiques sont, de ce fait, bouleversés. Mais la seule apparition de l’outil informatique, l’ordinateur, n’explique pas seul le fait déclencheur de cette révolution. Il faut y associer " l’usage humain de l’informatique ". En effet, cette association a permis une transformation des structures organisationnelles des entreprises comme de la société.

Les structures sont touchées au cœur des postulats Tayloriens. Les capacités intellectuelles des salariés, à tous les niveaux, sont utilisées à l’aide d’une circulation accrue de l’information et des connaissances. Ainsi, " l’intelligence " des ouvriers peut rivaliser avec celle des ingénieurs.

Le concept du " reengineering " permet une translation des fonctions du haut vers le bas ; C’est à dire de transférer les fonctions " nobles " détenues auparavant par l’ingénierie vers les opérateurs. Seules les fonctions touchant à la stratégie restent verrouillées et monopolisées. Cependant ce concept, au lieu d’enrichir l’échange et le partage informationnel entre les personnes ou les services, ne semble être utilisé que pour des objectifs de rentabilité et de concurrence. : " les relations de coopération sur un pied d’égalité entre grandes entreprises et sous – traitants, usagers et fabricants, sont transformées en relations de domination où les plus puissants cherchent à transférer sur les entreprises les plus faibles des obligations de résultats qui impliquent l’intensification du travail, la précarisation des statuts et une course sans fin aux délais de plus en plus courts ". Ceci engendre individualisme et méfiance entre les personnes de tous niveaux hiérarchiques ou les services.

Les activités dites improductives, qui ne fabriquent pas de produits ou de services, comme celles dites productives font aujourd’hui les frais d’une dérive. En effet, on utilise l’informatique pour automatiser afin d’amoindrir les coûts du travail. Cependant, automatiser n’est pas informatiser. En effet, l’automatisation est un outil du système capitaliste car il tend à remplacer le plus possible l’Homme par des machines. En revanche l’informatisation cherche à développer l’inter - activité informationnelle entre les hommes par l’intermédiaire de nouvelles technologies ( ordinateur et multimédias ). Lorsque le concept est bien utilisé il n’est pas choquant d’observer un changement ou un transfert d’activité. Lorsqu’une activité est supprimée, en raison de l’apparition d’une machine permettant son remplacement, la régénération d’une nouvelle activité se produit. Il y a donc amélioration de l’activité professionnelle et des connaissances de l’individu. Malheureusement, fore est de constater que les entreprises ne pratiquent pas assez cette politique de reconversion et de formation des personnels. Aussi, les cadres démunis de secrétaire, car remplacée par l’ordinateur, se voient attribués les tâches subalternes en raison des réductions de personnel. Les fonctions du cadres sont en pleine mutation. Ils s’occupent aussi bien " des décisions importantes que des pécadilles ".

Le flux informationnel

Preuve est que le Taylorisme n’a pas quitté l’esprit du patronat lorsqu’il parle de " logique de flux " faisant ainsi l’amalgame entre flux physique et flux informationnel. Car avant tout un flux se caractérise par " un débit continu, ininterrompu, unilatéral, irréversible, depuis une source jusqu’à son réceptacle ". En ce qui concerne le traitement informationnel, on ne peut pas parler de " flux mais d’échange réciproque entre au moins deux locuteurs, donc possibilité de revenir en arrière, de changer de rythme temporel, voire d’arrêter l’écoulement du temps, donc de stocker pour mémoriser une information et réfléchir ".

C’est la raison pour laquelle, une fois ces différences comprises, il est aisé de constater que l’image du flux ( ou plutôt le traitement ) de l’information ne peut être continu. Tout comme le flux physique, celui de l’information subit des aléas de traitement que seules la concertation et l’analyse peuvent résoudre impliquant obligatoirement une interruption dans le temps. Les principes du juste à temps se trouvent donc contrariés par ce que l’on peut nommer les " caprices du flux ", mettant un terme aux rêves des patrons ou encore de certains managers et gestionnaires.

Ainsi, les entreprises devraient prendre comme principe celui du savoir prendre du temps avec les hommes pour régler les dysfonctionnements socio - techniques afin de ne pas perdre du temps dans la suite du traitement. Seulement, un tel principe va à l’encontre du productivisme capitaliste. Par conséquent et du fait des objectifs de la rentabilité, la réduction voire la suppression d’échanges homme – homme, ne fait qu’augmenter les conflits relationnels dans l’entreprise.

Une entreprise qui bâtit sa politique sur la productivité et la rentabilité en misant sur le débit, la vitesse et le volume du flux écoulé sans faire appel aux moyens et aux principes du traitement de l’information ( c’est à dire en faisant abstraction du gain supplémentaire immédiat en terme de chiffre d’affaire ) ne peut prétendre à fidéliser ou à améliorer l’image de ses services ou produits. Ceci va à l’encontre du flux informationnel qui compte sur l’arrêt du débit pour du temps disponible afin de trier les information et leur donner un sens. Ainsi, sous forme de réseaux, les individus sont capables de diagnostiquer et de proposer des solutions efficaces. Cependant, la réussite du traitement des dysfonctionnements constatés ne peut être efficace que si :

3 il y a une mobilisation des capacités humaines qui découle d’une participation volontaire et délibérée des salariés.

3 il y a une volonté de synthétiser et d’organiser les flux énormes des informations c’est à dire sélectionner les informations stratégiques qui donnent un sens à l’ensemble des informations.

Mettre en œuvre de tels principes dans les entreprises industrielles ou de services n’est pas aisée. En effet, les difficultés résident à faire comprendre la nécessité de dégager du temps pour réfléchir au détriment des lois de la rentabilité. Il est certes plus facile de mesurer les impacts économiques réalisés à partir de gains de temps machine que sur des réflexions demandant la mobilisation de personnel improductif. "  Le paradoxe des nouveaux temps modernes, c’est que le travail a changé, mais pas sa mesure. Les entreprises exigent de plus en plus des capacités réflexives et relationnelles, de l’autonomie, et donc du temps disponible pour réfléchir, pour concevoir, pour décider, mais en même temps la mesure du temps de travail reste toujours aussi contraignante, toujours subordonnée au temps débit de la circulation marchande ".

Une contradiction qui touche de plus en plus de salariés.

Les exigences de qualité de produits ou de services déclenchent bien souvent un bon nombre de contraintes temporelles. Ceci est un phénomène récent et en constante évolution dans les entreprises. Cela demande la mise en place d’une nouvelle organisation qui doit faire appel à l’information à tous les niveaux de la structure de l’entreprise. En effet, les métiers évoluent et le salarié accroît son autonomie. Cette dernière ne peut être effective que s’il existe réellement une formation et une qualification des personnes de l’entreprise. Nombreux sont les exemples démontrant les limites d’une prolifération de l’autonomie sans formation solide.

Aussi, ce type de dysfonctionnement se retrouve dans un bon nombre d’entreprise et produit ainsi une pression temporelle exercée sur les salariés dans le seul but d’une recherche de gains de productivité. Avec l’autonomie, les salariés se croient dotés d’une responsabilité plus étendue que leur responsabilité initiale. Cet engrenage est la conséquence des contraintes délai / autonomie. Et tout cela, génère un mauvais climat social dans l’entreprise qui recherche sans cesse des ouvriers, techniciens ou des managers polyvalents, polycompétents, diplôme et qualification toujours plus hauts. Comment s’étonner alors de la réaction de rejet et de stress de la part des salariés lorsque le temps nécessaire à l’échange, à l’analyse, tout simplement à l’information, est négligé pour " assurer le flux coûte que coûte " ? Cette course à la productivité, l’absence de promotion sociale, les bas salaires, la pénibilité du travail ne favorisent en rien le souhait à de nouvelles responsabilités surtout lorsque le patronat ne propose rien de sérieux en matière de formation et promotion et plus particulièrement aux ouvriers non qualifiés. Les exigences de respect des délais sont si présentes et importantes dans cette mise en œuvre capitaliste qu’elles provoquent une démotivation de la part des salariés et notamment des jeunes. Finalement, ceci mène à l’inefficacité et représente un frein à l’innovation. L’organisation Taylorienne voulait chasser toute initiative, enfermer l’ouvrier dans l’exécution rapide d’une tâche selon des prescriptions aussi précises que possible avec une armée de travailleurs indirects pour soulager de toute réflexion, de toute velléité d’analyse personnelle. L’organisation actuelle veut tout le contraire, mettre en avant les capacités intellectuelles de chacun et à tous les niveaux. Mais il suffit de visiter les entreprises appliquant une telle démarche pour comprendre que rien n’a évolué, si ce n’est la pression, le stress ou encore le manque d’initiative. A force de tendre vers la production au plus juste, les organisations se sont privées de toute élasticité en y rencontrant au passage les limites d’acceptabilité sociale.

Derrière le mythe de Taylor, la rentabilité financière.

Comme nous l’avons vu, les organisations Tayloriennes sont chahutées par la révolution informationnelle, obligeant les entreprises à modifier leur organisation ainsi que leur structure. Le mode de fonctionnement est donc changé, les informations ne circulent plus que dans un seul sens, les connaissances et les responsabilités sont étendues et redistribuées, les objectifs sont partagés, la confiance est le maître mot des relations professionnelles. C’est le résultat du passage d’une structure hiérarchique pyramidale à une structure hiérarchique plate. La problématique réside dans le fait d’adapter les organisations du travail aux exigences de la révolution informationnelle sans changer les critères de gestion capitalistes. Aussi, la politique patronale consiste à la réduction des effectifs afin de conserver la rentabilité en augmentant la productivité. Cette politique est d’autant plus présente en raison de l’inaction des syndicats pour contester ces actions patronales.

Les critères de gestion des grandes entreprises reposent sur 3 niveaux de pouvoirs et de savoir : un premier niveau opérationnel qui est celui de la productivité et du capital matériel, piloté par des indicateurs physiques. Le niveau intermédiaire est celui de la compétitivité et de la " profitabilité " mesurable par le bénéfice net sur le chiffre d’affaires, le calcul des coûts et la part de marché. Le troisième niveau est celui de la stratégie réservé à la direction générale mesurant l’efficacité économique entre le capital versé et les résultats obtenus. Une telle organisation permet de répondre à la révolution informationnelle ainsi qu’aux exigences du système capitaliste, cependant cela se fait aux détriments des salariés. Un certain nombre de solutions intermédiaires ne serait _ il pas envisageable ?

Dans le secteur de l’automobile des essais impossibles de mariage entre " une révolution profonde dans l’organisation du travail et l’intensification du travail avec la réduction des effectifs " ont été mené. Des groupes de travail, de cercle de qualité ou encore autonome se sont créés pour tenter d’améliorer l’engagement et la motivation des hommes au travail. Dans le même temps, on a continué de mesurer cet engagement afin de pallier les irrégularités des machines, pensant que l’homme aurait la capacité à résoudre le problème dans un minimum de temps au plus prêt des machines. Malheureusement, ce concept n’a pas fait ses preuves. En effet, pour un contrôle de haut niveau, l’homme est dans l’obligation de se dégager de la machine pour appréhender le dysfonctionnement. En fait, ce système mettait en évidence un retour en arrière à savoir une réflexion à l’extérieur de la zone de production comme pouvait l’être le bureau des méthodes par exemple. Si l’expérience s’est soldée par un échec, il ne réside pas dans le résultat technique mais bien dans celui du social. En effet, les salariés ont rapidement compris l’intérêt d’une telle politique patronale. Le travail en groupe est " une formule permettant de réduire le nombre de poste de travail et d’accroître l’implication de salariés ". Une résistance salariale s’est peu à peu formée générant ainsi de multiples problèmes ( absentéisme, rebut, démotivation, etc. ). Face à ce mouvement, le patronat riposte. Il adopte des stratégies déstabilisantes pour le salarié : obligation de travailler en équipe 2x8 , 3x8, en VSD, suppression des pauses, etc. Ceci est une logique de " production de plus value absolue " comme l’a décrit Marx.

Les entreprises capitalistes utilisent les technologies de l’information en en mesurant les résultats comme s’il s’agissait de mesurer ceux des machines. La productivité ne peut plus se mesurer comme dans le travail industriel d’autrefois avec des unités et des temps standardisés. " Il ne suffit pas de produire plus en moins de temps des produits standards, il faut aujourd’hui produire mieux des produits de plus en plus complexes où la part de travail intellectuel, de recherche – développement ne cesse de grandir et d’alourdir les coûts de conception, alors que la reproduction – fabrication en série coûte de moins en moins cher ".

Temps marchands, temps non marchands

Au temps de Marx, l’organisation industrielle avait, entre autre, comme objectif la " chasse au temps mort ". Depuis la révolution informationnelle, cette " chasse " est devenue utile et indispensable pour répondre aux exigences du concept de la qualité se traduisant à présent en " temps de réflexion " permettant d’étudier, réfléchir, améliorer, innover, etc. Seulement, et d’après les auteurs, ce temps dégagé sert essentiellement l’entreprise capitaliste afin d’augmenter la productivité. Lorsque la machine produit, elle travail dans un temps bien défini. L’automatisation des machines rend l’homme inactif pendant que la machine produit. Cette dernière est donc productive contrairement à l’homme qui lui est improductif, sans parler des avantages que peut représenter la machine : précision, rapidité, etc. Le temps non marchand, improductif, de l’opérateur doit être utilisé. C’est là qu’interviendront les nouvelles organisations reposant sur l’information, la communication, l’échange et la réflexion. Ainsi, le gain de production est doublé, d’où une plus value de temps de travail pour un effectif moindre et une qualité égale. Ainsi, l’utilisation massive des machines outils dans les usines a permis la production d’un plus grand nombre de marchandises pour un effectif diminué. La durée du travail journalier en est peu à peu diminuée. Ceci va dans le sens de la mise en place des 35 heures mais également dans le sens du patronat qui réalise des gains sur l’engagement des salariés dans leur travail. Aussi, fore est de constater que le temps de travail, non rémunéré et la prolongation des heures journalières de travail tendent à se développer. Cela est engendré par les nouvelles organisations de l’entreprise qui, comme les anciennes, ne se sont pas dégagées de la logique financière et des exigences économiques.

Actuellement, l’entreprise vit une révolution, une mutation est en cours. La logique informationnelle en est la cause, car non préparées à ce changement les entreprises continuent à réaliser des mesures à " l’ancienne ", c’est à dire sur des unités physiques. Mais l’information, elle, ne peut se mesurer dans les mêmes unités. Cette contradiction des mesures met en évidence un malaise dans les organisations qui touche toutes les branches, dans toutes les professions, de l’OS à l’ingénieur. " Alors, comment motiver un travail où l’on demande plus de responsabilité, d’autonomie, de polyvalence, de capacité relationnelle si, en même temps, on contraint le salarié à comprimer de plus en plus son temps, à faire la chasse au fameux temps morts qui sont en fait les temps de formation, d’apprentissage, d’expression, de concertation, de coopération, d’innovation, si l’on veut en même temps mobiliser, impliquer chacun dans des collectifs de travail décentralisés ? Comment aussi développer le travail en groupe si on stimule en même temps l’individualisme de chacun, la concurrence de tous contre tous, et si l’objectif avoué de ces groupes est de réduire les effectifs, de réduire les coûts du travail ? "

B ) Le contexte de deux accords de la RTT

Les auteurs examinent l’application de 2 accords négociés dans 2 sociétés d’une même filiale et exerçant dans le même domaine. L’étude porte sur l’opposition des 2 systèmes de mesure de la RTT entre l’entreprise A qui adopte un accord proposant la mise en place d’un système d’auto – évaluation par les salariés de leur temps de travail et une entreprise P qui généralise le pointage à l’ensemble du personnel.

La généralisation du pointage dans l’entreprise P

Cette généralisation concerne l’ensemble du personnel cadre et non – cadre. L’entreprise P a été, dans son passé, jugée pour " des infractions relevées quant à la durée du travail concernent 50% du personnel non – cadre ". La direction doit donc veiller à l’application des horaires et au respect des textes légaux et conventionnels, tout en observant 3 grands objectifs : amélioration de la compétitivité, création d’un dialogue social de qualité et accorder une place déterminante au facteur emploi. Pour les signataires, l’accord suppose : " un profond changement dans l’organisation du travail, ce qui sous – tend un profond changement de culture et une forte implication de l’ensemble des salariés, et notamment de la hiérarchie ".

Auto – évaluation du temps de travail dans l’entreprise A

L’entreprise A possède la même problématique que l’entreprise P. Les accords misent sur la réduction du temps de travail reposant sur des commissions paritaires de suivi et sur les comités d’entreprise, c’est à dire l’instauration d’un dialogue social. L’accord portera sur " une large autonomie laissée aux individus " tout en répondant aux contraintes de la compétitivité, en remettant en cause l’organisation du travail et du temps qui lui est consacré comme un élément clé de l’efficacité collective. Cela s’accompagne de la responsabilisation de chacun dans ses engagements et la définition des règles appropriées prenant en compte les aspirations des salariés à une liberté d’organisation personnelle et les exigences de services. Cela signifie que les employés sont amenés à travailler en dehors de l’entreprise en disposant de leur temps à leur gré. Le système de comptabilisation des temps repose donc sur la responsabilité de chacun. Un tel système, qui repose sur la bonne foi, demande un principe de sincérité et de transparence, gage de l’implication des individus dans la gestion de leur temps de travail.

Pour les deux entreprises, les accords de la RTT s’inscrivent dans un plan d’action visant la réorganisation du travail, un plan de formation pour l’optimisation des compétences et une campagne d’information.

L’avis des syndicats

La CFDT ne prendra pas partie pour l’accord de l’entreprise A. En effet, elle met en évidence le danger d’une telle application qui à terme transformerait le contrat du salarié en un contrat commercial où le salarié devenu un quasi travailleur indépendant n’aurait plus de couverture sociale, notamment en terme de mesure de son temps de travail journalier. L’auto – évaluation est un système dangereux qui doit laisser place au badgeage permettant une mesure simple du temps de travail interdisant toute suspicion et pression de la part de l’employeur. La CFDT s’appuie également sur le code du travail pour dénoncer cet accord stipulant que la mesure du temps de travail du salarié ne lui incombe pas mais que cela est de la responsabilité de l’employeur.

La CGT quant à elle, ne prendra pas le parti de la CFDT. En effet, elle met en exergue le décalage qu’il peut y avoir entre le code du travail actuel et les évolutions du travail à savoir l’autonomie individuelle, la mobilité et la poly - activité impliquant une mesure du temps différente. Ce constat est d’autant plus important qu’il touche principalement la catégorie des cadres et de ingénieurs. Aussi, " leur temps de présence et leur temps de travail effectif ne sont pas identiques comme on peut le penser d’un ouvrier à la chaîne ".

Tout ceci mène la CGT à reconnaître un accord pour l’entreprise A en mettant en évidence l’autonomie individuelle, la mise en place de règles de fonctionnement prenant en compte les aspirations des salariés liées à la fois à une liberté d’organisation personnelle et aux exigences de service. Dans le cas étudié, la discorde portera sur le temps de travail du cadre et de l’ingénieur où la direction ne souhaite pas appliquer pour cette catégorie du personnel un temps de travail de 38 h 50 par semaine avec pointage et paiement des heures supplémentaires. Un tel accord créerait une augmentation instantanée des coûts de 10 à 15%. La CGT souhaite un alignement de toutes les catégories de personnel sur la RTT à 35 h afin de favoriser les embauches.

Le sujet de divergence réside sur le fait que la direction doit mettre en place une mesure de dérive des temps supplémentaires ou des temps gratuits qui étaient jusqu’à présents transparents et générateurs de gains car non rémunérés. Aussi, le système de pointage, longtemps considéré comme un moyen de mesure objectif et impartial ne touchant que la catégorie des ouvriers et administratifs, touche à présent les cadres et ingénieurs.

Afin de connaître les préférences et les attentes du personnel, un sondage a été réalisé par les représentants syndicaux sur un échantillon représentatif de l’entreprise tous niveaux confondus. L’enquête révélera le système de pointage comme jugé le plus séduisant et le plus juste. Ainsi, la majorité des salariés opte pour un système régissant des règles justes, ne modifiant pas l’organisation du temps de travail collectif tout en améliorant l’organisation du temps de travail individuel ainsi qu’une meilleure qualité de vie. Le seul point épineux, sans aucune proposition concrète jusqu’à présent dans l’accord sur les 35 h, concerne les salariés qui exercent une partie de leur temps de travail chez le client et donc une grande partie dans le temps de trajets restant des temps improductifs. La mise en place de système à forfait semble le mieux adapté même si le contrôle des dérives horaires n’est pas facilement mesurable.

A l’inverse, la DRH réalisera un sondage générant d’autres résultats. En effet, pour certains les 35 h n’amélioreront en rien la qualité de leur vie mais au contraire l’organisation dans leur travail.

Devant ce flou, les auteurs tendent à mettre en évidence la pertinence des questionnaires. Ces derniers peuvent, s’ils sont rédigés dans le sens qui avantage l’enquêteur, influencer les réponses des salariés et faire l’objet de manipulations informationnelles. Aussi, les résultats recueillis doivent-ils être nuancés car les interviewés se déterminent surtout en fonction de leur temps de travail, de leur fonction dans l’entreprise et de leur vie privée.

Les ingénieurs : un groupe divisé ?

L’enquête révèle que les ingénieurs restent très attachés à leur travail mais ne rejettent pas pour autant le principe de la RTT. Ce qui distingue les ingénieurs entre eux, c’est le dosage que chacun élabore entre valeurs professionnelles et valeurs familiales ou plus largement valeurs de la vie privée. Ainsi, on trouvera : soit l’ingénieur qui privilégiera la qualité de sa vie tout en prenant une large part d’intérêt, voire de plaisir, dans la réussite de l’entreprise, soit l’ingénieur qui acceptera les responsabilités et donc la charge de travail sans pour autant ignorer les valeurs de la vie privée.

Le monde des ingénieurs change. En effet, les cadres ingénieurs ne sont pas la copie conforme de leurs aïeuls. Ils ne souhaitent pas " laisser leur peau dans l’entreprise ". Aussi, ne sont-ils pas opposés à la RTT ou à une certaine forme négociée de leurs horaires qui leur permettraient de profiter de leur vie privée. La femme fait partie de la catégorie des ingénieurs qui adoptent le plus la RTT. Le fait d’avoir des responsabilités souvent limitées, voire aucune, facilite ce choix qui est d’autant plus soutenu lors de la naissance d’un enfant. Les hommes bien que moins facilités ont tendance à adopter cet esprit de liberté et d’équilibre et sont prêts à faire des " heures " en retour d’une compensation se traduisant principalement en jours de congés.

Si la RTT peut améliorer la qualité de vie, elle participe au changement des mentalités dans l’entreprise et met en évidence un phénomène d’hyper – individualisme ( stimulé par la course à l’excellence , la lutte continuelle pour faire mieux que les autres finit par ravager les rapports humains dans l’entreprise, en détruisant toute solidarité au profit d’une concurrence impitoyable ) ou un taux de turn over élevé.

Cependant, il existe l’ingénieur qui pense différemment, comme autrefois. Les responsabilités impliquent des charges de travail importantes. Accepter les demandes de surplus de travail émises par la direction est, pour cette catégorie d’ingénieur, perçue comme une opportunité d’évolution de carrière. Il y a également l’ingénieur qui acceptera les heures supplémentaires car cet acte répond à une déontologie du statut de cadre par rapport aux autres catégories ( moyen de distinction entre le cadre et l’ouvrier ).

Enfin il y a les cadres ingénieurs qui refusent d’adhérer au concept de la RTT, pensant que cela mènerait la direction à un manque de confiance ou encore que les entreprises modernes, employant jusqu’à 70% de cadres, risqueraient de voir leur fonction ramenée à un " exécutant de haut niveau " car pour un bon nombre d’entre eux la mission d’encadrer ne concernerait qu’eux mêmes. Ce dernier point met en évidence le malaise du cadre d’aujourd’hui. En effet, les organisations se sont métamorphosées ainsi que les missions des différentes fonctions et on s’aperçoit d’un glissement des tâches. Cela concerne, par exemple, les tâches de secrétariat. A présent, la secrétaire est remplacée par le micro ordinateur qui lui même est utilisé par le cadre. Aussi, la colère des ingénieurs et cadres, encadrants ou non, se fait de plus en plus forte car les fonctions de synthèse dévolues aux ingénieurs sont maintenant réservées aux cadres supérieurs, aux managers, et non aux cadres d’exécution qui remplissent des tâches administratives.

 

Les techniciens : entre l’identité ouvrière et l’identité cadre

Bien que favorable au système de pointage car utilisateur de cet outil de mesure depuis de longues années, la RTT pose un certain nombre de problèmes pour le technicien.

Un de ces problèmes concerne une idée reçue et largement véhiculée par les médias : le dépassement de la durée légale du temps de travail. Dans le cas de notre entreprise P, une enquête démontre que 50% des dépassements illégaux concernent les non cadres. Cette idée reçue repose sur une méconnaissance des mutations de travail, notamment du travail de l’information. Actuellement un grand nombre d’entreprises modifient leur structure en adoptant une organisation transversale dite " par processus ". La mise en œuvre d’une telle organisation qui n’est qu’à ses balbutiements cautionne de nombreux problèmes dépassant de loin la simple résistance aux changements. Ainsi, " retrouvons-nous dans la plupart des grands groupes industriels, une situation hybride juxtaposant des organisations classiques par métiers techniques, où la division est encore nette entre techniciens et ingénieurs, et des organisations décentralisées par affaires où techniciens et ingénieurs se confondent dans des fonctions qui ne sont plus de métiers ". Dans les services des bureaux d’études, les techniciens ont leur métier bien délimité où les frontières entre ingénieurs et techniciens sont respectées. Mis à l’abri de la course aux délais, les dépassements d’horaires ne concernent que très peu ces métiers. A l’inverse, les services de production, toujours confrontés au CA et aux délais courts, sont constamment plongés dans une course concurrentielle. Pour ne pas tomber dans l’engrenage du " travail gratuit ", le technicien doit savoir réagir avec courage face à sa hiérarchie. Mais pour beaucoup, ce type de situation peut être une manière de s’extraire du groupe et de se faire valoir auprès de la direction. Une telle façon de procéder peut mener à une autonomie, une responsabilité, une organisation libre de son emploi du temps, en un mot au plaisir de devenir son propre patron. Ce type de comportement motive l’auto – exploitation, et la vie privée, en général, peut en pâtir.

La mission du technicien peut donc se confondre à celle de l’ingénieur. En effet, le côtoiement des dirigeants, ou encore la participation aux affaires importantes de l’entreprise, peuvent être des facteurs de motivation aux yeux du technicien. Ce dernier reste conscient et assume le fait qu’il peut exécuter un " boulot d’ingénieur " car honoré de son statut de privilégié, mais regrette de ne pas percevoir le salaire d’un ingénieur. Ainsi, les problèmes de dépassements d’heures ne sont pas régularisés car impossibles à déclarer dans les écritures comptables ( car illégaux ) d’où un travail gratuit. L’exploitation est donc tolérée par le technicien mais jusqu’à une certaine limite, un effort financier est avant tout attendu. Cependant, de tels efforts sont difficilement réalisables par le patron qui est tributaire de ses résultats ou éventuellement de ses actionnaires. Réalité ou rempart ? Quoi qu’il en soit, les salaires correspondent au statut du salarié et non pas à ses compétences et capacités. Aussi, assiste t - on à un craquage individuel, provoquant des démissions au profit de rémunération plus importante. A noter, toutefois, que la mise en place des 35 heures laisse craindre aux techniciens comme aux ingénieurs une stagnation des salaires.

Les secrétaires : un métier en voie de disparition ou un métier d’avenir ?

D’après les auteurs, les métiers administratifs et plus particulièrement les métiers de secrétariat ont une influence directe sur la surcharge de travail croissant des ingénieurs. En effet, il est facile de se rendre compte que les tâches administratives exécutées par les anciens métiers de secrétariat sont venues s’inscrire dans celles des ingénieurs. Ce transfert de tâches a été facilité par l’apparition de la micro informatique permettant ainsi la création d’une polyvalence des cadres.

Ainsi, les auteurs révèlent un constat de division entre travail qualifié et déqualifié. Le travail qualifié serait tenu par un personnel restreint et hautement diplômé. Il serait rattaché à des postes de direction où l’organisation, la rigueur et la prise de décision seraient indispensables. Le travail déqualifié, lui, serait confié à un personnel exécutant, non diplômé, interchangeable ou encore réduit à " une main d’œuvre jetable qui peut être automatisée, embauchée, licenciée et délocalisée selon la demande du marché et les coûts du travail ". Une telle division est réalisable grâce ( entendre " malheureusement " ) à l’évolution informationnelle.

Là commence le paradoxe de la secrétaire. Les logiciels de gestion intégrée rendent les secrétaires interchangeables, inutiles avec l’apparition du traitement de texte et le micro ordinateur. Aussi, l’utilisation de ces logiciels doit être exécutée par un personnel qualifié et dans un même temps supprime certaines tâches, voire certains postes. Les auteurs proposent ainsi 3 types de secrétaires : la secrétaire de direction classique qui est en voie de disparition ( gestion de l’agenda, tri du courrier, un peu de frappe, organisation des réunions ). Cette catégorie est rattachée à un ou deux directeurs et non à la masse d’ingénieurs. Puis arrive les secrétaires d’affaires rattachées à un certain nombre d’ingénieurs ( saisie courante des dossiers, photocopie, diffusion, feuille d’imputation ). Il ne faut pas oublier les secrétaires vacataires qui sont utilisées généralement pour la frappe intensive. Avec une telle diversité, il est normal de s’interroger sur la qualité du travail rendu ? Enfin, le dernier type est l’assistante de direction avec des niveaux, de responsabilités et de tâches, élevés ( relances fournisseurs et clients, rédaction des appels d’offre, réalisation des statistiques, des budgets, gestion des e-mails de la direction, etc. ).

Après enquête, ce dernier type de secrétaire s’identifie parfaitement au cadre. On constate une implication dans le travail générant un dépassement des heures de travail. Ces secrétaires " impliquées " dans leur mission formulent les mêmes affirmations que les cadres : " le temps ne compte pas et il faut partir seulement une fois les affaires mises à jour ". Le comportement est similaire à celles des cadres : travail gratuit, travail à la maison, etc. Le danger pour les assistantes de direction est de voir leurs tâches transférées et remises aux ingénieurs car leurs compétences seraient jugées à terme inadaptées aux nouvelles organisationnelles et décisions informationnelles.

Heureusement, on constate que le métier de secrétaire n’est pas complètement abandonné. Ceci s’explique d’une part par une informatisation de la Bureautique encore inachevée et d’autre part par une politique sociale des DRH reclassant les postes improductifs, ou devenus inutiles, vers les métiers administratifs. Ainsi assiste t - on à des structures et organisations hybrides du métier de secrétaire, de part la connaissance, le diplôme ou encore la qualification initiale du salarié concerné. Comme les cadres et les ingénieurs, les secrétaires sont très partagées sur la RTT et les raisons évoquées sont similaires. Pour les entreprises qui réclament aujourd’hui de plus en plus de traçabilité et de formalisation, le souci de trouver des secrétaires qualifiées fait de plus en plus défaut. La présence d’ingénieurs surchargés qui n’ont ni le temps ni la capacité de déléguer les tâches administratives laisse le problème entier.

C ) Une productivité en quête de mesure

La RTT rattrapée par la charge de travail et la pression sur les salaires.

Depuis la mise en place des 35 heures, environ 45% des salariés voient leurs salaires gelés. D’après une enquête du ministère de l’emploi menée entre novembre 2000 et janvier 2001 et portant sur un échantillon concerné par la loi Aubry II, les résultats sont les suivants : 59% des salariés estiment que les effets de la RTT sur leur vie privée est positif pour un avis défavorable de 13%. Ainsi, 69% des cadres perçoivent une amélioration pendant que les salariés non qualifiés ne sont satisfaits qu’à 49%. L’écart le plus important se situe au niveau des femmes cadres ne représentant que ¾ des avis favorables pour un mécontentement de 40% chez les femmes non qualifiées. Autre constat ; celui de l’augmentation de la charge de travail malgré la RTT. Ceci se traduit par un dépassement des nouveaux horaires. Conséquence : les salariés se déclarent plus stressés ( 32% ) en passant soit par des baisses de salaire ( 12% ) soit des gels de salaire ( 48% ) soit des modérations ( 5% ) pour 31% de salariés qui n’ont constaté aucun impact. En fait, l’appréciation des 35 heures est considérée comme bénéfique lorsque des journées supplémentaires de congés sont accordées et jugée néfaste lorsque les journées de travail sont raccourcies.

La mise en place de la RTT réclame dans 80% des cas une réorganisation qui pour près de 40% mène à une augmentation de la durée d’utilisation des équipements ou de l’amplitude d’ouverture aux clients. Tout ceci se traduit par une intensification du travail ( suppression des pauses, horaires décalés, etc. ) qui peut " amener à une augmentation des taux de défauts et malfaçons sur les produits, des taux de pannes des équipements, et de l’absentéisme et du turn over du personnel, ce qui réduit la baisse du coût unitaire liée aux gains de productivité induits ". Malheureusement, ces contre – performances ne sont jamais comptabilisées ni dans les calculs prévisionnels, ni dans les évaluations statistiques des entreprises. Aussi, les auteurs pensent que les organisations liées aux RTT permettent une augmentation de la productivité du travail, allant dans le sens du fondement capitaliste, qui s’explique par l’allongement de la durée d’utilisation des équipements. En effet, plus on produit et plus l’amortissement des équipements est intéressant. Pour les auteurs, les critiques énoncées par Marx vis à vis des logiques de production sont toujours d’actualité. La durée de travail quotidien n’augmente pas contrairement à l’intensification.

Si le patronat n’a pas changé sa logique de productivité, il a omis de réviser la notion de l’efficacité du travail qui se mesure de moins en moins par sa durée et sa quantité produite mais avant tout sur la qualité du service rendu aux clients. Les effets ne se mesurent malheureusement qu’à long terme d’où les constats catastrophiques de nos jours, aussi bien sur les entreprises que sur la vie sociale.

L’impossible mesure de la productivité informationnelle.

Dans l’industrie de l’informatique, la mesure du temps de travail passé par un développeur est exécutée sur une base moyenne de 1500 heures/an/individu. Il s’agit bien là d’une moyenne car celle-ci n’est pas reconductible à chaque programmation. En effet, cela va dépendre de l’environnement dans lequel le développeur va évoluer, des pauses, de la complexité du programme souhaité par le client. Cependant, il faut que l’entreprise qui se développe réalise un bénéfice intéressant. Alors, la stratégie essentielle des entreprises n’est pas de faire pression sur le personnel pour qu’il produise le plus de ligne mais qu’il en écrive le moins possible. Comment ? Tout simplement en utilisant des méthodes de programmation qui consistent à utiliser moins de codes informatiques possibles et plus de " modules " , sous programmes standards réutilisables à chaque développement. Le monde de l’industrie informatique réalise efficacement des programmes avec une information plus efficiente si l’on réussit à diminuer les volumes ; stratégie opposée à celle de la production de produits matériels. L’entreprise de logiciel réalise un gain économique par la réutilisation de " famille de module ", un gain dans la complexité de l’élaboration du programme à l’aide de l’innovation technologique et méthodologique et enfin un gain dans l’estimation du temps à passer dans le développement d’un programme grâce aux expériences passées. Bien entendu, ces gains dégagés permettent à l’entreprise de tabler sur des innovations organisationnelles et gestionnaires.

Seulement, ces dernières créent de nombreux problèmes au sein de l’entreprise. Les conflits entre employés par exemple. Les organisations mettent en œuvre un travail en équipe, mélangeant techniciens, ingénieurs et gestionnaires. Ce mixage de connaissances et de parcours différents laisse penser pour certains à une perte de pouvoir, d’autonomie ou encore de responsabilité. " L’enjeu de ces réformes organisationnelles est d’améliorer radicalement la productivité toujours paradoxalement mesurée à l’ancienne ". Les auteurs prennent un cas d’entreprise en exemple. Ils démontrent ainsi le résultat négatif d’une telle organisation qui ne souhaite que la réduction des coûts et des délais, afin d’être plus productif. Ils cherchent ensuite la raison de l’échec et arrivent aux hypothèses suivantes : l’alourdissement des tâches administratives d’une partie du travail des ingénieurs faute de personnel administratif adéquat , la réduction systématique des métiers supports par la direction d’où une surcharge de travail importante et enfin et surtout, la logique de décentralisation, de mise en réseau, de liaisons horizontales facilitant la coopération entre métiers et fonctions autrefois cloisonnés se heurte à la logique gestionnaire qui continue d’évaluer la productivité du travail informationnel comme s’il s’agissait d’un travail de fabrication industrielle.

Les cercles vicieux informationnels

La réduction et la banalisation de la secrétaire provoquent de graves dysfonctionnements dans les organisations. En effet ce service autrefois de qualité, car il existait une institution de confiance, de connaissance et de prise de responsabilité entre la secrétaire et son collaborateur, est actuellement intégré dans les tâches quotidiennes de l’ingénieur ou du technicien. Aussi, les coûts et les délais qui sont de plus en plus serrés mènent à la rédaction de documents bâclés. Conscientes de ces pertes de documentation, les entreprises mettent en place des procédures de contrôle de qualité alourdissant considérablement les tâches des ingénieurs. " Alors que la pression des actionnaires pour augmenter la rentabilité des affaires s’est traduite par une réduction drastique des métiers supports, ce sont maintenant les ingénieurs qui subissent en première ligne la pression des délais et des contrôles de qualité ". Malheureusement, les systèmes de qualité qui consistent à formaliser les procédures ne sont pas dus essentiellement à une culture de prouesse technique, de sur – qualité mais répondent à des risques croissants de sous – qualité. En effet, la surcharge de travail administratif finit par détruire la traçabilité des processus de travail et met en cause la maîtrise des technologies stratégiques. Cette surcharge et cette formalisation des procédures sont des facteurs de démotivation pour l’ingénieur ou le technicien qui finissent par freiner leur réactivité et finalement par bloquer la machine.

Tout ceci met en évidence un problème d’organisation des équipes composant l’entreprise à travers une gestion informationnelle nécessitant de plus en plus de personnel formé et possédant un sens rigoureux de la concertation, la communication. En effet, qui va piloter l’organisation ? Quelle organisation du travail va se mettre en place ? Quelle sera la répartition des tâches entre ingénieurs, techniciens, secrétaires, etc. ? et autres questions du domaine de la logistique, la gestionnaire, les responsabilités, les structures hiérarchiques, etc. En croyant gagner du temps et de l’argent par la suppression des métiers supports, on aboutit finalement au résultat contraire à cause de la paralysie de l’autoroute de l’information.

Le tabou de la rentabilité

Les auteurs dénoncent les pratiques malhonnêtes et vicieuses, mais qui répondent parfaitement à l’attente de la demande capitaliste, que les entreprises exercent en manipulant les calculs de rentabilité en se cachant derrière la division des coûts directs et indirects. Comme ils ont pu le décrire précédemment, l’entreprise touchée par le concept de la révolution informationnelle a considérablement réduit ses frais salariaux directs des métiers supports. Par exemple, le service informatique subit une augmentation de sa charge de travail sans pour autant assister à un augmentation de son effectif. La raison est qu’un tel service ne rapporte rien. Il est donc perçu comme un centre de coût et non de profit. Aussi, les auteurs démontrent-ils, en partie, le lien direct qu’il existe entre plan social et réduction des frais salariaux des coûts indirects. Cela permet d’améliorer la productivité générale, pour " limiter les coûts de structure, réduire les coûts indirects et, plus globalement, profiter des économies d’échelle, le tout donnant lieu à des suppressions d’emplois ".

Néanmoins, une telle politique ne semble pas se justifier au vue des dysfonctionnements organisationnels qu’elle provoque dans la gestion des affaires comme dans les bilans annuels. Cependant, l’intérêt pour l’entreprise est d’augmenter son profit. Après avoir réduit considérablement la masse ouvrière ( coûts directs ), un gisement profitable existe encore. Il s’agit de réduire les coûts indirects, c’est à dire toutes les dépenses liées aux métiers supports, en utilisant à outrance les techniques informationnelles.

Il existe une mesure permettant à la direction de piloter sa gestion financière. Il s’agit d’établir un comparatif entre les coûts de production prévisionnels et les coûts de production réels. Le contrôle est donc, toujours pour la direction, efficace et permet d’adopter une démarche cohérente et concertée de la part des décideurs. Enfin, ce suivi permet bien souvent à la direction de trouver des prétextes pour réduire les budgets afin de réduire au maximum les coûts. Cependant et après consultation du personnel proche des réalités, il est aisé de constater que, non dupes de cette politique et conscient des dysfonctionnements organisationnels et des surcharges de travail, les responsables des services ont tendance à gonfler les prévisions budgétaires pour se rapprocher le plus possible de la réalité ; Cette dernière étant faussée ne prenant pas en compte des aléas. Ainsi, on assiste à une donne faussée de part et d’autre, entraînant sans conteste à une aberration économique.

Et pourtant, la direction demande toujours de bâtir des plans à trois ans tout en réduisant les effectifs. Les aléas de production, de marché, de préparation, tous ces temps qui ont été omis et donc sous estimés se traduisent par du temps de travail supplémentaire et gratuit car le cadre n’ose pas contrarier sa direction, ne souhaite pas perdre son poste, etc. Il y a donc une auto - contrainte déclenchée par la peur.

Le problème réside dans le fait que les méthodes de mesure appliquées dans les industries qui traitent l’information sont identiques à celles des industries qui produisent des produits matériels. Aussi, les pratiques aboutissent à développer des heures de travail " masquées ", c’est à dire non reconnues par l’entreprise, et contribuent à rendre aléatoire toute estimation du temps de travail réel.

Une normalisation illusoire

Afin de maîtriser les coûts, l’entreprise croît à investir dans les certifications de types ISO permettant de mesurer les performances en s’appuyant sur des procédures de contrôle des processus et des documentaires. Ces projets de contrôle des performances sont en quelque sorte le complément nécessaire à l’externalisation des métiers supports et au repli sur le métier cœur. La démarche qualité adoptée par l’ensemble de l’industrie est un outil commercial puisqu’il est perçu comme un atout pour le client ou dans le choix d’un sous traitant. Que ce client soit interne ou externe à l’entreprise, la puissance de ce concept fait appliquer les trois normes dominantes d’aujourd’hui dans la gestion de production, y compris pour les activités informationnelles : coûts, délais, performances. Nous sommes dans une logique capitaliste où toutes les ressources investies doivent obligatoirement donner lieu à un retour d’investissement ; les actionnaires étant présents pour le rappeler.

Pour les auteurs, l’enjeu réel des procédures de certification s’explique, également, par un repli de l’activité sur le métier le plus rentable et l’externalisation systématique des métiers supports. " Elles visent à réguler, à maîtriser les effets pervers de la course aux délais, au bâclage des documentations qui mettent en cause la fiabilité et la traçabilité des spécifications des produits vendus, qu’il s’agisse des unités de l’entreprises ou de ses sous traitants ". De plus, cette politique suivie par les industriels ne fait que répondre à une nécessité de survie car l’entreprise est confrontée à une concurrence sévère où les parts de marché et les marges sont à conserver. Aussi, l’entreprise doit évoluer d’un métier de producteur de technologies spécifiques vers celui d’intégrateur de technologies produites en partie par elle même, en partie par d’autres industriels. Les métiers cœurs ne sont donc plus des spécialisations dans des métiers, des savoirs techniques, mais des compétences, des fonctions transversales qui ne font plus partie des métiers reconnus et classés dans les conventions collectives.

D ) Une nouvelle organisation conflictuelle

L’informatisation à l’envers

L’apparition de l’informatisation dans le monde professionnel comme dans celui du social s’est acheminée à travers un mythe ; celui des nouvelles technologies destructrices d’emplois où l’homme serait substitué par la machine informationnelle. L’homme ne jouerait plus qu’un rôle de simple presse bouton sans aucun besoin de qualification. Ainsi, on a pu observer des campagnes publicitaires auprès des entreprises américaines. Certains fabricants vantaient les atouts de leur machine outil à commande numérique en présentant le gain de productivité et de réduction des coûts salariaux que pouvait réaliser l’entreprise en supprimant une partie de l’effectif des employés. Le concept de l’automatisation intégrale apparaissait et dans un même temps visait à supprimer ou marginaliser l’initiative humaine. Cependant, les entreprises durent se rendre à l’évidence : le manque d’effectif et de qualification des opérateurs provoquaient des pannes à répétition remettant en cause les critères de productivité. Malgré ce constat, le concept de l’usine sans hommes et sans panne n’a pas disparu. Il entretien même davantage les stratégies actuelles où l’informatisation reste privilégiée. Dans les années 80, le découpage taylorien est soit disant remis en cause à partir d’une rationalisation de réduction des activités ( activités autres que celles de la production ) ou d’externalisation de celles-ci. Le résultat de cette politique sera une nouvelle répartition des charges sur l’ensemble des métiers. Ainsi, les opérateurs qui étaient autrefois derrière une machine se voient attribuer une nouvelle charge de travail. En effet, ils exécutent une partie des métiers supports de la production ( ex : méthode ). L’auto-contrôle entraînera la suppression des emplois de contrôleur. L’ensemble des emplois indirects sont donc touchés. Cependant, les tentatives de mobilisation de la matière grise subissent un échec. La recherche de la polyvalence, la surcharge de travail, les bas salaires, le manque de confiance entre l’opérateur et sa hiérarchie sont autant de facteurs de démotivation que de cause d’échec. La solution résiderait en une réorganisation d’ensemble en intégrant tous les processus dans un flux unique et continu. Les systèmes de gestion informatisés avaient cette vocation. Bien que mis en œuvre, les choix de gestion rentrent en conflit avec les organisations appliquées sur le terrain et les normes de productivité. Ainsi, nous retombons dans le cercle vicieux, cité plus haut, de la réduction des coûts et plus particulièrement des frais de structure autrement dit des emplois indirects avec tous les troubles que cela peut engendrer.

Vers l’organisation transversale

La politique de réduction des budgets militaires mise en application dans les années 90 dans le monde occidental, marquera une nouvelle étape dans le combat des coûts du travail. Une nouvelle organisation se met en place que l’on nomme " matricielle ". Son objectif est de faire " passer l’entreprise d’une logique technicienne à une logique de marché et de résultat ". La méthode consiste à décentraliser la responsabilité opérationnelle, de faire descendre dans l’organisation hiérarchique la responsabilité du fonctionnement matriciel. La hiérarchie a pour mission de fixer et de répartir les objectifs à tous les niveaux et d’en assurer le contrôle.

Une nouvelle division du travail

La nouvelle réorganisation implique une nouvelle méthode de travail afin de mener un projet. Lorsqu'un client confie une mission à son fournisseur, celui-ci désigne un chargé d’affaire. Il a pour objectif de réaliser le produit, ou le service, en confiant une partie du travail à des groupes de travail. Ces derniers doivent imaginer, innover et réaliser une mission qui est en réalité une sous mission pour le chargé d’affaire. Les groupes de travail sont susceptibles de se concerter et d’échanger pour toujours se positionner dans le meilleur contexte concurrentiel. Au final, l’ensemble des travaux exécutés par les différents groupes devront s’intégrer dans le produit vendu.

Une telle méthode, bien que séduisante, génère cependant un bon nombre de problèmes comme la production de stress et de rivalité entre les groupes, une surcharge de travail car les métiers indirects sont transférés dans les charges des métiers directs, une grande diversité de temps de travail, les heures de travail gratuites, l’auto - exploitation etc.

Cette nouvelle méthode s’identifie autour de quatre phases de travail :

La prospection et la construction de la réponse à l’appel d’offre. Cette mission est confiée en majorité aux ingénieurs. Faible est le nombre de techniciens y participant. Cette phase est essentielle car elle doit définir la faisabilité ou non du projet. Elle se traduit par une estimation de coût et du temps que l’entreprise devra investir pour réaliser le produit final. Cette " estimation est devenue fort complexe, car il ne s’agit pas de réaliser un produit standardisé, aux coûts et aux temps de réalisation connus ". Une telle mise en œuvre laisse entrevoir les effets pervers du stress et de l’auto – exploitation des individus.

La décomposition et la réalisation des différents éléments composant le projet. Cette phase désigne le chargé d’affaire. Cela indique que le contrat est signé. Le chargé d’affaire, devenu théoriquement le patron, décline l’organisation et répartit les responsabilités aux différents sous ensembles identifiés par unité de métier. Cette phase est également le début des choix communs et de la réalisation des spécifications des sous produits qui seront fabriqués en interne ou sous traités. Cette organisation laisse flotter un climat de négociation interne de type client/fournisseur.

L’intégration des sous ensembles jusqu’au " recettage " du produit fini. Il s’agit d’intégrer les sous ensembles entre eux après avoir été contrôlés individuellement. Ainsi, l’intégration finale est exécutable. Jusqu’à présent l’information avait suivi des phases descendantes ( de 1 vers 2, de 2 vers 3, etc. ). Dorénavant, la troisième phase inverse le sens de l’information. Elle devient ascendante et permet de regrouper les ingénieurs, les techniciens et les ouvriers. Il se développe une polycompétence acquise par une formation de terrain ou une formation interne. Les salariés possèdent ainsi une vision globale, une compréhension des interfaces entre les différents métiers. " Cette phase, où convergent toutes les tensions accumulées dans les phases précédentes, est certainement celle qui cumule le plus d’événements imprévisibles, celle où la pression de temps est la plus forte ".

La livraison du produit au client et SAV. Il s’agit de livrer le produit au client et de lui en assurer la maintenance. Cette phase met en œuvre l’exécution d’une autre catégorie de salariés mobile chez le client : mainteneurs et assistance technique.

Cette méthode de travail s’apparente à la gestion par processus ; C’est à dire une intégration inter – métiers, une destruction de la division du travail. La gestion par processus est donc une intégration de métiers et de savoir. Cependant, la gestion par processus n’a pas seulement qu’un objectif technique mais également un objectif financier. Il consiste à minimiser les coûts indirects en réorganisant le travail de traitement des informations grâce aux nouveaux logiciels informatiques de gestion intégrée.

Avec une telle méthode de travail, on assiste à la suppression de certaines phases de travail et ce pour répondre à la course au délais. Le cœur des métiers de l’innovations est touché comme l’organisation scientifique du travail ou encore du bureau d’études. L’innovation se trouve à présent à tous les niveaux. Aussi, cette " gestion par processus " demande t - elle de plus en plus de connaissances de la part de l’ensemble des intervenants. " Toutes les activités humaines, à tous les stades du processus de production, sont concernées par l’innovation, depuis la fabrication jusqu’à l’après – vente ".

Ceci nous mène au cœur même de la révolution informationnelle. La présentation des quatre phases de travail met en évidence le fossé entre révolution informationnelle et révolution industrielle. Cette dernière est cloisonnée, canalisée, hiérarchisée selon des règles spatio – temporelles de la division sociale du travail : en haut la conception, en bas l’exécution. Avec la révolution informationnelle l’exigence dominante est de décentraliser l’innovation, de mettre en inter – action les phases de conception et de production, de multiplier les relations horizontales directes entre les métiers, les secteurs, les différentes phases du cycle de production.

Le gain de productivité se trouve en amont de la production. Aussi, une maîtrise des processus est obligatoire pour atteindre un produit ou service de qualité aux meilleures conditions. La réalisation des objectifs de l’entreprise est devenue une nécessité et c’est ce que les normes ISO 9000 version 2002 garantissent.

" Mais de quel pouvoir réel vont pouvoir disposer les collectifs de travail ? ". En effet, du produit standardisé de la révolution industrielle nous sommes passés à l’ère de la dé – standardisation prônée par la révolution informationnelle. Le produit d’aujourd’hui est en constante évolution et faisant appel à l’innovation à tous les niveaux de l’entreprise. Le pouvoir de la connaissance échappe en grande partie aux décideurs. Fini le temps où l’on observait l’ouvrier en action pour établir des gammes de fabrication et de temps. Actuellement, la connaissance est contenue dans la matière grise de " l’ouvrier du troisième millénaire " qui est à la fois : opérateur polyvalent, technicien, ingénieur, administratif. Cependant, aujourd’hui comme hier, l’entreprise doit savoir conserver le savoir - faire, son pouvoir, son innovation et sa réalisation. Les métiers indirects ( méthodes et bureau d’études ) ne pouvant plus jouer le rôle de conservateur, l’entreprise doit penser à " l’écrit ". Cette tâche est reprise par l’ensemble des activités quotidiennes qui rédigent au fur et à mesure les méthodes d’élaboration du produit. Cette rédaction est réalisée par les opérateurs eux – mêmes à travers les procédures de qualité de type ISO. Les connaissances sont donc collectées et conservées dans des banques de données assurant la pérennité de la réalisation du produit. Le problème aujourd’hui est de savoir si la mise en œuvre des concepts de la qualité sera bénéfique pour l’avenir ?

Ce changement de structure dans les entreprises impose une évolution des statuts des personnels s’orientant vers trois cercles de salariés :

Collaborateur : il s’agit de manager dépositaire des savoirs – faires et de la mémoire.

Flexible : il s’agit d’un personnel composé suivant les besoins et lié à un contrat au degré flexible.

Prestataire : il s’agit d’individu louant son savoir – faire intellectuel.

Salariés, syndicats et patronat s’accordent à parler d’ " intelligence collective ", d’une communauté des savoirs – faires et des savoirs, de l’ouvrier à l’ingénieur, constituant la mémoire de l’entreprise. Le dilemme réside dans le fait que seuls les cadres dirigeants sont reconnus comme les dépositaires de la mémoire de l’entreprise avec un statut de collaborateur permanent.

Les pilotes des affaires

Les affaires sont traitées par des pilotes transversaux des processus allant de la négociation du contrat au service après – vente. Il ne s’agit pas là de métier mais de fonction orientée marché et négociation avec le client. Le pilote doit posséder une force de concertation, donc ne pas être cloisonné dans une activité précise. Aussi, il n’est pas facile d’évoluer dans des milieux essentiellement techniques où la tradition du cloisonnement est encore bien présente. En effet, la production n’adhère pas facilement à la tenue des objectifs purement commerciaux, à savoir les coûts et les délais. La réussite des fonctions transversales ne dépend donc pas " des compétences techniques validées par des diplômes et des classifications des conventions collectives mais justement des fonctions liées à des compétences ". Cela veut dire que toutes les compétences sont réunies et que la notion d’échelon hiérarchique n’existe plus, l’ensemble des acteurs ont la même responsabilité devant le succès de l’affaire. Le problème des niveaux et des salaires reste entier. Le concept des projets transversaux est donc bafoué et démontre bien les limites de la décentralisation. Le pouvoir théoriquement remis au chargé d’affaire, pouvoir transversal, n’est encore qu’au stade d’image. Le pouvoir reste concentré sur les dirigeants permanents. Le chargé d’affaire reste responsable des coûts, des délais, de l’avancement des délais et de ses résultats mais à aucun moment il ne possède le pouvoir de décision sans l’aval de sa hiérarchie. On voit bien la disparité qu’il existe dans le changement des structures, des fonctions, des tâches et le statut du personnel dans les conventions collectives qui ne sont tous deux plus en corrélation. La direction se laisse ainsi les moyens de contrôler l’autonomie déléguée.

Les gestionnaires de configuration

Pour atteindre et suivre ses objectifs de performances, de coûts et de délais, la direction intègre à l’organisation matricielle de l’entreprise des fonctions de coordination transitoires par l’intermédiaire de correspondants. Ces derniers permettent la coordination des tâches techniques mais assurent également la gestion de configuration. Il incombe aux gestionnaires le contrôle qualité au quotidien et la tâche de veiller à la bonne application des normes ISO. Leur mission consiste à formaliser les processus pour, entre autre une maîtrise des évolutions de la conception des produits matériels ou d’information, et également fixer les règles, les codes et les procédures permettant de reproduire l’ensemble du processus de conception et de fabrication des produits vendus.

Cependant, la mission du gestionnaire de configuration, pourtant proche de la direction, ne lui confère pas un statut privilégié. Ce poste est bien souvent détenu par un technicien avec des fonctions impliquant une autonomie d’un cadre ou d’un ingénieur. D’où un malaise général entre le statut du technicien et de l’ingénieur dont les fonctions restent floues, non formalisées, sans règles précises. Le malaise s’étend lorsque le technicien ou pilote des processus transversaux s’aperçoit de leur forte implication et du manque de reconnaissance de l’entreprise dans leurs efforts.

Une telle architecture floue suppose que la direction sache obtenir l’engagement total et volontaire de tous les acteurs de cette organisation réseaux, y compris au niveau du temps de travail qu’il faut accepter pour atteindre les objectifs de réduction. Enfin, l’autonomie proclamée des équipes projets sera donc strictement contrôlée, strictement encadrée par les objectifs et les critères de coûts et de délais. Tel est l’esprit du benchmarking destiné à soumettre les organisations, les fonctionnements et les performances à la comparaison interne et externe.

Le modèle de Taylor se retrouve dans cette réforme organisationnelle. La différence se situe sur la décomposition des temps qui ne se fait plus sur le travail direct ( ouvrier ) mais sur l’indirect, c’est à dire sur des temps intellectuels transférés sur les activités des opérationnels. " Or les temps du travail intellectuel sont les moins linéaires, les moins standardisables, les plus flexibles, les plus personnalisés et donc les moins adaptés à une prévision centralisée ".

E ) Des relations sociales en crise

Les réformes organisationnelles causées par la révolution informationnelle imposent aux entreprises capitalistes de trouver le meilleur compromis entre l’automatisation du travail et la conservation du pourvoir stratégique. Malgré plusieurs mises en application de nouveaux modèles, telles que l’organisation matricielle, par projet ou par processus, une crise de relation sociale demeure. En effet, une déstabilisation des anciennes relations sociales existe entre la direction, l’encadrement intermédiaire et les salariés de base. Les raisons : la structure plate, la centralisation, la décentralisation, l’externalisation, l’effectif composé de 2/3 d’ingénieurs et de techniciens, les promesses de la direction et les pratiques réelles, la mise en place de systèmes de contrôle conformes aux exigences de la qualité ou encore la course aux délais courts. Malgré ce constat la masse salariale ne semble pas complètement désintéressée par son travail. La mise en place de la RTT, dans l’ensemble, la satisfait pendant que les moyens et méthodes de mesure de son temps de travail sont de plus en plus critiqués et deviennent de plus en plus complexes.

La remise en cause des règles d’évaluation du temps de travail permet de mettre en évidence la situation de crise qui existe entre l’ancien système de négociations collectives et les relations sociales. Les auteurs s’interrogent sur l’avenir des nouvelles organisations et les mesures du temps de travail. Il est fréquent de trouver des organisations hybrides pratiquant tantôt une organisation matricielle, tantôt par projet ou par processus. Comment peuvent et vont évoluer les salariés, hommes ou femmes, à travers des organisations floues ? Comment ces organisations floues se positionnent-elles par rapport au droit du travail français ? Comment les syndicats doivent – ils comprendre ces situations : étapes transitoires ou stratégie délibérée visant à supprimer les garanties collectives de l’ancien contrat de travail entre salariés et employeurs au profit d’un contrat purement commercial entre clients et fournisseurs ?

Les différentes tentatives de décentralisation, d’organisation transversale ne sont pas simplement un projet machiavélique destiné à briser les anciennes garanties collectives des salariés ; ces aussi une tentative de réponse structurelle - et non simplement conjoncturelle - du capitalisme aux exigences de la révolution informationnelle et d’abord aux exigences de circulation sans entraves de toutes les informations. C’est enfin une forme de réponse aux aspirations croissantes des salariés à gérer eux – mêmes leur travail et leur emploi du temps ".

Le tabou de la gestion

Après une entrevue avec un cadre dirigeant d’un grand groupe industriel, les auteurs font ressortir la réticence de celui-ci à participer à une logique gestionnaire, financière qu’il redoute - car conscient du " plantage " des modèles de travail par une volonté de rentabilité de plus en plus forte - mais qu’il ne peut affronter sans revenir sur son engagement le liant aux hautes sphères de la hiérarchie. Ce comportement face à la logique financière du système capitaliste en fait un tabou. En effet, les effectifs humains sont gérés en fonction des rendements produits et donc ne passent qu’en seconde position après les gains financiers. Cela veut dire que les métiers directs qui ont hérité des métiers indirects, car jugés comme appartenant à des centres de coûts, peuvent à leur tour passer de centre de profit à celui de coût. Effectivement, les métiers supports ayant disparu et la tendance étant à l’externalisation des unités de production, cela nécessite des organisations transversales utilisant des systèmes de formalisation très lourds et qui diminue la réactivité de l’entreprise.

Le TRILD : un échec qui n’a pas été analysé

Les différents essais sur la RTT, tels que la TRILD ( Temps Réduit Indemnisé de Longue Durée ) dans les années 90, ont bien souvent mené à des échecs. En effet, bien que les directions d’entreprise aient proposé des accords diminuant le temps du travail avec une diminution de salaire entre 1 et 3% en échange d’un maintien de l’effectif, la réalité à terme est bien différente ; la mauvaise estimation des charges de travail étant la principale cause de cet échec. Malheureusement, la question sur la charge de travail n’a toujours pas été réglée. Si la direction refuse toujours d’examiner la création d’emplois dans les métiers émergeants pour alléger le travail des ingénieurs, comment penser régler les problèmes d’organisation du travail et donc de la productivité informationnelle ? Même question avec les salaires : si les salaires sont bloqués, comment mobiliser l’intelligence des salariés, comment leur donner confiance dans les objectifs poursuivis par l’entreprise ?

La crise des relations de confiance

Les effets de la révolution informationnelle, générant entre autre la perte de repères précis pour mesurer son efficacité, n’ont pas seulement déstabilisé les organisations syndicales, organismes de protection du travailleur ou encore le droit du travail ; les représentants du capitalisme le sont également. La principale cause à cette crise réside dans la mise en place du modèle libéral du marché et de la relation client – fournisseur qui ne fait pas bon ménage avec les promesses de conserver une entreprise citoyenne, c’est à dire avec un esprit d’entreprise. En effet, les grandes entreprises sont avant tout pilotées par les actionnaires. Ces derniers permettent à l’entreprise de survivre et n’attendent qu’un retour sur investissement. Alors comment créer un climat de confiance entre les salariés et les actionnaires, donc de la direction ? La nouvelle idéologie managériale doit donner une consistance forte, attractive, mobilisatrice, à la transformation du lien social dans l’entreprise en une simple relation client – fournisseur. C’est le rôle de l’entreprise réseau nécessitant une coopération horizontale, des liaisons directes, une organisation autogérée, des relations conviviales, une autonomie et de la flexibilité. Le problème est de savoir comment faire adhérer l’ensemble de la masse salariale à une telle idéologie. Quel compromis trouver pour satisfaire à la fois l’épanouissement du personnel et les exigences des objectifs capitalistes ? " En généralisant la relation client – fournisseur sans abandonner pour autant le contrôle hiérarchique et l’évaluation de chaque collaborateur, de chaque équipe, de chaque département, de chaque entreprise sur des résultats à court terme, la direction a ouvert une véritable boîte de Pandore : la compétition de tous contre tous a déclenché la méfiance généralisée " sans parler de la paralysie des initiatives produites par la formalisation des contrôles qualité. La confiance n’existe plus dans l’entreprise ; Chacun se réfugiant derrière les procédures de travail paralysant ainsi toutes les initiatives. Un autre phénomène de malaise : celui de la suspicion généralisée. Les cadres sont à présent valorisés suivant leurs compétences d’animation, de communication ou de conduite de projet et non sur leurs compétences techniques. Les surcharges de travail provoquent des retards et donc des tensions entre le personnel.

L’encadrement supérieur et intermédiaire se trouve dans la même spirale en appliquant des normes et des directives contradictoires. On veut supprimer tous les liens non marchands qu’impliquait une relation stable et de longue durée avec les salariés de confiance, afin de stimuler l’esprit de compétition, la sélection des plus performants, etc., mais le lien social qui crée l’esprit d’entreprise menace d’être rompu.

L’image, l’identification de l’entreprise n’a plus de sens profond. L’argent, la finance, la courbe d’actions ou le résultat d’exploitation ne font pas rêver, contrairement aux défis techniques. Les exigences techniques doivent céder le pas aux exigences commerciales et financières.

Le combat des organisations syndicales

Cette paralysie de la confiance généralisée n’est pas pour autant bénéfique aux organisations syndicales. La mobilisation syndicale reste d’une manière générale extrêmement faible. Ceci s’explique par un profond décalage entre les exigences nouvelles du travail informationnel et la stricte défense du droit du travail fondé sur une réalité en partie dépassée. Le travail informationnel demande autonomie et capacité d’initiative mais en même temps le salarié reste juridiquement totalement subordonné à son employeur et à sa hiérarchie. L’ambivalence et la contradiction sont de mise. Aussi, la mesure du temps de travail reste t – elle contrariée entre le choix d’un système de mesure auto – déclaratif et un pointage entrée – sortie qui n’ont ni l’un ni l’autre porté leurs fruits. Dans l’exemple de l’entreprise étudiée par nos deux auteurs, la CFDT est favorable au pointage de tout le personnel. La direction, elle, ne la désire pas pour les cadres. Elle explique son refus du pointage généralisé en disant : " les cadres sont présents dans l’entreprise, mais on ne peut pas considérer qu’ils travaillent ". Cet argument n’est - il pas une menace à l’égard du droit du travail ? Ainsi, l’entreprise veut se dégager de toutes responsabilités contrairement aux obligations du code du travail stipulant que le salarié est sous la seule responsabilité de l’employeur. Le danger d’une telle démarche serait de ne laisser qu’un seul type de relation : la relation commerciale client – fournisseur. On imagine aisément la dérive permise. Les salariés deviendraient des sous traitants malléables à souhait avec des contraintes horaires et financières ( heures supplémentaires gratuites ou facturation à l’heure contractuelle ).

La révolution informationnelle nécessite un remaniement de l’organisation du travail. Ce changement ne peut réussir qu’avec " la participation de tous les salariés à la recherche d’une nouvelle productivité informationnelle fondée non sur l’intensification du travail, la chasse aux temps morts, mais sur le développement de coopérations horizontales directes entre tous les acteurs qui interviennent sur la chaîne informationnelle ".

L’action syndicale pour un autre usage de la bureautique

Les auteurs ont choisi d’illustrer la suppression des emplois administratifs et le développement de la polyvalence par l’inéluctable utilisation de la bureautique. L’exemple suivant s’articule à travers la reconnaissance du métier de secrétaire dans une entreprise informatique. Les capacités de cette discipline depuis longtemps remise en cause par la direction participaient à démotiver les secrétaires. Bien que non syndiqué, ce personnel a participé à des interventions syndicales qui lui a permis de prendre conscience de la richesse de leurs compétences et connaissances utilisées pour mener à bien leur mission. Ces réunions se sont traduites sous forme de groupe de travail entre la CGT et les secrétaires. Cette collaboration a mené le groupe à la construction d’un questionnaire adressé à l’ensemble des salariés afin de comprendre les raisons des disparités d’échelons et de faire prendre en considération par la direction les niveaux d’études et l’expérience accumulée ; et ce pour définir une véritable filière de ces métiers. La CGT en a profité pour insérer la revendication collective des employés en matière de reclassement contre les critères de gestion dominants dans l’entreprise. La proposition des secrétaires était " d’utiliser les nouvelles technologies non plus pour réduire les emplois mais pour remodeler la division du travail entre ingénieurs et secrétaires en faisant de ces dernières de véritables assistantes de l’ingénieur " : en somme, une reconversion.

L’action de groupe présentait de nombreuses expérimentations intéressantes comme la collecte des besoins en emplois qualifiés, la revendication salariale, une gestion prévisionnelle des emplois axée sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication ou encore le développement des capacités des travailleurs à l’aide de nouveaux critères de gestion. Pour le syndicat, ces idées développées permettraient de combattre le désordre que peuvent générer les restructurations au nom de la modernisation technologique en démontrant son utilité à la création d’emplois stables et évolutifs. Malheureusement et malgré une participation élevée de la masse salariale – pour l’ensemble non syndiquée – et pour la direction, l’informatisation du travail de bureau reste un moyen de réduction des métiers indirects. Des formations d’informatique ont été déclenchées, mais seulement pour les ingénieurs et techniciens afin qu’ils apprennent à rédiger eux – mêmes leur rapport. Par la suite, les répondeurs ont fleuri sur leur bureau. " Les syndicats se sont heurtés au fatalisme qui a conduit les intéressés à accepter la nouvelle répartition du travail comme une modernisation technique inéluctable ".

Le principal point intéressant, à travers cette expérience réside dans la mobilisation de l’ensemble des salariés non syndiqués ( de l’ingénieur à l’ouvrier ). Celle-ci a suscité cette démarche face un problème d’organisation prévisible même si la fin restait inéluctable ; avec des acteurs syndicaux jouant simplement un rôle de conseil, d’animation et de coordination avec les salariés.

Expression directe : concurrence ou complémentarité ?

Dans les années 80, les organisations syndicales dont la CGT mettent en œuvre un nouvel outil d’expression et d’intervention. Il s’agit d’espaces de parole suivant un projet d’information préétabli.

Le métier de magasinier a bénéficié de cet outil. En effet, cette fonction dans les entreprises industrielles n’avait pas de reconnaissance auprès de la direction. Cette dernière la voyait plus comme une activité onéreuse et pratiquée par des salariés, sans qualification reconnue, et facilement remplaçable par l’outil informatique. Or, avec cet outil d’expression, l’entreprise s’est rendu compte de la rigueur et des véritables compétences de ce poste. Les analyses permirent aux syndicats de démontrer qu’une partie de la gestion avait été transférée peu à peu sur le métier de magasinier et que ce transfert de compétences allait prendre une importance croissante avec l’informatisation. L’informatique deviendra un outil de gestion indispensable et le magasinier un gestionnaire de stock. Après de longues négociations, le métier a été pourvu de qualifications nouvelles, revalorisées et accompagnées de formations adéquates à la gestion et à l’utilisation de l’informatique.

Ainsi, les expressions orales ouvertes prirent un vif intérêt à l’égard des autres activités de l’entreprise surtout pour les métiers indirects qui étaient menacés par l’inéluctable fin. Il fallait donc d’anticiper les planifications de la direction : " L’anticipation que rend possible l’information organisée par le réseau des sections syndicales donne une avance décisive pour éviter de se cantonner ensuite dans une attitude de briseur de machine, en rejetant purement et simplement l’outil informatique ". Le rôle des syndicats a été décisif dans la mise en place de ce réseau pour appréhender les questions nouvelles posées par le mutations du travail.

Anticiper le changement : l’exemple des ERP

Les Entreprises Ressource Planning sont des progiciels de gestion intégrée permettant de gérer et de contrôler en temps réel tous les flux d’informations de l’entreprise. La CFDT a fait le constat suivant : " ces systèmes sont introduits par décision des directions sans concertation aucune. Les organisations syndicales et les institutions représentatives sont mises devant le fait accompli " alors que " ce sont de nouveaux systèmes d’information globaux qui imposent de nouveaux modèles de structure et d’organisation du travail dans et jusqu’à la périphérie de l’entreprise ".

Devant ce danger, un projet syndical d’anticipation à de tels changements a été élaboré. Son application a eu lieu chez Colgate et ELF Antar France. Cela a permis à la CFDT de contrer le projet de restructuration et de suppression d’emplois. Le code du travail est un allié précieux pour ce projet syndical car un de ces articles " oblige l’employeur à informer les représentants du personnel siégeant au CE d’un projet de mise en place d’une technologie nouvelle qui a des conséquences majeures sur l’emploi ou / et les conditions de travail ".

L’anticipation est donc devenue une obligation pour les organisations syndicales. A présent, ces dernières doivent s’informer en temps réel si elles ne veulent pas se faire évincer par la direction et ses terribles projets.

Le projet PHIDIAS

Là encore les auteurs présentent comme nécessaire la coopération syndicale mais également interprofessionnelle, et ce, à grande échelle. La démonstration se fait sur un projet de mise en place d’une station de contrôle aérien français informatisé. Le projet PHIDIAS ( Périphérique Intégré de Dialogue et d’Assistance ), à l’initiative de la Direction Générale de l’Aviation Civile, a pour objectif d’informatiser la station de travail sans en éliminer le contrôleur mais au contraire en lui donnant une pleine maîtrise de la croissance du contrôle aérien grâce à des dispositifs d’aide à la décision.

La particularité de ce projet réside dans la coopération syndicale de deux entreprises appartenant à des fédérations différentes ( fédérations de transport et des métaux ), mais également dans une coopération d’ingénieurs et de techniciens possédant deux cultures distinctes, l’électronique d’un côté et le contrôle aérien de l’autre.

Cette coopération interprofessionnelle et inter - fédérale était, et est toujours, peu développée au niveau de la CGT. Il lui a donc fallu affronter deux obstacles : d’une part, en établissant des liaisons horizontales directes entre les deux fédérations et donc casser la structure pyramidale de l’organisation syndicale ; d’autre part, mettre sur pieds des liens de concertation directs entre ces deux cultures. Les missions ont consisté :

¬ _ à faire adhérer l’ensemble des salariés au projet des entreprises concernées

­ _ à faire le choix de l’achat d’un matériel ou de sa réalisation et de son développement pour un coût terriblement élevé.

® _ à soutenir une conception révolutionnaire de l’informatisation puisque opposée à la conception dominante fondée sur l’élimination totale de l’action humaine.

A l’encontre du projet PHIDIAS, il a été mis en avant le cuisant échec que la fédération américaine de l’aviation civile avait connue, avec son projet AERA, en automatisant totalement le système de contrôle aérien générant ainsi des milliers de licenciements. Au contraire, le système français PHIDIAS va être fondé sur une présence cruciale et décisive de l’opérateur humain dans la boucle informatisée par un système interactif homme – ordinateur.

La conception de ces deux projets fait s’affronter deux idées philosophiques dans la façon les rapports entre l’homme et la technique, et plus précisément la place de l’homme dans la prise de décision. A travers l’automatisation intégrale, on peut présager du danger de " la nouvelle technologie de l’information dans un système capitaliste mondial, toujours dominé par un modèle culturel qui privilégie la substitution des machines au travail humain ".

Cependant, le choix définitif du projet PHIDIAS s’appuiera également sur un critère de rentabilité, à court terme, contrôlée et demandée par la commission européenne. Aussi, retrouvons-nous des problèmes générés par la conception capitaliste tels que la traçabilité des documents rédigés par des auteurs disparus pour cause de turn – over ou encore les retards accumulés causés par une sous – estimation des investissements. Aussi, le projet PHIDIAS se trouve t - il aujourd’hui menacé d’être dévié de son objectif initial voire d’être repris par un concurrent proposant des projets moins audacieux, en matière de sécurité, mais moins coûteux et plus facile à réaliser.

Un tel projet met également en évidence la nécessité d’une coopération syndicale à l’échelle européenne pour parer aux intentions dévastatrices que peuvent produire les objectifs du capitalisme : coûts et délais.

F ) Conclusion

Un miroir grossissant des mutations du travail

C’est un constat : le travail est en pleine mutation dans l’ère de la révolution informationnelle. Cette dernière casse les cloisonnements internes et externes de l’entreprise connus jusqu’alors, oblige à une coopération et à un traitement de l’information sans frontières touchant toutes les activités humaines, professionnelles, éducatives et culturelles.

L’introduction de la gestion de l’information, par le patronat, à des fins de réduction voire de suppression des métiers supports ( ou indirects, c’est à dire n’intervenant pas directement dans la réalisation du produit ou du service ) provoque des problèmes de surcharge de travail faute d’un véritable débat dans l’entreprise sur le calcul des charges de travail et sur leur répartition.

On assiste également à un transfert des tâches des métiers supports sur des nouvelles fonctions transversales comme celle du gestionnaire de configuration ou sur les fonctions mêmes de l’ingénieur. Ainsi l’ingénieur et le cadre voient leur statut d’élite et d’exception balayé par la mise en place de la RTT.

Une imbrication nouvelle entre travail et vie familiale

La révolution informationnelle ne bouleverse pas seulement le monde professionnel mais également la vie sociale de l’ensemble des salariés. En effet, les auteurs ont fait ressortir les problèmes des couples où les femmes comme les hommes peuvent exercer une fonction d’encadrement. La vie privée et familiale a tendance à devenir prioritaire et prendre le dessus sur l’idée obsolète du cadre qui ne compte pas son temps dans l’entreprise. Parmi les jeunes ingénieurs, le privilège accordé à la qualité de vie va même chez certains jusqu’à accepter, avec leur femme, le travail à temps partiel pour mieux s’occuper de leur enfants. Cela ne se reflète pas par un rejet des activités professionnelles mais bien une diminution du temps de présence dans l’entreprise afin d’en accorder autant aux activités quotidiennes et familiales.

Un temps de travail en quête de mesure

On note un profond décalage entre les méthodes de mesure de travail datant de la révolution industrielle et la nouvelle mouvance de la révolution informationnelle. Le nouveau référentiel de la mesure du temps de travail ne devrait –il pas plutôt être calculé sur les capacités et les compétences humaines mises en œuvre et la qualité des coopérations qui permettent une véritable efficacité de la chaîne de traitement de l’information ?

Cependant et comme nous l’ont révélées les recherches des auteurs, le calcul des temps se font toujours suivant l’ancien modèle. Le capitalisme serait-il dans une crise de la mesure de l’efficacité ? La solution se trouverait-elle dans le " modèle gestionnaire " ? Les organisations transversales à hiérarchie plate, la gestion par processus ou encore les groupes de projets auto - gérés sont-ils la solution aux problèmes générés par la révolution informationnelle ?

Les auteurs s’y opposent catégoriquement. En effet, la suppression de postes au nom de la rentabilité capitaliste provoque une surcharge de travail dans tous les secteurs, privés ou publics. Les modèles de gestion toujours imposés par le " haut " font abstraction de la diversité des cultures des entreprises. Le modèle de Taylor permettait la prolifération des emplois indirects, supports, afin de soulager les ouvriers. Aujourd’hui, le reengineering aboutit à " l’inverse, puisque les tâches périphériques sont externalisées, soit intégrées dans le travail des opérateurs devenus polyvalents et autonomes ". Le tout est fixé par des objectifs et des contrôles des résultats. Ce modèle d’autogestion encadrée et séduisant cache une entreprise d’inspiration néo – libérale, dévastatrice pour les conditions de travail et la vie même des intéressés.

Le travailleur flexible du capitalisme informationnel

Le concept utopique du néo – libéral voudrait la disparition du contrat et du droit du travail. Les noms des patrons et des salariés appartiendraient à l’histoire et la lutte des classes serait balayée au profit d’individus libres, autonomes, sans appartenance, ni statut, vendant et achetant des prestations.

Le concept du benchmarking développe les achats de produits ou de services car les bonnes affaires financières se trouvent, le plus souvent, à l’extérieur de l’entreprise. Le salarié d’autrefois devient tour à tour fournisseur et client. Les contrats commerciaux remplacent les contrats de travail. Ainsi, le salarié n’est plus, il est travailleur indépendant sans autres obligations que celui du résultat ; et ce dans un laps de temps négocié. Ce système n’est que la généralisation des relations sous – traitants et donneurs d’ordres afin de fournir un produit ou un service conforme aux normes du marché : coûts, délais et performances. Le donneur d’ordre ne s’occupe que du résultat final.

Pour qu’un tel système fonctionne, l’application interne d’un " code éthique " est nécessaire. Ce dernier permet d’évaluer l’ensemble de la chaîne hiérarchique sur des critères de performance, de rentabilité, de compétitivité, de productivité ou sur les compétences de l’individu en fonction du degré de fidélité, comportement loyal, qu’il développe à l’égard de l’entreprise. " Ce dispositif prend tout son sens quand on l’insère dans la mutation du travail informationnel ". Le salarié doit être flexible c’est à dire être capable de s’adapter à tous les projets en changeant de lieu de travail ou de métier. Il sera évalué suivant sa capacité à se connecter et se déconnecter d’un projet. C’est le principe du management par projet dans lequel s’exerce une véritable sélection des intervenants en fonction de celui qui ne compte pas son temps donc qui " fait bien " et celui qui " fait mal " en refusant de faire travailler gratuitement.

Une crise d’efficacité

Avec une telle évaluation des compétences, comment ne pas craindre des dysfonctionnements dans la circulation des informations ? Ce système risque d’entraîner entre les salariés : conflit des horaires collectifs entre cadres et techniciens, climat de suspicion, individualisme, absence de confiance mutuelle, etc. Le remède pour conserver les informations, les connaissances de l’entreprise, se trouve dans les procédures de normalisation de type ISO version 2000. Elles permettent, en plus, de compléter l’externalisation des métiers supports.

Cependant, une crise d’efficacité demeure. Aux pyramides centralisées des anciennes structures multi – divisionnelles sont censées succéder des structures décentralisées, des liaisons horizontales et transversales souples. Cela doit s’effectuer sans que l’on puisse parler de décentralisation tant la recentralisation des structures de contrôle à posteriori, reporte finalement sur les organisations une tension conflictuelle non résolue entre standardisation et déstandardisation ( contrôle centralisé donc méfiance et délégation de responsabilité donc confiance ).

Cette crise d’efficacité prolifère sur les managers. Ces derniers subissent également : la crise du management. En effet, le management actuel est pris entre deux feux. D’un côté, il cherche à mobiliser les salariés, à les impliquer dans le projet d’entreprise et à développer des relations de confiance. De l’autre, la pression des marchés financiers et des actionnaires enferme le management dans une course sans fin aux délais et à la réduction des coûts. Ainsi, on assiste à une rétrogradation par le biais notamment des normes de qualité : méfiance, contournement des normes prescrites et transferts de charge masqués. Un fossé grandit entre prévisions et réalisations.

De nouveaux droits à conquérir

La seule issue possible pour sortir des contraintes de cette révolution informationnelle, aussi bien pour les salariés que pour les directions, est de définir de nouvelles règles de fonctionnement pour réorganiser collectivement les relations de travail. La participation, la concertation de tous les acteurs de l’entreprise est indispensable afin de définir les charges de travail, un suivi précis des relations entre charges prévisionnelles et charges réelles en tenant compte des multiples aléas du travail informationnel : panne, documentation erronée, mauvaise formalisation, coordination des métiers, etc.

Les groupes d’expression directe créés par les lois Auroux en 1982-84 ne seraient-ils pas à remettre en service, tout en instaurant un véritable système de contrôle et de mesure des charges de travail ? Les différents accords sur la RTT ne devraient-ils pas se faire en concertation avec les salariés ? La responsabilité du calcul des charges de travail n’étant plus juridiquement du seul ressort de l’employeur.

Comme nous l’avons vu précédemment, le rôle des syndicats doit être, entre autre, d’anticiper les changements organisationnels impliqués par l’introduction de nouveaux outils ou projets. Cependant, afin d’anticiper ne serait-il pas pertinent que la direction attribue des ressources financières pour pouvoir faire appel à des experts, des consultants ? La direction faisant le plus souvent de la rétention d’information et de la résistance à la transparence patronale, ne faudrait-il pas envisager la création, dans chaque entreprise et région, d’un observatoire du changement social indépendant ?

" Il s’agit aujourd’hui d’inventer des organisations autogestionnaires à l’échelle de la révolution mondiale de l’information, mais aussi de la contre révolution libérale qui menace actuellement les fondements du droit et de la loi. Le démarche patronale mondiale au cœur de la re - fondation sociale du MEDEF, vise à transformer le rapport salarial dans l’entreprise en une relation contractuelle marchande. L’enjeu est d’une extrême gravité pour l’avenir même de la démocratie, c’est un véritable coup d’état rampant de la contre révolution libérale visant à remplacer la loi par le contrat ". Ainsi, les directions pourraient formaliser les contrats de travail sans aucune contrainte. Cette liberté correspondrait parfaitement à une organisation sociale revendiqué par le MEDEF mais qui irait à l’encontre des principes même de la République à savoir que : " c’est le peuple souverain qui doit détenir l’autorité suprême dans la société ".