LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Corinne DUBELLY
Année Scolaire 1999/2000
Cours C1

 

Jean-Pierre Le Goff

"LE MYTHE DE L’ENTREPRISE :

Critique de l’idéologie managériale"

 

Sommaire :

- L'auteur
- La ou les questions posées à l'auteur
- Les postulats
- Les hypothèses
- Les idées clés
- Le résumé
- Illustrations personnelles

 

 

L’AUTEUR

Jean-Pierre LE GOFF, 51 ans, est philosophe de formation et sociologue au CNAM. Il travaille au sein du laboratoire de sociologie Georges Friedmann. Il préside également "le club politique autrement" dont les travaux concernent les conditions d’un renouveau de la démocratie et de la citoyenneté dans les sociétés développées.

Le mythe de l’entreprise est publiée une 1ère fois en 1992, puis en 1995, sous le titre réactualisé "Le mythe de l’entreprise : critique de l’idéologie managériale". Ses travaux au sein du laboratoire Georges Friedmann puisent dans 2 disciplines et il ajoute à ce propos :

"Pour moi, la philosophie ne doit pas rester simplement une idée académique. Son questionnement et ses enjeux peuvent concerner les acteurs de terrain. De son côté, la sociologie est indispensable pour comprendre le réel. L’optique de ma réflexion est ainsi de permettre aux gens de terrain de prendre un recul réfléxif et critique".

Avec le service de Formation Professionnelle d’EDF, il réalise en 1995, une étude visant à développer une nouvelle approche de la formation du management.
Il écrit en 1996, "les illusions du management" puis son dernier ouvrage en 1998 "Mai 68 : l’héritage impossible".

 

LA OU LES QUESTIONS POSÉES PAR L’AUTEUR

 

LES POSTULATS

A partir de l’analyse du mythe, il a été mis en évidence les pratiques de manipulation dans l’entreprise et les "bibles d’entreprise" que constituent les chartes et les projets

La manipulation où la conformité à la loi de l’entreprise

A travers la culture d’entreprise, on essaye de développer le sentiment d’appartenance du salarié. Pour cela, on met en place une autorité qui se présente comme une émanation du pouvoir collectif. La recette est simple : on pique des éléments, des habitudes à la base, on mélange avec les objectifs de la direction. Et on ressort le tout sous forme de normes et de lois à obéir.

C’est une forme de manipulation, car vous n’avez plus qu’à vous identifier à ces normes qui sont incontestable, puisqu’elles sont censées émaner naturellement de la base. En fait, le salarié tend à ne plus être considéré comme un individu autonome et un citoyen à part entière. Mais avant tout comme un membre de la communauté entreprise. Exemple : il va être un IBM, un Bouygues avant d’être lui-même.

 

Les chartes et les projets d’entreprise où l’implication totale des salariés

L’entreprise du 3ème type est censé réconcilier l’homme et la production, oubliant que l’entreprise permet avant tout de "gagner sa vie", elle veut se faire passer pour le lieu où l’individu se réalise pleinement. Pour créer cette illusion, pour impliquer totalement les salariés dans leur travail, plusieurs slogans sont inventés :

 

LES HYPOTHÈSES

La propension de l’entreprise à exercer de façon excessive les règles morales ne sont pas nouvelles. L’auteur en décèle la source dans :

La moralité de l’entreprise était essentiel pour Saint-Simon, et il n’était pas le seul à avoir pensé cela puisque :

Selon Jean-Pierre le Goff "l’entreprise broie les hommes et se nourrit de leurs blessures".

 

LES IDÉES CLES

L’idéologie moderniste pour "la démocratie"

Durant les années 80, l’entreprise a été soudain portée aux nues. Ce changement de cap a permis de réconcilier "les salariés" avec l’entreprise où c’est ce que nous avons voulu croire. On est passé d’une image de lutte des classes à une représentation angélique et consensuelle. On pensait que l’univers de l’entreprise allait créer un monde nouveau et générer en quelque sorte des "hommes parfaits", n’était pas réaliste.

Au lieu de devenir plus pragmatique, on a donc développé une nouvelle idéologie.

On a confondu le plan individuel et le plan collectif. Le rêve de ce monde nouveau de l’entreprise reposait sur l’ambition de fondre l’économique, le social, la compétitivité et l’éthique.

 

L’entreprise homogénéisée

Dans l’entreprise, chacun est censé s’épanouir, participer, communiquer dans la plus grande transparence avec une hiérarchie débarrassée de vieux tabous. Ici, les normes et le objectifs à atteindre, la place et le rôle assignés à chacun ne sont plus fixés autoritairement et imposé par la contrainte.

Il en résulte néanmoins une dualité importante permettant d’appliquer certaines règles, tout dysfonctionnement doit être réduit, annulé, de sorte qu’il n’y ait plus de conflits. Tout le monde doit avoir les mêmes objectifs, les groupes doivent être unis sans tension permanente pour arriver enfin à une entreprise qui forme un tout homogène. "le rêve quoi ! !".

Loin de parvenir à l’efficacité dont elle se réclame, ces discours et pratiques déstabilisent les collectifs de travail et les individus, entretiennent et renforcent malgré tout le désarroi ambiant. Mais les échecs répétés par la pratique peuvent-ils suffire pour remettre en cause cette idéologie ?

 

La glorification des concepts d’autonomie et de responsabilité

Le paradoxe est tel que l’on prône l’autonomie de chaque salarié mais qu’en même temps, on s’attache et on fait appel à des spécialistes en management, ressources humaines et formation qui ont des méthodes sophistiqués d’évaluation et de contrôle.

Car on assiste en fait à un double phénomène, d’un côté le développement constant de l’autonomie et de la responsabilité de chacun, de l’autre, le développement sans précédent d’outils d’évaluations et de contrôle de la performance individuelle et collective.

L’autonomie ne se décrète pas. Toute initiative qui permette la libre expression des salariés est nécessaire. Il faut que les gens puissent s’exprimer sans être instrumentalisés ou manipulés mentalement et qui évite toute démagogie.

Loin de parvenir à l’efficacité dont elle se réclame, cette orientation managériale aboutit en fait à une déstabilisation individuelle et collective qui renforce le stress, l’angoisse et le mal être au travail.

 

LE RÉSUMÉ

Depuis les années 1980, l’entreprise est au centre de toutes les préoccupations. Dans tous les pays industrialisés, la volonté de faire de chaque individu un "militant de l’entreprise" est à son apogée. Pour "mobiliser les troupes", se développe un ensemble de discours managériaux qui mêlent l’économique, le social et l’éthique et visent à inciter les salariés à s’investir pour la compétitivité de leur entreprise, à intérioriser les contraintes. Jean-Pierre Le Goff veut tenter d’amorcer une critique de cette idéologie et de ces pratiques managériales : il cherche tout d’abord à mettre en lumière le projet caché que véhiculent ces discours, les représentations qu’ils développent et le dangers qu’ils peuvent contenir ; prolongeant sa critique par une réflexion historique, il montre ensuite que ces discours prétendus nouveaux ne sont que la reprise de thèmes développés à la naissance du développement industriel.

 

Les outils du management moderniste

L’objectif des managers modernistes est aujourd’hui d’accroître la motivation et l’efficacité du salarié dans l’entreprise. Pour ce faire, un certain nombre de méthodes simples se présentant sous un label à la fois scientifique et technique sont proposées au personnel dans le cadre de stages : analyse transactionnelle, assertivité, méthode Herman, programmation neuro-linguistique sont autant de pseudo-clés livrées à l’individu pour l’aider à gérer son "énergie psychique" et à communiquer plus efficacement grâce à une meilleure connaissance de lui-même et des autres.
Ceci prétend pouvoir disposer d’un accès aux processus internes de représentation de l’interlocuteur.

Voyons d’un peu plus près ces différents outils :

Le 1er outil est l’analyse transactionnelle

Il concerne les états du moi enfant, parent et adulte. L’état enfant désigne les comportements d’un individu se trouvant dans un état de sensibilité en vrac, pulsions, émotions, sentiments, sensations, ressentiments.
L’état parent désigne des comportements induits par l’expérience et ce que l’on a appris.
L’état adulte désigne les comportements d’une personne qui informe et s’informe, traite et analyse.
Le but étant de développer son énergie positive et à transformer le négatif en positif.

Le 2ème outil est la méthode Coué : l’assertivité

L’assertivité étant tout simplement de mettre l’individu en mesure d’exprimer sa personnalité, tout en continuant d’être accepté socialement sans crainte de susciter l’hostilité de son environnement.

Le 3ème outil est la méthode Herman : les richesses insoupçonnées du cerveau

Ici le cerveau est présenté en 4 zones : le cortical gauche (logique et rationalité), le limbique gauche (contrôle et organisation), le cortical droit (création et synthèse), le limbique droit (relationnel et sensitif).
Le but étant l’aptitude à solliciter les 4 zones de façon équilibrée et maximale.

Le 4ème outil est la programmation neuro-linguistique : les sens en émoi

Le terme neuro étant nos perceptions sensorielles qui déterminent notre état intérieur.
Le terme linguistique se réfère à la communication et plus précisément aux comportements verbal et non verbal :
V = Visuel, K = Kinesthésique, A = Auditif, O = Sens olfactif.

Une idée maîtresse est à la base de ces stages : les phénomènes relationnels obéiraient aux mêmes lois que les sciences exactes et il serait possible de les contrôler entièrement.
Les émotions, les sentiments, les relations seraient traduit en équations, schémas et statistiques.
L’homme dans l’entreprise ne serait qu’une machine animée, son cerveau étant comparable à un logiciel d’ordinateur : muni du bon code d’interprétation et des consignes d’utilisation, on pourrait le faire agir à sa guise.

 

L’homme : une machine animée

Cette approche s’inspire directement des théories behavioristes américaines et Pavlovien décrivant le rapport à soi et aux autres à partir d’un schéma de base simple stimulus/réponse.
L’étude du comportement animal est appliqué à l’être humain (ex : le chien de Pavlov).

Ces théories prennent le pas sur la psychanalyse, elles écartent volontairement de ces stages le traitement de cas pathologiques qui posent à chaque situation correspondante un sentiment précis et une réponse adaptée. Ce sont donc avant tout des outils d’adaptation et de manipulation qui sont recherchés et non un quelconque mode de compréhension du psychisme.

Ces pratiques managériales modernes adoptent ainsi une démarche proche de celle du taylorisme, "consistant à décomposer l’être humain en mouvements où comportements élémentaires codifiés que l’on prétend maîtriser et manipuler en vue d’une utilisation optimale".

 

Confiance, dialogue et retour aux sources

Le succès de ces stages s’explique plus par l’intérêt personnel que peuvent y trouver les participants que par leur efficacité pratique : ces séances permettent de s’échapper de l’univers clos et routinier de l’entreprise et de découvrir un certain nombre de choses dans le domaine des relations humaines. L’individu peut à cette occasion se permettre de s’intéresser à lui-même et entendre parler de lui de manière positive.

"Ces discours idyllique sont tenus par des 68 huitards rêveurs, idéalistes déconnectés des réalités économiques et sociales".

Renvoyer aux participants une image d’eux flatteuse, celle de perpétuels gagnants, héros de l’économie moderne, fait en effet partie du jeu. Le cadre est censé acquérir la capacité de dominer en toutes circonstances ses interlocuteurs futurs. Quant à l’efficacité pratique de ces manifestations, personne n’est capable de les mesurer. Face aux situations réelles de conflit dans l’entreprise, ces beaux outils n’apportent pas toute l’aide prétendue.
En effet, nous allons de plus en plus vers une thérapeutique globale d’entreprise.

L’entreprise du "troisième type" serait ainsi devenue un lieu où l’individu peut se réaliser, où rien n’est laissé au hasard, pas plus la santé que les éventuelles difficultés familiales. En effet, il s’agit d’être à l’écoute des salariés, d’instaurer un climat de confiance, de prendre soin par des stages divers de leur corps et de leur esprit. "Le gage d’une bonne santé morale passe par une bonne santé physique et psychologique."

 

La culture d’appartenance

Ces innovations managériales visent toutes à développer le sentiment d’appartenance des salariés à la firme. Les méthodes utilisées sont variées : l’institution d’une "culture d’entreprise", fonds culturel commun auquel les salariés adhérent car ils retrouvent en lui un certain nombre de valeurs qui leur sont propres ; le retour fréquent dans les discours des métaphores militaires ("guerre économique", "mobilisation générale"), la célébration de rites (pots de départ, d’anniversaire), l’invention d’une histoire commune ; enfin le développement de la formation interne et la création "d’universités d’entreprises" qui doivent permettre de "transmettre à l’équipe le code génétique de l’entreprise, de souder les troupes contre les concurrents".

Le but dans tout çà est de regrouper dans un même lieu, la formation professionnelle, le management et la culture d’entreprise, afin que les jeunes embauchés et les cadres soient façonnés de telles manières que les individus rentrent dans le même moule.
L’exemple de Bouygues pour le développement de la culture : "Bouygues affirme que les hommes ont besoin de former une communauté et les mêmes idéaux en conjuguant l’économique et le social."

Mais paradoxalement, en cherchant à exercer une emprise totale sur les salariés, les managers modernistes vont à l’inverse de leurs prétentions en éliminant de ce fait tout ce qui contribue à donner figure humaine à la production à savoir la libre parole ou encore l’institution d’un lien social autonome, non dicté par la direction.
"ce management s’applique à quantifier et mesurer le comportement, les habitudes et la culture des salariés au sens ethnologique du terme ".

 

L’éthique : outil de management interne

Une des caractéristiques du management moderniste est l’entrée en force de l’éthique dans l’entreprise et parfois même du religieux. Ainsi le prieuré de Ganagobie dans les Alpes de Haute-Provence accueille t’il des séminaires d’entreprise et anime t’il ceux portant sur tous "les sujets touchant à l’éthique".

L’éthique chrétienne tend à ne plus mettre en jeu les différentes rationalités de l’entreprise. Elle attend au contraire que les intérêts divergents et conflictuels cesse afin que les rapports avec les autres soient remplis de sollicitudes et de compassion. Alors que la logique de l’entreprise est de toute autre nature. "En ce sens il est éthique de démystifier l’éthique".

Bon nombre de patrons voient en effet dans la religion un modèle fascinant d’intégration communautaire. "Au nom de quoi peut-on prétendre vouloir le bien des hommes en entreprise, alors que ceux-ci n’en demandent pas tant ?".

Des chartes et projets destinés aux membres de l’entreprise et à ses clients affichent objectifs et ambitions du groupe : éthique, valeurs, morale, règles de fonctionnement et de conduite, tout y est. Ces petits livrets contiennent les préceptes qui guideront quotidiennement l’individu dans son travail : l’éthique y apparaît comme un véritable outil de management. Les chartes publiées par les directions des groupes donnent la ligne générale ; elles sont reprises par chaque unité qui s’en inspire. Ce dernier apparaît surtout comme un instrument de communication interne, destiné à diffuser les principes moralisants établis par la charte.

Considérés comme un levier important de la mobilisation de la ressource humaine, les chartes et projets d’entreprise tendent de réconcilier l’éthique et l’entreprise.

"le mot charte nous renvoie en effet à l’époque féodale, au règne des seigneurs et des rois. La charte était précisément le document par lequel ces derniers concédaient des franchises et des privilèges à une partie ou à la totalité de leurs sujets".

Le modèle de l’entreprise moderne "déborde" du secteur privé : chartes et projets commencent à apparaître dans les entreprises nationalisées ou rattachées au service public. Partout, sur des tons divers, l’éthique et les valeurs sont brandies pour interpeller le salarié et l’impliquer dans le projet de l’entreprise. Le service public de santé n’est pas épargné : on y parle dorénavant de "créneaux", "gisement de productivité".

Le flou et la confusion dominent toutefois ces textes : si toutes les entreprises se réfèrent à l’éthique, elles ne lui donnent pas forcément le même contenu. Ainsi les groupes américains reproduisent-ils le moralisme anglo-saxon alors que le respect de la vie privée demeure une référence pour beaucoup de patrons français.

"Elle se trouve intégrée dans un discours dont la cohérence n’est pas à chercher dans les vertus qu’il décline. Il ne suffit pas de montrer l’inconsistance d’un tel discours au vu de la réflexion éthique, encore faut-il essayer de cerner la logique qui le sous-tend".

L’entreprise idéale

L’idéal à atteindre est quoi qu’il en soit celui d’une entreprise vertueuse où le "créatif" est maître. Mais sous les thèmes de l’éthique et des valeurs à la française ne se profile-t-il pas le retour d’un courant patronal ancien ? L’éthique dont se réclament les patrons chrétiens français participe d’une logique du mouvement incluant le sacrifice : il s’agit de "travailler sans compter pour le bien de tous". Un tel sens du devoir ne peut que légitimer aux yeux des salariés le volontarisme éthique de ces patrons et les pratiques qui l’accompagnent. La pluralité, le conflit pourtant inséparables du concept d’entreprise sont niés.

"Homme supérieur idéalisé, sans défaut, doit renvoyer une sorte de héros illimité."

L’objectif non dit mais pourtant réel, est de contourner les acquis démocratiques obtenus dans le domaine du travail : cette "éthique commune" permet d’étendre au delà des barrières protectrices du droit la subordination du salarié à l’employeur et son implication dans l’entreprise. Elle se place au dessus de tous les compromis ou accords établis entre les partenaires sociaux.

L’entreprise est présentée comme un tout unifié qui se heurte à un environnement extérieur où le conflit est roi. Le rappel insistant de la menace extérieure participe à cette volonté de rendre maximale la cohésion interne. Mais, poussée à son terme, cette logique n’aboutit qu’à une destruction symbolique de l’individu. Le "management des ressources humaines" utilise pleinement ces arguments pour accroître l’esprit de compétitivité du personnel mais génère par là même un sentiment de mal être généralisé : l’échec devient proprement insupportable, peut entraîner la révolte ou la dépression de celui qui le subit. Le terme de "stratégies de gestion par le stress" employé par certains paraît justifié !

Ce type de système est pervers, il tente d’instrumentaliser le désir des autres, et quand le problème arrive, l’image idéale de la performance est sérieusement remise en cause. La défaillance n’a pas de mise dans ce système et il faut tout de suite l’évacuer "blessure narcissique" car cela devient inadmissible.

Si les projets et chartes d’entreprises enthousiasment le personnel des services de relations humaines, de communication, de formation, séduisent les nouveaux arrivants et les jeunes diplômés, ils laissent perplexes la masse des salariés qui se demande où cela doit mener.

Les gens ont plutôt un sentiment que çà ne change pas grand chose. Sur le plan concret, ils attendent plus du côté des rémunérations. Car quand ils veulent remonter une information à la direction générale, leurs propositions ne sont jamais retenus, AGF en est l’exemple type.

Les discours sur l’éthique, les valeurs apparaissent décalés et coupés de ce qui préoccupent les salariés, en particulier la conservation de leur emploi. Quand l’entreprise connaît des difficultés, ces chartes ne dissipent pas les craintes mais accroissent le sentiment de désarroi.

Les rapports de confiance apparaissent vide de sens face à la logique implacable de la rentabilité qui démotive les hommes. Les salariés se sentent floués.

EDF règle les problèmes : "les projets d’entreprise sont remis en cause, même par le cadres, et le chaos surgit manifestement, oppositions, conflits de pouvoir et règlements de compte qui vont à l’encontre des objectifs poursuivis et qui renvoie à une logique de réalité. Ces mouvements de balancier finissent par décourager ceux qui veulent changer les choses".

 

L’éthique instrument commercial

L’éthique des affaires rend sensible certains cadres chrétiens qui croient réconcilier les affaires avec la morale. Elle concerne les affaires financières mais aussi l’environnement de la société et intègre le nouveau management des valeurs.

L’éthique, outil de management interne, apparaît également dans la manière dont les entreprises définissent leur rapport à la société. Des règles strictes, une éthique définie, régissent les relations entretenues par les salariés avec leur environnement extérieur (comportement politique, diffusion d’information sur les activités de leur entreprise…).

Mais tout type de transmission d’information, à l’extérieur comme à l’intérieur d’une société est soumise à une réglementation stricte.

"Ne discutez jamais avec des personnes non autoritaires d’information qui n’ont pas déjà été rendues publiques". C’est le cas d’IBM.

L’éthique est partout, s’enseigne dans les Business School américaines et dans les écoles françaises et devient un objet d’investissement : ainsi aux Etats-Unis les entreprises placent-elles leur argent dans les activités de santé, le logement social… 

Une firme "propre" dans son comportement bénéficiera de la faveur des clients. Très développé aux Etats-Unis, ce phénomène n’en est qu’à ses tous débuts en France.

Les codes déontologiques croissent au sein des entreprises et redéfinissent les règles erronées.

Certaines valeurs sont exclus : l’alcool, le tabac, les éditions pornographiques, l’armement, le nucléaire, les industries polluantes.

D’après les chrétiens de nouveaux produits moraux peuvent bénéficier d’un créneau porteur non négligeable "le label éthique" qui sera peut être la garantie de la qualité.

L’éthique doit contribuer à donner une bonne image de l’entreprise et de ses produits.

Après avoir envahi la sphère managériale, l’éthique s’intègre désormais à la stratégie commerciale des groupes. Les investissements dans l’écologie, dans la culture, sont autant de "bonnes actions" qui prennent racine dans cette logique. L’entreprise veut devenir la "référence d’une nouvelle morale de la vie".

 

L’entreprise et l’éducation

L’entreprise se dit prête à assumer ses devoirs envers la société et entend grâce à un transfert du pouvoir de l’Etat en direction de l’entreprise, occuper un rôle totalement nouveau. Ses prétentions dépassent largement la sphère strictement économique et le premier domaine dans lequel doivent s’exercer ses nouvelles responsabilités est celui de l’éducation et de la formation.

A la faveur des développements technologiques, les compétences requises par les entreprises modernes se sont modifiées : d’ordre technique, elles font désormais appel à la logique, au raisonnement, à l’expression orale… Mais les salariés ne suivent pas l’évolution : pénurie de main d’œuvre qualifiée, changement important des connaissances requises, besoin d’un personnel plus qualifié et doté d’une capacité d’adaptation et d’évolution, développement des nouvelles technologies.

Une nouvelle vision de la formation du personnel, considérée comme un investissement rentable à terme apparaît. Mais les stages de formation se caractérisent par l’absence de démocratie dans le choix des salariés, le contenu… Ceux que la direction juge inaptes à les suivre risquent de se retrouver rapidement exclus de la vie de l’entreprise.

"Ces formations demandent souvent de tels efforts d’assimilation intellectuelle que beaucoup de salariés estiment, à juste titre qu’on leur demande d’accomplir l’impossible".

L’exclusion de certains suite à un problème de compétence, ouvriers, femmes, travailleurs immigrés, âge sont fréquents et les sans grades sont présentés avec un modèle de valeurs des plus bas. L’entreprise est un terrain de lutte favoris entre 2 classes bien distinctes :

La culture est difficile à définir dans la société, la stratégie de culture veut maîtriser et gérer les différences. La culture vue par le management moderniste se veut au contraire réductionniste.

"la culture est un état d’esprit transnational" libre de déstructurer tous les repères. Ici, elle supprime l’héritage des nations, les traditions, les civilisations, la culture générale de l’éducation et surtout l’acquisition d’une autonomie de jugement contre les milieux et pouvoirs en place afin de lutter contre la manipulation. Mais au contraire faire en sorte de changer les comportements. La culture générale se trouve réduite à déceler les réelles compétences chez autrui pour l’adapter au social et au professionnel.

Les firmes ont de plus en plus une vision spécifique de leur collaboration avec l’enseignement professionnel, y voyant un moyen de former à court terme des élèves pour des postes bien définis.

De même leur conception en matière d’enseignement général sont-elles terriblement réductrices : la culture générale est instrumentalisée, le français considéré sous l’angle de la communication, les mathématiques sous celui de leur application pratique dans le domaine de la production…

Dans ses discours internes et externes, l’entreprise manie ainsi des notions floues, développe de "grandes théories" dans la confusion la plus totale, pour arriver à une idée centrale : l’individu est un être conditionné et qu’il s’agit de modeler pour faire de lui un gagnant. Par les stages, séminaires, c’est une façon d’agir et de penser que l’on tente de lui inculquer.

Et on arrive ainsi à tout codifié, voici quelques exemples :

  1. "Les stages en comportement" qui sont développés avec les conseils et organismes de formation.

  2. "La motivation" est aussi un vaste sujet en élaborant l’histoire de ses théories.

  3. "Les conflits en entreprise", manuel divisé en 16 types différents.

  4. "Les 4R du pouvoir", inventaire de codification philosophique et métaphysique.

On procède à de vastes typologies et de classement avec des indicateurs à chaque catégorie.

Codage dans des tableaux synoptiques pour appréhender de façon globale l’Etre Humain au regard du management. Ceci définit un modèle de conduite à tenir dans l’entreprise et dans la société.

Apparaît aujourd’hui un danger, celui de voir la conception managériale de l’éducation pénétrer l’ensemble du système éducatif. Or, la spéculation désintéressée, la recherche sans application immédiate doivent impérativement garder leur place dans l’éducation.

 

Un retour aux sources du paternalisme

Ces théories du management moderniste, ne sont pas radicalement nouvelles, mais trouvent leurs sources dans les idéologies qui ont accompagné, au 19ème siècle, le développement de l’industrie.

Le rapport de soumission instauré entre le patron et l’ouvrier ne se limitait alors pas au salaire et les règlements intérieurs régentaient de manière très stricte le comportement des salariés. Il s’agissait par la contrainte de normaliser les comportements, de réprimer toutes les manifestations spontanées de l’individu. On retrouve là, "la philosophie" des managers modernistes. De même, "la lutte contre la paresse" et le "retour de la morale" dans l’usine, prônée en 1870 par F. Le Play (inspecteur général des mines et sénateur) sont autant d’idées reprises par nos nouveaux managers.

L’auteur dégage 6 pratiques essentielles qui sont "le vrai symptôme de la santé matérielle et morales des ateliers".

La 1ère - la permanence des engagements réciproques du patron et de l’ouvrier.
La 2ème - l’ouvrier doit se contenter de ce qu’il gagne.
La 3ème - l’alliance des travaux de l’atelier et des industries domestiques rurales ou manufactures.
La 4ème - les habitudes d’épargne.
La 5ème - veiller à leur procurer un logement stable.
La 6ème - le respect et protection accordée à la femme.

On promut des méthodes de direction sur le modèle féodal, rural et artisanal.

Avec la naissance du syndicalisme, il faut encore davantage encadrer plus activement les ouvriers. Morale et religion s’intègre dans le dispositif d’encadrement.

La réconciliation de l’économique, du social et de la morale date elle du Second Empire : le développement doit apporter à la fois bien-être économique et harmonie sociale. "ordre productif, ordre social et ordre moral ne font qu’un, et la religion est là pour en garantir la légitimité". "la morale paternaliste règne en maître".

Discipline et bienveillance s’incarnent dans une même figure, celle du patron français, industriel philanthrope. L’autorité patronale au 19ème siècle, emprunte le modèle à l’armée avec sa discipline strictement réglementaire et à celui de la famille avec ses liens affectueux autour de la volonté du père.

"Le patron français : chef père, sévère mais juste, voulant le bien de son personnel". Le développement de la production, l’œuvre sociale et la morale sont étroitement imbriquée dans la bonne conscience des industriels de l’époque. Le retour de la morale est présente aujourd’hui sous les formes de l’éthique. Elle se démarque du moralisme traditionnel en appelant à l’autonomie et au libre choix des individus. Mais c’est le retour paternaliste ancien qui en est la principale source.

 

3 sources d’inspiration de l’idéologie managériale

L’idéologie Saint-Simonienne

Selon Saint-Simon, le développement de la production était un facteur d’accroissement du bien-être pour les prolétaires et pour les plus riches. Toute la société devait être organisée en fonction de l’activité productive, pensée comme un vaste corps dont tous les organes concourent à la production et qui sécrète son propre système de régulation interne.

Le pacte social Saint-Simonnien fonde une communauté non pas de citoyen mais de producteurs qui reconnaissent la nécessité de s’unir pour le développement de la production.

Avec le pacte social, nous avons :

Les nouveaux pouvoirs du système industriel seront scientifiques et fonctionnels et ne reposeront pas sur la contrainte. La religion est très présente dans le système de régulation de cette société, le christiannisme étant envisagé comme une "doctrine morale socialement utile supérieure aux autres" qu’il faut cependant "régénérer", c’est-à-dire débarrasser de la rupture qu’il opère entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel. Saint-Simon voit dans le système industriel la marche inéluctable de la société : l’âge d’or serait à venir.

 

La théologie du travail du Père M.D Chenu et le catholicisme réactualisé

Elle apparaît en France au début des années cinquante et considérait le développement économique et technique comme une possibilité nouvelle de promotion spirituelle de l’humanité. Il s’agissait alors d’établir le champs de la réflexion théologique en tenant compte des réalités économiques et sociales.

L’économie humano-chrétienne du père M.D Chenu, qui a fait des travaux de recherche en théologie du travail se veut utopique, irréaliste et fantaisiste. Mais ne l’est pas pour l’idéologie managériale.

L’institution de prêtres ouvriers était le christianisme revisitée sous le mode de la classe ouvrière qui entendait prendre en compte ses problèmes.

La finalité du travail va au delà des nécessités de la subsistance ; ce dernier est facteur d’humanisation, il structure à terme l’humanité toute entière dans un vaste corps qui viserait à la promotion du bien commun. L’existence d’un prolétariat, le taylorisme, ne seraient que des étapes à franchir avant que le travail ne trouve sa pleine consistance humaine. Certaines idées de la théologie du travail qui apparaissaient à l’époque révolutionnaires sont aujourd’hui reprises par l’Eglise et par certains théologiens :

Celui qui travaille n’est pas simplement membre d’une famille, il est relié à la grande société.

Ici l’homme par son travail imite Dieu, il complète, développe son œuvre de création. Cette conscience de cette dimension spirituelle du travail constitue la motivation la plus profonde. Le christ étant présenté comme l’homme au travail.

Nous constatons ici que la doctrine de Jean-Paul II mélange allègrement l’analyse sociologique, l’éthique et la théologie ; l’église tentant de résoudre une idéologie de remplacement laissé par la crise du marxisme et des grands systèmes d’interprétation du monde.
De nouveau, mais sous des modalités différentes, le catholicisme peut se révéler une "religion socialement utile". Les managers modernistes l’ont compris.

 

Le personnalisme d’Emmanuel Mounier

Les patrons chrétiens et managers modernistes y puisent une conception de la personne, du travail, de la communauté, mais se gardent d’évoquer ses critiques virulentes concernant le moralisme et le paternalisme.

Le travail est vu comme l’un des modes d’engagement de l’homme dans le monde. Il existerait une nature vertueuse du travail qui se confond alors avec l’œuvre. On en appelle à l’avènement d’une "cité du travail" qui doit s’ordonner entièrement autour de cette valeur de création personnelle et communautaire. On retrouve l’éthique… La planification devrait permettre de maîtriser le développement de l’économie moderne et de la réconcilier ainsi avec la démocratie.

Des auteurs comme P. Ricoeur ou A. Béguin, ont apporté ensemble quelques critiques à cette doctrine.
Car l’apologie marque les réalités, "on ne peut transfigurer le travail en acte purement créateur, du fait du développement du machinisme, de l’évolution de la technique, qui n’enlève pas au travailleur sa pénibilité physique mais au contraire son esprit innovant".

L’évolutionnisme est une idéologie. Béguin postule, "on ne peut pas prévoir qu’une nouvelle civilisation est en train de naître de façon naturelle ou surnaturelle."

Ricoeur voit plutôt l’émergence d’une nouvelle civilisation qui prend racine après une lente maturation des forces vives qui se reconstituent dans l’ombre.

Pour, A. Béguin de nouveau, la notion de "civilisation du travail" et ses prétentions doivent être remises en cause. En effet, on ne peut selon lui englober l’espèce humaine dans un seul principe unifiant car il existe une parole autonome qui témoigne de l’irréductibilité de l’existence humaine à toute norme. Le danger de ces théories viendrait du fait qu’elles réduisent le langage à sa dimension instrumentale sans tenir compte de ce qui importe le plus : la parole créatrice. Cette critique pourrait s’adresser dans les mêmes termes aux managers modernistes qui ont aujourd’hui acquis droit de cité…

 

L’idéologie managériale : une conséquence de Mai 68

Ainsi l’idéologie managériale ne serait qu’une "version abâtardie" de toutes ces doctrines, tentant de recoller les morceaux d’un imaginaire industriel en perdition depuis Mai 68. Les soixante-huitards ont dénoncé l’humanisme modernisateur qui a accompagné le développement industriel mais qui n’a pas tenu ses promesses et ont exprimé l’exigence d’une plus forte autonomie individuelle.

Mais son refus du compromis et de la négociation, le mouvement en est resté à l’utopie. Profitant du vide idéologique qui a suivi cette période et face aux nouvelles contraintes économique, est apparu le management moderniste, accompagné de ses folles prétentions et des ses méthodes de manipulation dont l’auteur a tenté de souligner ici les dangers.

 

ILLUSTRATIONS PERSONNELLES

En partant du même principe que Jean-Pierre Le Goff, je pense qu’il faut rompre avec les folles prétentions du management moderniste et prendre conscience qu’il n’est pas possible de "changer les hommes" mais qu’il faut plutôt reconnaître l’autonomie et le bon sens des salariés, arrêter de les démotiver en inventant de soi-disant outils miracles. Développer la culture générale pour former le capacité de jugement de chacun et particulièrement des cadres est nécessaire, car ce sont les premiers visés par les campagnes de mobilisation. D’autre part, il ne faut pas oublier que c’est la compétence professionnelle et technique qui donne l’autorité dans le travail. Quand aux conseillers d’entreprise, qu’ils permettent d’éviter le conformisme et les nouvelles formes de manipulation de l’intérieur comme de l’extérieur (voir sectes dans l’entreprise) seraient une bonne chose. Ce serait la condition d’un renouveau de la démocratie en terme de citoyenneté active.

Entretien réalisé avec M. Bousquet, membre de l’Association CCMM,  (Centre de documentation, d’Education et d’Action Contre les Manipulations Mentales).
Cette association fait partie du Comité Interministériel de lutte contre les sectes.

 

Autonomie et lois vont-ils ensemble ? ?

Les penseurs vont tenter de répondre de façon scientifique et philosophique à cette problématique.

Ainsi, les théorèmes de la théorie des jeux et la théorie des "effets pervers" montrent bien que de la simple interaction d’individus supposés parfaitement libres et rationnels résultent immédiatement d’un monde de lois universels et nécessaires constituant un obstacle radical à tout rêve de transparence absolue.

Kant peut nous servir de guide, c’est lui qui a introduit en philosophie les termes d’autonomie et d’hétéronomie, ainsi que l’usage de distinguer 2 définitions de la liberté :

Une définition négative qui est l’indépendance et une définition positive qui est l’autonomie.

Car il n’y a pas de liberté sans loi. De plus, il est clair qu’énoncer une loi quelconque, c’est toujours énoncer implicitement ce que Kant appelle "un impératif hypothétique" du type "si tu veux obtenir tel résultat, alors tu dois nécessairement te soumettre à telle ou telle condition et ceci quoi qu’il t’en coûte".

Kant postule pour ainsi dire que la transcendance de l’homme par rapport à lui-même ou la transcendance de la raison sur la sensibilité, de la chose en soi sur le phénomène.

Mais ceci est commun à toutes les axiomatiques de la modernité, comme le suggère un bref examen des théories de Hobbes et d’Adam Smith.

Dans le système de Hobbes, l’homme est autonome et la société assure sa régulation, en ce sens que le politique est indépendant du religieux, mais tous les hommes sont assujettis à un souverain absolu, c’est-à-dire au détenteur du pouvoir suprême qui peut décider du contenu des lois sans être lui-même lié par elles.

Chez Adam Smith, l’auto-régulation de la société est semble t’il d’autant plus parfaite qu’en principe le lieu de la souveraineté est vide puisque aucune main invisible n’est requise pour assurer l’ordre social.

Newton nous incite à nous pencher sur l’attraction universelle au pur espace vide des épicuriens (l’ordre émergerait spontanément du désordre), on parlera d’auto-organisation de la matière.

Car la possibilité de faire de la physique sans faire de théologie n’implique évidemment pas que le monde soit indépendant de Dieu.

Rousseau dit quant à lui, avec son contrat social, qu’il semble bien réaliser les conditions d’une parfaite autonomie et d’une authentique auto-régulation de la société : tous les hommes, sans exception, sont en effet les auteurs des lois auxquelles ils sont soumis et le gouvernent.

Selon une tradition qui remonte aux Stoïciens, le droit s’enracine dans un ordre transcendant et éternel dont les Dieux sont les gardiens plutôt que les auteurs.

Pour nous, un droit est avant tout un pouvoir, pouvoir qui est conféré et garanti par la puissance publique aux membres d’une organisation par exemple. Que sont les lois positives et celles négatives ?

Traditionnellement, c’est la réponse des Stoïciens et c’est celle de la théologie classique que tels droits sont déterminés :

Mais revenons au droit, le droit est un pouvoir et le droit naturel est le pouvoir d’agir que la nature confère immédiatement à chaque individu, à savoir l’état de nature, le droit avec la force ou plus exactement avec la puissance.
"les gros poissons mangent les petits" selon Hobbes et Spinoza.

Chez Locke et Montesquieu, ils sont proches de la théorie du droit divin selon laquelle la souveraineté n’appartient qu’à Dieu et non au chef de l’état qui est tenu de faire respecter par tous les hommes.

Mais pour Rousseau, Dieu seul a le pouvoir et en est la source et il est hors d’atteinte. Aucune autorité spirituelle n’est habilitée à parler en son nom. Il ne peut y avoir aucune loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat social.

Dans nos sociétés et dans les entreprises, "le contrat social" est partout, il vise à mettre en place une procédure de décision qui permette, non pas de construire la volonté générale à partir de volontés particulières, mais qui recueille ou non la force de loi.

"Le contrat social" s’impose aux irréductibles. Pour Rousseau, il faudrait que la volonté générale par définition soit conforme au droit.

Celui qui détient le pouvoir sait que son pouvoir est indivisible et que celui qui est en conflit ne peut rien faire contre le système idéologique du pouvoir.

Mais celui qui détient le pouvoir s’il le veut doit s’assurer que les sujets honoreront leurs engagements car chaque individu peut avoir comme homme, une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu’il a comme citoyen, son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l’intérêt commun. Rousseau fait bien la distinction entre la volonté générale et la volonté du peuple, car elle procède ici de volontés particulières.

Dans quelles mesures, un agent donné peut-il influencer le comportement global ?
Von Foerster répond "plus les éléments d’un système sont trivialement connectés, moindre est leur influence sur son comportement global, ils sont aliénés, l’influence de l’état du système sur l’action des éléments prend la forme de détermination rigide et univoque. Il faut que les comportements soient complexes pour que les agents aient une même chance d’exercer une influence sur le système".

 

Quand la loi et la doctrine religieuse deviennent un régime sectaire totalitaire

La religion est à la secte ce que le costume est au théâtre. Si pour une majorité de croyants, les voies du seigneur doivent conduire au ciel, pour les victimes des sectes, les voies que le gourou ou le groupe dirigeant pratiquent conduisent inévitablement à votre portefeuille, à votre patrimoine et d’une façon plus générale à l’argent.

"Pour les cercles de qualité, fortement motivé tu seras. La méthode, tu respecteras. Le volontariat tu favoriseras. De leur travail, tu ne te mêleras. Ta confiance absolue, tu manifesteras. L’avarice tu banniras. La vocation tu susciteras" .

Cette sorte de bible taylorienne nous montre que l’homme est un acteur qui n’est pas libre par un manque d’autonomie car il doit en référer à "Dieu", à son supérieur. Ici, l’homme doit travailler et capitaliser davantage pour amasser, produire en conséquence.

Pour être tout à fait complet, il faut souligner qu’accéder à l’argent, au capital, les masses monétaires sont considérables et ceci n’est pas le seul objectif puisqu’on retrouve le pouvoir économique le conditionnement du comportement.

Max Weber l’illustre bien dans son livre "l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme".

Il montre qu’à partir des convictions religieuses protestantisme, est né en même temps le capitalisme sous le signe de la productivité, de la rigueur et de la raison, et, l’origine d’un comportement ascétique pour la plupart reconnu des sectes protestantes à travers le monde (quakers, mormons, église du christ de Paris, etc…).

Ils reposent en effet sur les mêmes dogmes depuis le 17ème siècle.

"Car lorsque l’ascétisme se trouva transféré de la cellule des moines dans la vie professionnelle et qu’il commença à dominer la moralité séculière, ce fut pour participer à l’édification du cosmos prodigieux de l’ordre économique moderne. Ordre lié aux conditions techniques et économiques de la production mécanique et machiniste qui détermine, avec une force irrésistible, le style de vie de l’ensemble des individus nés dans ce mécanisme et pas seulement de ceux que concerne directement l’acquisition économique".

En somme appartenir à une secte, confirme Max Weber, était l’équivalent d’un certificat de qualification éthique ; en particulier cela témoignait de sa moralité en affaires, à la différence de l’appartenance à une église. Une secte dit Max Weber constitue en principe l’association volontaire, exclusive, ce sont ceux qui sont religieusement et moralement qualifiés pour y adhérer. Ils peuvent être assurés en retour, de par la constitution de ses membres, qu’ils pourront avoir toutes les aides nécessaires pour monter les affaires ou pour accéder au pouvoir.

L’exclusion de la secte pour infraction d’ordre éthique signifiait perte du crédit en affaires et déclassement social.

 

3ème millénaire : quand les sectes s’emparent des entreprises !!

Actuellement la dérive spirituelle est bien d’actualité, elle touche de nombreuses personnes, mais aussi de nombreuses sociétés. Par la récupération d’organisations d’origines sectaires, l’entreprise est peu à peu imprégnée par leur totalitarisme, puisqu’elle vise actuellement tous les champs de la culture, de l’éthique et surtout certains centres stratégiques : les organismes de formation.

En établissant leurs dogmes, elles visent à adopter le même principe idéologique : l’homogénéité des individus et la manipulation mentale y compris celle de la haute hiérarchie, mais bien sûr avec une dimension beaucoup plus grave que celle abordée par Jean-Pierre Le Goff, qui était celle des outils de management.

 

1) Le choix de la cible = l’entreprise

Les entreprises sont une cible privilégiée des sectes, c’est un fait indéniable mais également un paradoxe. En effet n’est-il pas étonnant que ces groupes totalitaires cherchent une image de marque, un masque d’honorabilité, aux yeux d’une société qu’ils cherchent à détruire définitivement ? une des réponses que nous pourrions apporter à ce phénomène est celle de la puissance financière et par ce biais de la prise de pouvoir, les sectes font feu de tout bois et s’intéressent tout aussi bien aux multinationales qu’aux petites structures.

Quelles sont leurs motivations ?

 

2) Comment infiltrer l’entreprise ?

Certains adeptes travaillent dans diverses sociétés, diverses administrations ou exercent de façon libérale. Ils convainquent leurs collègues de travail, leurs clients ou leurs patients d’adhérer au bien fondé de l’enseignement qu’ils ont reçu dans les sectes.

Ceux qui ont des responsabilités importantes et qui ont un pouvoir de décision dans l’entreprise, imposent à leurs salariés de suivre tel ou tel stage, de se rendre à telle ou telle réunion.

Puisque leur devise, est de rechercher là où il y a profit, avec l’éclosion des start-up, c’est de nouveau un bon moyen pour s’y infiltrer. Tout ce qui est à la pointe du progrès constitue pour les sectes un terrain d’investigation intéressant : entreprises tournées vers les nouvelles technologies, télécoms, internet, etc…

Un organisme peut dispenser une formation apparemment performante, assurée par des personnes compétentes et diplômées, et donner de premiers résultats encourageants sur un plan personnel et professionnel. Ce n’est pas la preuve que cet organisme ne dépend pas d’une secte.
En revanche, il y a quantité d’organismes de formation professionnelle sans aucune compétence, ni références qui se sont installés sur ce marché particulièrement juteux. Certains de ces organismes ne sont que la couverture d’une secte, tandis que d’autres sont animés par la seule recherche du profit.

 

3) Pourquoi les organismes de formation ?

Toute personne physique ou morale peut se faire immatriculer en qualité de "formateur" et utiliser cette déclaration pour proposer ses services aux entreprises.

Comme aucun contrôle de la valeur de la formation n’est assuré, n’importe qui peut proposer n’importe quoi. 2 stratégies s’affrontent sur l’attitude à adopter à ce sujet :
La première estime que la formation professionnelle est un marché concurrentiel et qu’il convient donc d’attendre qu’il se régule de lui-même. Tout juste évoque t’on le souhait de procéder à un contrôle en amont du contenu des stages.

On rétorque que le phénomène sectaire est en extension comme d’ailleurs le nombre d’organismes de formation, cela prouve bien que le marché ne se régule pas du tout.

La seconde stratégie est plutôt partisane d’une législation plus stricte, voire d’une obligation d’agrément pour les organismes de formation.

On peut dire ici, que le contrôle sur pièces des programmes est quasiment nul, puisque les sectes s’adaptent malgré tout au marché. Elles proposent parfois des stages classiques bien loin d’étranges intitulés, et qu’en conséquence ces stages seraient vraisemblablement autorisés par l’état.

Ils proposent pour la plupart, des stages de développement personnel, mais également des stages d’informatique, de langues ou de même de formation professionnel. Ils procèdent par mailing et profitent de la demande des salariés eux-mêmes.

Revenons aux stages de développement personnel, que nous avons vu auparavant avec Jean-Pierre Le Goff. Le développement personnel, veut dire sous cette appellation "l’ensemble des processus psychologiques qui entrent en jeu pour permettre de satisfaire les besoins d’accomplissement de l’être humain".

L’individu apprend ainsi à gérer son stress, à mieux communiquer, à s’affirmer, à développer son potentiel créatif, bref à mieux se connaître pour mieux agir. Et pour atteindre ces objectifs, divers outils lui sont proposés comme la PNL, l’analyse transactionnelle, la sophrologie, le yoga, la bioénergie et toutes sortes de techniques particulières voire étranges, bref un marché porteur pour les sectes. Libre à chacun de suivre ce type de stage. En revanche que penser lorsque c’est l’entreprise qui décide d’y envoyer ses salariés ?

 

4) Quelles sont les sectes les plus dangereuses pour les entreprises ?

Nous en repérerons 15 qui sont les influentes sur le marché de la formation et de l’entreprise :

AVATARS STAR’S EDGE INTERNATIONAL

Fondateur : Harry Palmer

INSTITUT DES SCIENCES HOLISTIQUES DE L’OUEST

Fondateurs : Jean-Pierre et Joëlle Le Gouguec

ANTHROPOS

Fondateur : Bernard Alexandre

LA MAISON DE JEAN

Fondateur : Jean-Claude Genel

CHEVALIER DU LOTUS D’OR

Fondateur : Gilbert Bourdin

LA MEDITATION TRANSCENDANTALE

Fondateur : Mahesh Prasad Warna

EGLISE DE SCIENTOLOGIE

Fondateur : Lafayette Ron Hubbard

LANDMARK EDUCATION INTERNATIONAL

Fondateur : Werner Erhard

ENERGIE ET CREATION

Fondateur : Marie-France

METHODE SILVA DE CONTROLE MENTAL

Fondateur : José Silva

INNERGY

Fondateurs : Roger Hinkins et Russell Bishop

MOUVEMENT RAËLIEN FRANÇAIS

Fondateur : Claude Vorilhon

NOUVELLE ACROPOLE

Fondateur : Jorge Angel Livraga

SYSTEME DU CORPS MIROIR

Fondateur : Martin Brofman

VITAL HARMONY

Fondateur : Claude Bardin

Pour alimenter l’actualité, voici le cas de la société SOGETRAM où son PDG était un fervent adepte de l’Eglise de Scientologie.

Cet extrait est tiré du livre de Thomas Lardeur "les Sectes dans l’Entreprise" Editions d’Organisation – 1999.

"Tout débute en 1997. L’entreprise, pionnière et première en France dans sa spécialité, appartient alors à un groupe Suédois, Comex Stolt Seaway. Celui-ci, soucieux de recentrer ses activités, décide de se séparer de sa filiale Sogetram et se met en quête d’un repreneur. C’est alors que se présente un belge, M. Gabriel Boudewijn Van Rompay. Cet industriel, qui dirige déjà les sociétés Hydrex à Dunkerque et à Anvers (Belgique), a tout pour séduire. Il connaît bien la profession de scaphandrier pour avoir été par le passé plongeur. Et son offre est alléchante. Il promet l’embauche d’une quarantaine de salariés, et projette même la création d’un centre de formation dans le département. Son offre est finalement retenue et il acquiert la Sogetram pour un franc symbolique le 17 janvier 1997.
L’enthousiasme des premières heures ne tarde pas néanmoins à retomber lorsque les salariés apprennent au cours d’une réunion que leur nouveau patron est un fervent scientologue et qu’il compte faire de la Sogetram la première "entreprise du monde" et "assainir la planète". "Notre but est d’employer au mieux la technologie de management de L. Ron Hubbard dans la Sogetram. Nous voulons faire de la Sogetram une société épanouie et prospère où tous les employés peuvent en tirer un plus sur le plan professionnel". Pour parvenir à ses fins, le nouveau PDG opte pour le recours à des consultants externes, tous membres notoires de l’Eglise de Scientologie. C’est ainsi que défilent dans la société Marc de Turck (IDEAS= son nom apparaît dans la liste des donateurs de l’Association Internationale de Scientologues), Victor Tryfos du cabinet Bernard Gestion (cette société, spécialisée dans le conseil en gestion, possède le même numéro de téléphone et est domiciliée à la même adresse que la société Power Management), Marc Arrighi du même cabinet comme directeur commercial, Patrick Arrighi du cabinet Multi-formation (Marseille) à la direction administrative, Lisa de Haasbelcher de CB Support Services, Laetitia Lignat, Jean-Marc Dambrin de Jean-Marc Dambrin Conseil (cette société a pour principale activité, le conseil en entreprise, la gestion, l’organisation et le management).
L’entreprise devient peu à peu le terrain d’application des méthodes de management de la scientologie. Les livres de Ron Hubbard prennent place dans les bureaux, tandis que le vocabulaire utilisé s’imprègnent des expressions scientologues. "Ils utilisaient, me précise Patrice Cotty, secrétaire du Comité d’entreprise, des expressions particulières. Ainsi, telle personne était "suppressive" ou "il faut manier les individus, les situations". Après un entretien téléphonique avec un client, on nous demandait de le classer sur l’échelle des tons émotionnels, bref de les auditer".

A l’extérieur de la société, des rumeurs commencent à circuler sur les liens qu’entretiennent la Sogetram avec la scientologie.
En interne, la situation n’est guère plus florissante. Des salariés donnent leur démission en raison de l’ambiance de plus en plus pesante qui règne au sein de l’entreprise. C’est dans ce contexte particulier que des cadres se voient proposer de suivre un séminaire de vente les 20 et 21 février 1998, organisé par Valgo France. Et en guise de préparation, on leur propose de remplir le test cher aux scientologues. Les salariés refusent de le suivre, certains par peur de mettre le doigt dans l’engrenage, d’autres parce qu’ils ne considèrent pas cela très sérieux. Coïncidence ou non, les salariés apprennent peu de temps après, dans le cadre d’une réunion du CE, la mise en place par la direction d’un plan social, qui prévoit de faire passer 13 salariés à temps partiel. Le CE s’oppose à cette décision, prétextant "le coût exorbitant des consultants externes". C’est alors que Patrice Cotty, responsable du CE, est convoqué à un entretien préalable à licenciement pour faute grave. Dans un élan de solidarité et exacerbé par leur quotidien, les salariés décident de se mettre en grève le 11 mai 1998 et d’occuper les locaux. La presse s’en mêle . Après 4 jours de grève, les salariés de la Sogetram obtiennent gain de cause. Le tribunal de Commerce prononce la mise en redressement judiciaire de la Sogetram et nomme un administrateur provisoire. Cette décision a pour conséquence d’écarter Von Rompay de la direction de l’entreprise".

 

haut de la page

 

"Les fiches de lecture"

"Page d'accueil D.S.O."