LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

Simon ALCOUFFE
Doctorat HEC

 

J.-B. Lamarck

"PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE"

(GF-Flammarion, Paris, 1994)

 

SOMMAIRE

- L'auteur
- Les questions posées par l'auteur
- Les postulats
- Les hypothèses
- Les réponses apportées
- Le résumé
- Mise en perspective

 

 

 

L'AUTEUR

Jean-Baptiste de Monet de Lamarck (1744-1829) est souvent considéré à juste titre comme le fondateur de la biologie. Il poursuivit à Paris des études médicales et sa rencontre fortuite et ses herborisations avec Rousseau le décidèrent, à vingt-quatre ans, à se consacrer à ses travaux botaniques. Il fut élu en 1779 à l’Académie des Sciences, à l’âge de trente-cinq ans, et devint botaniste du Roi en 1781. A cinquante ans, il devint professeur de zoologie au Muséum et fut le premier à formuler une théorie de l’évolution organique dans la Philosophie zoologique (1809).

 

LES QUESTIONS POSÉES

Comme dans l’ouvrage de Darwin (cf. fiche de lecture sur L’origine des espèces), Lamarck se pose la question de l’évolution des espèces. Mais il s’interroge également sur les lois qui régissent le fonctionnement des êtres vivants au quotidien et sur ce qui les différencie des objets inanimés.

 

LES POSTULATS

Lamarck postule que la classification des êtres vivants est généalogique : des êtres les plus simples, apparus par génération spontanée, dérivent des êtres de plus en plus complexes jusqu’à, et y compris, l’homme. La biologie, qui désigne la science des êtres vivants, est une science autonome qui affirme la radicale différence entre vivants et objets inanimés en même temps que l’identité des lois physiques régissant les uns et les autres: les êtres vivants ont simplement une organisation particulière telle que le jeu de ces lois entraîne la vie en place de l’inertie.

 

LES HYPOTHÈSES

Pas véritablement d’hypothèse. Cet ouvrage résume la théorie de Lamarck développée tout au long de ses travaux scientifiques et pose un certain nombre de postulats.

 

LES RÉPONSES APPORTÉES

Pour Lamarck, les êtres vivants diffèrent radicalement des objets inanimés, et il n’y a aucune continuité entre eux. Les lois physiques sont certes immuables et s’appliquent à toute la nature, aussi bien au règne inanimé qu’au règne vivant. Mais ces lois s’appliquent à des entités matérielles différentes dans des situations différentes. La vie et la pensée sont inhérentes à l’organisation de la matière, et non à la matière en elle-même. La matière est la même partout, seule l’organisation diffère. Une condition essentielle à la vie est donc l’organisation des êtres vivants, ce que Lamarck appelle une certain ordre des choses. La vie est le résultat des interactions entres trois termes : des parties contenantes, des fluides contenus et une «cause excitatrice» qui provoque le mouvement des fluides dans les parties contenantes. Par ailleurs, Lamarck différencie l’animal et le végétal par le fait que les tissus du premier sont irritables, alors que ceux du second ne le sont pas.

Les conceptions de la biologie lamarckienne présentées ci-dessus sont à la base du transformisme. Lamarck voit chez les invertébrés les plus simples une petite masse gélatineuse qui est le siège de mouvements lents de fluides indifférenciés. Puis, au fur et à mesure qu’il remonte dans sa classification des êtres vivants, il voit apparaître des formes possédant une esquisse de cœur et de système circulatoire, où les mouvements de fluides sont un peu plus rapides. Lamarck considère que les êtres vivants les plus simples apparaissent par génération spontanée. Ces êtres sont des petites masses gélatineuses avec quelques mouvements de fluides internes, provoqués par la chaleur. La simplicité d’organisation leur permet d’apparaître spontanément. A partir de ces êtres très simples, se forment des êtres un peu plus complexes, bénéficiant de l’organisation des premiers qui leur a été transmise. A partir d’eux s’en forment d’autres encore plus complexes, et ainsi de suite, jusqu’à ce que soient formés des êtres vivants aussi compliqués que l’homme. Et cela sans faire appel à autre chose qu’aux lois de la physique.

 

LE RÉSUMÉ

Introduction

La Philosophie zoologique (1809) de Lamarck compte parmi les classiques de l’histoire des sciences puisqu’il représente l’acte de naissance du transformisme. Dans cet ouvrage fondateur, le temps fait son entrée dans l’étude des êtres vivants, et tout d’abord dans leur classification qui doit être généalogique: des êtres les plus simples, apparus par génération spontanée, dérivent des êtres de plus en plus complexes jusqu’à, et y compris, l’homme.

Plus encore qu’un exposé sur le transformisme, cet ouvrage peut être également considéré comme le texte fondateur de la biologie. Non seulement Lamarck invente ce terme de biologie pour désigner la science des êtres vivants, mais il définit celle-ci comme science autonome, affirmant la radicale différence entre vivants et objets inanimés en même temps que l’identité des lois physiques régissant les uns et les autres: les êtres vivants ont simplement une organisation particulière telle que le jeu de ces lois entraîne la vie en place de l’inertie.

La Philosophie zoologique s’achève enfin sur une extension du transformisme à la psychologie et sur l’exposé d’un modèle où les différentes opérations de la pensée sont ramenées à des mouvements de fluides nerveux.

C’est bien évidemment pour sa théorie de l’évolution ou du changement – le transformisme – que Lamarck représente une source d’inspiration pour les chercheurs en sciences de gestion. Nous développerons donc principalement ici la thèse de Lamarck sur le changement à travers ce qu’on a appelé ensuite le transformisme et laisserons de côté ses différentes autres contributions à la biologie, même si celles-ci occupent en fait la plus grande partie de l’ouvrage. Nous reviendrons cependant en premier lieu sur les concepts fondamentaux de la biologie de Lamarck afin d’être à même de mieux comprendre les principes du transformisme.

 

I. La biologie de Lamarck

Lamarck est véritablement l’inventeur de la biologie, en tant que science de la vie ou science des êtres vivants. Il fut non seulement l’inventeur du mot mais aussi le premier à comprendre la biologie comme une science autonome.

L’organisation des êtres vivants

Pour Lamarck, les êtres vivants diffèrent radicalement des objets inanimés, et il n’y a aucune continuité entre eux. Les lois physiques sont certes immuables et s’appliquent à toute la nature, aussi bien au règne inanimé qu’au règne vivant. Mais ces lois s’appliquent à des entités matérielles différentes dans des situations différentes. Le propre de la biologie est justement d’étudier quelles sont les conditions pour que les lois physiques produisent des êtres vivants plutôt que des objets inanimés.

Lamarck considère également que la vie et la pensée sont inhérentes à l’organisation de la matière, et non à la matière en elle-même. La matière est la même partout, seule l’organisation diffère. Une condition essentielle à la vie est donc l’organisation des êtres vivants, ce que Lamarck appelle une certain ordre des choses.

Lamarck définit la vie comme «un ordre et un état de choses» (une organisation) qui permet les «mouvements vitaux», c’est-à-dire les mouvements de fluides organiques, mouvements auxquels sont ramenés les processus vitaux. La vie est le résultat des interactions entres trois termes: des parties contenantes, des fluides contenus et une «cause excitatrice» qui provoque le mouvement des fluides dans les parties contenantes.

L’irritabilité des êtres vivants

Par ailleurs, Lamarck différencie l’animal et le végétal par le fait que les tissus du premier sont irritables, alors que ceux du second ne le sont pas. L’irritabilité est la faculté de répondre, par une contraction, à une stimulation quelconque. Chez les animaux, nous dit Lamarck, la principale conséquence de l’irritabilité des tissus est une intériorisation de la cause excitatrice des mouvements de fluides, surtout chez les animaux supérieurs.

Ceux-ci sont alors beaucoup moins dépendants du milieu extérieur que les animaux inférieurs et les végétaux, pour tout ce qui concerne les mouvements de fluides. Ainsi la vie des animaux supérieurs acquiert-elle une plus grande autonomie par rapport au milieu, ce qui aura des conséquences importantes pour la transformation des espèces.

L’interaction entre fluides et parties contenantes

Lorsque Lamarck envisage les interactions entre fluides et parties contenantes, il reprend non plus l’animal-machine, mais l’embryologie cartésienne, sa conception n’est pas une physiologie mais une biologie. Il n’explique jamais le fonctionnement d’aucun organe, et s’en préoccupe assez peu.

Lamarck ne conçoit plus le corps comme une machine fonctionnant, mais comme une masse matérielle qui s’organise progressivement sous l’action du mouvement des fluides. Il relie le mouvement des fluides organiques et l’organisation du corps. Ces mouvements de fluides ne sont plus censés assurer diverses fonctions physiologiques, mais ils sont la cause d’une organisation des parties contenantes, lesquelles réagissent à leur tour sur ces fluides.

Dans la biologie lamarckienne, jamais le corps ne fonctionne comme une machine, il se construit et se complexifie peu à peu, jusqu’à ce que soient épuisées ses possibilités en ce domaine, alors il vieillit en s’endurcissant, et meurt. Dans cette conception, les parties contenantes ne sont plus de simples tuyaux où circuleraient les fluides.

Fluides et parties contenantes interagissent donc entre eux. L’organisation des parties contenantes est provoquée par le mouvement des fluides en elles, mais cette organisation facilite et accroît ce mouvement. Ce sont les fonctions qui déterminent les organes.

Les bases du transformisme

Les conceptions de la biologie lamarckienne présentées ci-dessus sont à la base du transformisme. Lamarck voit chez les invertébrés les plus simples une petite masse gélatineuse qui est le siège de mouvements lents de fluides indifférenciés. Puis, au fur et à mesure qu’il remonte dans sa classification des êtres vivants, il voit apparaître des formes possédant une esquisse de cœur et de système circulatoire, où les mouvements de fluides sont un peu plus rapides.

Et il en va ainsi pour les différents systèmes: digestif, respiratoire, musculaire, nerveux, etc.; avec toujours une différenciation et une spécialisation des organes de plus en plus marquée au fur et à mesure que l’organisation se complexifie. Et Lamarck poursuit cette idée d’une complexification en l’étendant à travers les générations, grâce à l’hérédité des caractères acquis, des formes les plus simples jusqu’aux mammifères, y compris l’homme.

La complexification progressive que Lamarck observe dans la classification des animaux devient une complexification progressive des formes vivantes au cours du temps, de sorte que les formes les plus simples engendrent progressivement les plus complexes, dans l’évolution des espèces comme dans le développement individuel.

 

II. Le transformisme lamarckien

C’est incontestablement Lamarck (même si Darwin se contente de le citer dans sa préface historique sans lui reconnaître ce mérite) qui va être le premier à systématiser l’idée d’une transformation des espèces et à en donner un exposé cohérent. Cet effort de systématisation et cet exposé cohérent sont contenus dans la première partie de la Philosophie zoologique.

Principes du transformisme

Le transformisme lamarckien, s’il s’étaye d’arguments taxonomiques, est une partie intégrante de la conception biologique dont nous venons d’aborder les grandes lignes ci-dessus. Son principal rôle est de faire rentrer la biologie sous les lois de la physique, en complément de l’organisation déjà évoquée. Le transformisme sert donc à expliquer par la physique l’organisation des êtres vivants et principalement celles des plus complexes.

Lamarck considère que les êtres vivants les plus simples apparaissent par génération spontanée. Ces êtres sont des petites masses gélatineuses avec quelques mouvements de fluides internes, provoqués par la chaleur. La simplicité d’organisation leur permet d’apparaître spontanément.

A partir de ces êtres très simples, se forment des êtres un peu plus complexes, bénéficiant de l’organisation des premiers qui leur a été transmise. A partir d’eux s’en forment d’autres encore plus complexes, et ainsi de suite, jusqu’à ce que soient formés des êtres vivants aussi compliqués que l’homme. Et cela sans faire appel à autre chose qu’aux lois de la physique.

Dès lors qu’on prend le temps en considération et que l’on imagine que cette formation s’est faite progressivement, étape par étape, génération après génération, alors, nous dit Lamarck, l’impossibilité d’expliquer les êtres vivants complexes à partir des seules lois de la physique disparaît.

L’évolution des espèces (Lamarck n’utilise jamais ce terme ni celui de transformisme) sert donc à ramener les êtres vivants complexes sous les lois de la physique, en considérant que la production de ces êtres complexes a demandé l’application des lois physiques pendant un temps très long, à partir des êtres vivants les plus simples qui, eux, sont assez simples pour apparaître par génération spontanée.

La préoccupation nouvelle pour la variable temps se retrouve ainsi dans le transformisme de Lamarck. Les différentes formes vivantes se succèdent, de la plus simple à la plus complexe, chacune servant d’étape, de point de départ pour une complexification ultérieure.

En outre, développant sa perspective transformiste, Lamarck part de la classification des espèces, c’est-à-dire de leur ordre synchronique actuel, et la bascule en un ordre diachronique correspondant à l’apparition successive de ces espèces. Lamarck est ainsi l’un des plus grands taxonomistes de son époque.

A un système nominaliste et artificiel de classification, Lamarck veut substituer ce qu’il appelle l’ordre de la nature, et qui n’est rien d’autre que l’ordre dans lequel les espèces sont nées les unes des autres au cours des siècles. Cet ordre est généalogique, chronologique, et n’impose pas de discontinuité tranchées entre espèces dérivant les unes des autres.

Lamarck s’attache donc à montrer en premier lieu que les espèces ne sont pas immuables mais qu’elles dérivent les unes des autres, et ensuite à établir l’ordre dans lequel elles sont ainsi apparues. En outre, si les formes les plus simples continuent à apparaître c’est par génération spontanée, si bien qu’aujourd’hui coexistent les espèces les plus primitives et les espèces les plus avancées.

Le transformisme lamarckien est donc sous-tendu par deux principes. Tout d’abord, il postule que les êtres vivants ont une tendance à la complexification. Deuxièmement, il imagine que cette tendance à la complexification se heurte aux circonstances externes. Sans ces circonstances, la complexification des êtres vivants serait linéaire et régulière.

En raison de ce heurt avec les circonstances externes, la complexification perd de sa régularité. Elle est perturbée: des vides se créent dans la série et celle-ci se diversifie en plusieurs rameaux, comme si la tendance à la complexification éclatait en se heurtant aux circonstances externes. C’est ce qui implique, selon Lamarck, que l’ordre naturel de complexité croissante des espèces ne soit jamais parfaitement réalisé.

La modification des résistances externes joue donc indirectement le rôle de déclencheur de l’adaptation des êtres vivants, adaptation qui est assurée par la tendance à la complexification. La tendance à la complexification apparaît comme une force poussant les êtres vivants à la meilleure occupation possible de leur milieu extérieur.

Selon Lamarck, la modification des circonstances entraîne une modification des besoins de l’animal, qui entraîne une modification des actions satisfaisant ces besoins, laquelle, si elle devient habituelle, finit par modifier le corps.

 

MISE EN PERSPECTIVE

Différences entre transformisme et darwinisme

La conception de l’évolution des espèces propre à Lamarck lui permet donc de conclure que la vie doit s’étudier chez les êtres vivants les plus simples, car c’est chez eux qu’elle apparaît «dans sa nudité». Et cette nécessité montre bien que le rôle du transformisme est de ramener la biologie sous les lois de la physique.

En s’attaquant à des êtres simples, on peut espérer comprendre plus facilement l’organisation des êtres vivants en termes physiques. On peut également, en imaginant un processus purement physique de complexification de cette organisation, établir un système de parenté qui rapporte les êtres vivants complexes aux êtres simples, et, par là, qui les ramène à leur tour sous les lois de la physique.

Cette question est déterminante car elle différencie fondamentalement la théorie lamarckienne de celle de Darwin, qui est centrée sur la question d’adaptation et de sélection naturelle.

Chez Lamarck, la transformation des espèces et l’adaptation au milieu extérieur ont ainsi le même moteur, la tendance à la complexification. Chez Darwin, qui combat toute idée d’une tendance à la complexification, c’est la nécessité d’adaptation (passive et non plus active) qui sert de moteur à la transformation des espèces. Cette différence s’explique par la différence des projets lamarckien et darwinien.

La transformation des espèces, chez Lamarck, sert à expliquer la formation des êtres vivants complexes à partir des seules lois de la physique. Chez Darwin, la transformation des espèces sert à expliquer leur diversité et leur adaptation au milieu, il n’est jamais question pour lui de ramener la biologie sous les lois de la physique.

Chez Lamarck, l’adaptation est expliquée non pas par la sélection naturelle des formes les mieux adaptées, mais soit par l’action directe du milieu sur l’organisme (cas des végétaux), soit par son action indirecte «déclenchante» combinée avec la tendance à la complexification que limitent les circonstances externes (cas des animaux). L’adaptation au milieu, loin d’être le moteur de l’évolution, ne fait qu’introduire des irrégularités dans la complexification des espèces, qui sans cela serait linéaire et régulière.

 

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