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Philippe d'IRIBARNE"La logique de l’honneurGestion des entreprises et traditions nationales"Publié aux éditions du Seuil, Paris, 1989 |
Sommaire
L’AUTEUR
Philippe d’Iribarne, né en 1937, est ancien élève de l’Ecole polytechnique et diplômé de l’IEP de Paris. Ingénieur général du corps des mines et directeur de recherche au CNRS, il dirige depuis 1972 le centre de recherche sur le bien-être (CEREBE), devenu depuis peu "Gestion et société". Il fut chargé de mission à la présidence de la République sur les questions de civilisation et de conditions de vie (1973-74).
Il est l’auteur de :
La science et le prince (Denoël,1970)
La politique du bonheur (Seuil,1973)
La logique de l’honneur (Seuil,1989)
Le chômage paradoxal (PUF,1990)
Vous serez tous des maîtres – la grande illusion des temps modernes (1996)Il est co-auteur de :
Interfaces hommes-technologies (1997) avec F. Baratin
Culture et mondialisation : gérer par delà les frontières (1998) avec A. Henry et JP. Segal
La logique de l’honneur
Gestion des entreprises et traditions nationales
LES IDÉES CLES
Il n’existe pas de règles universelles de gestion
Philippe d’Iribarne, peu satisfait de sociologies et de théories de la gestion qui tendent à proposer des modèles universels de la conduite des entreprises, s’est livré à de longues enquêtes dans plusieurs pays. Il a trouvé que la manière d’ordonner l’activité reposait sur des mœurs différentes.
Comprendre les mœurs, c’est éviter de changer à l’aveuglette
Divers travaux ont mis en évidence des traits culturels pertinents à divers pays en décrivant des conduites-types. Iribarne y ajoute une dimension historique : les traits culturels sont hérités. Cette approche permet aux membres des entreprises de comprendre pourquoi certains changements sont difficiles, voire impossible à conduire.
La gestion efficace est celle qui prend en compte les traditions nationales, et qui parvient à en éviter les dérives potentielles
Iribarne identifie des constantes culturelles dont il estime prudent de tenir compte pour gérer les entreprises. Pour lui, les traditions perdurent durant des centaines d’années et il faut éviter leur dérive trop forte ou l’emprunt massif d’autres traditions. Ces traditions sont propres à un pays, et viennent des fondements politiques et religieux qui les inspirent.
LES CONCEPTS
Avec la logique de l’honneur, Philippe d’Iribarne nous convie à un voyage dans trois pays : la France, les Etats-Unis et les Pays-Bas. Au moment où les "donneurs de conseil… peuplent leurs ouvrages d’une humanité indifférenciée...", il est temps de souvenir que "les traditions où chaque peuple s’enracine modèlent ce que ses membres révèrent et méprisent ; et qu’on ne peut gouverner sans s’adapter à la diversité des valeurs et des mœurs". Au lieu d’imiter les autres pays, cherchons en nous-même, nos forces et nos faiblesses, la valeur de nos traditions et leurs dérives possibles. Observons notre "manière spécifique de relier l’individu à la collectivité et de séparer le bien du mal, le légitime de l’illégitime, ce que l’on respecte, ce qui indiffère et ce que l’on méprise". chaque pays présente des "traits fondamentaux qui traversent les siècles".
En France existe une logique de l’honneur, "aussi exigeante dans les devoirs qu’elle prescrit que dans les privilèges qu’elle permet de défendre". Les Américains sont "hantés par l’image idéale du contrat qui, passé entre des hommes libres, reste juste parce que la loi s’est unie à la morale pour limiter le pouvoir du plus fort". Aux Pays-Bas on observe "une grande objectivité, allant de pair avec une forte allergie à toute forme de pression exercée par une quelconque autorité". Conclusion : "la vie en société fait concourir une révérence pour des traditions qui demeurent avec une capacité à inventer et à créer". De ce fait, bien gérer une entreprise c’est respecter la culture nationale dans laquelle elle s’inscrit. Ainsi, "quand on rencontre des résistances "absurdes" aux plans les mieux conçus. On peut, à mieux les comprendre, échapper à l’impression douloureuse d’être confronté à l’irrationalité constitutive des passions humaines. Et quand on saisit enfin ce qui anime "ces gens là", des voies s’ouvrent à l’action".
MÉTHODE DE TRAVAIL
Pour parvenir à ces conclusions, l’auteur se concentre sur une seule usine dans chaque pays examiné. C’est un choix de méthode : à étudier à fond une seule d’entre elles, on comprend beaucoup de l’ensemble. Il en va de même pour les cultures : une unité locale représente plutôt bien l’ensemble.
Son travail repose sur des enquêtes approfondies sur le terrain, doublé d’une réflexion historique sur le lien social. Il a observé, enquêté et comparé les comportements dans ces trois usines. Les données recueillies sont de deux sortes :
- des documents traduisant les divers aspects de la gestion et du fonctionnement de chaque usine (procédures, rapports…)
- des entretiens avec le directeur et des représentants de la ligne hiérarchique : des chefs de service aux ouvriers.
Le livre d’Iribarne montre qu’on ne fait pas fi impunément des traditions d’un pays. Dans les entreprises françaises, les gens respectent plus ou moins une logique de l’honneur. La France est un pays où la référence aux ordres de l’Ancien Régime est loin d’avoir disparue.
L’important est de constater qu’il ne s’agit pas d’un simple vernis culturel, mais d’une imprégnation profonde, constitutive de la texture même de nos relations sociales, que ce soit au travail ou dans d’autres activités collectives. Iribarne dit bien que la logique de l’honneur est présente dans toute la vie sociale française. Nos conduites collectives ont été façonnées par des siècles de croyances, elles mêmes héritières d’autres croyances non moins élaborées.
Cette complexité, sa longue durée et ses variations historiques nous aident à comprendre les dérives qui peuvent affecter toute tradition. Iribarne nous en montre quelques-unes : l’autoritarisme (qui vient d’un excès de pouvoir du prince ou du patron), le laxisme (on perd le sens des devoirs ou des responsabilités), le repli sur soi de chaque état, la "manie objectivante" (qui conduit à l’attachement rigide aux procédures), le sectarisme (qui fait régresser un groupe dans la fusion), etc.
Ces dérives conduisent à des excès, qui deviennent des négations ou des contrefaçons des traditions dont ils s’inspirent.
Ce rappel de la place décisive des valeurs permet à l’auteur de tirer d’importantes conclusions :
- Les traditions ne doivent être ni encensées ni dénigrées mais étudiées et comprises avec le plus de discernement possible. Il ne suffit pas de parler de culture, d’identité, de tradition pour avoir pénétré en quoi que ce soit dans la constitution et l’évolution d’une tradition. Les entrepreneurs n’ont pas le temps de s’y livrer, mais on peut attendre que les conseillers et que les chercheurs fassent cet effort. Ainsi, pour comprendre l’éminence de l’Ingénieur en France et du Lawyer aux Etats-Unis, il est utile de plonger dans l’esprit de fidélité et de largesse du chevalier d’une part, dans l’esprit du marchand épris d’égalité, d’équité, d’honnêteté d’autre part, et dans les deux cas de voir qu’il s’agit de personnes qui prennent des responsabilités sociales.
- Le modernisme est une manière de négliger la force des traditions, de se mettre un bandeau sur les yeux pour décrire les relations sociales, et d’inventer des théories plus ou moins compliquées pour expliquer des conduites collectives qui s’éclaireraient mieux à être replacées dans leur histoire.
- Le culturalisme – l’évocation des mythes, la proclamation de l’éthique de l’entreprise – relève d’une incompréhension des traditions, et résulte des effets néfastes du modernisme
Philippe d’Iribarne pose clairement le rapport entre valeurs et pouvoirs : "les traditions seraient impuissantes si elles ne se matérialisent pas par des structures et des procédures, comme les structures et le procédures seraient impuissantes sans tradition capable de les faire respecter". Pour Philippe d’Iribarne les valeurs sont au fondement de toute vie sociale dans l’entreprise et même de toute leur activité. En France, c’est "le préjugé de chaque personne et de chaque condition" (Montesquieu) ; aux Etats-Unis, l’honnêteté fonde la crédibilité et le respect. A l’opposé de l’imitation des modèles de gestion importés, il rappelle que le succès des Japonais aux Etats-Unis est dû à ce qu’ils ont traité le personnel conformément aux valeurs politiques américaines. Faire du "japonais" en France est donc un contresens total.
En France, on doit être bienfaisant envers ses inférieurs, la dignité occupe la place, alors qu’au Etats-Unis les transactions doivent être équitables (fair).
Il importe donc d’examiner comment les valeurs peuvent être dégradées par des excès de conduite. Iribarne constate des "dérives" lorsque l’équilibre entre composants des valeurs n’est plus respectés (privilèges et devoirs, par exemple), entraînant des changements néfastes. Ainsi l’intrigue repose sur la lutte permanente contre les dérives, par retour incessant aux fondements des traditions.
Ces dérives viennent d’abord de la négligence des valeurs (en croyant qu’on les a dépassées). "Cette négligence durable finit par occulter le sens profond des valeurs (qui est le maintien de la cohésion sociale) et conduit à modifier croyances et cultes, idées et pratiques à la manière d’apprentis sorciers, à l’aveuglette".
Les dérives viennent aussi d’une négligence dans la mise en scène. On peut d’ailleurs trouver naturel chez nous ce qui apparaît comme mis en scène chez les autres. Or, il est clair qu’aucune conduite sociale n’est naturelle. Passer des concours, en France, pour changer d’état n’a rien de naturel : c’est un rite extrêmement codifié, où toute falsification est sévèrement réprimée. On doit donc éviter les erreurs de mise en scène et en particulier celle qui consiste à utiliser des instruments de gestion qui correspondent à d’autres valeurs. C’est ainsi que l’approche contractuelle ne convient pas en France. On attend d’un chef qu’il comprenne l’honneur de chaque catégorie d’employés, et qu’il définisse lui-même le mode d’organisation de l’unité qu’il dirige. S’il consulte son personnel et recueille ses avis, il n’est pas dispensé de décider seul : une direction collégiale serait prise pour une forme de démission ou de lâcheté. Aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, au contraire, rien ne peut être décidé unilatéralement, tout doit être strictement codifié et discuté en cas de litige.
COMMENTAIRES
L’idée de "dérives" et l’usage qu’en fait Iribarne, aussi éclairants soient-ils, laissent cependant insatisfaits. Il ne suffit pas de constater des dérives et d’en décrire les méfaits. Encore faudrait-il savoir pourquoi de telles dérives se produisent.
Iribarne conclut son enquête en plaidant pour une alliance entre la raison et la tradition. De manière tactique, c’est compréhensible : on ne peut pas demander à des hommes d’entreprise d’oublier subitement des dizaines d’années de croyances "modernes". De plus, comme le dit l’auteur, la valeur accordé à la technique est indispensable à la bonne marche d’une entreprise.
Parler de logique de l’honneur, c’est se situer dans une tradition où se composent trois ordres : les clercs, les chevaliers et les paysans. Dans la France d’aujourd’hui, l’ordre chevaleresque, qui incarne la logique de l’honneur, est peut-être plus présent dans l’entreprise que l’ordre clérical et l’ordre agraire. Une description complète des valeurs de l’Ancien Régime nous donnerait peut être d’autres clés pour comprendre l’entreprise française et ses problèmes de gestion et de direction. Ainsi les métiers du tertiaire sont-ils héritiers de l’ordre des clercs : la méfiance mutuelle entre administration et ingénierie n’en vient-elle pas ? Le fait que les administratifs soient souvent considérés comme des improductifs n’est-il pas lié à cette idée du clergé parasite des nobles et du tiers-état ? De même, le mépris souverain que les français affectent envers le commerce ne vient-il pas de son appartenance au tiers état ?
Un autre problème n’est pas abordé par l’auteur : comment faire coopérer des gens issus de traditions différentes ? Comment éviter que chaque tradition se replie sur elle-même et pratique un protectionnisme qui peut stériliser les échanges ou tout du moins les empoisonner ? En allant à la source des traditions américaines, françaises et hollandaises, on pourrait voir ce qu’elles ont en commun et de distinct, et pourquoi elles ont des points communs et distincts. Car même si l’honneur est propre aux Français, le fair play propre aux Américains et le consensus propre aux hollandais, les trois proviennent d’un même héritage chrétien qui renvoie lui-même à d’autres influence qui remontent d’un lointain passé.
MOTS DE L’AUTEUR
"J'espère avoir contribué à faire progresser la compréhension des interactions entre l'organisation rationnelle de l'économie et l'influence des traditions nationales. J'ai montré comment, dans des sociétés moderne, (et dans leur partie, dite la plus développée, des grandes entreprises industrielles), sont à l'œuvre des manières de s'organiser, de voir le monde, qui sont en réalité très proches des sociétés traditionnelles. On sent bien, à travers les changements à l'Est ou les tensions ethniques aux Etats-Unis, que le discours moderne ne tient plus : Nous nous étions raconté des histoires à nous-même. Et il y a actuellement un besoin plus fort de comprendre ce qui, dans notre société, échappe à une rationalité universelle."
Interview de Philippe d’Iribarne, revue Sciences Humaines 1991
Dès sa sortie, la logique de l’honneur a reçu un accueil enthousiaste. Il est l’un des premiers livres à se présenter comme un ouvrage de sociologie et de gestion. Il est également novateur en ce qu’il valorise les modes de gestion fondés sur les traditions nationales.
Cependant, diverses critiques ont été formulées tant sur la démarche méthodologique que sur la thèse défendue. Au niveau méthodologique, il est reproché à Iribarne :
- une parcimonie de ses références bibliographiques
- la prise en compte d’une seule usine par pays. En effet, le cas étudié est spécifique à une grande entreprise industrielle dans laquelle le processus de production implique une forte coopération entre les ouvriers. Pourrait-on retrouver cette façon de travailler ensemble dans une petite entreprise féminisée ou dans une entreprise de services ?
- une référence à Montesquieu et Tocqueville qui lui permet d’élaborer une explication dont les éléments s’emboîtent trop facilement
- de situer, pour les Etats-Unis et les Pays-Bas, un retour historique à l’époque de leur naissance, contrairement à la France
- une lacune par le fait de ne pas comparer la productivité entre les 3 usines et l’absence de résultats de gestion
Sur le plan de la thèse développée, quelques commentateurs contestent d’Iribarne :
- un parti pris selon lequel toutes les cultures se vaudraient pour gérer une entreprise, sous prétexte que les gestionnaires doivent s’adapter aux données culturelles du pays dans lequel ils sont.
- une absence de développement sur les modes de transmission des traditions nationales
- la possibilité d’étendre au niveau national une logique de tradition d’entreprise
- un silence sur les fondements de ce que serait une relation de qualité
ACTUALITÉ DE L’OUVRAGE
Le développement de la nouvelle économie, marquée par la mondialisation, les fusions et par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), conforte la modernité de la réflexion engagée par d’Iribarne.
En effet, nombre d’entreprises sont de plus en plus confrontées à une remise en cause de leur assise culturelle, souvent caractérisée par l’introduction brutale de méthodes et de valeurs étrangères.
APPRÉCIATIONS
J’ai tout d’abord apprécié la lisibilité de l’ouvrage, grâce à un jeu de rupture entre la lecture du texte et des encadrés qui permettent d’approfondir les notions.
De plus, les titres et sous-titres choisis par l’auteur "parlent"d’eux mêmes.
Toutefois, le livre est un peu déquilibré puisqu’il est consacré pour les trois quart à la France et aux Etats-Unis; et l’analyse conduite par d’Iribarne sur l’usine des Pays-Bas n’est pas aussi développée.
J’ai aimé : J J J J
RÉSUMÉ
Chaque étude comporte la même structure : une description des attitudes face au pouvoir et au travail dans l’usine ; une explication historique, culturelle et sociologique ; des appréciations pour adapter la gestion en tenant compte des traditions
La logique de l’honneur en FranceL’observation de l’usine de Saint-Benoît-le-vieux révèle que chacun tient à interpréter à sa façon ses responsabilités, et se donne à lui même des devoirs. Les règles imposées d’en haut ne sont guères appréciées : on en prend et on en laisse : "Accomplir les devoirs que la coutume fixe à la catégorie particulière à laquelle on appartient".
On a la fierté du travail bien fait, et on n’aime guère que cela soit mis en cause par les gens de l’extérieur, d’où l’affirmation vigoureuse des points de vue, accompagnée souvent de violence verbale. D’où une ambiance de batailles, suivies "d’armistices à durée indéterminée". Batailles limitées par un principe de modération : on ne dépasse jamais certaines limites, sauf si on cherche une vraie guerre.
Les relations hiérarchiques jouent ainsi : chacun détient une sorte de charge qui implique des responsabilités précises ; l’ensemble des responsabilités de même type forme un "état". Entre deux états, les frontières sont strictes ; on ne passe de l’un à l’autre que par rites d’initiation plutôt sévères (concours, etc.). Si les droits et les devoirs liés à un état ne sont pas respectés ou reconnus, on devient violent (grèves, manifestations). Aussi le contrôle est mal supporté, car il suppose que quelqu’un ne remplit pas les devoirs de son état.
Ceci n’est pas sans danger : si chaque "état" se replie sur lui-même, les rivalités entre "états" sont sans fin. Etre en bons termes avec les autres "états" suppose une grande confiance, car on devient vulnérable si on se rapproche trop d’eux. Du coup, tout ce qui n’est pas régi par les devoirs, mais aide au fonctionnement collectif dépend des relations personnelles. C’est pourquoi en France, le bon "contact" est si nécessaire, la coopération professionnelle intense passant par les relations individuelles.
Il en résulte une relation très affective au travail, emprunte de fierté et d’amour propre, où les seuls comptes à rendre le sont avec sa conscience, son sens de l’honneur.
D’où cela vient-il ?
De très loin nous dit l’auteur qui s’inspire de Montesquieu et de Tocqueville ainsi que sur des incursions au moyen âge.
Pour Montesquieu, un gouvernement monarchique ne tombe pas dans le despotisme car un principe s’impose autant au prince qu’au peuple : l’honneur.
L’honneur, dit Montesquieu, est un "préjugé de chaque personne et de chaque condition", il est fondé sur la tradition, lié à la fierté que l’on a de son rang et la crainte d’en déchoir. Dans l’entreprise, on retrouve cette logique de l’honneur à l’intérieur de chaque service.
L’honneur n’est "défini ni par la raison, ni par la loi, ni par le prince". Il est fixé par la tradition et établit des devoirs précis et des mœurs particulières pour chaque groupe.
Plus tard lorsque la bourgeoisie veut s’élever, elle doit s’ennoblir en quelque manière (bienséance, etc.). Le mouvement des métiers est de même sorte : non seulement obtenir de bons salaires mais en plus une condition honorable. D’où les initiations, les consécrations, la chevalerie du travail…. Les travailleurs français tendent à la noblesse.
Remplir ses devoirs prime : c’est bien plus important que respecter un contrat. C’est bien mieux que d’agir par appât du gain ou par crainte. C’est aussi ne pas trop se battre pour ses intérêts, se montrer magnanime. "L’honneur demande de rendre son arme à celui qui l’a perdue au combat, non de l’achever sans risques". C’est ainsi que les supérieurs sont révérés ou méprisés selon leur conduite. Dans l’honneur on ne se plie pas, on ne s’avilit pas : on obéit qu’à plus noble que soi. A quelqu’un qu’on respecte on obéit sans contrainte, car on s’élève soi-même. Obéir par crainte ou par intérêt avilit. Pour être respecté on doit remplir ses devoirs, dont le premier est la bienfaisance envers ses inférieurs. Ainsi "il existe toujours un modèle de rapports hiérarchiques conformes à l’honneur, marqués par l’antique idéal de la révérence et de l’amour".
Ce modèle a évolué : épreuves et initiations remplacent l’hérédité. Aujourd’hui, ce sont les concours pour entrer dans un corps, un ordre ; et par suite l’extension de la logique de l’honneur à une grande partie de la population. Il vaut mieux en tirer parti que la combattre, en évitant les dérives qui la menacent.
Ces dérives apparaissent quand les ordres n’ont plus de réelles responsabilités à exercer, sinon celles de se replier sur eux-mêmes et de veiller à leurs propres privilèges, et quand le monarque cesse d’être un arbitre révéré et respecté.
Comment gérer à la française ?
Philippe d’Iribarne nous enseigne quelques points de méthodes et principes sur la "gestion à la française".
Ces éléments concernent par exemple : la définition des objectifs, la gestion de la motivation, les relations hiérarchiques, les modes de coordination et la place accordée au formel et à l’informel, le sens des responsabilité, l’enrichissement des tâches, l’évolution des qualifications ouvrières,…
Philippe d’Iribarne nous les présente sous forme de quelques slogans :
L’inadéquation d’une approche contractuelle : les méthodes américaines de gestion ne sont pas universelles. Le modèle des relations des clients aux fournisseurs n’est pas adapté à la société française qui est une société d’ordre. Aussi, les devoirs sont fixés par la coutume du groupe professionnel auquel on appartient et non par des objectifs précis définis par un supérieur hiérarchique.
Un style et des procédures : le responsable français doit avant tout connaître les contours de l’honneur dans les groupes qu’il dirige : "ce que cet honneur accepte et ce qui le blesse". Ces éléments sont très importants par exemple pour la gestion de la motivation. Il faut "trouver des formes d’incitation telle que personne n’aie le sentiment de perdre son indépendance d’une façon qui le rabaisse à une condition servile".
Briser les féodalités : Philippe d’Iribarne nous met en garde contre les baronnies dans les entreprises et les grands groupes ; c’est le "spectre des gouvernements des courtisans et d’une obéissance contraire à l’honneur". Le manager doit avoir la légitimité et la capacité à mobiliser ses troupes. Le sens de l’honneur nous dit-il "incite à défendre son rang", il "interdit de défendre ses intérêts, et même ses droits de manière vile…il pousse à se sentir responsable".
Informer chacun sur les conséquences de ses actes : dans la logique française de l’honneur, chacun est convaincu qu’il ne doit pas abuser. Encore faut-il que chacun soit informé sur les conséquences de ses actes, que ces dernières soient donc bien visibles.
Rendre service sans être servile :dans la conception américaine du contrat, le fournisseur est au service du client. Cette conception heurte la logique française de l’honneur car "être au service de" renvoie à la relation servile. Ainsi au delà du sens fonctionnel, l’expression traduit les enjeux symboliques forts. Le contexte des relations informelles peut complètement changer la manière de voir les choses…dès lors que l’on appartient au même service, que l’on a des repères communs, on n’est plus "au service de" mais "on donne un coup de main", "on rend service", "on s’arrange". La gestion à la française doit donc intégrer ces enjeux symboliques et prendre en compte l’importance des relations informelles dans l’entreprise.
Etre flexible : la force des identités de métier, de corps, d’état n’est pas un obstacle à la flexibilité des organisations ?
Philippe d’Iribarne nous invite non pas à casser les corps, les frontières des états mais au contraire à s’appuyer sur les stratégies d’adaptation dont les membres d’un groupe sont capables.
Mobiliser : non pas en s’appuyant sur des recettes venues d’ailleurs (cercles de qualité par exemple) mais sur les ressorts de la logique de l’honneur.
L’honneur nous dit-il "se nourrit difficilement de l’accomplissement laborieux, honnête et obscur de tâches monotones. Il aime les grands défis qui permettent de se distinguer. Il conduit volontiers à s’associer avec passion à une aventure glorieuse où appelle un chef prestigieux, à moins que ce soit un petit groupe enthousiaste qui montre la voie".
En conclusion, les entreprises françaises ne sont ni bonnes ni mauvaises en regard de celles des autres pays. La bonne gestion est celle qui respecte la culture du pays, ses traditions.
Les Etats-Unis et la logique du contrat
Aux Etats-Unis, la culture est celle de l’échange libre et équitable (fair) entre égaux. Elle a été exportée dans le monde entier sous la forme simplifiée du management par objectifs allié à un grande liberté de moyens.
Dans l’usine américaine de Patrick City, la logique des rapports marchands est une référence importante : on vend un travail pour un salaire, sans se sentir humilié, sans avoir le sentiment de se vendre. L’essentiel est que la transaction soit fair.
C’est ainsi que le subordonné travaille pour son supérieur, ce qui forme une chaîne continue de bas en haut de la hiérarchie. A chaque niveau, chacun fixe les devoirs de ceux qui travaillent pour lui ; ceux-ci lui rendent des comptes et lui rendent compte. Si le supérieur (le client) n’est pas content, il peut se débarrasser de son subordonné ou réduire ses responsabilités. C’est un "deal" permanent, car en contrepartie le subordonné s’organise comme il veut pour atteindre ses objectifs. Tout cela exige une notification claire et précise des objectifs, qui doivent être mesurables.
L’honnêteté est la valeur qui fonde la crédibilité, le respect. Ceci doit être concrétiser sans ambiguïté : les salaires sont réglés par contrat, de telle sorte qu’on sait exactement à quoi des employés peuvent être soumis en échange de leur salaire. Pour que l’équité soit parfaitement respectée, la position des ouvriers dans l’entreprise est liée à leur ancienneté. De plus, c’est la seule manière d’agir conforme à la stricte égalité : tous les employés sont "frères". Les sanctions sont établies à la suite d’une enquête minutieuse, aussi factuelle que possible. L’établissement des preuves est crucial ; d’où les affrontements procéduriers, et la liste détaillée des droits et devoirs qui figurent dans les contrats.
Cependant, nous dit d’Iribarne, le contrat ne prévoit pas tout. Reste alors, la "bonne foi" des partenaires. Les contrats ne les remplacent pas : ils suppléent ses défaillances ; les sanctions qu’ils prévoient sont destinées plus à la correction qu’à la punition. Dans ce cadre, les antagonismes les plus virulents restent limités par le respect des règles du jeu. Les syndicats, même lorsqu’ils agissent durement, sont là pour administrer le contrat. Ils sont comme un lawyer attaché au service des employés.
Ce souci d’égalité fait qu’on évite, autant que possible, de trop marquer les écarts. Si les objectifs sont remplis, c’est suffisant ; inutile de trop en faire. Cependant, il faut bien reconnaître les qualités individuelles : le patron apprécie le travail de ceux qui agissent pour son compte. Ce faisant, il obtient leur respect, et ceux-ci font des progrès. La hiérarchie doit se soucier des subordonnés : vérifier leur travail est ainsi un signe de sollicitude et non de surveillance.
Ainsi "l’attachement aux valeurs morales d’honnêteté et de bonne foi vivifie les procédures tout en donnant une place à ce qu’elles tendraient à négliger".
Ces valeurs ne sont pas nées dans l’entreprise. Les fondateurs de l’union voulaient une libre association de citoyens… devant Dieu.
Le contrat est sacré : il ne fait pas que régler des affaires ; il est un engagement moral profond , qui sera réalisé par des institutions et des procédures. C’est là un idéal de marchands, comme le dit Tocqueville : "les américains…prisent particulièrement la régularité des mœurs, qui fondent les bonnes maisons". Ces marchands sont les premiers immigrants de classes moyennes aisées, de condition égale et aux idéaux puritains, qui s’assemblent en communautés de fidèles. Ces mœurs marqueront toute la vie économique et politique, et inspirent toutes les institutions. Dans l’Amérique naissante, les conditions de richesse et d’instruction étaient égales et les pouvoirs dispersés. Avec le temps, on a cherché l’équilibre des pouvoirs et non leur concentration. La société doit intervenir pour que les procédures assurent des effets équitables. Les pressions illégitimes sont punies ; la discrimination est pourchassée. Les délits d’initiés, par exemple, sont fortement réprimés. Ainsi, tout le monde peut s’élever et s’abaisser : l’avenir est ouvert, on peut faillir et se racheter.
Pourtant les bouleversements récents du monde économique ont entraîné une floraison de théories managériales nouvelles, qui conteste le modèle classique américain.
Celui-ci est pourtant souple : comme l’équité des jugements l’emporte sur toute autre considération, il est relativement facile de changer les objectifs et les moyens.
Le modèle est menacé par un excès d’attachement aux faits : on ne peut tout réduire à des cibles, tout fixer sans ambiguïté, réduire la gestion à des chiffres.
De plus, la coordination verticale est faible. Si la relation clients-fournisseurs perd son caractère moral, on glisse vers l’autoritarisme.
Une attitude plus radicale s’est fait jour au début des années 80 : la recherche des valeurs partagées, de l’enthousiasme collectif, de la communion loin de "la grisaille des approches analytiques". On voit fleurir un état d’esprit de secte "transformant ceux qui sont chargés des tâches les plus prosaïques en émules de saint Michel terrassant le dragon".
On retrouve ici, ajoute d’Iribarne, les thèmes du Prix de l’Excellence. Les chefs d’entreprises deviennent des créateurs de symboles, de rituels et de mythes. Mais comme dans toute secte, le fanatisme et l’exclusions sont de rigueur :minorité ethniques et femmes y sont mal venues. Ce sectarisme n’est que l’excès d’un esprit communautaire qui reste une partie constitutive de l’esprit américain.
Il faut donc éviter deux excès : celui des procédures objectives qui finissent par déshumaniser toutes les relations ; celui des relations fusionnelles, qui conduisent à une autre forme de tyrannie. En définitive, ce sont les valeurs traditionnelles américaines –égalité et communauté- bien dosées, qui mènent à la bonne gestion des entreprises.
La logique de consensus aux Pays-Bas
La direction de l’usine de Sloestad est constituée d’une partie de français.
Le consensus néerlandais se traduit par :
- une forte affirmation de l’individu. Chacun a une place définie dans l’organisation et est strictement respectée.
- une formalisation des responsabilités à chaque niveau hiérarchique
- un respect de la ligne hiérarchique, c’est à dire des attributions des subordonnés
- une affirmation du pouvoir de décision personnel
- une défense de l’individu traduite par une grande résistance aux pressions exercées par l’autorité hiérarchique (formelle et informelle)
- une absence de sanctions et de récompenses
- une écoute, une négociation, une discussion permanente (expliquer est considérer comme la manière efficace d’agir)
Des explications dans l’histoire
La manière néerlandaise de vivre ensemble est un mélange d’indépendance dont l’esprit de compromis se réfère aux origines fondatrices du pays. En effet, les Pays-Bas ont été constitués comme nation par un accord entre provinces en 1579 (Union d’Utrech). Le mélange d’indépendance et d’esprit de compromis se manifeste dans le fonctionnement des institutions politiques de l’Union.
La société néerlandaise est constituée de groupes bien distincts se considérant comme égaux et refusant la domination de l’un par rapport à l’autre. Elle est formée de plusieurs piliers séparés, ayant chacun ses propres droits, mais indispensables pour porter la structure nationale. C’est la pilarisation de la société néerlandaise.
Dans ces conditions, le pays doit être gouverné par un accord unanime des blocs.
Gérer le consensus
Contrairement à l’approche contractuelle américaine, ou à l’approche corporatiste française, la qualité de coopération établie par le consensus productif néerlandais permet une meilleure organisation de l’usine (entre-aide, identification et maîtrise des dysfonctionnements…).
Mais le désir de bien s’entendre peut conduire à masquer des tensions et des problèmes et se manifeste par :
- un comportement de retrait manifesté par une limitation de l’engagement dans le travail
- une agressivité non verbale en augmentation
- un frein aux changements, une fois l’accord obtenu sur la façon d’agir, il faut un consentement unanime pour apporter des modifications
- une prudence de réaction
Philippe d’Iribarne termine son livre par quelques vigoureuses leçons de choses qui laissent espérer d’autres développement tant sur les traditions culturelles que sur la conduite des entreprises.
Il faut intégrer des actions individuelles à la marche collective des entreprises, "coordonner, mais sans étouffer". Ainsi les limites entre le légitime et l’illégitime, le pensable et l’impensable, le bien et le mal sont tracées, différentes pour chaque culture. Ces constats entament largement le credo de la modernité.
Celle-ci porte le rêve d’une humanité affranchie de toute croyance. "Elle a voulu désenchanter le monde, dissoudre les mythes, abolir les rites". Tout ce qui s’opposait à ce déracinement était réputé archaïsme, voué à disparaître. L’entreprise fut un fer de lance puisqu’elle prospéra d’abord grâce aux sciences et aux techniques.
Les passions, les habitudes, l’esprit de clan n’étaient plus "qu’une face obscure, honteuse, d’un monde encore imparfait" qu’il fallait expurger ou condamner . "L’univers des méthodes de gestion est un univers d’hommes sans racines et sans vraies passions, univers d’intérêts bien pesés, d’application raisonnable, avec éventuellement une pointe de bons sentiments, plus proche dans sa vision des hommes et du roman à l’eau de rose que de l’épaisseur trouble que nous font goûter Cervantès et Shakespeare".
Un autre discours faisait de l’entreprise un lieu du mal, d’aliénation sous toutes ses formes. Pour les gestionnaires, les passions qui divisent sont novices ; pour les contestataires, ce sont celles qui unissent : "l’enracinement du métier, qui résiste à une gestion rationnelle de la main-d’œuvre, comme à l’unification de la classe ouvrière dans les luttes, est doublement suspect".
Mieux vaut pour éviter de nouvelles déviations, unir raison et tradition . "Les traditions seraient impuissantes si elles ne se matérialisaient pas par des structures et des procédures, comme les structures et les procédures seraient impuissantes sans traditions capables de les faire respecter". Et accepter ces valeurs modernes que sont la compétence technique, l’efficacité productive, l’esprit industrieux. Et, dans chaque pays, respecter les règles et non le "sentiment diffus d’appartenance à une communauté où tous se fondraient", qui génère "du pseudo-traditionnel de pacotille".
Mœurs qui ne se limitent pas à celle d’un pays, mais à bien d’autres unités : régions, ethnies… chaque entreprise abrite une multiplicité de cultures, sans compter celles qui se constituent en son sein : équipes, ateliers, usines. L’ensemble formant des traits uniques : c’est la culture propre d’une entreprise.
Un bon dirigeant s’inspire des traditions présentes et les cultive, amplifiant tel trait, laissant tel autre en sommeil.
A LIRE
Dans la suite de la logique de l’honneur
Du même auteur : Philippe d’IribarneGÉRER PAR DELÀ LES FRONTIÈRES
Comment les entreprises vivent les différences culturelles ?
La mondialisation et son cortège d’uniformisation - des comportements, des normes, des mœurs et des méthodes - va-t-elle balayer les particularismes locaux ? Beaucoup l’ont cru, beaucoup le souhaitent. Et pourtant, au fil du temps, la perspective d’un monde régi par une culture planétaire se révèle problématique.
De la lecture d’un ouvrage collectif récemment paru, "Cultures et Mondialisation", les responsables d’entreprises tireront le plus grand profit - la chose est suffisamment rare pour un livre d’ethnologues, pour être soulignée...
Pourquoi cet intérêt ? Parce que ces dirigeants sont les premiers concernés par les différences culturelles. "Si la culture affecte tellement la vie des entreprises, c’est parce qu’elle affecte la manière de gouverner les hommes." écrivent les auteurs. Au sein du CNRS, le groupe de recherche "Gestion et Société", animé par Philippe d’Iribarne, se consacre à l’ethnologie des sociétés modernes, en prenant comme champ d’investigations le fonctionnement comparé des entreprises. Ce livre, issu d’un travail de terrain, est donc une plongée dans les entreprises confrontées aux problèmes de gestion interculturelles.Le sous-titre, "gérer par delà les frontières", annonce clairement la couleur. Dans neuf études de cas, en Europe mais aussi en Afrique et au Canada, sont analysés les frictions, les incompréhensions, et les succès survenus dans des entreprises où l’encadrement était composé de diverses nationalités. Au travers de ces exemples vécus vont être traitées des approches complexes de la hiérarchie, du reporting, de l’autonomie, du travail d’équipe.
Ainsi le chapitre "Le solide contre l’ingénieux" présente le cas d’une firme suisse de matériel électrique, rachetée par un groupe français. Dans cette entreprise, la gestion des projets d’ingénierie va très vite engendrer des tensions entre personnes, des rivalités entre départements, des désaccords sur les solutions à mettre en œuvre. Les Suisses se plaignent de l’arrogance de leurs partenaires : "Les Français savent mieux que tout le monde" tandis que ceux-ci affirment : "Les Suisses trouvent toujours qu’ils font mieux".
Or, au-delà des problèmes ordinaires des équipes de projets, on découvre, au cœur de cette incommunication, des conceptions différentes des rapports à la technique, de ce que doit être la qualité, et des modes de coopération légitimes. Entre le souci du détail des Suisses et l’approche par modélisation des Français, entre le temps passé par les premiers à obtenir l’adhésion de chacun et l’affirmation de la solution la plus rationnelle par les seconds, le champ des incompréhensions est vaste. Pourtant, des procédures et modes de décision adéquats permettront de les surmonter.
Car la culture, et c’est un des grands mérites de ce livre de le rappeler, ne réside pas seulement les détails de la vie quotidienne. Elle se niche avant tout dans le sens donné aux actes, aux paroles, aux gestes. Elle est constituée par l’interprétation du monde et de ses contextes. Le destin mondial des entreprises sera un destin multiculturel, et non pas celui du clonage généralisé.