LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

E. Sohier
Janvier 2001

 

Michel CROZIER

 "L'entreprise à l'écoute
Apprendre le management post-industriel"

 

Le sommaire :

1. L’auteur *
2. Bibliographie *
3. Les questions posées *
4. Les hypothèses *
5. Les postulats *
6. Démarche *

7. Le résumé *

7.1. L’émergence d’une nouvelle logique *
7.2. La nécessite de nouveaux principes d’organisation *
7.3. La tentation du discours *
7.4. La résistance de la réalité humaine *
7.5. Les réponses ou les conditions de la réussite *
7.6. Genèse et limite d’un 1er succès : La cas de la CIAPEM *
7.7. Problèmes et limites d’une mobilisation ouvrière : Cas MULFOR *
7.8. GSI : La Générale de Service Informatique ou le passage d’un seuil *
7.9. L’apprentissage du futur *

 

 

L’auteur

    Directeur de recherche au CRNS, ancien professeur à l’université de Harvard et à Nanterre, actuellement Directeur du cycle supérieur de sociologie de l’Institut d’études politiques de Paris et Président du centre de sociologie des organisations.

     

Bibliographie

Du management panique à l’entreprise du 21ème siècle  Maxima 1994
L’entreprise à l’écoute Points essais
InterEditions 
1994
1989
La crise de l’intelligence InterEditions 1995
La société bloquée  Seuil
Points essais
1994
1995
Comment réformer l’Etat, Trois pays, 3 stratégies
Suède, Japon, Etats Unis (Avec Bruno Chavanat)
La documentation Française 1988
Etat modeste, Etat moderne  Fayard
Points essais
1987
1991
On ne change pas la société par décret  Grasset
Hachette – Pluriel
1979
1984
L’acteur et le système
En collaboration avec Erhard Friedberg 
Seuil
Points Essais 
1977
1992
The crisis of democraties
Report on the governability of democraties
En collaboration avec S Huntington et J Watanuki
New York 1975
Le monde des employés de bureau Seuil 1965
Le phénomène bureaucratique Seuil
Points 
1965
1971
Petits fonctionnaires au travail CNRS 1956
Usines et syndicats d’Amérique Ouvrières 1951
Mouvements ouvriers et socialistes
Chronologie et bibliographie (1750/1918)
En collaboration avec Edouard Dolléans
Ouvrières 1949

 

Les questions posées

Pourquoi écouter ?

Par ce qu’il n’y a pas de stratégie et d’action raisonnable sans connaissance et pas de connaissance sans écoute.

 

Les hypothèses

 

Les postulats

 

Démarche

 

Le résumé


7.1 L’émergence d’une nouvelle logique

7.1.1 La vraie révolution de notre temps

La nouvelle révolution industrielle que nous vivons est plus profonde que celle du 18ème et 19ème siècle. Elle n’est pas politique, mais économique et sociale. C’est celle qui est en train de transformer radicalement les activités, leurs modes d’organisation, leurs styles de relations, leurs raisonnements,,

Nous vivons de nombreuses modifications :

Des activités des hommes
Des modes d’organisation
Des styles de relations
Des raisonnements
L’image de la société et de la politique.

La désindustrialisation est un fait. C’est le résultat d’un mouvement profond. C’est un phénomène mondial. L’industrie se décompose et se recompose sans cesse.

Données essentielles de l’évolution :

La qualité des emplois change

Le rôle décisif de la croissance économique est joué de plus en plus par la haute technologie.

Externalisation des fonctions auxiliaires.

La mondialisation de l’économie élargit et accélère la concurrence.

La notion de besoin perd sa signification.

L’accélération du changement met en péril la stabilité des grandes entreprises

 

7.1.2. Un changement fondamental de logique

La logique de la société industrielle est fondée sur le couple production de masse/consommation de masse.
La logique nouvelle est basée sur la prédominance du couple haute technologie/services sur couple consommation de masse/production de masse.

4 éléments à cette nouvelle logique :

  1. La capacité d’innover devient la qualité 1ère dans le produit, dans la technique et dans le rapport avec le client.
  1. Le renversement du rapport quantité/qualité.
  1. Importance centrale de la ressource humaine
  1. La capacité d’innover ne dépend pas de l’investissement matériel, mais de la qualité et de la pertinence de l’investissement immatériel (personnes, systèmes de relations, culture….)

 

7.1.3. Une révolution managériale est désormais indispensable

L’émergence d’une nouvelle logique va provoquer une véritable révolution dans notre façon de concevoir l’organisation, la gestion, le commandement des hommes, c’est à dire tous les principes de management, même si cela s’effectue dans la continuité de la rentabilité.

La pensée managériale obéit à des canons absolus et éphémères dont le renouvellement rapide est contraignant (organisation, produits, marchés, groupes autonomes de travail, la direction participative par objectifs, les cercles de qualité…, le culte des modèles (américain, allemand).

Le passage à une nouvelle logique exige un investissement intellectuel considérable.

 

7.1.4. Les chances de la société française

La nouvelle logique ne s’impose pas comme un modèle.
C’est la concurrence qui fait apparaître la plus ou moins grande validité des approches successives qui l’incarneront.

Nous restons dans la logique quantitative qui nous empêche de comprendre le monde nouveau et de nous y adapter. Si notre pays a beaucoup de problème, les autres aussi.

Dans cette nouvelle phase de développement, les chances de la société française sont bonnes si nous réfléchissons aux ressources qui sont les nôtres.
Pour y faire face il faut comprendre les qualités dont on a besoin et les atouts dont on dispose.
Nous tenons dans nombre de domaines des places honorables. Nous disposons de qualité d’imagination et de logiques, des qualités conceptuelles ( Aviation, espace nucléaire, informatique..)

Dans le domaine des services, la capacité d’invention, l’imagination conceptuelle et même le génie de la vente dans toutes sortes de domaines où les Français ont figure de pionniers (Club Med, Europ Assistance..)

Ce qui apparaît comme qualités alors qu’avant considérée comme défauts (tendance à intellectualiser, à conceptualiser, demande de clarté de logique, passion individualiste) deviennent de possibles ressources.

La ressource humaine primera sur la ressource matérielle, c’est un mode où les Français sont à l’aise.

Ce qui manque c’est la capacité à reconnaître l’importance des investissements immatériels et à les réaliser d’une part, la capacité à organiser l’apprentissage des responsabilités nouvelles à développer, des systèmes de relation et de réseaux complexes, et à en guider l’apprentissage collectif d’autre part.
D’où l’importance décisive que devrait revêtir pour la société française, l’expérimentation et l’apprentissage de nouveaux modes possibles d’organisation.

Tel est le problème crucial. Les dirigeants se concentrent sur la stratégie et oublient ou minimisent l’organisation (l’intendance suivra..), point crucial, maillon faible.

Dans la nouvelle logique des services et de la haute technologie, l’organisation change de forme mais ne devient pas secondaire. Sa mise en œuvre exige le passage à de nouveaux modèles, à une nouvelle philosophie des rapports humains.

Le paradoxe moderne, c’est que plus les individus sont libres, plus une anarchie humainement acceptable ne reste possible qu’avec un supplément extraordinaire d’organisation. Souple, ouvert, plus tolérant, mais il s’agit toujours d’organisation impliquant limites, contraintes, coordination et gouvernement.

Le malentendu vient du fait que nous ne pouvons encore pas imaginer l’organisation autrement que taylorienne ou bureaucratique et donc que pour nous débarrasser de contraintes devenues insupportables, nous entreprenons de supprimer toute possibilité d’organisation.

Ce problème se rencontre partout mais plus en France car elle a investit dans les modèles et les mythes bureaucratiques.
Elle ne peut concevoir d’organisation qui ne soit structurée, hiérarchisée contraignante. Elle s’en plaint et en même temps la renforce d’où le paradoxe.
Il existe de grandes ressources humaines et une incapacité foncière à les mobiliser.

Le point sensible, la tâche la plus urgente à accomplir, c’est l’expérimentation et la diffusion de nouvelles formes d’organisation.

 

7.2 La nécessite de nouveaux principes d’organisation

7.2.1. La nouvelle pertinence des problèmes d’organisation

Pour qu’une nouvelle logique prenne corps, il faut qu’elle s’incarne dans de nouveaux rapports humains au sein d’un système d’organisation qui obéit à d’autres principes.

Le problème sont les freins au changement générés par ceux qui ne peuvent s’adapter au modèle implicite qui supposent les vues des visionnaires, car il y a rupture et renversement de logique.

Taylor et Bedeaux , Fayol, Gulick ou Kotarbinski avaient façonné pour très longtemps les pensées des dirigeants d’entreprise, des ingénieurs et des cadres en matière d’organisation du travail, de management et de gestion, mais celles des politiques, des administrateurs et du grand public sur ce que peut être une démarche d’action raisonnable.

La réflexion sur l’organisation ne peut plus être logique. C’est l’organisation qui commande mais dans une perspective différente et opposée. La réflexion porte sur la capacité des groupes humains à coopérer dans des systèmes beaucoup plus complexes et sur les meilleurs moyens de développement et d’utiliser cette capacité.

Le problème est désormais sociologique.

Il s’agit de susciter une collaboration efficace entre les membres d’une organisation dans le cadre des contraintes techniques et économiques. Etant entendu qu’il n’y a pas de coopération sans conflit et qu’il est illusoire de vouloir motiver des subordonnés mais simplement créer les conditions pour qu’ils se motivent eux-mêmes et ainsi mobiliser les capacités individuelles et collectives existantes pour atteindre des buts et de développer ses capacités pour proposer d’autres buts.

La voie traditionnelle dominante est encore très conformiste sous son apparente sophistication. On ignore le changement de logique, mais on accélère la rationalisation en utilisant les possibilités qu’offrent les techniques de supprimer les contraintes humaines (développement des SI) et à utiliser au maximum l’ externalisation.

On refuse d’envisager le problème essentiel, la capacité individuelle et surtout collective des hommes à assumer fonctions, rôles et relations indispensables à la mise en œuvre de la rationalisation.

Les adeptes de ce courant de pensée, estiment que les hommes accepteront sans problème des systèmes plus transparents. S’ils rencontrent des difficultés, ils rejèteront la faute sur l’environnement politique et social.

Or le problème n’est pas dans la conception d’un système, mais sa mise en œuvre organisationnelle.

L’introduction de la clarté dans les rapports humains ne permet pas d’éliminer l’organisation parce qu’elle fore à affronter directement les conflits. Elle demande plus de préparation, plus de complexité donc plus d’organisation.

Supprimer les intermédiaires, c’est supprimer des situations de pouvoir, mais ce n’est pas s’en débarrasser. C’est surtout supprimer les protections qui permettaient d’en alléger le poids.

 

7.2.2. Les entreprises comme laboratoire

Si l’organisation et les principes qui la fondent constituent le problème clé du développement, les entreprises en sont le laboratoire.

Les problèmes d’organisation sont à la fois conceptuels et existentiels. Le vécu précède l’idée, mais seule l’idée permet de comprendre le vécu, de le formaliser, de la développer et de reculer les limites du possible.

L’émergence d’un nouveau concept ne peut se faire qu’à partir de l’expérience.

En période de mutation, il s’agit d’une révolution conceptuelle. Ce sont les praticiens qui commencent à changer de logique et non les intellectuels du management, logique dont le changement est moins spectaculaire car profond.

Les 1ers éléments de cette révolution conceptuelle. Si on les rassemble, on voit se dessiner une nouvelle logique. Cette nouvelle logique s’organise autour de 3 principes :

Le principe de simplicité

La meilleure réponse à la complexité des rapports humains est la simplicité de l’organisation. Avant, l’organisation était basée sur des structures et des procédures complexes. Maintenant, c’est l’esprit humain le meilleur intégrateur pour faire face à la complexité et la seule bonne réponse à celle ci, c’est la simplicité des structures et des procédures

Le grand slogan anglo saxon de la 1ère moitié du 20ème siècle était :" L’organisation, c’est l’art de faire de grandes choses avec des hommes médiocres "

Le mot d’ordre sera :"Professionnalisez les hommes au lieu de sophistiquer structures et procédures."

Le principe d’autonomie

Il ne s’agit plus du respect de la personne et de ses droits face aux contraintes de l’organisation mais de découvrir le besoin qu’a l’organisation de la liberté de la personne.
Un des meilleurs moyens de réduire la complexité est en effet de donner l’entière liberté de décision à des unités opérationnelles fortes.

On peut le comprendre à partir de 3 grands problèmes que l’organisation ainsi repensée permettra de mieux traiter :

Dans un système de production de masse/consommation de masse, le client est devenu anonyme.
Marketing et publicité sont conçus de façon standardisé sans rapport avec la production.
Dans un système hi-tech-services, la relation avec le client devient centrale.
Rapidité, compréhension, capacité de dialogue d’innovation sont des qualités indispensables que seules peuvent assurer des unités autonomes.

Le métier est une valeur traditionnelle de résistance à l’organisation.
Ce n’est plus en rationalisant la gestion des activités disparates que l’on va gagner mais en se concentrant sur les métiers sur lesquels on peut devenir les meilleurs.

Le 3ème avantage de l’organisation fondée sur le principe d’autonomie, c’est sa capacité plus grande d’entreprise et d’innovation à tous les niveaux hiérarchiques.
A notre époque, ce sont les coûts d’intégration qui deviennent le point sensible.
Ils s’alourdissent en raison de l’incapacité des systèmes de direction à s’adapter aux exigences de liberté des agents et à la complexité des problèmes à traiter.
Il existe la voie de l’autonomie interne pour réduire les coûts d’intégration. Le point sensible devient alors la mode de gouvernement qui doit se transformer pour surmonter la contradiction.

Le gouvernement par la culture

C’est la réponse logique aux problèmes posés par les 2 premières.
Si l’on ne peut plus gouverner par des règles ou ordres, la seule façon de maintenir le minimum de contraintes indispensables à la coordination des efforts, c’est de s’appuyer sur la culture que secrète tout groupe humain ayant une communauté d’objectifs.

Le rôle le plus déterminant pour le management n’est pas de donner des ordres impératifs et d’imposer des règles universelles, mais d’organiser les tâches, les relations internes et externes qui définissent le jeu et de soutenir les règles coutumières qui le rendent possibles.

3 voies ouvertes dans cette direction :

Rôle d’animateur du manager, capable de faire confiance aux subordonnés, de les aider de faciliter leurs tâches et travers elles d’affirmer leur personnalité.

Développement à partir d’une réflexion sur les valeurs.
On essaye de rassembler les gens autour de valeurs communes.
Elles vont constituer la culture de base qui se substituera aux règles et contraintes de manière partielle
Objet essentiel du projet d’entreprise.
Idée séduisante car volontariste et participative.
Les partons retrouvent leur rôle de guide spirituel auxquels ils sont habitués.
Risque : Distance entre valeurs officielles et les valeurs profondes qui gouvernent les comportements.
Le projet ne touche que les valeurs officielles.
On ne peut diriger que si l’on a une compréhension aiguë des jeux réellement vécus par les participants.

Formule plus étroite et limitée mais avec un impact plus profond.
2 vertus :

Les dirigeants sont souvent surpris sur ce qu’ils apprennent de nouveau sur le fonctionnement de leur entreprise et les capacités de leur personnel.

La réflexion sur la culture d’entreprise doit porter sur ce qu’elle est réellement et non pas la bonne culture adaptée aux objectifs de l’entreprise.
Ceci demande une écoute attentive.
Les cercles de qualité sont une voie d’accès mais aussi d’enquêtes sur les relations réelles entre les personnes et les groupes, la formation du personnel.
Utilisation des réclamations clients et salariés pour comprendre le système qui les induit.

L’écoute seule permet de comprendre les faits.

Si l’on associe les subordonnés à l’analyse du système dont ils font partie, on génère une demande de réforme de capacité à agir pour lever les obstacles.
On croit trop facilement que le consensus est un préalable pour assurer le développement et la rénovation d’une organisation, et on cherche à le créer en travaillant sur les motivations c’est à dire l’affectivité du personnel.

 

7.3. La tentation du discours

7.3.1. L’ambivalence des patrons français

Si l’on accepte que l’homme soit devenu une ressource rare, le problème prioritaire est de savoir tirer parti de ce qui va faire la différence. Le paradoxe est de savoir comment mobiliser ses potentialités.

 

7.3.2. Une vision trop volontariste de la culture

Les difficultés apparaissent quand on veut mettre en application de nouveaux principes d’organisation.
Cela vient des habitudes des coutumes donc des règles du jeu social.

La mise en œuvre du principe de simplicité n’aboutirait qu’à la confusion. Simplicité ne veut pas dire simplisme. On répond à la complexité par un effort qui demande de la connaissance, de l’intelligence et de soin dans le détail de l’exécution pour aboutir à une simplicité efficace.
Cet effort repose sur les hommes. La difficulté sera de transformer la culture qui les soutient et les limites.

La mise en œuvre du principe d’autonomie court le risque de relancer les féodalités locales et d’échouer très vite. C’est la culture commune qui seule peut se substituer aux contraintes (règles, ordres hiérarchiques et contrôle) dont on veut alléger le poids.

Qu’est qu’une culture d’entreprise ? Selon les patrons souvent trop volontaristes, c’est le pouvoir et le droit de façonner la culture du groupe humain dont il a la charge.

Le paternalisme a échoué car il constituait une intrusion difficile à supporter dans la vie des subordonnés.. Il suscite inévitablement des réactions de rejet.
Les Français sont particulièrement susceptibles sur ce point car ils ont une grande tradition d’attention aux relations humaines et à la morale de la personne.

La culture d’entreprise ne se change pas par décret, ni par concertation.
Pour comprendre le problème, il faut revenir à la distinction capitale introduite par Chris Argyris et Donald Schon entre les valeurs professées et celles pratiquées.
Ce que l’on appelle "valeurs" correspond à un modèle théorique de comportement humain.
Mais les valeurs pratiquées dépendent du système de relations humaines à l’intérieur duquel les gens agissent. Celui-ci définit les règles du jeu et tend à récompenser certains comportements et à en pénaliser d’autres selon la nature même du jeu qu’il a fait émerger.
Sil ‘on veut changer la culture, il faut changer le système qui la génère et la renforce à partir de traditions et des habitudes.
Pour rendre possible des pratiques différentes, il faut créer les conditions nécessaires pour qu’un jeu différent puisse émerger. Il faut en même temps aider les personnes concernées à en tirer partie.
Il faut d’abord connaître le jeu actuel.

Dans de nombreux cas on s’aperçoit que la culture a changé et qu’elle peut être très porteuse. Il est plus facile dans un 1er temps de la révéler et de la conforter que d’essayer de la transformer en lui imposant un modèle préfabriqué. L’esprit volontariste suscite inéluctablement la mauvaise volonté des subordonnés.
En cas d’échec, ce sont souvent les cadres qui sont tenus pour responsables de ne pas avoir été des relais du message patronal mais des écrans qui l’empêchaient de passer.

 

7.3.3. Les cadres comme obstacle au changement

On les voit comme un problème plutôt que de voir ce qu’ils sont capables d’accomplir.
On les voit comme des freins et des obstacles à la modernisation, et c’est autour d’eux que se cristallisent la plupart des difficultés de l’organisation.
Le problème fondamental désormais est celui du rôle des cadres dans le changement.
Les cadres sont considérés par essence conservateurs. Le cercle devient dans ces conditions difficile à briser.
Pour changer l’organisation, il faut transformer les cadres. Mais pour transformer les cadres, il faut changer l’organisation.

La difficulté à raisonner sur les cadres vient de ce qu’ils sont à la fois le problème car ils constituent un frein aux changements et la solution parce que ce changement permet de les remobiliser.

2 questions difficiles, sinon impossible à résoudre semblent primordiales :

La transformation du rôle des cadres est profondément liée à la réduction du nombre d’échelons.
Si leur mission devient celle d’animateur, nous aurons besoin d’un plus grand nombre de spécialistes capables d’apporter les compétences les plus spécialisées et de faciliter la coopération, les échanges, la formation et le développement de tous les opérationnels.

Cela demande une véritable révolution dans les mentalités, les patrons français sont sceptiques quant à la capacité des cadres à l’accepter. Les cadres sont trop attachés à leurs statuts à leurs prérogatives.. Ils ne savent pas ou ne veulent pas faire participer leurs subordonnés. Ils regardent toujours vers le haut, pas assez vers le bas. Ils ne sont pas mobiles.

 

7.3.4. La stratification française traditionnelle est-elle en question ?

Le cœur du problème est l’organisation interne de l’entreprise, mais on ne l’attaque pas vraiment.
Simplifier l’organisation signifie s’attaquer au système intermédiaire.
Derrière cet ensemble d’échelons que l’on peut réduire ou augmenter à volonté, il y a des êtres humains, les cadres et des ensembles de relations interdépendantes. On ne change pas les êtres humains ni les rapports à volonté.
La vision d’une entreprise allégée est séduisante, mais le rôle des cadres est rendu difficile en France par les pesanteurs sociologiques particulières, qui se traduit par l’importance du statut. Le concept de cadre est plus important chez nous que dans les autres pays occidentaux.
C’est toute la société qui doit s’ouvrir à d’autres rapports humains plus flous, moins cristallisés dans des positions stratifiées, qui doit accepter de vivre dans un mouvement plus rapide avec des rapports plus directs, en tolérant une fluidité sociale plus grande, comportant aussi bien descente que montée dans l’échelle
L’histoire montre qu’il ne faut jamais forcer celle ci à aller trop vite.
Si l’on veut dépasser les jugements à priori de prudence et d’enthousiasme, il est indispensable de faire le point à partir de données empiriques sur la réalité du comportement des cadres actuels et sur leur ouverture possible face à ces nouvelles formes d’organisation dont rêvent leurs patrons.

 

7.3.5. La perte du principe de réalité

La partie réaliste pour un patron est son compte d’exploitation.
La partie irréaliste est de parler de mobilisation de son personnel dans un projet d’entreprise.
Si la ressource humaine est considérée comme un bien rare, c’est la façon dont on conçoit son utilisation que dépend le succès à long terme.
La tentation du discours constitue aujourd’hui le danger essentiel pour les patrons français. Ils parlent mais n’agissent pas.
Ce qui manque c’est l’écoute. Il n’y a pas de communication de haut en bas efficace qui ne soit fondée sur une communication plus riche de bas en haut et donc une méconnaissance de la réalité des rapports humains dans l’entreprise. Personne n’écoute réellement personne.

Aucune organisation ne peut vivre en dehors du principe de réalité.

 

7.4. La résistance de la réalité humaine

7.4.1. Il y a loin du discours à la réalité

Le rapport entre le discours et la pratique devient un des problèmes fondamentaux du redéveloppement économique français.
Si les patrons adhèrent intellectuellement aux principes de délégation, de décentralisation ou de management participatif, ils croient qu’ils ont changé une réalité humaine dont la résistance après coup leur apparaît comme irrationnelle.

L’enquête pour l’institut de l’entreprise montre toutefois une évolution sensible.
Pour la plupart des patrons, la ressource humaine semblait devenir un des éléments majeurs de la stratégie de l’entreprise.
Leur raisonnement sur le rapport entre le social et l’économique devenait plus simple et plus convaincant.
Resta à savoir comment ce discours peut passer dans la réalité. Les conclusions du travail fut que soit engagé un effort de connaissance sur la résistance au changement et les moyens de les surmonter.

Dans le cadre du groupe de travail, 4 entreprises ont accepté que leurs cadres soient interviewés.

Les 1ers résultats montrèrent qu’il y avait bien une résistance, mais que les patrons se méprenaient sur la nature de cette résistance.
Les cadres ont les mêmes positions que leur patron. Ils sont convaincus de la nécessité du changement. Ils sont très favorables au management participatif.
Pourtant cette convergence intellectuelle ne se traduit pas par un accord véritable dans la pratique.
L’erreur majeure des chefs d’entreprise dans cette relation qui doit être une relation d’échange, c’est de vouloir prêcher des convertis et de ne pas leur donner l’impression de les écouter.
Les cadres reprochent aux patrons de ne pas se comporter de façon participative. Ils rejettent l’effort de communication des patrons qu’ils trouvent simplistes car unilatérale et qu’ils témoignent d’une conception paternaliste de la culture d’entreprise.

 

7.4.2. Les cadres ont les mêmes conceptions et aspirations que les patrons.

Les cadres vont constituer un groupe humain conservateur. Ils tirent leur importance et leur pouvoir de leur rôle d’intermédiaires.
Le passage du management bureaucratique au management participatif les force à abandonner leur revendication de compétence exclusive et leur comportement autoritaire.
L’idéal modernisme d’une entreprise allégée ne laisse plus de place aux cadres traditionnels avec la réduction du nombre d’échelons.

Le sentiment des patrons est ambivalent. Ils compatissent aux problèmes de leurs cadres et de l’autre les voient comme un groupe conservateur. Ils en déduisent que ceux ci n’ont pas pris conscience de la nécessité du changement.

Or c’est tout le contraire qui est vrai.

  1. La prise de conscience du changement.
  2. Dans les interviews effectuées, il n’y a en réalité aucune opposition intellectuelle au changement, ni aucun attachement sentimental au passé.
    Les différences constatées tiennent à la façon dont la direction a imposé le changement, et au rôle qu’elle a consciemment ou inconsciemment assigné aux cadres dans cet effort.
    C’est surtout dans la mesure où l’on demande aux cadres d’être des acteurs responsables qu’ils se mobilisent et deviennent même enthousiasmes.

  3. Le management participatif
  4. Dans l’enquête les commentaires sont unanimes.
    On exprime une adhésion intellectuelle sans réserve doublée souvent d’un véritable engagement affectif.
    Les résultats de l’enquête peuvent faire l’objet de positions d’ordre rhétorique et n’expriment pas la réalité ce qui est probablement vrai en partie.
    Il reste que se dégage de tous les commentaires une impression de sérieux et de responsabilité dans l’engagement.

    Dans le changement il y a des difficultés au niveau de l’exécution à cause d’une mauvaise préparation, d’une erreur de stratégie ou d’un comportement inadapté de la part des dirigeants.
    Le reproche fait aux patrons c’est de ne pas pratiquer eux même le management participatif, d’être trop activistes, trop pressés, d’exiger des résultas concrets quantitatifs et de ne pas laisser à leurs cadres la liberté de mettre en œuvre le changement en fonction des opportunités que ceux ci sont seuls à pouvoir apprécier.

    "J’ai l’impression de participer à la vie de l’entreprise, mais pas d’être écouté par le haut de la hiérarchie. Il n’y a aucune participation aux projets importants, aucune concertation autour des grands problèmes …"
    Ce genre de réflexion est du à un système d’organisation complexe difficile à gérer qui a creusé des failles et des ruptures.
    On se trouve souvent devant des oppositions de castes, le groupes de cadres supérieurs qui communiquent avec le sommet et les cadres moyens qui communiquent avec le bas. De telles oppositions se retrouvent partout. Leur présence ou leur absence ne dépend pas tant des personnes que du modèle de relations de pouvoir et du circuit des décisions.

  5. L’impact des nouvelles méthodes
  6. Les cercles de qualité suscitent une adhésion de principe presque unanime. Cela peut renforcer l’esprit d’équipe et la cohésion dans un groupe.
    Les critiques portent sur la précipitation des responsables, le caractère formalité et contraignant du modèle qu’ils emploient, le trop grand activisme directorial et l’absence de respect pour les problèmes du terrain, très rarement sur l’objectif ou la méthode elle-même.
    Les cercles de qualité ne marchent pas en raison des méthodes employées (nombre et calendriers rigides).

  7. La réduction du nombre des échelons hiérarchiques

L’opposition des cadres n’apparaît pas aussi forte qu’on pourrait le croire.
Si l’on résume l’ensemble de ces réactions, les cadres semblent désormais plus motivés que leurs patrons.
Ce qui est en jeu ce n’est pas l’adhésion aux principes du nouveau management mais le besoin qu’ils ont de s’affirmer.
Ils veulent être des acteurs, des initiateurs, ils prétendent être mieux en mesure que les directions générales de décider des circonstances, du rythme et des modalités de l’effort à accomplir, grâce à leur connaissance du terrain.
Il faut noter que les nouvelles méthodes réussissent mieux dans les activités de production directe que dans les sphères des administratifs et fonctionnels.

 

7.4.3. La stratégie de communication de beaucoup de chef d’entreprise est particulièrement mal adapté

Les patrons ont de leurs cadres une image conservatrice.
Ils pensent qu’ils doivent prêcher la bonne parole du progrès social et du dynamisme managérial.
La stratégie qui s’impose sera en conséquence fondée sur des vieilles techniques des réveils, des revivals qui ont permis une nouvelle évangélisation du peuple chrétien au 18ème siècle et 19 aime.
Une telle stratégie est vouée à l’échec.
Les cadres veulent avant tout devenir actifs et responsables et pas pour le bien de l’entreprise mais pour exister et s’affirmer.
Ils vont refuser cette prêche qu’ils vont ressentir comme une atteinte à leur personnalité.
Dans notre société libérale avancée, on ne motive pas les gens pas plus qu’on ne les mobilise, on leur offre des occasions de se mobiliser et on les laisse se motiver eux-mêmes encore faut-il pour cela créer des conditions favorables.
Plus la communication est sophistiquée, plus elle est perçue comme simpliste, alors que le message simple de l’extérieur serait jugé simpliste, apparaît lui comme source de richesse, car il permet aux intéressés de le reprendre vraiment à leur compte et d’en discuter librement.
Sont favorables, ceux qui peuvent se placer du coté de l’émetteur et qui s’identifient avec leurs communicateurs.
Plus généralement, l’engagement connu du patron, le fait que chacun soit persuadé qu’il y croit vraiment a donné à un message simple une force considérable.
Un tel langage apparaît en effet humain et personnel alors que le message sophistiqué au contraire semble le produit d’un état major de technocrates.

 

7.4.4. Les instruments de mesure managériaux manquent de fiabilité

Dans les entreprises les plus avancées, le management des hommes est fondé sur la mesure de la performance individuelle.
Les procédures de DPPO (direction participative par objectifs) héritées du MBO (management par objectifs) ont suscité un nouvel engouement avec le renouveau de l’idée d’entreprise.
Entretiens annuels, contrats d’objectifs et mesure de la performance apparaissent comme les instruments indispensables de la direction, de l’animation et de la motivation du personnel d’encadrement.
Peu d’attention est donné à la fiabilité des méthodes que l’on emploie pour mesurer le mérite, du moins la performance et surtout à la confiance que peuvent avoir les interviewés dans cette fiabilité.
Si la philosophie de la DPPO est acceptée dans son principe, elle pose problème dans son application.
Les pratiques dominantes sont souvent très critiquées :
La fiabilité de la mesure de la performance (arbitraire, ne tient pas compte des efforts mais des résultats)
"On peut être compétent si on a pas les moyens, on rate l’objectif."
L’inverse est vrai l’incompétence ne garantit pas l’échec.

La qualité et la fiabilité de la négociation autour des objectifs sont pour beaucoup d’interviewés , le test crucial de la DPPO.
Ces procédures restent très formelles quand elles ne sont pas le moyen de fixer des objectifs trop élevés.
Il y a plus profond ; des contradictions qui se révèlent cruciales dans certaines situations.
La contradiction entre le résultat à court terme et l’intérêt de l’entreprise à long terme d’une part, et l’intérêt individuel et la performance du groupe d’autre part.
On perd de vue les objectifs communs en insistant sur la performance individuelle.
Un problème d’équilibre se pose. L’introduction de la DPPO dans certaines entreprises paraît injuste parce qu’il fait des gagnants (gestionnaires et commerciaux) et des perdants (cadres de production).
Il reste beaucoup à faire pour que ces procédures soient acceptées. Et qu’elles aient l’effet pédagogique que l’on en attend.
A l’heure actuelle, elles trouvent très vite leurs limites.
Les évaluations individuelles doivent être distinguées des mesures de performances collectives. Ces dernières doivent devenir prioritaires car acceptables par tous et pour l’émergence d’un mérite individuel plus fiable.

 

7.4.5. Le déficit de connaissance

Quelles leçons doit-on tirer de ces enquêtes ?
Elles mettent en évidence des incompréhensions et des oppositions qui paralysent l’action.
Si les cadres ne suivent pas toujours, c’est parce que les conditions ne sont pas réunies pour qu’ils puissent se mobiliser.
La cause en est d’un déficit de connaissances empiriques sur la réalité des rapports humains au sein de leurs organisations.
Les dirigeants sont prisonniers de la philosophie de l’action traditionnelle qui les empêche de regarder en face cette réalité et de prendre conscience des obstacles qu’elle dresse devant leur volonté.
Les individus agissent en fonction de rapports avec autrui, dans des ensembles organisés fortement structurés.
Les théories de l’organisation scientifique du travail ont été abandonnées intellectuellement mais elles restent sous jacentes à la logique dominante.
On n’arrive pas à concevoir que l’action humaine au sein d’une entreprise ne se comprend que dans son contexte de relations d’influence et de pouvoir.
D’où les blocages et ruptures entre échelons et entre fonctions, d’où les jeux plus complexes, qui permettent de comprendre les difficultés de la DPPO.
La stratégie de communication est rejetée alors que le management participatif réussit et que les cercles de qualité suscitent de l’enthousiasme.

Le problème peut se cristalliser autour du concept de la culture d’entreprise.
Les directions croient toujours qu’elles doivent commander une culture qui sera le soutien et le garant des finalités de l’entreprise. Cette vision volontariste se heurte à la revendication de liberté des individus dans notre société. Elle est donc vouée à l’échec.
Il faut accepter de faire les efforts et les investissements nécessaires pour appréhender la complexité avec le respect des faits.

Le management nouveau ne peut se développer que s’il dispose de la connaissance ; L’écoute d’un personnel qui ne demande qu’à parler peut la lui apporter.

 

7.5. Les réponses ou les conditions de la réussite

7.5.1. La nécessité d’une autre approche

Comment les entreprises vont-elles réussir leur indispensable révolution culturelle ?
Les enquêtes de 1984 et 1985 avaient mis en évidence l’enthousiasme intellectuel, mais les enquêtes suivantes ont montré les grandes difficultés d’application des nouvelles méthodes, les résistances humaines ont été ignorées ou sous estimées.
Les enquêtes menées ont mis en évidence les progrès accomplis dans les 5 entreprises étudiées.

A partir du groupe de travail de l’IDEP, des enquêtes parallèles ont été menées en profondeur afin de comprendre non pas les résistances mais les moteurs de tentative de rénovation de l’entreprise et les conditions de réussite.

Les conditions indispensables de réussite sont simples :

 

7.5.2. L’engagement prioritaire des dirigeants

Le principal moteur du changement c’est l’équipe dirigeante et plus particulièrement le chef d’entreprise.
Cet engagement du sommet doit être massif.
Seule est efficace l’annonce d’une priorité absolue, fondée sur une conviction intime et qui influence les dirigeants sur tous les sujets.
Chez Peugeot, le succès de Calvet vient que les cadres sont profondément persuadés que le patron croit ce qu’il dit et pratique ce qu’il prêche.
Il faut savoir ou l’on veut entraîner les hommes, on ne motive pas l’homme pour l’homme.
La finalité de l’entreprise c’est le client et dégager du profit en tenant compte du fait que chacun peut y apporter sa pierre.
C’est la pratique d’une philosophie de la confiance.
On a de chance de réussir que si les patrons, gardiens légitimes des valeurs s’engagent personnellement et prêchent par l’exemple.

Cet engagement d’ordre philosophique est fondamental.
Dans une entreprise participative, on cherche la cause des erreurs pas des coupables.

 

7.5.3. Des principes de délégation, de décentralisation et de participation peu formalisés

Les pratiques de délégation, de décentralisation et de participation constituent l’axe central du nouveau management.
Ce que l’on met en évidence ce n’est pas la méthode mais l’objectif entrepreneurial qu’elle permet d’atteindre.
Ceci pour satisfaire le client, obtenir une meilleure qualité pour atteindre des buts concrets.
La commande par l’extérieur, par le résultat est essentiel pour obtenir l’engagement. Ce dernier sera d’autant plus fort que la méthode n’apparaîtra pas comme un carcan.
Le succès des cercles de qualité ne peut se comprendre que dans cette logique.
C’est une participation a une activité valorisante : la résolution de problème. Ce qui permet de dépasser revendication et contestation.
Malheureusement cet usage raisonnable des cercles de qualité est rare.
Certes la méthodologie de l’étude statistique de la qualité est très efficace. La mettre à disposition des exécutants a constitué un progrès remarquable, car il apporte une capacité de raisonnement nouvelle.
Les patrons ont découvert avec étonnement la capacité des membres les plus modestes de leur personnel à résoudre les problèmes.

Le second souffle se trouve dans les cas où ont été privilégié la qualité de l’engagement des cadres sur la quantité, dans les finalités et la philosophie de la démarche sur sa technique, le sens du terrain sur la doctrine.
Les entreprises qui réussissent adoptent une démarche pragmatique et persévérante, plutôt que de chercher à améliorer les structures et les procédures.

L’expérience de Sony :

L’équipe dirigeante a tout de suite éprouver des difficultés considérables à former et à encadrer avec efficacité des équipes françaises qui devaient mettre en œuvre les méthodes japonaises trop directives.
La culture n’est pas l’obstacle que l’on croit.
La stratégie de changement doit être adaptée à la situation.
La direction n’a pas abandonné les techniques japonaises mais elle en a tiré ce qu’elle comporte de bénéfique et transposable.
Pas de cassure avec le petit personnel et direction, pas de hiérarchie absolue, simplicité des procédures et constante activité d’information, de concertation et de développement.
Pour favoriser la mobilité du personnel, il existe des commissions de résolution de problèmes. Cette méthode est un élément de motivation pour la connaissance réciproque que l’on y acquiert et pour le sentiment que l’on a de pouvoir agir.
La communication horizontale la chose la plus difficile à réussir dans les entreprises du fait de l’auto cloisonnement des services et de l’obligation de suivre la voie hiérarchique est particulièrement soignée.
Elle est assurée tout naturellement par l’habitude du travail en commission.

 

7.5.4. Un effort général de simplicité

Ce concept se retrouve au centre des réflexions des dirigeants avec plusieurs connotations, simplicité dans tous les domaines.
La réduction du nombre d’échelons n’apparaît pas comme les 1er moyens.
Les règles ou règlements édictés pour un petit nombre sont en cause (ex : chez GSI suppression de la direction du personnel)

Privilégier les rapports informels, la communication orale sur la note de service.
C’est au chef de service d’agir directement, c’est lui qui doit être au courant des problèmes de son personnel.

Au sommet, la vision de l’avenir se traduit par des formules chocs qui donnent ensuite lieu à des procédures formalisées.
Dans la réalité, tout ce qui est trop élaboré échoue.
Ce qui compte c’est l’effort même dans tous les domaines pour amener les participants à des rapports plus directs, donc plus simples.

Résultat de l’enquête : Seuls les messages simples sont acceptés. Les messages trop sophistiqués sont toujours paradoxalement considérés comme simplistes.

 

7.5.5. Le souci du détail

L’effort de simplicité s’accompagne toujours d’un très grand souci du détail d’exécution surtout en matière de problème humain.

La 1ère leçon du Japon, c’est l’importance du quotidien.

Cas Dior : Détail qui s’exprime dans la considération témoignée aux personnes.

Cas Auchan : Le principal besoin des gens sont des signes de reconnaissance au quotidien. L’information constitue l’un des éléments essentiels de cette considération quotidienne. Ce qui compte c’est la qualité de l’information, qualité veut dire pertinence pour la personne considérée.

Cas CIAPEM : Diffusion automatique des ratios de productivité, de qualité, plus de l’information hiérarchique orale pour instaurer le climat de confiance avec le chef et le sentiment d’appartenance au groupe.

Sur 12 entreprises étudiées, les stratégies sont divergentes dans le mode de communication, du fait des problèmes que la transmission d’information en cascade.
GSI privilégie la hiérarchie pour valoriser la tâche de l’encadrement.
SONY préfère la simplicité et la rapidité et pratiquent le court circuit dans ce cas.
Ce n’est pas une information descendante. Les gens vont chercher eux-mêmes l’information dont ils ont besoin.

L’information n‘étant plus considérée comme une denrée rare, elle n’est plus source de pouvoir.

 

7.5.6. Le défi mobilisateur

La transformation d’une culture d’entreprise et du système des rapports humains qui la sous-entend demande beaucoup de continuité et de persévérance. Cela ne veut pas dire qu’il faut y aller lentement.

Il faut créer des occasions ou les saisir pour permettre d’accélérer le processus, de précipiter le changement.

Cas la Redoute : Le personnel répond au défi du " 48 heures chrono " car il est capable d’y répondre dès lors qu’on lui a donné les moyens matériels et la liberté d’action indispensable pour le faire.
Avec le remboursement s’il n’y a pas livraison dans les 48 heures, le personnel est rendu ainsi conscient de sa responsabilité.
Ce n’est pas l’amélioration du climat qui a permis de développer la capacité collective mais le défi en suscitant la capacité collective à transformer le climat.
La réussite de la Redoute a 2 raisons : Un travail en profondeur (modifications des relations hiérarchiques – management participatif ) et un ressentiment par tous de la menace d’une crise (survie de l’entreprise en jeu).

 

7.6. Genèse et limite d’un 1er succès : La cas de la CIAPEM

La CIAPEM filiale de Thomson électroménager, spécialisée dans les machines à laver est un cas particulièrement intéressant. A la pointe du développement en 1960, elle est en déclin en 1980. Reprise ne main par un jeune patron, elle a réussi un redressement économique spectaculaire, fondé sur une valorisation du personnel ouvrier et agent de maîtrise et sur un système de participation efficace.
Cependant une grève d’un mois a dissipé l’euphorie de ce climat social.

 

7.6.1. Une entreprise en déclin

L’entreprise doit faire face à une concurrence de plus en plus dure avec un outil industriel vieillissant.
Sa gamme est ancienne et n’a pas été renouvelée.
C’est une grande entreprise typique de l’époque de l’expansion quantitative. La productivité est conçue en termes quantitatifs. La qualité reste une valeur mais elle est conçue en terme conservateur.

Sa productivité n’est pas au meilleur niveau du fait d’un manque de modernisation et d’adaptation de son outil industriel aux nouvelles conditions de marché. Le climat social n’est pas très bon.
C’est une entreprise de type paternaliste.
Les valeurs de production dominent dans le management comme dans le personnel.

En 1970 (victoire des grands distributeurs), le bouleversement complet du système de commercialisation laisse la CIAPEM sans réponse. Elle utilise le marketing mais n’a pas l’esprit client.
Le monde a changé et ses qualités sont devenues des défauts.

L’encadrement est lourd, le management a vieilli et l’ensemble devenu rigide. Elle n’a plus vraiment de stratégie.

 

7.6.2. La stratégie d’un patron

Il ne s’agit pas d’élaborer une bonne stratégie commerciale, mais de transformer un système humain resté trop figé pour être capable de s’adapter naturellement aux conditions nouvelles.
La seule issue est l’innovation qui ne peut réussir que sur un personnel d’exécution motivé et un système d’encadrement convaincu et porteur.
Pour faire face à la concurrence, la CIAPEM est condamnée à fabriquer des machines beaucoup plus fiables, plus performantes et plus modernes, c’est à dire se battre non pas sur la fabrication pure et dure mais de la qualité et de l’image pour fidéliser une clientèle avide de nouveauté.
La bataille de la qualité est essentielle.

L’originalité de la démarche est de mener de front 2 réflexions et 2 actions.

  • Sur les aspects scientifiques du changement qui nécessitent des connaissances sophistiquées
  • Sur le système humain que constitue l’entreprise, tout repose sur la compétence des hommes et leur bonne volonté.

Il distingue donc une chaîne produit et une chaîne ressources humaines.

Il s’agissait de renouveler la gamme complète en 2 ans. Il a fallu travailler 3 niveaux :

La partie se jouait sur l’investissement en recherche développement. Des investissements massifs ont donc été effectués et les effectifs des bureaux d’étude ont été doublés.
Les résultas ont été rapides.
La nouvelle gamme a très bien été accueillie par le public et la CIAPEM est redevenue leader dans plusieurs domaines, avec même de l’avance sur les concurrents (machine qui pèse le linge, la machine s’adapte au degré de salissure du linge).

L’aspect managérial a été aussi important. Des groupes de projets multidisciplinaires pour la mise au point des nouveaux produits (groupes informels hors hiérarchie qui réunissent des gens de tous secteurs). Le chef de projet était l’animateur et devait assurer la synthèse et prendre la décision.

Il s’agissait de s’assurer de la qualité des composants que la CIAPEM achète à ses fournisseurs.
Il était donc indispensable que ceux ci fassent la même démarche dans ce domaine.
Des contrats ont été mis en place avec des "assurances qualité".
Des audits ont été mis en place chez les fournisseurs pour établir de véritables partenariats avec des chartes de fournisseurs privilégiés. Le fournisseur s’engageait à respecter les procédures en contrepartie, les composants lui étaient achetés pendant plusieurs années.

Chaque unité a été rendue responsable de sa fabrication.
En 1987, la CIAPEM a lancé l’année de la qualité avec le PAQ (plan d’action qualité) qui a sensibilisé toute l’entreprise et cherché à y faire passer le sens de la relation client-fournisseur.
Cette action a été prolongée par un suivi du produit auprès de la clientèle (panels surveillés de plusieurs milliers de clients)
Un service de relation avec les consommateurs s’est occupé directement des clients.

2 Objectifs :

Il y a eu embauche d’ingénieurs et rehaussement du niveau de qualification des ouvriers par de la formation.
La nouvelle organisation exigeait davantage de polyvalence et d’autonomie.

L’entreprise réunissait tout le personnel une fois par mois pour lui donner des informations concernant son atelier et son secteur. On examinait les résultats et il y avait discussion pour trouver les facteurs de progrès.
Les gens disposaient de cahiers "démarche progrès"  pour noter ce qui ne va pas cela permet de faire participer ceux qui ne vont pas aux réunions.
La seule chose qui n’était pas négociable ni contestable, étaient les objectifs.
Des groupes progrès ont été constitués. Ce n’étaient pas des cercles qualité. Ils ne s’attachaient pas à résoudre un problème, mais à faire l’inventaire de l’ensemble des difficultés
Cette chaîne de ressources humaines n’aurait pas eu d’impact si elle n’avait pas été soutenue par un engagement profond du patron et de l’équipe qu’il s’était choisie.
Pour lui, la richesse principale de l’entreprise, c’était le personnel. L’entreprise devait être un espace de développement personnel, indispensable dans une société matérialiste et superficielle.
La priorité du quotidien était importante et marquée en matière d’information.
Rien n’est possible sans un engagement de franchise.
"Parler franchement c’est reconnaître l’autre et prendre le risque de se dévoiler de se faire critiquer"
Mais tout est lent. Le patron a su qu’il avait réussi quand 80% du personnel avait participé à un groupe et qu’ils avaient été intéressés. Cela a pris 4 ans et demi.

 

7.6.3. Les résultats

Le redressement de la CIAPEM a été spectaculaire.
Plus important pour l’avenir, sa situation technique et économique est devenue très favorable. Elle a réussi à renouveler son outil industriel en même temps que sa gamme.
Cet investissement lourd a été totalement financé sur le cash flow.
Ses parts de marché sont passées de 24 à 30 % en France et les exportations ont doublé.
La productivité s’est améliorée de 53% sans diminuer ses effectifs.
Elle a été favorisée par un redressement du marché mais a su tirer parti des opportunités pour investir dans l’outil technique mais aussi dans les ressources humaines.
Les groupes de démarche progrès étaient des groupes bien vivants où la participation était très active.
A travers l’activité de ces groupes, le modèle hiérarchique avait sensiblement évolué.
Le climat était moins tendu.
Il y a eu création de postes supplémentaires d’animateurs de secteurs. Il ne s’agissait pas de vrais postes hiérarchiques mais de relais d’écoute et de discussion.

 

7.6.4. La grève de novembre 88

Un certain nombre de facteurs nationaux et locaux créaient un contexte propice.
Même si beaucoup de syndicalistes participaient aux groupes " démarche de progrès ", ils toléraient mal la participation du management dans les ateliers, et ont su tirer parti de l’opportunité qui s’offraient à eux pour faire échec à cet interventionnisme.

La réflexion menée par les dirigeants leur a permis de découvrir 3 grands problèmes dus à une mauvaise appréciation de leur part ou à des erreurs de politique :

La première chose à faire était d’alléger et de clarifier la grille des salaires et de repositionner chaque individu dans la grille.
Ensuite, la politique de management participatif a été intensifiée. .
La grève a été une alerte pour les dirigeants qui mettait en évidence certains dysfonctionnements.

 

7.6.5. Quelles leçons tirer d’un tel exemple ?

Une transformation des pratiques de coopération et des comportements est très difficile.
Le succès dépend de l’engagement prioritaire du patron.

Ce que ce cas met en valeur c’est l’importance de la conception ; la stratégie peut sembler simple mais elle est le fruit d’un raisonnement complexe qui embrasse un système très large (le positionnement de la firme, l’investissement nécessaire, le rôle de la qualité dans le rapport avec les clients…)
Le facteur temps a également son importance. Une stratégie de coopération active, capable d’assurer l’innovation et la qualité sont longues à se mettre en place car la confiance ne s’instaure pas facilement entre les partenaires.. Surtout elle ne donne pas tout de suite des résultats.
La CIAPEM a mis en place des procédures simples et souples très adaptables pour corriger le tir en fonction de l’expérience.

A côté de ces leçons positives, d’autres contraintes existent. Elles sont sociales et historiques.
Elles n’empêchent pas le progrès mais limitent dans le temps l’ambition des objectifs.
Toute transformation importante des pratiques change le système de prestige et de pouvoir au sein de l’entreprise. Elle crée des tensions qui peuvent être considérables et tendent à paralyser l’action.

 

7.7. Problèmes et limites d’une mobilisation ouvrière : Cas MULFOR

L’usine Mulfor avait été crée pour servir le marché industriel local.
Après plusieurs rachats, elle a changé de ligne, de clients et de mode de fabrication.
L’objectif du patron arrivé en 1987 était d’augmenter la productivité.
Très rapidement, celui ci met en place un style nouveau dans les rapports humains, basé sur le management participatif avec la création d’un cercle de qualité, technique déjà utilisé auparavant dans d’autres conditions donc transposition de son expérience.

Quelques mois après son arrivée, il décide de jouer à fond le système participatif en laissant le cercle répondre à des questions de journalistes.
Le 1er retour fut que les protagonistes furent critiquer à l’extérieur par les délégués des autres usines puis à l’intérieur avec la création d’un syndicat.

L’entreprise doit alors adopter un profil bas. Toute publicité est arrêtée, toutes visites refusées.
Le parton s’attache à un changement plus lent, 25% de productivité par an.

 

7.7.1. Une Philosophie pratique entièrement orientée vers l’action

Le paradoxe c’est que le travail pratique du management participatif est particulièrement réussi alors que son exploitation médiatique a été ratée jusqu’à risquer de mettre en danger la pratique même.

 

7.7.2. Des résultats pratiques réels.

Le patron a instauré des réunions d’information et d’échange pour rencontrer le personnel. Il a poussé la hiérarchie à faire de même.
Les cadres même plein de bonne volonté avaient du mal à suivre car ils n’avaient pas reçu de formation mais ils ont fini par comprendre les intentions de leur patron sur le style de management participatif.
Les cercles de qualité ont été mis en place malgré la difficulté de regrouper des personnes avec peu d’effectifs.
Les résultats économiques ont été très convaincants.
La productivité s’est sensiblement améliorée, l’absentéisme a fortement diminué pour laisser la place au présentéisme

 

7.7.3. Pourquoi dans ce climat la possibilité d’un choc en retour ?

On peut constater une contradiction entre les réactions humaines favorables qui se manifestent dans les entretiens individuels et la possibilité d’un rejet temporaire extrêmement vif dans une situation qui forcerait à prendre parti.
L’événement déclencheur est la conférence de presse.
Cette conférence a été un événement crucial et perturbateur pour 3 raisons :

Le président du groupe les a félicités pour leur bonne communication.

L’exploitation médiatique de cet événement, plus d’autres points ont aboutit à la création d’un syndicat.

 

7.7.4. Le problème des limites

Ce cas permet de mettre en évidence une autre limite : la capacité des personnels intéressés à accepter le risque de l’engagement.
Tout le monde aspire à un meilleur système de relations et en même temps on se sent vulnérable, de ne pas être à la hauteur, de se décevoir soi-même.
Le risque de déception est à la mesure des attentes. Chaque fois que l’on veut changer quelque chose on ne peut pas ne pas jouer avec les sentiments. C’est forcément un jeu dangereux.

L’effet d’annonce est particulièrement dangereux. Quand il réussit, il déclenche une vague d’enthousiasme qui révèle et exacerbe les aspirations individuelles. Il transforme les 1ers succès expérimentaux, limités en solutions transposables immédiatement et partout.
Alors qu’il n’y a aucun impact sur le système relationnel. L’ambivalence profonde des acteurs de base va donc nécessairement éclater, suscitant les anxiétés, les retournements un risque de régression générale.
La pression sera d’autant plus forte que ces acteurs auront été mis en évidence.

Le patron réussit parce qu’il donne raisons à ses critiques, accepte le syndicat choisit la discrétion et renie en pratique tout effet d’annonce.
Se priver de l’effet d’annonce, c’est se priver de faire rêver, du levier immédiat accessible que constitue la capacité d’enthousiasme des gens.

 

7.8. GSI : La Générale de Service Informatique ou le passage d’un seuil

Cet exemple appartient à un secteur de services haut de gamme, peuplé d’un personnel d’ingénieurs et de techniciens apparemment plus faciles à responsabiliser.
Mais même dans ce secteur la réussite de GSI est exceptionnelle.
Son histoire d’apprentissage collectif est très révélatrice.

 

7.8.1. Une entreprise différente

GSI met en place des solutions informatiques pour des activités bien précises : la paye, le management des ressources humaines, le marketing, la gestion automobile…
Elle est passée de 100 personnes en 71 à 2000 en 1980.
Son CA est passé de 6MF à 780 MF. à 1567 MF en1998.
Cette croissance n’a pas été acquise au détriment de la rentabilité..
Depuis 1980, elle ne cherche plus sa croissance dans le volume et se spécialise dans ses meilleurs créneaux.
Sa véritable originalité est dans son organisation, sa philosophie et son système de rapports humains.
GSI n’a quasiment pas de services fonctionnels.
Sa direction est particulièrement modeste et personne ne dispose d’un secrétaire à plein temps.
Il n’y a pas de direction du personnel au sens habituel de la fonction. Seul le chef direct est habilité à prendre une décision.
Les services financiers centraux sont très peu étoffés.
Les responsables de chacune des divisions font remonter chaque mois leurs résultats au siège et les discutent avec leur patron.
La philosophie est claire.
La direction réfléchit à la stratégie à long terme, choisit les dirigeants et n’intervient pas dans le quotidien
L’objectif est de mettre en valeur les collaborateurs, prendre plaisir à les entendre dire ce qu’ils ont voulu dire.
La même philosophie tend à s’appliquer aux clients qui participent activement à des séminaires internes.

 

7.8.2. L’histoire d’un leader et d’un groupe

Jacques Raiman a songé à créer une entreprise de services en 1970.
En 1971, pour GSI lors de son lancement, l’objectif premier 1er était de vendre du service d’ordinateur en temps partagé.
Le succès a été rapide. La société racheta beaucoup de ses concurrents.
Sa supériorité était due à son mode d’organisation (décentralisation et non-conformisme).
Un livre eut pour les dirigeants beaucoup d’importance "au-delà du management" de Robert Townsend (Arthaud, Paris 1970).

Le changement du marché rendait obsolète la formule du temps partagé. Le choix fut sur la concentration des métiers et la qualité.
Ce choix a été lié à un choix d’organisation interne axé sur la valorisation des ressources humaines et à un choix financier et stratégique d’indépendance par rapport aux bureaucraties dont GSI dépendait.

Dans cette nouvelle orientation les dirigeants avaient perçu à temps que le ressource humaine devenait la ressource rare et qu’il fallait lui donner la priorité dans le système de gestion et dans l’organisation de l’indépendance financière.
La priorité donnée aux ressources humaines impliquait aussi des valeurs et une morale.
Les dirigeants s’employèrent à faire rentrer dans l’entreprise une philosophie des rapports humains et de l’organisation.
Une telle philosophie devait entraîner à terme un choix d’indépendance de la maison mère la CGE. Les salariés ont racheté leur entreprise en 1987.
Les dirigeants pensent qu’il a une cohérence entre le métier, le mode d’organisation, le rôle des membres de l’entreprise et la possession du capital.
Ils se voient comme des artisans associés.

 

7.8.3. Un mode de communication et d’organisation original

Une chose qui frappe chez GSI, c’est le climat détendu et de bonne humeur au travail.
Les dirigeants croient au management participatif et prêchent d’exemple.
Jacques Raiman ne se met jamais en avant. L’équipe de direction a appris de la même manière à se mettre à l’écoute de ses patrons de filiale, qu’elle incite, elle aussi à se mettre à l’écoute de leurs cadres et de leurs professionnels.

Quand une entreprise a une attitude intelligente avec ses employés, ceux ci auront une attitude intelligente et sauront si l’intérêt général le commande de sacrifier momentanément des intérêts particuliers.
La philosophie de la décentralisation est aussi une philosophie de la quotidienneté et du détail, mais aussi de la confiance et du respect des hommes.

3 critères devraient être utilisés pour juger les subordonnés :

Les gens sont naturellement motivés. C’est l’entreprise qui les démotive par ses règles, par ses jugements impersonnels et arbitraires par ses contrôles financiers.
Des évaluations sont demandées mais elles doivent permettre un échange qualitatif.
La philosophie de GSI peut être considérée comme fondée sur la patience, la douceur et la persévérance.
La communication hiérarchique est privilégiée.

Un autre axiome est le respect de la hiérarchie. Un cadre n’est pas court-circuité. Il est maître chez lui.
L’encadrement doit devenir le vecteur de communication oral et direct. En contrepartie, il est tenu de répondre aux questions de ses collaborateurs rapidement et avec franchise. Les échanges informels sont nombreux.
Il n’y a pas d’organigramme. Il semble que le pouvoir des cadres soit mieux accepté et que la communication fonctionne mieux que dans la plupart des entreprises.
Les résultas de l’entreprise ne sont pas cachés, ils sont expliqués.

Ces principes correspondaient à un engagement personnel très fort des dirigeants qui prêchaient l’exemple.
Depuis les années 1980, des séminaires ont été mis en place.
L’apologue le plus célèbre et celui du clou et du marteau :
"Quand on confie à quelqu’un des responsabilités (le clou), il faut aussi lui donner les moyens (le marteau) qui leur soient proportionnés".
Des cercles de pilotage qualité ont été crées pour alimenter les cercles de qualité.
Le client participe à la qualité dans le cadre de cercle-clients.

 

7.8.4. Une réaction généralement très favorable

On rencontre du scepticisme mais moins que dans les autres entreprises étudiées.
Dans les réactions des interviewés, on est frappé par leur tonalité très positive mais en même temps uniformément modérée. Nous avons affaire à des gens qui semblent bien dans leur peau, qui apprécient le climat et l’ambiance mais ne rêvent pas.
GSI est une force de proposition organisationnelle.
De façon générale, il y a un très bon état d’esprit mais pas de culte de l’entreprise.

 

7.8.5. Limites de l’expérience et possibilités de dépassement

Les résultats financiers sont bons sur le long terme. Les résultats humains surprennent quiconque connaît la réalité sociale.
Le personnel est globalement très satisfait, il manifeste capacité et intérêt pour développer l’entreprise, il a été fortement volontaire pour investir dans son rachat.
Ces succès prennent leur véritable dimension quand on sait qu’ils ont été obtenus grâce à de très longs et patients efforts et à travers plusieurs échecs.
Le système vit dans une sorte de mouvement brownien. C’est à travers ce mouvement que les principes sont transmis sans qu’autonomie et souplesse soient perdues.

L’état d’esprit inculqué est fait de patience, de tolérance. Il permet de découvrir les problèmes dans leur aspect humain, profond et donc à terme d’avancer plus vite.

Toutefois les dirigeants de GSI s’interrogent sur les limites et la vulnérabilité de leur expérience.
D’où l'intérêt pour les nouvelles voies qu’ils entrevoient maintenant :

Ils peuvent créer une capacité de coopération extrêmement bénéfique pour l’entreprise. Ils peuvent permettre de contrecarrer l’évolution naturelle de tout système humain autogestionnaire vers une vision corporative de ses activités.

La découverte c’est que ces principes sont tout aussi opératoires dans des contextes différents.

L’encadrement a été formé à la réflexion stratégique.
La richesse d’information qui en est sortie est tout à fait inattendue et d’une très grande valeur opérationnelle pour la mise en application mais aussi pour l’élaboration d’une stratégie.
L’encadrement a intériorisé les concepts de stratégie et en tient compte au quotidien. Il est en mesure de signaler des opportunités nouvelles ce qui peut devenir décisif pour le développement de l’entreprise.

2 réflexions semblent émerger.

 

7.9. L’apprentissage du futur

7.9.1. Un message fort

Un nombre croissant de patrons sont conscients qu’il est désormais indispensable de transformer profondément le système d’organisation, le modèle et la logique de fonctionnement des entreprises.
Les succès montrent que les efforts sont largement payants.
Les difficultés sont considérables et il n’y a pas à priori de formule pour les surmonter. Ce qui compte ce n’est pas l’objectif précis mais le cheminement, le développement les voies à ouvrir.
Ce qui manque le plus c’est une connaissance plus réaliste des rapports humains et des systèmes qui les conditionnent.

 

7.9.2. Le problème

Nous sommes forcés à un réalisme sans contour et sans modèle.
Nous ne trouvons dans le passé ni code, ni livre de référence. C’est sur nous-mêmes qu’il faut prendre appui.
Ce sont nos valeurs et nos capacités qui deviennent nos seules ressources.
La création de l’avenir, le développement d’une société c’est d’abord la transformation des personnes qui la composent ou des rapports qu’elle ont entre elles et du système de règles, d’échanges et de coutumes qui leur permet de vivre de vivre mieux.

Comment est-il possible de se transformer soi-même ?
C’est le concept d’apprentissage qui semble en rendre le mieux compte.
Nous ne construisons pas la société de demain, nous apprenons à nous comporter différemment, à établir entre nous des rapports plus fructueux.
L’apprentissage se fait aussi à travers des cycles d’essais-erreurs.

 

7.9.3. La découverte d’un autre collectif

L’apprentissage du futur ne peut se faire que collectivement.
Un des problèmes de cet apprentissage est le passage de l’individuel au collectif.
Tout apprentissage réussi implique un changement des règles du jeu mais aussi de la nature du jeu.
Pour que le comportement nouveau émerge, il faut que l’ouverture à la coopération et à la communication soir récompensée et au moins ne soit pas punie (l’acteur et le système de Michel Crozier : conditions de succès de ce passage).

Le collectif ancien était un collectif de défense fondé sur la priorité d’acteurs catégories abstraits et sur une conception étroite du pouvoir et de la répartition des ressources.
Il conduisait à un jeu à somme nulle dans lequel ce que l’un gagne, l’autre le perd.
Cette conception du collectif était aussi l’égalitarisme et en même temps paradoxalement le maintien d’une société stratifiée et hiérarchisée.

Le nouveau collectif, implicite dans le concept d’apprentissage collectif est fondé sur des raisonnements opposés. C’est un ensemble ouvert, dans lequel influences, pouvoir et différences sont acceptés.
Il doit conduire à l’établissement d’un jeu à somme non nulle dans lequel l’innovation est possible et peut même être récompensée.
Changer de raisonnement est indispensable pour pouvoir apprendre ensemble d’autres jeux plus épanouissants pour l’individu et plus efficaces pour la collectivité.
Ces jeux doivent être découverts et appris par les participants.
Dans cette découverte le cheminement est plus important que le but qui ne peut être fixé à l’avance.
Une orientation est indispensable. Elle doit rester souple pour ne pas engendrer un processus de commandement et de fermeture hiérarchique.

L’apprentissage collectif s’effectue dans le quotidien. Il implique un renversement de notre hiérarchie et de notre attention.

 

7.9.4. L’indispensable besoin d’écoute

L’entreprise est le lieu privilégié de l’apprentissage collectif. L’entreprise c’est le quotidien.
L’écoute apportée au quotidien constitue une priorité absolue dans tout effort de mobilisation des ressources humaines ou de modernisation de l’entreprise.
Si l’on accepte que l’on ne peut changer les rapports humains par les ordres ou par les règles, la connaissance concrète des réalités vécues devient indispensable.
La véritable écoute pertinente est celle de la vie relationnelle de tous les jours.
Quand on se plaint, ce qui est absolument universel en France, du manque de communication et du cloisonnement, ce qu’on demande ce n’est pas un journal d’entreprise, c’est de l’écoute.
Dans notre contexte français actuel, nos élites sont entraînées à ne pas écouter. Contrôler n’est pas écouter, c’est même plutôt le contraire.
Plus on croit communiquer, plus on néglige les ressources auxquelles on pourrait faire appel pour dynamiser l’entreprise.
L’écoute est en même temps le seul moyen, le seul efficace peut être de surmonter la peur de l’autre qui paralyse le changement et stérilise toute volonté d’innovation.
Elle est difficile à mettre en œuvre à cause de cette peur sous-jacente mais elle offre immédiatement un moyen d’apprentissage.
Elle tend à calmer un dialogue social facilement déconnecté des réalités.
Il existe une coïncidence entre la demande d’écoute et le besoin de connaissance indispensable pour l’apprentissage collectif.
Cette rencontre doit être mise à profit car elle est la clef de tout développement humain, mais elle est difficile car elle peut créer des risques de manipulation et des réactions anticipées de peur et de défiance.
De la connaissance tirée de l’écoute, émerge de la confrontation de chacune des parties avec leurs rationalités diverses parfois contradictoires.
Cette connaissance ne doit pas rester secrète. Elle doit être partagée.

Les multiples expériences tirées des enquêtes montrent qu’elles réussissent parce qu’elles répondent à 3 types d’attentes :

Chacune de ces attentes correspond à la conquête d’une valeur :

L’effort de connaissance ainsi compris constitue à son tour une valeur en soi que l’on peut rattacher certes à toute une tradition humaniste, mais qui représente aussi une nouvelle motivation dans notre contexte de complexité.

 

7.9.5. Une stratégie fondée sur la connaissance

Pourquoi écouter ?
Par ce qu’il n’y a pas de stratégie et d’action raisonnable sans connaissance et pas de connaissance sans écoute.
La découverte de l’importance des ressources humaines demande une nouvelle révolution conceptuelle.
L’image du combat guerrier implicite dans la vision stratégique dominante apparaît de plus en plus insuffisante.
On doit travailler davantage avec des personnels et des clients qui ne sont pas passifs.
Même avec les concurrents, il apparaît indispensable de créer des occasions et même des zones de coopération qui permettent d’apprendre les uns des autres pour arriver à un jeu à somme nulle.

Une telle transformation du raisonnement va donner à la connaissance des systèmes humains de l’entreprise et de son environnement une place centrale.
Désormais, on ne peut plus fonder une stratégie sur les atouts matériels possédés par les partenaires et sur une estimation rationnelle de leurs intérêts.
Ce qui va compter ce sont les caractéristiques du système.
Est-il capable ou non de découvrir et de saisir des opportunités qu’offre la transformation du monde  ?
Ce sont bien sur les investissements matériels mais de plus en plus les investissements immatériels qui seront la condition de son enrichissement et de son développement.

On ne devra plus raisonner objectifs/moyens mais ressources/contraintes/objectifs.
On choisira des objectifs qui permettront de développer les ressources en minimisant les contraintes pour développer la capacité du personnel mais aussi pour instaurer des relations plus efficaces avec le client.
Apprentissage collectif et innovation vont pouvoir passer au centre des préoccupations.

Dans cette perspective, la connaissance des systèmes humains devra être de plus en plus associée à la réflexion stratégique. Elle va la conditionner.
Elle devient la clef de la nouvelle croissance qualitative dans la société de haute technologie et de services qui commence à émerger.
D’où l’importance de l’investissement en connaissance. Il y a un retard flagrant en France.
Le temps des technocrates était le temps des solutions.
Il faut maintenant passer au temps des problèmes.
La valeur ajoutée est dans l’ouverture des problèmes et la prise de conscience des données qui la conditionnent par le plus grand nombre de participants. Seuls ceux ci peuvent découvrir les opportunités nouvelles qui permettront d’en tirer parti pour se transformer.

 

7.9.6. Le temps des innovateurs

Il paraît inconvenant dans nos sociétés de valoriser les problèmes et non les solutions. Cela revient à mépriser certaines valeurs comme l’efficacité, la rapidité, l’esprit de décision, la logique déductive.
Dans notre culture dominante, la priorité reste toujours à l’action.
Le monde change si vite que nous le reconnaissons à peine à une décennie de distance.
Les solutions et les formules préétablis sont dépassées avant d’être mises en œuvre.
Le mouvement, le changement, le progrès ne peuvent s’affirmer que grâce à une transformation des comportements.
Ce sera de plus en plus l’innovateur, celui qui aura réussi à faire participer toutes les parties à une conscience plus aiguë des problèmes et des contradictions que les solutions toutes faites entraînent.
Cela ne veut pas dire que tout le monde sera d’accord, mais l’on acceptera d’avancer et d’expérimenter.
On peut affirmer qu’il y a aussi nécessité de transformer le rôle et la personnalité de l’innovateur.
Ils ne peuvent plus demeurés solitaires et dominateurs.
Ils doivent avant tout être capables de comprendre intuitivement le fonctionnement du système humain qu’ils servent (clients et partenaires) et le système humain dont ils ont l charge et qui assure quotidiennement ce service (leur personnel).
Ils devraient être en outre capables de dépasser leurs intuitions par une écoute approfondie et une véritable analyse de système intellectuellement sophistiquée.
Il ne s’agit pas de s’adonner à un nouveau culte de la personnalité. Il s’agit de nous sensibiliser et d’orienter notre culture pour que soient valorisés les comportements d’innovation.
Pour que les innovations puissent se révéler, il faut que liberté soit laissée aux innovateurs et que le long terme, le qualitatif et l’humain puissent reprendre la priorité.
Il faut qu’une autre connaissance des réalités humaines se développe, qui dépasse celle des discours sur la solidarité et l’autogestion.
Il faut que les élites soient entraînées à l’écoute alors que tout le système de concours qui les façonne les forme au contraire à s’affirmer sans écoute.
L’apprentissage du futur ne sera favorisé qu’en investissant massivement dans la connaissance des réalités, et par la valorisation culturelle des qualités d’attention à autrui et de soin dans les détails du quotidien.
C’est par ces voies indirectes que se créeront les conditions propices à l’émergence de personnalités innovatrices.

 

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