Myriam GANDINO Cours de M. Yvon PESQUEUX

Année 2002

 

 

 

Michel CROZIER

LE PHENOMENE BUREAUCRATIQUE

Editions du Seuil - 1963

 

SOMMAIRE 

  1. L’ auteur
  2. Postulats
  3. Hypothèses
  4. Mode de démonstration
  5. Résumé
  6. Conclusion
  7. Discussion
  8. Actualité

I. L’AUTEUR

Michel Crozier

Publications

II. POSTULATS

Mise en perspective

Michel Crozier, aborde dans " Le phénomène bureaucratique ", les relations de pouvoir qui se développent dans les organisations à travers l’analyse stratégique, théorie qui prend une place importante dans la sociologie des organisations . Au départ de la sociologie des organisations, Max Weber (1864-1920) étudie le phénomène bureaucratique en considérant la bureaucratie comme instrument de rationalité. A partir des années 40, les sociologues américains tels que R K Merton, AW Gouldner, P Selznick s’intéressent aux effets de la bureaucratie, les dysfonctions. Dans les années 50, la notion d’organisation se substitue à la notion de bureaucratie, associée à dysfonction.. C’est en concordance avec les travaux de Peter Blau et James March et Herbert Simon que Michel Crozier élabore sa théorie. P. Blau croit aux capacités d’action et de coopération des membres d’une organisation qui peuvent ainsi contourner les règles trop strictes. Pour J. March et H. Simon l’homme opère des choix et prend des décisions s’appuyant sur une rationalité limitée. Michel Crozier élabore une théorie nouvelle des formes bureaucratiques établissant notamment les corrélations entre le système bureaucratique et les relations de pouvoir.

Postulats

 

 

Concepts

III. HYPOTHESES

IV. MODE DE DEMONSTRATION

La première partie du livre repose sur deux études sociologiques menées dans deux institutions publiques, les Chèques postaux et la Seita., suivie de deux parties théoriques utilisant les données concrètes des enquêtes. La première partie développe une théorie du phénomène bureaucratique à partir des relations de pouvoir, la deuxième étudie les rapports du système bureaucratique avec la société française.

Le mode de démonstration

- La routine et les règles impersonnelles protègent contre les rapports humains et permettent d’éviter les conflits.

- Le système bureaucratique s’appuie sur le désir d’éliminer les relations de pouvoir et l’intervention humaine.

- Les facteurs de développement des conflits de trouvent dans certains aspects du système d’organisation bureaucratique.

- Elles apparaissent aux zones d’incertitude de l’organisation.

- La maîtrise d’une zone d’incertitude donne une marge de manœuvre à l’individu et permet d’agir sur autrui .

- Les individus vont chercher à accroître leur pouvoir en exigeant des règles et en les négociant.

- La lutte et la négociation sont plus importants que les résultats.

- Les luttes de pouvoir sont contrôlées par la structure hiérarchique et régulées par un contrôle social afin d’établir un équilibre des forces.

 

- Elaboration d’un modèle de système d’organisation bureaucratique s’appuyant sur ses caractéristiques et le cercle vicieux qu’il représente intégrant les luttes de pouvoir.

- Le système d’organisation bureaucratique ne sait pas corriger ses erreurs et se modifier.

- Il ne sait pas s’adapter au changement auquel il résiste.

- Ce système comporte des avantages pour l’individu , protection contre les rapports humains et l’arbitraire, et des inconvénients comme de ne pouvoir mesurer ses efforts.

- Le système comporte des traits correspondants aux traits nationaux.

- Il répond à la conception française sur l’autorité et ne peut opérer de changement que par crise.

- Comparé avec les systèmes institutionnels, il apparaît que le système bureaucratique recouvre toute la société.

- Son rôle a été fondamental dans la vie des affaires du 19è et 20è siècle , tant dans la bourgeoisie capitaliste que dans l’intervention de l’Etat, empêchant les innovations.

- Un modèle commun d’adaptation au changement est dessiné.

- Face à l’accélération du changement, la rigidité du système empêche son efficacité et annonce son déclin.

- Le développement des organisations passe nécessairement par l’assouplissement du système bureaucratique et une stratégie de l’action basée sur la coopération.

V. RESUME

Introduction

Pour prétendre a plus de liberté, il faut comprendre et reconnaître celles d’aujourd’hui. Ce ne sont pas le progrès, la bureaucratie ou les formes d’organisation qui sont responsables des difficultés mais les hommes eux-mêmes et en cela on peut avoir l’espoir que les choses changent. Les logiques profondes des raisons de l’existence d’un système bureaucratique sont rationnelles et peuvent être étudiés. Les enquêtes de terrain ont permis à l’auteur d’avoir une connaissance de la réalité qui a servi de support à l’élaboration d’une nouvelle théorie.

La bureaucratie était à l’image d’une machine. Aujourd’hui, le rendement dépend du jeu de la coopération des hommes. L’organisation est un ensemble complexe où les individus cherchent à maximiser leurs gains et minimiser ceux des autres donnant lieu à plus de déséquilibres entre les jeux qu’à l’intérieur des jeux. Les nouvelles organisations sont plus efficaces car les membres ont un intérêt à communiquer. Cependant ces rapports directs sont plus éprouvants et nécessitent d’acquérir des compétences nouvelles. La bureaucratie française est en crise et la crise atteint toute le société.

Pour que la société change et pour une évolution plus humaine, il faut s’intéresser aux hommes et aux organisations, investir dans leur développement , analyser et comprendre les problèmes humains.

 

 

 

 

L’AGENCE COMPTABLE

Le cas de l’Agence comptable, organisation rigide et standardisée, va permettre d’étudier le rôle et la place des acteurs , les rapports entres individus et groupes, le fonctionnement du système hiérarchique et d’aborder les raisons du développement d’un système de routine.

Les données générales de l’Organisation et l’adaptation individuelle de ses membres à leur tâche

Présentation de L’Agence comptable

C’est une administration publique employant 4500 personnes qui opère des transactions simples demandées par les clients disposant de moyens et d’effectifs insuffisants pour réagir au développement des opérations. Les techniques de travail sont stables depuis vingt-cinq ans : Expédition et comptabilisation des opérations se font par mécanographie et la communication par tubes pneumatiques. L’organisation est faite en fonction du trafic du jour. Le service rendu est rapide, sûr. Les qualités professionnelles sont basées surtout sur l’expérience . La hiérarchie dans l’Agence et de type pyramidale et militaire et les décisions sont prises par la Direction nationale qui dépend du ministère. La ligne hiérarchique est la suivante :

Directeur-Chef de division

Chef de division

Chef de section

↓ ↓

Inspecteur Inspecteur

2x4 surveillantes

↓ ↓

section composée d’unités

 

Les emplois sont occupés essentiellement par des femmes au ¾ provinciales, filles de cultivateurs et petits commerçants, qui sont à en majorité aux postes d’exécution et pour lesquelles ils sont un débouché intéressant. Les fonctions d’encadrement sont occupées par des hommes.

L’organisation du travail et la productivité

L’organisation du travail est très structurée et comporte deux aspects opposés: L’autonomie et l’indépendance des unités faisant le même travail, et la forte dépendance des employées dans l’unité de travail où le travail est très divisé.

Le rôle de l’encadrement est limité au règlement des conflits, des remplacements. Le travail n’est pas réparti par les cadres mais en fonction du contingent de clients attribué aux sections.

Les conséquences de cette répartition du travail sont que l’efficacité varie selon la capacité des unités , les anciennes sections plus expérimentées, ayant un meilleur rendement . Les unités en tirent l’avantage de l’autonomie mais en cas d’augmentation du travail, les groupes ne peuvent pas s’entraider. Dans ce cas, l’attitude de la hiérarchie est d’exercer une pression à travers la discipline ou de faire appel à l’autorité de l’encadrement . C’est un système basé sur l’obéissance, où la productivité s’établit sur la pression des employées et non sur l’organisation.

Cependant, la productivité n’est pas si bonne. Comparée avec d’autres établissements provinciaux , elle est même faible car sa taille n’entraîne pas le surcroît de productivité théoriquement attendu. De plus, elle est payée par la baisse du moral des employées, enserrant l’Agence dans un cercle vicieux : La pression entraîne les départs, donc la perte d’expérience et conduit à renforcer les pressions jusqu’au seuil limite humain qui sera aussi limite de la productivité. Si on constate bien des rapports entre variation de productivité et " moral ", la notion de moral est insuffisante et va être complétée par la notion de satisfaction au travail .

L’étude de la satisfaction des employées au travail

La satisfaction au travail exprime l’adaptation de l’employée à sa tâche. Elle est partielle mais peut éclairer les relations de l’individu à son environnement.

Malgré un travail répétitif et pénible, la satisfaction des employées, plutôt bonne, ne diffère pas d’autres organisations (données de l’Institut des Sciences Sociales du Travail). Le problème de la charge de travail est évoqué, en premier, avant les questions de salaires qui sont pourtant bas, par la majorité des ouvrières qui suggèrent des solutions d’amélioration . Plutôt satisfaites de la nature des tâches effectuées, leurs critiques portent plus sur les conditions d’exécution des tâches.

La satisfaction au travail est liée au rapport entre le statut social de l’employée dans l’entreprise et hors de l’entreprise. Si la fonction occupée correspond aux attentes du milieu social ou est source de prestige, la satisfaction est plus grande. L’auteur évoque la concordance de ses hypothèses avec les travaux sur la motivation au travail de Zaleznik, Christensen, Roethlisberger et ceux de George Homans sur la  congruence recherchée entre les tâches effectuées et le statut dans l’entreprise et relève l’importance primordiale des questions de prestige dans l ‘organisation bureaucratique.

Les relations interpersonnelles et intergroupes et le problème de la routine

Les relations interpersonnelles et intergroupes

Les employées vivent dans un climat d’apathie et d’isolement et se plaignent de la pression et de la tension générale. La majorité des employées critique l’Agence. Contrairement à la situation d’entreprises comparables (études du Survey Research Center et ISST), les plus anciennes sont les plus défavorables sur les relations dans l’Agence.. Elles expriment le sentiment d’être abandonnées (sentiment décrit par N.Leites) et ne se reconnaissent pas comme  fonctionnaires  pour ne pas ressembler à leur hiérarchie " ces hommes derrière leur bureau ".

De plus, les employées ont très peu de liens amicaux dans l’Agence. Le croisement des indices de camaraderie et de socialité permet de dire que les employées de milieu populaire ont plus d’amies au travail que celle du milieu bourgeois. Les rapports sont donc limités d’une part par le système d’organisation et d’autre part par les différences de milieu social.

Une solidarité négative du personnel existe contre le direction voire les syndicats, en dépit de l’héritage du militantisme pacifiste, social et culturel des femmes de l’entre deux-guerres affaibli par les rivalités entre fédérations.

La direction , peu active, rend les chefs de section responsables des problèmes humains. En réalité, si les ouvrières critiquent la compétence de leur cadres directs, leurs relations sont plutôt cordiales, contrairement aux jugements négatifs qu’elles émettent sur le second échelon hiérarchique qui leur fait peur.

Cette situation résulte de la position des chefs de section, intermédiaires entre les demandes des ouvrières et la hiérarchie , les mettant en position privilégiée , car pouvant tourner leurs propos à leur avantage. Leurs comportements sont déterminés par leur rôle limité et leur carrière dont la promotion lente obéit aux règles d’ancienneté. Ainsi les cadres sont indépendants du jugement de leurs chefs. Ils sont peu intéressés aux objectifs de travail et aux ouvrières et présentent un esprit de résistance collectif. Leur comportement est renforcé par celui d’une direction centralisatrice les privant de pouvoir de décision. Ils préfèrent donc défendre les ouvrières contre la direction pour obtenir un bon climat social plutôt que d’assumer les volontés de la direction. Il en résulte que les cadres subalternes empêchent la direction d’exercer une influence sur eux et la direction se plaint de son impuissance.

Le problème de la routine

Le personnel ne participe pas aux affaires qui les concernent. Les décisions concernant les ouvrières sont prises par les chefs de division qui ne disposent pas d’informations suffisantes, délibérément soustraites par les chefs de section. Par conséquent, la règle impersonnelle apparaît pour les chefs de division, le seul procédé rationnel de décision même si celle-ci est inadaptée. La règle impersonnelle, décidée par l’échelon supérieur et appliquée par l’échelon inférieur ne pourra faire l’objet de conflits directs avec la haute hiérarchie. La discrimination entre services ne peut être envisagée car la direction raisonne sur un plan statistique, égalitaire et ne veut pas modifier les règles. La marge de manœuvre de la direction étant extrêmement limitée, la routine devient le procédé courant de fonctionnement.

On peut déduire que  le jeu est imposé aux groupes par le système d’organisation, la routine et les règles impersonnelles protègent contre les rapports humains difficiles et permettent d’éviter les conflits.

Quelles sont les raisons qui permettent le développement d’un tel système d’organisation et de résistance aux changements ? L’auteur suggère que c’est un moyen d’éviter les relations face à face et de dépendance personnelle.

Que perdraient les acteurs dans l’hypothèse d’une décentralisation des décisions? Les cadres de direction perdraient le prestige obtenu sans risque , les cadres subalternes , leur solidarité de groupe, l’absence de concurrence interne et de pression des ouvrières, les employés , la protection égalitaire contre l’arbitraire. Si au contraire l’hypothèse d’une centralisation accrue des décisions était avancée, le même type de réactions apparaîtrait, basées sur la peur du contrôle des échelons supérieurs.

La routine serait par conséquent une forme d’indépendance des personnes par rapport à leur hiérarchie, dont le prix à payer est l’isolement et que les employés sont prêts à payer pour ne pas subir l’autorité d’un chef.

 

LE MONOPOLE INDUSTRIEL

L’étude de ce cas a pour objet d’observer les sources et les conditions du phénomène bureaucratique et d’aborder les relations de pouvoir entre individus et groupes dans une organisation.

Le Monopole industriel est une grande organisation de l’Etat qui fabrique un produit de consommation courante dont la vente est assurée par les services fiscaux. La démarche s’appuie sur une étude intensive, menée dans trois usines de la région parisienne et sur une étude complémentaire menée dans vingt usines en province . Les usines parisiennes peuvent être considérées comme modèle idéal, au sens de Weber, d’organisation du Monopole.

Le système social des ateliers. Les normes du groupe ouvrier , le problème des relations d’autorité

Présentation du Monopole

Le monopole regroupe trente usines installées en France et emploie 2000 cadres et cinq fois plus d’ouvriers. Leur localisation et installations s’inscrivent dans les logiques de la fin 19è siècle. Les décisions sont centralisées à Paris et les échanges entre directeurs et la direction générale ne sont pas encouragés, les réunions sont inexistantes et la communication se fait par voie écrite . On peut distinguer six catégories de personnel dans les usines dont les modes de recrutement et les statuts sont spécifiques et indiqués dans le tableau ci-dessous: Les ouvriers de production, les ouvriers d’entretien, les chefs d’atelier, le corps administratif, les ingénieurs techniques, les ingénieurs du corps de direction.

fonctions et

caractéristiques

Ouvriers de production

Ouvriers d’entretien

Chefs d’atelier

Corps administratif

Ingénieur technique

Ingénieurs de direction

Titre

Nombre

60 à 120

2/3 de femmes

50

12 dans une section

6 Contremaîtres

ou employés de bureau

1 Contrôleur

Rédacteurs

 

1 par usine

1Directeur

1Directeur –adjoint

activités

Opératrices

Conductrices des machines

réparateurs

des machines

comptabilise le temps, les fournitures, la production.

comptabilité, achats, personnel.

responsable

entretien

des machines

le Directeur-adjoint est responsable de la fabrication.

recrutement

4/5è sont des emplois " réservés " de l’Etat

très qualifiés,

Sur essais et concours difficiles.

concours avec bac

concours

concours

sur titre , emplois réservés uniquement aux Polytechniciens

promotion

affectation selon Les règles d’ancienneté

 

Chef de section au choix mais en fait à l’ancienneté

Lente et selon l’ancienneté.

A l’ancienneté .

Pas d’accès aux postes de direction

Automatique

Promotion possible au grade d’inspecteur

rémunération

relativement élevée

assez élevée

faible

faible

Très faible

non compensée par le prestige

Très inférieure au privé mais avantages matériels et prestige

 

Les usines possèdent des machines modernes . Les installations matérielles très anciennes entraînent des problèmes pour le personnel, mais leur modernisation serait trop coûteuse. Les quatre principaux problèmes d’organisation des ateliers , souvent interdépendants, relèvent de la préparation de la matière première, du réglage des machines, de l’organisation des déplacements des ouvriers et de la répartition de leurs postes. Ce dernier problème est le plus aigu. La direction se plaint autant que les ouvriers de la fréquence des pannes. Cependant les relations entre direction est syndicats sont stables. En effet, les syndicats sont puissants puisque 75% des ouvriers cotisent, et que les réclamations peuvent être traitées dans une instance paritaire. Pourtant, ce système très protecteur pour les ouvriers entraîne de telles frustrations qu’il engendre un climat relationnel très hargneux.

Les données techniques et organisationnelles et les réactions ouvrières

Les données s’organisent autour de la charge de travail, le règlement d’ancienneté, la mécanisation, les normes (temps de production, rémunérations…)n’étant pas décidées localement mais à Paris.

- La charge de travail est supportée assez facilement par la majorité des ouvriers qui sont hostiles au système de contraintes. Cependant les plus intégrés et les responsables dans le milieu ouvrier sont les plus pessimistes par rapport à la situation de travail de leurs collègues ouvriers.

Les jugements sur la situation d’autrui sont influencés par l’ancienneté et constituent une forme de réaction collective dont l’expression varie selon la pression du milieu sur l’individu.

- Le règlement d’ancienneté qui  régit notamment les déplacements et la répartition des postes d’ouvriers, recueille une grande majorité d’accords. Il résulte des luttes du début du siècle et protège l’ouvrier des discriminations, assurant l’égalité de traitement indépendamment des compétences. Il repose sur des règles d’ancienneté très codifiées et strictes: En cas de vacance de poste, celui-ci revient au plus ancien ouvrier, s’il le souhaite, sinon au plus jeune, même si celui-ci n’est pas volontaire. Les mieux intégrés et les plus anciens sont plus favorables au principe d’ancienneté tandis qu’une minorité composée de marginaux et des nouveaux est hostile. Cependant ceux qui sont hostiles diminuent considérablement après cinq ans d’ancienneté. Cette configuration est identique dans toutes les usines.

L’attitude vis à vis du droit d’ancienneté dépendrait plus de la pression du milieu que des avantages qui en sont tirés et indiquerait le niveau d’adaptation des ouvriers à leur milieu. Le droit d’ancienneté apparaît être un principe structurant au groupe ouvrier.

Des conflits surgissent de l’application de règles strictes à la réalité complexe et peuvent être remontés par les ouvriers jusqu’à la Direction à Paris. Cette procédure longue devient un outil dans le rapport des forces. La majorité des ouvriers de production critiquent l’application du règlement. Ils accusent soit le directeur " ce monsieur voudrait faire tout à sa tête ", les syndicats, ou le désordre général. Les jugements sont complexes pris entre l’attachement au principe d’ancienneté et le mécontentement sur son application, celle-ci étant une des causes de divergence majeure entre ouvriers.

- La mécanisation concerne les sections d’emballage, d’expédition , de manutention . 95% des ouvriers pensent que la mécanisation amènent le chômage et ne bénéficie pas à l’ouvrier mais une part lui trouve un intérêt dans leur propre travail. Cependant les ouvriers embauchés récemment deviennent beaucoup moins hostiles après deux ans d’ancienneté. L’opinion est modifiée là aussi pas l’identification aux valeurs du groupe et représente une attitude apprise. Ainsi, l’hostilité varie selon les groupes, les ouvriers de production étant les plus hostiles, suivi des ouvriers d’entretien puis des chefs d’atelier.

L’hypothèse est que la mécanisation représentant le seul changement possible au Monopole où tout est prévu d’avance, les ouvriers y résistent fortement par peur de perdre des avantages Cette réaction collective est aussi un atout pour le groupe ouvrier dans le rapport des forces.

Michel Crozier propose l’image d’une " sous-culture " ouvrière, caractérisée par un système d’attitudes, de croyances et de valeurs constituant une force de négociation pour le groupe dont les comportements restent imprévisibles en raison du décalage entre leurs principes et leurs pratiques contingentes et qui s’oppose aux objectifs de l’organisation.

La pression du groupe impose aux individus un système d’attitudes rigides qui protègent les intérêts du groupe et préservent une zone de liberté individuelle dans la vie quotidienne.

Le système d’autorité formelle

L’autorité formelle est détenue par le directeur et le directeur adjoint mais leur donne peu de pouvoir. En fait, les décisions prises sont impersonnelles et respectent les privilèges. Le directeur ne peut accorder ou refuser des récompenses, promouvoir, attribuer des postes. Les résultats sont donc prévisibles. Le rapport de forces est inégal avec les syndicats, toute décision pouvant être contestée. Loin des ouvriers, il est sans influence.

Ouvriers et chefs d’atelier réclament plus d’attention et de contacts avec le directeur, et privilégient les critères affectifs sur ceux de la compétence. Sauf pour les ouvriers de production, son rôle n’est pas jugé important car ses sont réalisations limitées et n’intéressent pas le personnel.

La nature du rôle du directeur est plus d’ordre " judiciaire ": Maintenir l’ordre, l’équilibre entre individus et groupes. Limité par le droit d’ancienneté, il ne peut organiser, définir des objectifs de travail. Mais son rôle reste fondamental en raison de la son autorité centralisée. En répondant au besoin de maintenir l’ordre, de garantir le but collectif et de reconnaître l’importance des groupes dans la poursuite du but , le directeur recouvre un peu de pouvoir. De plus , son éloignement peut devenir un moyen d’action face au personnel qui réclame plus de considération.

Le système social de l’atelier. Les relations entre catégories professionnelles et les modes de comportement propres à chacune d’elles.

L’étude du jeu des acteurs permet de définir des modèles de comportement et de proposer une interprétation des mécanismes de pouvoir.

Les relations entre catégories professionnelles

L’atelier comporte trois catégories professionnelles dont les rôles sont clairs, distincts, avec très peu d’échanges dont la structure hiérarchique est la suivante: Les chefs d’atelier dirigent les ouvriers de production qui sont en majorité des femmes. Ils sont sous la responsabilité des chefs de section. Les ouvriers d’entretien sont dirigés par un ingénieur technique.

- Les relations entre ouvriers de production et chefs d’atelier sont cordiales mais la moitié des ouvriers dénient l’importance du rôle du chef d’atelier, ce jugement étant la norme du groupe.

- Les chefs d’atelier ont une mauvaise opinion des ouvriers, les jugent négligents.

- Le climat de tension est très fort entre ouvriers de production et ouvriers d’entretien .Les ouvrières expriment des ressentiments et une hostilité contenue à l’égard des ouvriers d’entretien accusés d’être peu pressés de réparer les pannes. Un malaise est ressenti par la majorité , exprimé fortement chez les femmes de plus de 40 ans , laissant supposer un conflit entre les sexes. Les ouvrières de production se conduisent en subordonnées des ouvriers d’entretien. Ceux-ci sont paternalistes, peu tolérants refusent d’admettre les faits et jugent les ouvrières peu travailleuses.

- Les ouvriers d’entretien sont agressifs à l’égard des chefs d’atelier qui sont plutôt résignés , sauf pour les plus jeunes et les mieux formés. Les deux groupes sont sur le même niveau hiérarchique et chaque catégorie critique la compétence de l’autre. Mais le malaise ressenti semble peser plus lourdement sur les chefs d’atelier que sur les ouvriers d’entretien.

Les modes de comportement

- Le modèle des ouvriers de production , stable et cohérent , recueille une grande adhésion. En général négatifs par rapport à l’entreprise, ils sont satisfaits de leur situation. La grande majorité préfère la sécurité aux dépens de la promotion. Ils s’opposent aux changements pour ne pas perdre leurs privilèges dans une attitude d’agressivité faible. Cependant des tensions internes au groupe apparaissent sur l’application du règlement.

- Les ouvriers d’entretien sont bien adaptés , fiers de leur travail, bénéficient d’un prestige non légitime. Leur conformisme de groupe est plus important que celui des ouvriers de production. Ils défendent leurs privilèges en attaquant les autres groupes.

- Les chefs d’atelier  ont une adaptation malheureuse et résignée. La moitié pensent qu’ils n’ont pas un bon emploi et manquent de cohésion de groupe.

Le système des relations de pouvoir dans l’atelier.

Les relations de pouvoir dans une organisation sont essentielles pour interpréter les attitudes des individus et des groupes. Comme dans le cas de l’Agence, Michel Crozier suggère qu’une des raisons du développement du système d’organisation bureaucratique s’appuie sur le désir d’éliminer les relations de pouvoir et de dépendance, dans un idéal d’organisation sans arbitraire. La hiérarchie est dépossédée de son pouvoir mais des problèmes de pouvoir se retrouvent entre ouvriers de production et d’entretien autour des pannes. Celles-ci sont le seul événement important imprévisible provoquant une incertitude qui tranche avec un monde où tout est prescrit. Les ouvriers d’entretien tirent leur pouvoir du fait qu’ils sont seuls compétents pour intervenir en cas de panne , les chefs d’atelier étant impuissants. Et d’autant plus que les pannes peuvent avoir des répercussions sur l’ouvrier de production qui peut être déplacé et voir son salaire diminué et va, par conséquent, essayer d’obtenir le meilleur traitement de l’ouvrier d’entretien.

La pression hiérarchique a été remplacée par la pression du groupe où l’affectif domine. Dans une telle situation, le changement ne serait possible que s’il était imposé de l’extérieur . Dans ce cas, les groupes chercheraient à contrôler de nouvelles sources d’incertitude pour maintenir leur pouvoir . Ce qui renforcerait les règles impersonnelles et la centralisation et formerait un cercle vicieux.

Les relations de pouvoir au sein du groupe de direction

Les conflits dans le groupe de direction

Le groupe de direction est bien délimité. les membres sont isolés, sans liens dans l’usine ni avec leurs homologues à l’extérieur, notamment l’ingénieur technique dont la compétence en organisation n’est pas reconnue.

Les membres de la direction selon leur âge, ancienneté et carrière

Fonctions

Directeur

Directeur-adjoint

Comptable

Ingénieur technique

âge ancienneté

 

 

carrière

50 ans env.

Polytechnicien

carrière dans le Monopole. A une grande liberté d’action à l’extérieur :conseil, études

Entre 25 et 40 ans

Souvent jeune sans expérience.

Polytechnicien.

Plus de la moitié cherchera un poste dans le privé

50 à 60 ans

le plus ancien en âge

Comptable de l’Etat.

Carrière dans son corps uniquement.

Le plus ancien dans l’entreprise.

Seul dans son corps. A peu de possibilité d’évolution

Les conflits sont limités entre le directeur et le comptable car celui-ci exerce un contrôle restreint à la légalité des actes et non d’opportunité. Ils sont plus nombreux et profonds entre le directeur et le directeur-adjoint, en situation d’apprentissage , notamment concernant la répartition des responsabilités . Entre le directeur-adjoint et l’ingénieur les conflits sont aigus et affectent les personnes. L’ingénieur critique la compétence technique du directeur-adjoint et reproche au corps des Polytechniciens de monopoliser les postes de direction. Le directeur-adjoint, souvent sans expérience, se plaint de ne pouvoir diriger l’ingénieur.

La compréhension des règles du jeu éclairent ce conflit : L’ingénieur est théoriquement subordonné au directeur-adjoint. Ne supportant pas cette position permanente, l’ingénieur lui résiste et même peut contrôler ses initiatives. En effet, connaissant bien l’entreprise, il est en position de force car d’une part seul compétent dans le domaine de l’entretien, d’autre part , il dirige les ouvriers d’entretien, très actifs, contrairement au directeur- adjoint . Aussi, il protège son personnel et son personnel le soutient. L’entretien des machines représente la seule source d’incertitude, cependant si un projet de construction ou de réaménagement se présente, la direction retrouve un pouvoir de décision.

Malgré tout ,dans cette lutte de pouvoir, le jeu des personnes a une portée limitée et ne saurait modifier fondamentalement la situation car les marges d’initiative sont très étroites.

Les modèles de comportement

- Les ingénieurs techniques ont un modèle de comportement très structuré basé sur la conquête d’une position et l’opposition aux principes de l’organisation. Pour conserver leur pouvoir, ils vont essayer de maintenir l’état des choses.

- Le modèle du directeur-adjoint est diversifié, moins structuré que l’ingénieur technique. Sa situation d’apprentissage temporaire lui donne un sentiment de sécurité et de liberté. Malgré ses idées sur les Relations Humaines, il devra s’adapter progressivement aux principes de l’organisation.

- Le modèle du directeur n’est pas pré-structuré et uniformisé. Son poste est en décalage avec sa formation initiale et ses attentes. Il essaie de tirer partie des moyens officiels dont ils disposent .

La signification du conflit dans un système d’organisation bureaucratique

On peut constater que : - A la source des conflits se trouve la lutte des individus et des groupes pour le pouvoir.

- Tout organisation connaît des luttes de pouvoir qui sont limitées par un " contrôle social "

Les membres ont plus d’avantages à choisir le conflit que le compromis. Les facteurs de développement des conflits sont la sécurité d’emploi et de promotion des membres de la direction, l’absence de récompenses, de sanctions et d’évaluation du travail, l’absence de travail coopératif.

Cette situation repose sur la rigidité et l’isolement des rôles imposé aux individus et le décalage entre les rôles et les aspirations. Les rôles statiques et non coopérants entraînent le repli sur sa catégorie. Cette situation rappelle celle du 18è et 19è siècle où les rôles étaient extrêmement divisés , et les conflits très marqués entre catégories. Aujourd’hui, la diversification, la polyvalence des rôles favorise la souplesse des opinions , font intérioriser les oppositions, et réduire les conflits de ce type.

La logique du fonctionnement du modèle du monopole repose sur trois principes :

Le but étant d’éliminer l’intervention humaine de l’organisation. Ces principes sont très influents dans le système d’organisation bureaucratique mais existent aussi de façon tendancielle dans d’autres grandes organisations .Dans le privé, le système de promotion s’oppose à ces tendances surtout au sommet de la hiérarchie mais faiblit dans les échelons plus bas en raison des protections syndicales et des règles bureaucratiques.

Ces principes, dans le cas du Monopole, sont limités par un contrôle social  fondé sur deux forces : L’autolimitation des groupes dans leur lutte, afin de maintenir le système, donc leurs avantages et le désir d’une certaine similitude avec le reste de la société.

Le progrès s’est imposé dans cette organisation en utilisant le levier du désir de similitude. Cependant en cas d’accélération du progrès et de changements, il est probable que le Monopole vive une crise profonde d’adaptation.

 

LE PHENOMENE BUREAUCRATIQUE DU POINT DE VUE DE LA THEORIE DES ORGANISATIONS

Signification et portée des problèmes de pouvoir

Les relations de pouvoir dans la sociologie des organisations

Les théories rationalistes classiques issues de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) utilisaient un modèle mécaniste du comportement humain, éliminant ainsi les problèmes humains. Le réactions anti-tayloriennes qui ont suivi, à travers le mouvement des relations humaines dans les années 1930-50, reposant sur la découverte d’ Elton Mayo de l’importance du facteur humain, ont négligé les relations de pouvoir : Le courant   " interactioniste " s’intéresse aux sentiments mais ignore les conflits. Le courant " participationiste " avec Kurt Lewin aborde les rapports de commandement mais au plan personnel.

Une vision éclectique reconnaît la co-existence de la rationalité technique et financière et de la rationalité des relations humaines. Les deux rationalités sont en fait étroitement mêlées et leur compromis constitue le fond des problèmes de pouvoir. Les entreprises fonctionnent dans cette réalité . A l’instar de Talcott Parsons, l’auteur affirme que les problèmes de pouvoir sont au centre de toute théorie de l’organisation. Les réflexions modernes sur les mécanismes de décisions représentent un retour du rationalisme mais qui intègre toutes les connaissances acquises. Le concept de rationalité limitée de James G.March et Herbert A. Simon contribue à construire la synthèse entre les rationalités. Ce néo-rationalisme devrait aider à progresser dans la compréhension des phénomènes de pouvoir et à prendre en compte que l’homme est aussi un être qui pense, imagine, a une liberté.

L’exemple du Monopole industriel

L’analyse stratégique appliquée au cas du Monopole va permettre d’expliquer la stratégie de chaque catégorie professionnelle.

- La stratégie des ouvrières de production est conservatrice des institutions. Malgré leur souffrance, leur alliance aux ouvriers d’entretien est rationnelle : Elles le font par solidarité ouvrière, pour garantir le maintien des règles d’ancienneté, et parce que les ouvriers d’entretien ont une position stratégique en cas de grève. Les pressions qu’elles exercent sur eux leur permettent d’établir un  contrôle social  limitant ainsi leurs comportements.

- La stratégie des ouvriers d’entretien est simple et aussi conservatrice .Ils font tout pour éviter l’ingérence de toute catégorie professionnelle, en gardant par exemple secret les problèmes d’entretien des machines (plans et explications) et en offrant un front uni par la forte discipline et l’idéalisation de l’ingénieur technique.

- Les chefs d’atelier ont une stratégie de fuite. Exclus du domaine de l’entretien ils n’ont pas d’autres terrains de lutte. Leur stratégie est de réduire au minimum leur implication.

- La stratégie de la direction est déterminée par son manque de liberté d’action due à la réglementation et la centralisation. Elle est orientée vers le changement, seule situation où la direction retrouve un peu d’initiative.

La nature des relations de pouvoir dans un système d’organisation

En partant de la définition du pouvoir de Robert Dahl "  la capacité de A d’obtenir de B ce qu’il n’aurait pas fait sans l’intervention de B ",l’auteur montre qu’il ne peut y avoir de one best way, utilisé en fait pour conférer un pouvoir absolu aux dirigeants, qui rendrait le comportement de chacun prévisible et prescriptible, ni de solution optimum aux problèmes. Les progrès de la connaissance transforment la rationalité issue de l’OST faisant disparaître le tabou autour des relations de pouvoir. Celles-ci apparaissent là où existent des situations d’incertitude pouvant être utilisées pour agir sur autrui. Aujourd’hui , l’incertitude est intégrée peu à peu par l’entreprise, transformant son appréhension de la réalité notamment grâce au calcul des probabilités. Il est enfin possible de sortir de la séparation des fonctions de direction et d’exécution et de celle des deux rationalités , ce qui pourrait déboucher sur une nouvelle théorie de l’action.

Un exemple pris dans une organisation rationnelle au sens de l’OST, montre que la stratégie des subordonnées et des supérieurs est la même, celle-ci étant facteur de trouble dans les relations interpersonnelles : Chercher à accroître son pouvoir, d’une part en exigeant des règles pour contraindre l’autre, d’autre part, en négociant ces règles avec l’adversaire.

Le comportement de l’ouvrier décrit par W.F. Whyte qui fait des réserves de pièces, en accélérant son travail avec des procédés interdits, essaie d’augmenter sa liberté d’action en manifestant son indépendance, pour regagner une marge de négociation avec le supérieur. Il prend des risques pour pouvoir flâner ou se livrer à des activités personnelles, sans gains financiers. Il semble comme dans le cas du Monopole que la lutte et la négociation sont en soi plus importants que les résultats.

Les répercussions des relations de pouvoir sur la structure d’une organisation

Pour contrôler la lutte pour le pouvoir, un ordre hiérarchique et une structure institutionnelle coordonnent les revendications en usant de l’information comme moyen de pression. Ainsi, le contenu et l’accès à l’information qui permet la prévision, source de pouvoir, est distribuée selon la position hiérarchique.

L’organisation dispose du pouvoir hiérarchique fonctionnel qui contrôle celui de l’expert, qui est celui qui contrôle une zone d’incertitude même aux postes les plus routiniers. Pour trouver une liberté d’action et imposer ses décisions , le manager devra composer entre son pouvoir formel d’édicter des règles et son pouvoir informel de faire des exceptions, ce dilemme étant selon Herbert Simon inhérent à l’action directoriale.

Le pouvoir tend à se placer de plus en plus sur les types d’incertitude essentiels pour l’entreprise. Ce qui déterminera le choix des dirigeants et qui explique le pouvoir des experts Cependant le pouvoir des experts tend à diminuer avec l’accélération du changement puisque des programmes et méthodes sont maintenant utilisables par des non-experts.

Régulation et limites des luttes de pouvoir

Les contrôles sociaux, limitent également le rapport de forces et incitent à la coopération afin d’établir un équilibre.

Dans une réunion de travail, tout en préparant leurs marchandages personnels (étudiés par Melville Dalton), les participants sont contraints de jouer le jeu de la participation s’ils veulent garder une situation avantageuse. Dans le cas du Monopole, d’autres formes de contrôle social imposent un minimum de participation et évitent d’obtenir des avantages excessifs ou d’être trop d’exploité  : la contrainte de continuer à travailler ensemble, l’interdépendance entre les privilèges, la nécessité d’un minimum d’efficacité, la stabilité des relations intergroupes.

On constate un équilibre des forces en jeu que l’on peut qualifier de quasi-stationnaire dans le cas du Monopole ou de dynamique dans les organisations modernes. Dans les équilibres dynamiques, les sources d’incertitude sont bien plus nombreuses et complexes, renforcées par le problème de la survie de l’organisation et bénéficient à la direction . A.W. Gouldner a mené des recherches à ce sujet dans une mine de gypse, seul exemple d’équilibre stationnaire dans le privé, et P.Selznick à la Tennessee Valley Authority , exemple d’équilibre fluide d’une institution publique. Dans l’Agence comptable, où la pression du public est une source d’incertitude, l’équilibre est à la fois stationnaire et dynamique tandis qu’un système de relations sociales autoritaires remplace les relations de dépendance personnelles reproduisant les contradictions de l’OST.

Mécanismes et logique d’un système d’organisation bureaucratique

l’évolution des théories de la bureaucratie

Le phénomène bureaucratique est un problème fondamental de la sociologie et de la science politique. Pour Max Weber la bureaucratie est un des instruments de rationalisation dont se dotent les organisations. Il décrit le type idéal de la bureaucratie qui comporte trois traits essentiels :  L’impersonnalité des règles, le caractère d’expert et de spécialiste des fonctionnaires, un système hiérarchique contraignant impliquant subordination et contrôle. Après lui, la poursuite de l’analyse scientifique a été difficile. Une vision ambiguë se développe, où d’un côté est affirmée la supériorité des organisations bureaucratiques du fait de leur rationalité, de l’autre elles sont décrites comme un Léviathan menaçant les valeurs traditionnelles. Cette vision pessimiste influence les auteurs révolutionnaires et aussi les conservateurs, bloquant toute analyse positive sur l’évolution de la bureaucratie jusqu’à la relecture du type idéal bureaucratique par Robert K.Merton qui interroge l’équivalence entre bureaucratie et rationalité.

Sans rompre avec le constat Wébérien, Merton oriente ses recherches vers les effets produits sous la forme de dysfonctions, celles-ci apparaissant comme le résistance du facteur humain à un comportement qu’on lui demande standardisé entraînant une attitude " ritualiste " correspondant au " déplacement des buts ". Philip Selznick, Reinhard Bendix, Peter M.Blau, Alvin W.Gouldner confirment les travaux de Merton et dégagent le caractère de " cercle vicieux " bureaucratique. Mais leurs analyses limitées par les théories du comportement humain ne permettent pas de savoir si la résistance humaine affecte l’évolution de la bureaucratisation. Pour dépasser les difficultés, il faut considérer les membres de l’organisation comme des acteurs ayant une stratégie.

Afin de comprendre les limites que le système bureaucratique d’organisation impose au développement des organisations, Michel Crozier propose d’étudier les caractéristiques de la bureaucratie , non comme étant des dysfonctions immanentes mais comme des objets rationnels d’un système.

Les problèmes de gouvernement dans une organisation

Le fonctionnement d’une organisation pose des problèmes de gouvernement, au sens de la Science politique, peu étudiés par les théories de la bureaucratie , et dont découlent les relations de pouvoir .

Gouverner une organisation implique de rechercher une certaine dose de conformité des comportements pour assurer la coopération des membres et pose donc le problème de la manière d’y arriver. C’est à dire soit par la contrainte soit par l’appel à la bonne volonté. Autrefois la contrainte dominait et mériterait d’être étudiée à travers les ordres religieux ou les premières organisations commerciales. Aujourd’hui les organisations se basent plus sur la coopération. L’adaptation au changement inévitable pour les organisations, rend indispensable d’accorder sa confiance dans les compétences de l’individu et oblige à réagir efficacement devant les erreurs .

On constate cependant une tentation des organisations à vouloir échapper aux pressions de la réalité  et celle-ci se réalise dans les phénomènes bureaucratiques, la centralisation et les règles impersonnelles évitant les adaptations et les changements. On appellera système bureaucratique d’organisation un système où le processus de correction des actions fonctionne mal .Une organisation bureaucratique ne sait pas se corriger.

Les caractéristiques du système d’organisation bureaucratique observé dans le cas du Monopole industriel et de l’Agence comptable  reposent sur quatre traits essentiels:

Le modèle sous-jacent du système bureaucratique d’organisation

Les frustrations découlant de ces traits entraînent des pressions qui renforcent la centralisation et l’impersonnalité qui nourrissent des séries de cercles vicieux sur lesquels repose le système d’organisation bureaucratique. Ceux-ci peuvent contribuer à élargir des schémas d’analyse existants tel celui du déplacement des buts, ou d’autres cercles vicieux décrits par Gouldner et sont analysés dans l’Agence comptable comme cercle vicieux de surveillance et de contrôle.

Un début de modèle sous-jacent du système bureaucratique d’organisation déterminant tous les cercles vicieux serait le suivant : La rigidité des tâches et l’isolement des catégories professionnelles provoquent des problèmes dont les individus vont se servir pour accroître leur pouvoir, cette position entraînant des frustrations et des pressions qui elles-mêmes suscitent l’édiction de nouvelles règles et le renforcement de la centralisation. Dans cette description, l’agent est un être actif qui cherche à tirer le meilleur avantage de sa situation.

Le problème du changement dans un système d’organisation bureaucratique

Pour compléter la définition du système d’organisation bureaucratique comme incapable de se corriger, on ajoutera que les dysfonctions sont des éléments essentiels de l’équilibre de ce système.

Face au changement auquel toute organisation est confrontée , comment réagit le système d’organisation bureaucratique ? Du fait de sa rigidité, il ne peut s’adapter facilement, résiste, et ne peut opérer le changement que sur le mode de la crise, alternant périodes de routine et de crises. Pour réguler les crises, les administrations chargent des agents de changements issus de grands corps d’Etat, d’œuvrer à l’abri de toute pression. En fait, les systèmes bureaucratiques d’organisation se révèlent trop rigides pour s’adapter au changement sans crise.

Cette situation est déterminée en partie par les traits particuliers de la personnalité bureaucratique. Celle-ci est marquée par des variétés de comportement et de rôles tels que le ritualisme vu comme moyen de lutte et pas seulement comme désadaptation décrite par Merton " Peaple may be unfitted by being fit to an unfit fitness ", le retrait (exemple du chef d’atelier ou du directeur dans le Monopole), la rébellion, l’identification, qui peuvent coexister et permettent de comprendre la complexité les stratégies. Deux couples se distinguent : Celui de la soumission-rébellion en cas de crise et celui du conservatisme-idéalisme lors des périodes de routine.

Les avantages du système d’organisation bureaucratique pour l’individu

Quels sont avantages d’un tel système pour l’individu malgré la souffrance qu’il éprouve? Son attitude est ambiguë, partagé entre son désir de participer et sa peur de perdre son autonomie, d’être limité et contrôlé par les autres membres. L’organisation lui offre une participation " forcée " sans responsabilité. Ce système assure protection et sécurité par rapport à ses semblables et correspond aux valeurs individualistes françaises. Ses inconvénients sont majeurs puisque ses membres sont éloignés de la réalité et qu’ils ne peuvent mesurer leurs efforts et leur réussite.

 

LE PHENOMENE BUREAUCRATIQUE COMME PHENOMENE CULTUREL FRANÇAIS

L’étude des rapports entre le phénomène bureaucratique et le système social et culturel, peu étudié, sauf sous l’angle des valeurs, va permettre de rendre compte du fonctionnement des organisations vues comme système de décisions et lieu d’apprentissage et d’élaboration des rapports humains.

Les traits nationaux du système bureaucratique et analogies avec d’autres systèmes français

Dans quelle limites le modèle du système d’organisation bureaucratique est-il français? Peut-il exister d’autres modèles dans d’autres contextes ?

Les traits nationaux du système bureaucratique

Les traits relevés dans l’Agence comptable et le Monopole industriel correspondent bien à certains traits culturels français : l’isolement de l’individu, la prédominance des activités formelles, l’isolement de chaque strate, la lutte des strates entre elles pour leurs privilèges. Ces traits vus jusqu’alors comme subséquents au système pourraient être facteurs de développement du système. Des ethnologues ont décrit certains de ces traits  tels Lucien Bernot et René Blancard l’absence d’initiative , Laurence Wylie la difficulté de coopérer, Edmond Goblot le rôle protecteur du groupe et l’isolement des strates. Tocqueville, dans son analyse des rapports entre groupes sociaux de l’Ancien régime, et Taine avaient déjà relevé l’opposition de la politique monarchique du 17è et 18è siècle à toute activité libre et coopératrice. Sont sous-jacents à ces traits, la fuite devant les conflits, les relations face à face et de dépendance, la difficulté d’accepter le leadership , posant le problème de la conception de l’autorité. En France, elle est universelle et absolue et hérite de la politique monarchique, la rationalité et le " bon plaisir ", défini comme liberté du groupe de ne pas se plier aux désirs des autres. Le système bureaucratique français impersonnel et centralisé répond efficacement à cette contradiction sur l’autorité et aux exigences de la société en garantissant l’indépendance individuelle et en assurant le succès de l’action collective.

Le problème du changement

Le principal défaut du système d’organisation bureaucratique est sa difficulté d’adaptation au changement qui ne peut avoir lieu que par crises et concerne l ‘institution entière. Cette situation fait apparaître la faiblesse du pouvoir central qui semble puissant mais qui n’a en réalité aucune influence auprès de ses subordonnés. C’est le cas dans l’Agence et le Monopole. Le dénouement par la crise concernent les secteurs protégés mais peut se retrouver dans des organisations politiques ou économiques. En France, les crises de gouvernement résolvaient les problèmes, les guerres ont joué le même rôle. En fait, ce que redoutent les français n’est pas tant le changement en soi mais le risque de désordre encouru à cette occasion. Cette situation n’empêche pas les réussites dans les explorations individuelles et les grandes entreprises bureaucratiques telles les chèques postaux ou les chemins de fer.

Autres modèles de système d’organisation bureaucratique

En utilisant la définition du système d’organisation bureaucratique, il est possible de le comparer avec d’autres systèmes d’organisation. Malgré les différences profondes avec le système français, le système soviétique, autoritaire et répressif, est bureaucratique mais il est la conséquence de la force des groupes primaires informels et de la soumission à l’autorité et répond à la contradiction confiance-soumission. Le système japonais comporte les aspects de stratification rigides du modèle français, et de protection du groupe primaire du modèle soviétique, tout en jouant un rôle moteur dans la société. Le système américain reposant sur la spécialisation fonctionnelle et les garanties légales, est plus ouvert et participatif mais ne sait pas corriger facilement ses erreurs. Le système anglais superpose le modèle bureaucratique et le modèle de la déférence et n’échappe pas aux dysfonctions.

 

 

Analogies avec des modèles institutionnels

La comparaison du modèle organisationnel avec les modèles institutionnels français suivants permet d’établir sa spécificité : Le système éducatif, le système ouvrier et le système des relations industrielles, le système politico-administratif avec les sous-systèmes administratif et délibératif, le système extra- légal de solution des conflits répondant aux situations de crise. Les systèmes sont liés par les mêmes traits culturels et comportent les mêmes caractéristiques du système d’organisation bureaucratique . l’auteur les décrit et les analyse sous l’angle des rapports de pouvoir en explorant les raisons des difficultés d’évolution comme dans le système d’éducation ou ouvrier. Les systèmes sont interdépendants et s’équilibrent mutuellement. En cas de changement général imposé par la société, ce serait donc le système bureaucratique lui-même qui serait menacé .

Le système colonial lui aussi, reflète les valeurs et le système d’organisation de la société étudiés dans l’exemple du Canada, où les rapports culturels empêchaient de considérer les autochtones comme des acteurs, interdisant les possibilités de changement.

Place du système bureaucratique dans la vie économique française

Bourgeoisie et bureaucratie

Le regard sur la vie des affaires fera apparaître les liens peu explorés entre la rigidité bureaucratique et les comportements d’innovation afin de mieux cerner la place du phénomène bureaucratique dans la société française.

Une étude de David Landes attribue les causes du retard économique français au système social et au comportement des dirigeants. Le capitalisme bourgeois fondé sur les affaires de familles, évitant les risques, ne favorisait pas l’innovation .Les valeurs familiales bourgeoises du 19è siècle valorisaient le prestige social et non la réussite dans les affaires .J.R. Pitts montre la persistance de ces valeurs dans la société et F.H. Harbison et E.W .Burgess dans le Management  français.

La France est marquée, depuis la fin de l’Ancien régime, par l’opposition entre le monde privé des affaires, paternaliste , attaché aux traditions, à la hiérarchie et le monde de la fonction publique, égalitaire, attachée au progrès, à l’individu, correspondant à deux systèmes d’organisation avec un langage, des clients bien distincts. Pourtant les deux systèmes possédaient les mêmes traits bureaucratiques, étaient hostiles mais complémentaires et interdépendants. L’Etat avait un rôle d’incitateur pressant au changement auquel les entrepreneurs, seuls capables d’innovation, résistaient pour obtenir plus de privilèges. Les deux mondes se protégeaient mutuellement contre le changement, l’Etat protégeait l’entreprise contre les risques de la concurrence, ses pairs et les ouvriers, assurant le maintien de ses privilèges. Le progrès était pris en charge par le système bureaucratique public. Dans les deux systèmes, les innovations ont été rares.

Le modèle commun d’adaptation au changement

Le modèle français d’adaptation au changement pourrait se caractériser par la nécessité d’opérer les changements par crises , le besoin de tout ordonner, l’opposition entre le conservatisme des groupes et l’esprit créateur individuel. Ces contradictions correspondent à deux aspects culturels français décrits par Maria Wolfenstein, le déni et une vue hétéronome du changement. Malgré la richesse des talents, la rigidité organisationnelle des entreprises familiales et du système d’organisation bureaucratique brisait l’esprit d’initiative et rendait l’innovation difficile.

La société peut dépasser ce modèle car elle est capable d’apprendre à travers l’ expérience de nouvelles formes organisationnelles. L’efficacité pousse au changement du modèle culturel et à la transformation du système qui peu à peu tend à s’estomper.

CONCLUSION

Le phénomène bureaucratique et le modèle français dans l’évolution générale de la société industrielle

Quelles sont les limites du système ? Le phénomène bureaucratique est apparu comme une réponse globale de la société au problème du changement, mais le système lui-même peut-il changer ?

Les systèmes d’organisation sont des domaines privilégiés d’apprentissage des hommes qui transforment  leurs pratiques et leurs valeurs à travers leurs actions, leurs succès et échecs. Deux facteurs interviennent dans le développement de nouvelles formes d’organisation :le progrès technique et le développement des individus dans une société qui se complexifie. Les organisations deviennent plus tolérantes et souples, " organiques " selon Tom Burns, se réfèrent de plus en plus à la loyauté des employés tandis que les individus développent leur capacité d’adaptation , leur sens de l’initiative.

Sous la pression de l’efficacité, la bureaucratisation, au sens de Weber, se développe mais sans les conséquences redoutées. Sa croissance passe nécessairement par l’assouplissement du système bureaucratique d’organisation et le dépassement des cercles vicieux. Le maintien d’un système bureaucratique dans une organisation empêche son développement et place la décentralisation comme processus indispensable à sa croissance. Des forces contradictoires s’y opposent : La lutte contre la rationalisation pour maintenir des zones d’incertitude et la lutte pour imposer aux autres toujours plus de rationalisation, donc de standardisation et de planification .

Face à l’accélération du changement et à la société de masse , il semble que le système bureaucratique français atteint ses limites  du fait de sa rigidité qui s’oppose d’une part à l’efficacité qui réclame participation, coopération, équilibres fluides, et d’autre part aux nouvelles possibilités plus rationnelles et moins chères de la société. Les systèmes bureaucratiques ne peuvent ni affronter la concurrence d’organisations souples ni continuer d’utiliser des standards tels que ceux de la formation.

Une nouvelle stratégie de l’action s’impose basée sur la prévision, l’initiative et la coopération, que l’Etat a initiée avec la création du Commissariat au Plan et les méthodes de l’économie concertée. L’égalité, l’impersonnalité, l’ autonomie, garanties auparavant par la centralisation et la stratification rigide se réalisent désormais hors de ce système. Les différences sociales s’atténuent, les différences culturelles plus résistantes prennent la même voie, illustrées par le changement dans les relations d’autorité parents-enfants ou la dévalorisation du bac.

Quelles sont les possibilités de résistance au changement d’un système d’organisation bureaucratique tel celui de l’Administration publique française, institution centrale ? Elles sont très réduites, car l’Administration ne modèle plus son environnement , c’est l’environnement qui fait pression sur elle, avec l’arrivée de jeunes hauts fonctionnaires réformistes, avec la crise de recrutement des fonctionnaires, le développement des activités de service qui entraînent des besoins humains et matériels ignorés par la société, au risque d’une crise future.

Si l’on assistait à la disparition du modèle bureaucratique français, il laisserait un héritage qui influencerait les futurs modèles. En effet, la participation égalitaire, l’indépendance personnelle, la liberté intellectuelle lui confèrent une place importante dans la culture française. Les organisations doivent rechercher une nouvelle culture ouverte à la participation et la société doit essayer de trouver un nouvel équilibre entre les besoins individuels et les organisations et faire face à la nouvelle rationalité.

VI. CONCLUSION

L’analyse stratégique des relations de pouvoir relève d’une conception de l’homme comme étant un acteur ayant une certaine marge de manœuvre, quelque soit son niveau hiérarchique et ses fonctions et même dans les systèmes bureaucratiques.

La bureaucratisation relevait d’une rationalisation des activités organisées, traduites par la concentration des unités et des formes d’organisation reposant sur l’impersonnalité, la hiérarchie et le contrôle. La bureaucratie étant considérée comme le modèle d’organisation le plus efficace. La mise en évidence des dysfonctions et l’analyse du système permet de dire que la réalité est différente. Si le système d’organisation bureaucratique répondait au modèle de la société industrielle, il est maintenant reconnu en partie inefficace et coûteux , annonçant son déclin, et la nécessité de trouver de nouvelles formes d’organisation non bureaucratiques.

VII. DISCUSSION

Michel Crozier considèrent que les sociétés humaines sont capables d’apprendre par la médiation des organisations et d’élaborer de nouvelles formes de rapports humains. Avec Erhard Friedberg, l’auteur développe l’idée que le changement est un apprentissage collectif mais que les organisations peu diversifiées ne peuvent se permettre de changer sans risque car la changement affecterait l’ensemble et provoquerait une crise. Ce point pourrait être discuté à partir d’un cas réel récent qui concerne un établissement public situé à Paris.

L’établissement a été créé au 19è siècle. Sa mission était à l’origine de " faciliter et encourager la fréquentation des écoles primaires laïques en allouant aux enfants nécessiteux des secours de toute nature. Il organise à cet effet des cantines scolaires, des distributions de vêtements et des chaussures. Il organise pour ces mêmes enfants des garderies et des colonies de vacances et des classes de plein air pour ceux d’entre eux dont la santé le justifie" (1936). Sa responsabilité principale actuelle est d’assurer la restauration scolaire des élèves des écoles publiques d’un arrondissement. Les activités secondaires, peu développées, participent à la vie scolaire et périscolaire (subventions aux écoles, centres de vacances..). L’établissement comporte certains traits bureaucratiques décrits dans le Phénomène bureaucratique mais dont les buts sont orientés vers l’accaparation du pouvoir hiérarchique et non vers la sécurité des membres.

La restauration est assurée en gestion directe. Les repas sont préparés dans les cuisines des écoles par du personnel recruté par l’établissement, uniquement des femmes non qualifiées dont la plupart sont d’origine étrangère ou hors métropole .

- La centralisation des décisions par le responsable de l’établissement dans tous les domaines (finances, personnel, marché public) jusque dans les petits détails quotidiens en passant par l’élaboration des menus et le remplacement des absentes . L’autorité politique avait confié une délégation de signature large lui laissant une grande part d’initiative non contrôlée, malgré l’existence d’une instance délibérative.

- L’isolement des strates : Le personnel est divisé en deux groupes très distincts et avec très peu d’échanges entre les deux et à l’intérieur de chaque groupe. Le groupe des administratifs bénéficient de la protection d’un statut public tandis que le personnel des cuisines, vacataire permanent, a un emploi précaire, mal rémunéré, pénible physiquement. Dans ce groupe des divisions existent entre les tâches " nobles " de cuisine et celles considérées inférieures, de nettoyage. Une autre séparation crée une hiérarchie entre les personnes d’origine antillaise et celles d’origine du Maghreb affectées le plus souvent aux tâches de nettoyage.

Dans les deux groupes il n’existe pas de formations ni de réunions. Certaines bénéficient d’avantages qui étaient attribués personnellement par le responsable . Celui-ci connaissait bien son personnel et était en poste depuis de longues années. L’ensemble du personnel était coupé du personnel municipal et n’était pas invité aux diverses manifestations officielles.

- L’impersonnalité des règles : Un règlement intérieur contient les règles écrites du comportement attendu du personnel de cuisine. Les décisions qui concernaient le fonctionnement des cuisines étaient diffusées par note interne.

Un climat de soumission régnait partout. Cependant le personnel et les enseignants semblaient satisfaits au premier abord des plats préparés.

Un changement est mené depuis quelques mois afin que l’établissement devienne une organisation plus souple, ouverte à l’extérieur, participative se situant comme acteur et partie prenante dans la vie scolaire. Le projet, basé sur le respect mutuel des enfants et des adultes, fait ressortir l’importance de la restauration dans l’éducation , le bien-être, la santé de l’enfant et travaille à la qualité de la prestation. Il s’agit de former le personnel, donner le pouvoir de décider aux responsables, simplifier le travail, être à l’écoute, apprendre à travailler ensemble en commençant par partager les problèmes qui ont été relevés lors d’un " audit " dans chaque cuisine, avec les responsables de cuisine.

Les premiers constats font ressortir la satisfaction des enfants, des familles, des enseignants, des animateurs, de certaines institutions administratives et l’intérêt porté au projet et aux réalisations entreprises, même si beaucoup de problèmes sont encore à appréhender et à résoudre . Le changement est amorcé sans qu’il y ait eu de crise.

Ce cas pratique et actuel pourrait faire l’objet, dans quelques temps, d’un premier bilan portant sur l’apprentissage du changement en référence à Michel Crozier et Erhard Friedberg et être confronté aux hypothèses développées par Renaud Sainsaulieu sur la culture d’entreprise.

VIII. ACTUALITE

Aujourd’hui, la question des relations de pouvoir est posée à nouveau dans les nouvelles formes d’organisation. Isabelle Berrebi-Hoffman, sociologue au CNRS et Michel Crozier ont mené des enquêtes dans des entreprises en réseaux telles les entreprises de service et de conseil informatique, constituées d’équipes autonomes. Ici, la bureaucratie est jugée dépassée. Face à un marché fluctuant qui nécessite de la réactivité, le pouvoir de décision est laissé aux cadres qui constituent le personnel de base et dont le travail est peu contrôlable. Les dirigeants ont développé des stratégies qui remplacent le pouvoir hiérarchique par des mécanismes de contrôles horizontaux qui se révèlent redoutablement efficaces et contraignants: le contrôle social par les pairs et une mise en concurrence interne.

Ce système de pouvoir repose sur la prise en charge d’objectifs contradictoires et sur l’incertitude forte portant sur les résultats. Paradoxalement le pouvoir des dirigeants s’en trouve renforcé, augmentant la domination sur les employés qui peut engendrer beaucoup de souffrance pouvant mettre en danger leur intégrité mentale et psychique, comme le montre Christophe Dejours dans  " Souffrance en France ". En refusant d’édicter des règles claires(objectifs, critères) et d’introduire un peu de bureaucratie, la stratégie des dirigeants est d’augmenter l’incertitude et la pression auprès des cadres qui sont très mobilisés. Dans ce système, la zone d’incertitude n’est plus une source de liberté et de pouvoir pour l’individu mais de contraintes. L’autorité hiérarchique prend de nouvelles formes ainsi que les modes de contrôle qui ne sont pas remis en cause par les employés du fait qu’ils tiennent à leur autonomie .