LES FICHES DE LECTURE  de la Chaire D.S.O.

 

Yann ATTAL
DESS 202
Université Paris- Dauphine

COURS de M. Yvon PESQUEUX
"Contrôle des Connaissances"

 

Michel Crozier, Erhard Friedberg

"L'ACTEUR ET LE SYSTÈME :

Les contraintes de l'action collective"


Editions du Seuil, 1981.
Première parution en 1977, dans la collection "Sociologie politique"

 

SOMMAIRE :

* I - Les auteurs
* II - Questions
* III - Postulats
* IV - Démarche
* V - Résumé de l’ouvrage
* VI - Conclusion

 

 

I – Les auteurs


Michel Crozier

Directeur de Recherche émérite (CNRS)

Principales Publications

 

Erhard Friedberg

Le Centre de Sociologie des Organisations

Fondé par Michel Crozier en 1965 comme groupe de recherche associé au CNRS, le Centre de Sociologie des Organisations a été transformé en laboratoire de recherche en 1976, ce qui fait de lui une des plus anciennes unités propres du CNRS en sociologie. Il comprend actuellement une dizaine de chercheurs du CNRS et quatre personnels techniques et administratifs.
Il a été à l'origine d'un courant de recherches empiriques sur le fonctionnement des organisations et sur les dynamiques institutionnelles dans les secteurs public et privé, courant qu'il a grandement contribué à acclimater et à développer en France. Il est d'autre part depuis 1976 le principal laboratoire d'accueil du DEA de Sociologie de l'IEP de Paris avec lequel il fonctionne en étroite symbiose. A ce titre, il comprend un important programme doctoral auquel participe actuellement une bonne vingtaine de doctorants français et étrangers.
La réflexion théorique à partir des travaux de recherche menés au sein du Centre s'est progressivement structurée autour de l'affirmation de la notion d'organisation - au sens de structuration des rapports humains dans l'action - comme un niveau d'analyse autonome transcendant les domaines et secteurs d'activités tels l'industrie, l'administration publique, la justice, l'éducation, l'action politique, etc. Notamment à l'occasion et grâce aux résultats des recherches sur l'action administrative, cette réflexion s'est très vite élargie et enrichie en passant de la notion d'organisation à celle de système d'action permettant d'étudier et de problématiser des ensembles d'interdépendances (moins visibles mais tout aussi contraignantes), et en poursuivant parallèlement, une réflexion sur la décision, sur les mécanismes du changement institutionnel et sur les rapports entre micro et macro-phénomènes. Elle a ainsi permis d'aboutir à la formulation d'une approche organisationnelle de l'action collective. Il s'agit là d'une problématique transversale dans la mesure où elle s'intéresse non pas à l'organisation en tant qu'objet social particulier, mais au phénomène plus général des processus d'organisation qui se déploient dans des champs d'action les plus divers et qui permettent de structurer, de stabiliser et de réguler les rapports entre un ensemble d'acteurs individuels et/ou institutionnels liés par des interdépendances stratégiques autour de problèmes ou d'intérêts communs.
Cette orientation centrale a fourni au laboratoire une clef de lecture et de confrontation des données empiriques approfondies et diversifiées que son activité de recherche dans un grand nombre de domaines lui a permis d'accumuler : le laboratoire a ainsi fortement contribué au décloisonnement des domaines et des disciplines en devenant un foyer d'innovation tant pour l'étude de toutes les formes d'action sociale, quels que soient les domaines ou secteurs d'activités visés, que pour le développement d'une formation originale et pratique aux sciences sociales qui forme la base de son programme doctoral. Elle l'a d'autre part conduit à rechercher un ancrage interdisciplinaire entre la sociologie, la science du politique, l'histoire du temps présent et les sciences de gestion en même temps qu'une incitation pour développer la dimension comparative internationale dans ses recherches. Elle a aussi permis au laboratoire de participer pleinement à la construction et au développement de réseaux scientifiques dont l'animation est devenue progressivement un axe important des activités scientifiques de ses membres. Elle a enfin facilité la diffusion et la valorisation des résultats de ses recherches ainsi que des raisonnements qui les portaient, auprès d'une grande diversité de publics, tant en France qu'à l'étranger.

 

II - Questions


Thèse

Une organisation, phénomène sociologique, est toujours un construit social, qui existe et se transforme seulement si d’une part elle peut s’appuyer sur des jeux permettant d’intégrer les stratégies de ses participants et si d’autre part elle assure à ceux-ci leur autonomie d’agents libres et coopératifs. L’acteur est donc engagé dans un système d’action concret et doit "découvrir, avec la marge de liberté dont il dispose, sa véritable responsabilité" (p. 388).
Comment donner du sens aux stratégies des acteurs - c’est-à-dire, éviter l’irrationalité de leurs stratégies ?
Comment connaître ces jeux qui conditionnent les comportements des acteurs?
Quelle est l’utilité d’analyser les comportements comme phénomène sociologique fondamental pour l’organisation ?
Quelle(s) finalité(s) peut apporter aux acteurs une telle conception de l’organisation, et par généralisation, du système?

Hypothèses

L’action organisée est un construit social qui aide les hommes à trouver des solutions aux problèmes d’action collective en vue d’objectifs communs mais qui, simultanément, oriente leur comportement, circonscrit leur liberté d’action, conditionne leurs résultats. D’où le paradoxe.
Au cœur de l’action collective, on rencontre des effets contre-intuitifs dus au décalage entre les orientations et les intentions des acteurs . C’est que l’organisation serait un champ de coopération et d’interdépendance entre acteurs avec des intérêts même contradictoires, c’est-à-dire un ensemble de "jeux structurés"(p.20), la solution.
Dans cette perspective, les problèmes de coopération (et donc d’intégration) des acteurs sociaux poursuivant des objectifs multiples, et d’incertitude liée au caractère indéterminé des ressources (technologiques, économiques) seraient redéfinis et résolus en vue de l’amélioration des résultats.
Cependant, il n’y a pas d’action sociale sans pouvoir, car s’ils constituent des instruments pour la solution de problèmes, les construits d’action collective sont aussi des contraintes pour ces solutions. Il faut donc les réguler par un système de pouvoir.
On obtiendra ainsi des résultats toujours contingents de la mobilisation des acteurs - ainsi que des sources d’incertitude pertinentes vécues comme des opportunités- car contrôlés dans une structure de jeu donné, pour développer des relations et des tractations avec d’autres joueurs (et donc leur attitude d’autonomie).
"Il n’y a pas de champ non structuré."(p. 204), c’est-à-dire, sans l’existence de rapports de pouvoir.

 

III - Postulats


Postulat explicite :
Les auteurs proposent une interprétation du comportement humain comme l’expression d’une stratégie dans un jeu, dans un ensemble de contraintes à découvrir.
Postulat implicite :
Le phénomène "organisation" est construit et non naturel. C’est un cas particulier fabriqué exprès d’un phénomène général, celui des systèmes humains ou systèmes d’action concrets, "objet nouveau dont nous devons postuler l’existence pour pouvoir tirer la leçon de l’analyse organisationnelle et transposer à l’ensemble des situations sociales le modèle d’intégration que nous avons élaboré dans le cadre formalisé de l’organisation" (p.207).
Orientation générale :
Les auteurs cherchent à  démontrer le caractère concret de leur approche : "L’analyse stratégique et l’analyse systémique ne sont pas seulement des propositions théoriques. Elles sont d’abord et avant tout des pratiques de recherche". Dans l’annexe, intitulée Théorie et pratique de la démarche de recherche, on présente au lecteur la  "justification théorique des principaux postulats sur lesquels [cette pratique] repose" (p.391) .
Les conditions et modalités, les "construits" des jeux à travers lesquels les acteurs parviennent à trouver leur coopération font peser des contraintes spécifiques sur les capacités d’action, de développement et de changement d’un ensemble, comme de chacun de ses membres.
Pour découvrir le poids de ces contraintes : "Il s’agira de découvrir les caractéristiques, la nature et les règles des jeux qui structurent les relations entre les acteurs concernés et, partant, conditionnent leurs stratégies, et de remonter ensuite aux modes de régulation par lesquels ces jeux s’articulent les uns aux autres et sont maintenus en opération dans un système d’action" (p. 392).
Le but de l’approche organisationnelle est donc de produire des connaissances capables d’éclairer une pratique. Non dans le sens où elle serait capable de fournir des recettes ou de formuler des lois générales qu’il suffirait de suivre ou d’appliquer, mais dans celui où elle veut permettre aux acteurs concernés de mieux se situer dans leurs champs d’action et de mieux en mesurer les contraintes et les réactions apparemment "irrationnelles" ainsi que leur propre contribution à la construction de ces contraintes. Il s’agirait donc d’un "raisonnement sur les écarts"(p.396) que le chercheur découvrira en confrontant ses hypothèses à la réalité.
L’approche organisationnelle part donc du vécu des acteurs pour reconstruire non pas la structure sociale générale, mais la logique et les propriétés particulières de sa régulation, c’est à dire la structuration de la situation ou de l’espace d’action considéré en termes d’acteurs, d’enjeux, d’intérêts, de jeux et de règles du jeu qui donnent sens et cohérence à ce vécu.
Devant la nature contingente du phénomène auquel elle s’intéresse, l’approche organisationnelle ne peut s’engager que dans une analyse clinique et pour tout dire également et nécessairement contingente de la réalité des relations qui, dans un espace particulier, se nouent entre les acteurs concernés. A partir de la connaissance que lui fournit cette analyse, l’analyste pourra reconstruire non seulement les jeux entre acteurs, mais aussi la nature des modes de régulation qui structurent tout système d’action concret.
"Tout changement proposé pour l’épanouissement des individus, le développement de leurs activités ou l’amélioration du climat ou des performances de l’ensemble qu’ils constituent, passe par la transformation de ces systèmes." (p.202).

 

IV - Démarche


"Actors and Systems", élaboré en coopération avec le Centre de Sociologie des Organisations, l’Université de Harvard, le Centre des Sciences de Berlin-Ouest, et le Cycle supérieur de sociologie de Sciences-Po Paris est désigné par les auteurs comme un essai scientifique de Sociologie politique dont le mode de raisonnement particulier présente les résultats d’une série de choix théoriques successifs, afin d’être pour les acteurs un guide de propositions simples sur les problèmes soulevés par les organisations, et les moyens inventés par les hommes pour les surmonter et développer leur coopération en vue de buts communs, et pour appréhender ainsi différemment le problème de changement.

Les auteurs tentent de décrire l’action organisée des hommes en analysant les conditions qui la rendent possible et les contraintes qu’elle impose pour permettre au lecteur d’accéder à une posture intellectuelle capable d’intégrer le paradigme central qu'offre le problème contingent de l’acteur et du système.
La démarche est donc explicite, et commentée tout au long de l’ouvrage, ceci tout particulièrement au chapitre VII, qui organise la transition vers la troisième partie - de l’analyse organisationnelle à l’analyse systémique- ainsi qu’en annexe rédigée comme un outil pour la démarche du chercheur.
L’ouvrage est ainsi organisé en deux parties qui correspondent à la démarche intellectuelle adoptée par les auteurs pour l’élaborer :

    - postulat : on pose le caractère universel des "effets pervers" des affaires humaines.
    - problème : la coopération et l’interdépendance des acteurs.

- postulat : le système est un ensemble constitué comme un champ structuré -non neutre- dont les différents éléments ont des conduites coordonnées et interdépendantes.
- L’organisation est donc le produit d’un système. On peut généraliser c’est-à-dire, déduire de la première partie inductive.
Cependant, les auteurs s’expliquent sur la rationalité architecturale toute transitive de leur ouvrage : il ne s’agit pas de "passer par une simple extrapolation d’une loi descriptive sur les organisations à une loi qui devrait gouverner des systèmes plus complexes, ou en tous cas, différents. On applique un raisonnement élaboré pour poser un problème dans un certain contexte à la solution du même problème dans un contexte effectivement plus difficile" (p.198).
Cette démarche de transition, explicitée au Chap. VII "De l’organisation au système", peut donc se récapituler dans le tableau suivant :

 

Raisonnement stratégique
Raisonnement systémique
localisation
1ère et 2ème partie : "l’organisation"
3ème partie : "le phénomène systémique"
départ
L’acteur
avec sa "stratégie égoïste"
Le système
avec une cohérence finalisée
but
Découvrir le système dont les contraintes expliquent les apparentes irrationalités du comportement de l’acteur.
Retrouver avec l’acteur la dimension contingente, arbitraire, non naturelle de son ordre construit.

On réalise un diagnostic du système pour comprendre en quoi et pourquoi dans ce système les comportements et mécanismes incriminés sont rationnels ;
logique
Inductive
Fondée sur un modèle de négociation et de calcul (celui que peut faire chaque acteur de son intérêt dans la négociation qu‘il doit mener avec ses partenaires).
Déductive
Logique de finalité et de cohérence (on cherche quel ensemble de cohérence et de finalités hiérarchisées tend à s’imposer à l’acteur à travers le résultat des jeux auxquels il doit jouer ; p.204).
mode
Raisonnement heuristique
Pour élaborer et vérifier des hypothèses de plus en plus générales sur les caractéristiques de l’ensemble à partir des problèmes vécus par les participants.
Causalité systémique
Pour expliquer un effet par une cause, ou par la conjonction de plusieurs causes indépendantes.

C’est considérer qu’effets et causes sont interdépendants à l’intérieur d’un système dont les propriétés (mode de gouvernement, type de jeu) permettent de comprendre et de prévoir les résultats que l’on voudrait expliquer.
risque
D’extrapolation si le raisonnement est seulement interprétatif.

D’un modèle de marché ou d’ajustement mutuel.
D’un raisonnement linéaire qui tenterait seulement de localiser le vice.

D’un modèle mécaniste de déterminisme fonctionnel.

 

Bien que de logiques opposées les deux raisonnements doivent cependant demeurer complémentaires : "Sans raisonnement systémique, l’analyse stratégique ne dépasse pas l’interprétation phénoménologique. Sans vérification stratégique, l’analyse systémique reste spéculative et, sans la stimulation du raisonnement stratégique, elle devient déterministe.", (p.203) ; car séparées on constate qu’on aboutit à des résultats "extrêmement divergents", alors que cette démarche cherche à atteindre un but de recherche universel.

Elle permet en effet, "de transposer la leçon de l’analyse organisationnelle à toutes les activités humaines et à toutes les situations sociales qui ne ressortissent pas au modèle de l’organisation formelle" (p. 206), à savoir les systèmes d’action concrets, notion clé de l’ouvrage, qui plus est, en garantit la transitivité de la démarche rationnelle.

 

V – RÉSUME

[ RAISONNEMENT STRATÉGIQUE ]

Première partie

L’organisation comme problème

Où l’on tente d’expliquer la rationalité propre au phénomène "organisation", ce système d’action interne.

Chapitre I L’acteur et sa stratégie

  1. L’organisation pose problème pour l’acteur car son fonctionnement repose sur une logique d’écart entre la théorie et la réalité, c’est-à-dire d’une part entre une rationalité surévaluée par l’admiration et la confiance des acteurs pour l’efficacité des résultats collectifs, et d’autre part la complexité des comportements humains, lesquels sont toujours contingents du besoin de liberté. Liberté de "battre le système, d’agir, de calculer, de s’adapter… contre tout moyen déterministe.
  2. Pour l’analyse des comportements humains, il faut écarter les raisonnements a priori, qui considèrent seulement l’acteur et non la contingence des comportements dans un groupe, et réduisent ainsi les contraintes de l’organisation à un fait mécanique. Ainsi ,
  • selon Chris Argyris qui a tenté de hiérarchiser les besoins psychologiques humains à partir du principe de "congruence", s’inspirant de la théorie motivationnelle de Maslow, l’acteur négocie seul avec l’organisation ;
  • de même que le schéma de l’économie de marché - où rétribution équivaut à contribution - reste une théorie normative qui prévoit un cadre de référence.
Or, par définition, le groupe est un construit humain, dont la rationalité est proprement relative aux membres qui le constituent et à la différence de leurs comportements – s’échelonnant des actions stratégiques coordonnées à l’acteur apathique- selon leurs opportunités et capacités, soit, en fonction de leur situation stratégique par rapport à la production, de leur degré de qualification professionnelle, et de leur degré d’intervention dans le groupe.
  1. Toute démarche stratégique devra relier la conduite de l’acteur au contexte, donc aux réductions organisationnelles.
  • L’être humain est incapable d’optimiser comme le pensent March et Simon car sa rationalité reste limitée par sa marge de liberté et d’informations. Les acteurs sont des construits sociaux.
La stratégie de l’acteur ne peut donc se concevoir seulement en termes d’objectifs clairs et de projets cohérents mais comme un jeu dans l’organisation, contingent au comportement et au vécu du participant. Ainsi, la stratégie de l’acteur revêt deux aspects : offensif pour saisir les opportunités et contraindre, et défensif pour agir et échapper aux contraintes.
  1. Cette idée compromet l’utilité d’un organigramme et pose la question de savoir qui domine en réalité.
 

Chapitre II Le pouvoir comme fondement de l’action organisée

Où l’on propose une analyse de la vie organisationnelle.

  1. Du point de vue de l’acteur, le pouvoir, en tant qu’action de groupes ou d’individus sur d’autres groupes ou individus, s’entend en terme de relation : instrumentale quand les acteurs sont motivés par un but, non transitive car une hiérarchie reste indispensable pour obtenir des actions, et enfin réciproque mais déséquilibrée afin d’obtenir des forces de pouvoir. Puisque ces sources de pouvoir correspondent ainsi à des possibilités d’action, les zones d’incertitude, contrôlées, deviennent pertinentes en ce qu’elles élargissent la marge de liberté des participants, leurs enjeux. En effet, ils pourront à la fois jouer de plusieurs relations de pouvoirs (exemple de Schelling), ainsi diversifier leurs domaines d’investissement et se fixer un horizon dans le temps pour leurs stratégies.
  2. Du point de vue de l’organisation, si les contraintes qui la conditionnent sont contrôlées par les ensembles de pouvoir, ceux-ci sont également régularisés dans leur déroulement par la structure de l’organisation et dépendent de la volonté des acteurs de se mobiliser. Ainsi, l’organisation établit des canaux de communication entre les membres, et assoit son autorité légitime par un système de sanctions et de récompenses afin de développer l’esprit de compétition entre les acteurs.
  3. Afin de découvrir la façon dont l’organisation motive ses membres et infirmer Clegg pour qui il existe des inégalités structurelles au sein de l’organisation, on pourra donc établir une typologie des pouvoirs en fonction des différents types de sources d’incertitudes, à savoir :
  • la maîtrise d’une compétence particulière,
  • la relation de l’organisation à son environnement pour ses besoins en ressources ou pour vendre,
  • la maîtrise de la communication et des informations,
  • l’ensemble des règles de l’organisation pour supprimer ces incertitudes ou paradoxalement créer d’autres incertitudes dans la négociation de ces règles.
 

Chapitre III Le jeu comme instrument de l’action organisée

  1. Cet aspect défensif ou offensif de l’organisation pour les stratégies des acteurs fait de son fonctionnement un univers de conflits. Les objectifs seront donc partagés mais sans unicité puisqu’il y a compétition dans un jeu. Cette conception problématique de l’organisation en tant qu’ensemble de jeux structurés les uns aux autres, c’est-à-dire, ensemble de stratégies possibles s’oppose ainsi à toutes les théories qui l’analysaient auparavant en terme de rôle.
  2. Si les acteurs ne profitent pas davantage de cette situation de supériorité c’est que la structure formelle impose les règles du jeu dont dépend la survie de l’organisation.
  3. On adopte désormais une analyse en terme de jeu (ou stratégies), ce "mécanisme concret grâce auquel les hommes structurent leurs relations de pouvoir et les régularisent tout en leur laissant – en se laissant- leur liberté", de façon à profiter des écarts pour créer de nouvelles opportunités et réaliser des transformations de l’ensemble du jeu.
  4. "Le management revisité" : l’analyse stratégique relativise le rôle des dirigeants quand toute structure formelle s’y définit comme "une codification provisoire d’un état d’équilibre entre les stratégies de pouvoir et les stratégies de présence". Dans le jeu néanmoins, il s’agira pour eux, même s'ils sont contraints par le caractère partiel et indirect de leur intervention, d’assurer les conditions de production de l’ensemble; ce qui équivaut à sa survie et sa réussite et garantit la marge de liberté de tous les participants.
 

Deuxième partie

L’organisation et son environnement

Chapitre IV Les limites de la théorie de la contingence structurelle

La théorie de la contingence structurelle permet de prévoir pour l’organisation les types de variables et les influences sur sa performance, qu’elle pourrait subir. Or, cette approche est limitée par la théorie de la dépendance des années 60 qui envisage pour l’environnement la capacité de sanctionner l’organisation.

  1. On serait par exemple tenté par le même déterminisme technologique que l’étude empirique de Woodward qui postule qu’il existe des structures adaptées aux problèmes que pose une technologie donnée dont la nature peut être définie d’après deux variables : la matière première, et la nature de la recherche menée pour transformer la matière première. Il isole ainsi de quatre grands types technologiques quatre dimensions d’organisation principales prévalues par la marge de manœuvre, le pouvoir, la coordination ou le degré d’indépendance.
    Pour les auteurs ce processus, jugé simpliste, doit être supplanté par la question de savoir "pourquoi, comment et dans quelles limites les caractéristiques d’une technologie deviennent contraignantes pour les acteurs et comment" jouer "avec ces contraintes". La variabilité reposerait donc sur l’adaptation passive des acteurs. Par exemple (tiré de l’analyse des ateliers du Monopole), une panne doit se comprendre comme une donnée humaine de négociation
  2. Autres dangers d’un déterminisme multivarié : "le contexte  organisationnel".
  • Dans sa théorie formelle et déductive de la différenciation structurelle des organisations du point de vue spatial, fonctionnel, hiérarchique et occupationnel, Peter Blau développe l’idée que l’accroissement de la taille de l’organisation entraîne une différenciation plus grande de la structure au prix d’une baisse d’intensité et des effets de l’ensemble.
  • Pugh, D.J. Hickson et al. adoptent une approche multidimensionnelle pour saisir les influences du contexte sur la structure organisationnelle, mais par le biais d’une variable contextuelle a priori : plus l’organisation est petite, plus les effets structurels de la technologie sont larges, et plus l’organisation est grande (taille et dépendance), plus les effets structurels de la technologie sont restreints. On peut aussi critiquer leur approche statique et descriptive de la réalité avec les idées de score de formalisation, spécification ou centralisation.
Pour nos auteurs, le contexte est assurément une contrainte, soit un "ensemble de facteurs limitant mais n’éliminant jamais complètement la capacité de choix des acteurs organisationnels" ; il n’est donc pas déterminant pour les structures ou le mode de fonctionnement des organisations mais il appartient au système sous-jacent à l’organisation. Il faudra déterminer par quels mécanismes de médiation ces facteurs contextuels y affectent et y modifient les règles du jeu.
  1. Les démarches vues supra proposaient une conception unilatérale de l’environnement comme une ensemble de facteurs impersonnels dont les caractéristiques "objectives" s’imposent aux organisations. Pour les auteurs, il faut privilégier l’idée qu’il existe une multiplicité de champs fractionnés qui apportent des exigences contradictoires auxquelles il faut que l’organisation s’adapte. Ceci implique donc de nouveaux choix pour les acteurs et leur liberté.
  • Chandler"La main visible des managers" envisage le contexte comme une contrainte pour l’organisation seulement au moment de l’actualisation, mais les influences de l’environnement entrent aussi dans la stratégie (que les dirigeants reformulent). En effet il conçoit la stratégie d’une firme, c’est-à-dire sa volonté d’utiliser ses ressources en fonction des possibilités du marché, dans le temps, ce qui détermine sa structure.
  1. Pour répondre au problème posé par l ‘environnement, - faut-il préconiser une adaptation unilatérale ou bien une interstrusturation de l’organisme devant le contexte ?- et le rendre pertinent pour l’organisation, il suffit de l’analyser comme un ensemble de construits politiques et culturels, comme un système interne organisationnel, comme un jeu d’acteurs et découvrir ses mécanismes de régulation.
 

Chapitre V Le rapport à l’environnement consiste en un processus de pouvoir et d’échange : quelles transactions à la frontière ?

  1. Si l’environnement est pertinent, il dépend des acteurs d’une organisation et par conséquent s’intègre dans une relation de pouvoir avec ses sources d’incertitude qu’il faudra négocier afin de les stabiliser et les personnaliser.
  • Laurence et Lorsch proposent une solution en la création d’un service spécialisé dans les rapports avec un environnement pertinent mais ceci implique une différenciation interne des acteurs de l’organisation, hors jeu.
Autres solutions :

a/ Les relais (fournisseurs, banquiers, élus, etc.) pour représenter soit le segment d’environnement visé et informer, soit l’organisation et ses intérêts, seront des réducteurs d’incertitude certains en fonction de leur force de persuasion.

b/ La logique du monopole quand le pouvoir appartient à l’organisation ou aux relais avec un risque de dépendance dans le continuum, de "colonisation".

c/ L’autonomie des relations entre le segment de l’organisation et le relais permet la permanence du système de négociation et de pouvoir comme on s’inscrit dans un processus d’échange durable et dans un intérêt de stabilité car pour chaque partie de son pouvoir dépend des objectifs.

Cependant le rapport à l’environnement peut devenir un facteur supplémentaire de rigidité pour l’organisation si on ne peut en redéfinir les stratégies d’où la nécessité d’en intégrer des parties – les relais- pour pouvoir l’adapter à son tour à ses exigences propres.
  1. Pour l’analyse organisationnelle la priorité des recherches ne doit pas être accordée à l’objet organisation formalisé mais au système d’action de l’organisation dans son environnement et par conséquent aux limites et à l’extension de ce système d’action.
  • Selon Pagès, l’objet de recherche se trouve donc en fin de parcours après que l’on ait découvert d’une part le "ressort" de l’organisation défini comme "l’extension et la nature de la population individuelle ou générale intéressée par les effets de l’organisation et susceptible d’y réagir" et, d’autre part, son "élasticité" c’est-à-dire les moyens et processus qui existent pour démobiliser ou mobiliser les membres du ressort ".
Les mécanismes de régulation s’analyseront donc au travers des relations avec les membres extérieurs tournées avant tout vers l’organisation, alors que les frontières resteront fluctuantes, en fonction des circonstances, comme autant d’opportunités.
  1. Cf. exemples de non-organisations aux pages 155-167.

 

Chapitre VI Organisation et culture

  1. La culture semble fonder et donner toute sa signification au phénomène organisationnel qui rappelons-le est un processus politique et culturel d’intégration et de régulation des comportements stratégiques d’acteurs sociaux relativement autonomes. Par exemple, l’étude des administrations françaises de Michel Crozier distingue des traits généraux comportementaux (réglementation impersonnelle, centralisation du pouvoir décisionnel, stratification individuelle en groupes homogènes, développement de pouvoirs parallèles et de zones d’incertitudes non prévues) et montre que ceux-ci sont soumis à une logique de groupe formel de protection afin de garantir l’autonomie et la coopération des individus. De même les organisations japonaises répondraient à une logique d’implication et de participation. Cependant, il faut éviter toute tentation déterministe qui consisterait à associer des types d’attitudes spécifiques à des sociétés ou organisations données puisque l’action collective est un construit culturel associé au phénomène et au mécanisme d’intégration.
Ainsi, l’action humaine peut se définir comme un processus actif où les hommes apprennent à se servir d’instruments matériels et culturels mis à leur disposition pour résoudre les problèmes, les contraintes et les opportunités des différentes situations qui se présentent à eux.
  • Par exemple, l’étude de W. Schonfeld dans les écoles françaises a démontré que la relation d’autorité évoluait pour les élèves du collège au lycée où la soumission paraît dépersonnalisée et la "directivité assumée". Riches d’un apprentissage du pouvoir au collège, ils développent leurs capacités relationnelles dans un but plus précis.
  1. Ainsi, la capacité collective propre au groupe serait inhérente à un apprentissage collectif. Dans cette optique, la culture devient un instrument, une capacité pour les relations et les échanges…
  2. … et l’analyse culturelle une ouverture pour comprendre l’utilisation effective par les acteurs des potentialités et des opportunités d’une situation et la structuration différentielle des problèmes contextuels qui en résulte.
Puisqu’elle est l’instrument de la coopération des hommes au sein d’ensemble finalisés, elle permet de comprendre les règles formelles et informelles qui gouvernent les relations entre individus, entre groupes et donne ainsi son autonomie au phénomène organisationnel.

Dans l’analyse stratégique, elle offre donc un champ de recherche pour mesurer les possibilités de changements organisationnels et pour parvenir ultérieurement à des préceptes normatifs.

 

[ RAISONNEMENT SYSTÉMIQUE ]

Troisième partie
Le phénomène systémique
Chapitre VII De l’organisation au système

I. II. Les auteurs adoptent désormais un raisonnement sur les propriétés d’un ensemble en tant que système, qui repose sur les idées suivantes, déduites après examen d’un exemple, l’échec de l’introduction dans une entreprise d’une solution informatique de gestion intégrée :

  1. Seule une logique causale permet l’analyse des activités humaines.
  2. Cela demande une connaissance du système de relations et d’actions dont les propriétés induisent les objectifs des acteurs.
  3. On pourra ainsi transformer ces systèmes et assurer :
  1. Pour transposer le raisonnement organisationnel au raisonnement systémique (cf. "démarche" supra) on postule un objet nouveau, le système d’action concret devant la nécessité de l’existence d’un système contenant pour rendre possibles les conflits, négociations, alliances et jeux entre les jeux contenus dans cet ensemble.
  2. On peut ainsi démontrer concrètement l’existence de jeux réglés.
  • Pour les sociologues, les systèmes sociaux ou politiques restent des modèles fonctionnalistes selon lesquels les ensembles humains (une société, ou une dominante particulière d’organisation) comportent des fonctions interdépendantes et des mécanismes homéostatiques pour leur accomplissement et le maintien de leur équilibre.
  • Le modèle cybernétique asservi définit également des systèmes concrets ou d’action ouverts fonctionnant de manière très précise dans le cadre d’un modèle de régulation très contraignant.
Or, si le système se maintient grâce aux mécanismes de régulation, c’est-à-dire par l’action de jeux structurés qui définissent à l’avance les possibilités de stratégies rationnelles pour chaque acteur, ce dernier peut aussi transformer le jeu. C’est pourquoi le système n’est pas figé et ne doit être considéré comme modèle dans une théorie générale.
  1. La méthode sociologique doit désormais comprendre les objectifs et les procédés d’une analyse empirique en prenant garde au risque de réification.
 

Chapitre VIII Pour une démarche sociologique basée sur une analyse stratégique des systèmes d’action concrets.

"Il s’agit de découvrir le mode d’intégration qui fait [de la réalité] un phénomène global particulier."

En s’appuyant sur des exemples concrets, le cas du système politico-administratif départemental français, ainsi que le cas des services hospitaliers de dialyse rénale, les auteurs arrivent à des conclusions (provisoires) sur le phénomène "système d’action concret".

La démarche :

  1. Définition du problème relatif au cas analysé
  2. Mise en évidence de l’existence du système
  3. Caractérisation du système
  4. Délimitation du modèle de régulation de pouvoir (pour le modèle de régulation croisée, voir schéma p.225)
  5. Délimitation des principes de régulation du système et des exceptions
  6. Détermination du mode de fonctionnement
  7. Détermination des avantages du système pour les individus et pour la stabilité de l’ensemble
  8. Conclusions pour l’analyse.
 

Chapitre IX Pour une analyse sociologique basée sur les systèmes d’action concrets.

Les conclusions :

  1. Le système d’action est un construit contingent. Comme le problème à résoudre est celui, arbitraire, de la constitution d’un système d’action, l’analyste ne peut se référer à l’évolution générale des institutions, ni chercher un one best way universel et déterministe. Le système d’action dépend d’acteurs humains libres, c’est pourquoi l’analyste se heurtera aux difficultés concrètes du changement et à l’impossibilité pour les hommes de prendre des décisions arbitraires efficaces.
  2. Si les systèmes ont été créés par les hommes comme solution aux problèmes d’action collective, d’interdépendance, ou de coopération et de conflit, leur existence reste un problème car elle dépend de la régulation de ces mêmes jeux dont les mécanismes ne sont structurés ni par l’asservissement à un organe régulateur, ni par l’exercice d’une contrainte, même inconsciente, ni par des mécanismes d’ajustement mutuel, mais par les calculs rationnels et stratégiques des acteurs.
  3. L’organisation ainsi considérée présente les caractéristiques d’une classe particulière de système d’action : structuration forte, buts plus clairs, formalisation de jeux autour de ces buts, acteurs en pleine conscience de leurs actes. Ainsi, le contrôle croisé dans le système d’action politico-administratif départemental français s’oppose à tout modèle hiérarchique et présente une structure de pouvoirs formels et informels dont le tableau suivant présente les différentes analyses possibles :
Analyses :
Contrôle formel
Contrôle informel
Raisonnement traditionnel
  • Structure le champ
  • Exception plus ou moins tolérable
Relations Humaines
  • Superstructure de faible importance
  • Vie réelle de l’organisation
Autres raisonnements
  • Réponse aux pressions de l’informel
  • Structure le pouvoir
  • Autres règles (initiés)

 

L’analyse des systèmes d’action concrets a pour but d’obliger à rechercher et permettre de découvrir (par le biais du raisonnement stratégique) à travers le vécu des acteurs les vrais gouvernements et les vrais clivages, et repose donc sur le progrès conceptuel.

  1. Par conséquent, ils se révèlent comme instruments du contrôle social : pour comprendre comment les hommes coopèrent entre eux au sein d’une organisation, il faudra proposer des solutions aux problèmes d’intégration et aux autres médiations (cf. exemple des grandes écoles comme réseau d’influence multiforme) et formes de pression sur une société donnée, c’est-à-dire des modes de régulation spécifiques et relativement autonomes (ou systèmes d’action concrets), mais pas de lois.
  • Ceci implique la remise en question du modèle de Kurt Lewin qui présente une homologie entre le style de leadership de tous niveaux hiérarchiques d’une organisation et les différentes institutions d’une société.
  • De même, l’interactionnisme de G. Homans pour qui un ensemble social sera reconstruit à partir des règles d’interactions humaines de petits groupes
  • Enfin, les recherches macrosociologiques ne considèrent ni le phénomène de régulation, ni l’intégration des conduites.
 

Quatrième partie

Le problème de la décision
Pour envisager le changement il faut aborder le problème de la décision qui doit apparaître comme le produit d’un système d’action concret et trouver sa rationalité exclusivement dans ce rapport. (chap. IX, V).

 

Chapitre X Rationalité de la décision

  1. L’approche décisionnelle, assez simple, connut un grand succès comme elle présentait de grands avantages psychologiques mais illusoires du point de vue de la liberté des acteurs (car hors contraintes systémiques). Cependant, pour l’analyste systémique, personne ne peut s’identifier au système, complexe et nuancé. Il faut donc d’une part relativiser la décision et le mythe du décideur et d’autre part trouver les moyens rationnels pour passer de la rationalité du système à la rationalité de l’acteur.
  2. Charles Lindblom a montré l’impossibilité de saisir une logique d’application au modèle rationnel du point de vue du système et a ainsi déclenché une controverse dans l’approche décisionnelle, autour du problème des politiques publiques, dont les activités opérationnelles généraient de l’irrationalité. En effet, cette organisation privilégie pour la décision le modèle synoptique de rationalité a priori qui veut clarifier à l’avance les objectifs (modèle supérieur selon les auteurs quand toutes les informations, des valeurs identiques et les ressources sont disponibles), alors que Lindblom préconise une rationalité a posteriori où l’expérience mise en œuvre permet de proposer des solutions par contre-pressions, négociations, dites d’ajustement mutuel partisan (pour les auteurs ce sont aussi des événements dans le jeu du système).
  3. Quant aux décideurs (dont le problème a été posé par Hirchman), non seulement ils ne savent pas ce qu’ils veulent, mais la découverte de leurs buts est consécutive à leur expérience, laquelle dépend de leurs décisions. On reste dans un modèle de rationalité a posteriori, où la préférence entre après coup dans l’action.
  • J.M. March (de par une analyse psychologique des pratiques des individus) a introduit de thème de l’absence relatif à la préférence des décideurs.
Ainsi, les bons administrateurs sont ceux qui ont su au travers des circonstances se former une expérience et découvrir d’autres comportements, d’autres buts. D’où l’importance de l’apprentissage : par l’expérience, le décideur apprend ce qui était possible et qu’il recherchait sans en avoir vraiment conscience.
  1. Le modèle de rationalité limitée d’Herbert Simon dénonce l’inexistence d’une rationalité absolue comme l’homme est incapable d’appréhender tous les choix possibles et raisonne séquentiellement. D’autre part, l’homme n’est pas un animal qui cherche l’optimisation, mais la satisfaction de ses choix relativement à ses valeurs culturelles.
La notion de satisfaction permet ainsi de déterminer les critères pour dépasser les contraintes du système, créer les mécanismes de régulation adéquats (les différentes normes du système social ainsi que les règles du système d’action stratégique), et à améliorer encore pour changer le système. Par conséquent, ces critères permettront à leur tour de reconnaître les caractéristiques du système et de son contexte dont les chances de gain dépendent de la rationalité des décideurs.

Pour assurer la cohésion de l’ensemble, il faudrait convenir d’une relation équilibrée entre la rationalité a posteriori pour l’ajustement mutuel des parties du système, et la rationalité à priori de chacun des décideurs.

 

Chapitre XI Pour exemple : 2 cas d’analyse empirique des séquences décisionnelles ( missile de Cuba, conglomérat).


Chapitre XII
La décision comme phénomène de changement et phénomène systémique.

  1. L’exemple de Cuba montre que l’homme étant prisonnier des moyens organisationnels (dont dépendent la nature et les règles du système) qu’il doit employer pour agir, la force d’inertie du système constitué par les décideurs est considérable.
  2. Pour déterminer le rapport entre le système des décideurs et le système sur lequel portent les décisions, on étudie deux exemples complémentaires :
  • la réforme hospitalière de 1959 en France a provoqué une rupture dans ce rapport en ce qu’elle a davantage changé l’équilibre des forces que les modes de régulation d’un système très vaste, très intégré en position de force dans l’opinion politique et publique ;
  • au contraire, pour la réforme institutionnelle et législative de santé mentale en Californie les négociations ont été plus faciles : divisé en deux pôles, public et privé, il a fallu associer un système très bureaucratisé, politisé, et un système déstructuré sans forces décisionnelles.
  1. Pour concilier conflits et amélioration de la rationalité décisionnelle, il faut soit en intégrer les données - respectivement culturelles et systémiques- dans un champ d’action et rechercher la structure particulière de rationalité (on mesure chaque microstructure, les caractéristiques du système, les résultats d’action), soit inventorier les rationalités conflictuelles (exemple des choix de politique publique en France). En définitive, il s’agit de délimiter un espace (de conflits et de négociation) à l’intérieur duquel la décision se placera pour structurer le problème.
Pour palier l’absence de rationalité absolue on postule l’existence d’un ensemble systémique plus rationnel, c’est-à-dire plus efficace, adaptable et juste. Pour l’analyse des décisions on fera apparaître le ou les systèmes d’action pertinents au sein de l’ensemble, ce qui reste normatif, mais pour se replacer dans le système d’action, l’analyste cherchera à découvrir la signification plus large de la stratégie employée et envisagera ainsi le problème du changement, et notamment celui de la rationalité décisionnelle dont dépend la transformation du système puisqu’elle induit de nouvelles régulations des jeux.

Par exemple, il s’agira de transposer des modèles rationnels éprouvés mais avec des activités favorables en modèles d’activités nouvelles, ou de développer une rationalité nouvelle à partir de l’outil technologique informatique pour rassembler et utiliser des informations et calculer des alternatives.

 

Cinquième partie

Réflexions sur le changement

Chapitre XIII Le changement comme phénomène systémique

  1. Le problème du changement avait déjà été fixé par les théories statiques marxistes d’une part, et libérales d’autre part, en tant qu’étape logique d’un développement humain inéluctable - ou bien comme l’imposition d’un modèle organisationnel social meilleur car plus rationnel - ou bien comme le résultat naturel d’une lutte entre hommes -. En fait, ces idées rhétoriques, politiques, sont fondées sur le même refus de considérer le changement comme problème. Pour les sociologues, les hommes changent, mais seulement dans leurs relations avec autrui, au sein d’une organisation, pas individuellement. Quand il y a rupture, ou crise, c’est que les conséquences, ou changement, vont devenir substance sociologique, pour comprendre comment, et à quelles conditions une crise peut déclencher un mécanisme d’innovation (et non régressif).
  2. En tant que phénomène systémique, on peut désormais définir le changement comme la transformation d’un domaine d’action, c’est-à-dire non pas des règles, mais de la nature du jeu, afin de trouver :
  • un modèle de régulation qui intégrerait toutes les contradictions,
  • des rapports de force favorables,
  • des capacités cognitives, relationnelles, et des modèles de gouvernement suffisants.
Des contraintes pour les stratégies de pouvoir des acteurs on a défini le caractère construit des jeux ou régulations : ce sont donc les effets systèmes qui médiatisent le changement qui devient contingent au système d’action qui l’élabore et auquel il s’applique, et par conséquent, on peut affirmer que le changement est systémique.
  1. Ainsi, le changement s’apparente à l’apprentissage de nouvelles formes d’action collective :
  • pour découvrir et acquérir de nouvelles capacités (processus de coopération),
  • pour élaborer une nouvelle structuration des champs (autres méthodes, résultats ; systèmes d’action et régulations différents).
Il n’y a pas d’évolution graduelle harmonieuse mais une crise, une rupture relationnelle, institutionnelle, pas d’ajustement mutuel mais des initiatives et un leadership humain, processus nécessaires à l’apprentissage à la responsabilité individuelle des acteurs.

 

Chapitre XIV L’intervention
  1. Par définition, la priorité de l’action de changement va à l’expérience, donc à la connaissance, pour rompre avec les cercles vicieux des régulations existantes et les capacités des acteurs, pour agir avec le système et non contre lui (lui épargner des ressources toujours trop faibles et développer ses résultats).
  2. Cf. exemple pour l’apport de l’analyse stratégique.
  3. Deux voies s’ouvrent ainsi pour l’action de changement dans une même stratégie :
  • l’action sur l’homme, pour les Directions des Ressources Humaines,
  • l’action sur les structures, pour la technologie, l’économie d’entreprise, les sciences du travail, etc..
Il existe donc une action convergente sur l’homme et sur la structure, c’est le principe de l’intervention.
  1. On postule que la mesure profonde de toute action, c’est l’intention de l’acteur ; il faudra donc privilégier pour l’intervention la négociation implicite qui n’engage pas l’acteur et ne restreint pas sa liberté d’action.
  2. De même il faut favoriser une méthodologie de l’action fondée sur la capacité des acteurs, notamment à saisir les opportunités. C’est pourquoi il faut se méfier d’un déterminisme psychologique qui connaît les besoins des personnalités. Pour éviter le risque de manipulation, un seul acte compte pour l’homme, la décision qui s’apparente à un choix politique dans le seul domaine pratique. Seuls les objectifs posent problème.
 
Chapitre XV Les finalités du changement
  1. En effet, les relations de pouvoir constituent un obstacle mais aussi une finalité pour le changement. C’est une étape essentielle à la transformation du système puisque des relations concrètes de pouvoir dépend la liberté des acteurs d’agir sur la structure collective.
  2. Pour garantir la responsabilité collective, il faut donc que les finalités soient vécues à la base de l’organisation, et choisies ou plutôt "arbitrées" au sommet, lequel doit incarner alors une seconde finalité, à savoir contribuer à l’émancipation des hommes ou bien être renversé.
  3. L’autogestion n’est pas une solution car c’est un modèle trop ambitieux qui associe paradoxalement rationalité a priori et pouvoir au plus grand nombre, et parce qu’il n’y a pas de société vertueuse. L’homme agit par essais-erreurs.

 

VI - Conclusion


L’étude sociologique des organisations pratiquée par Crozier et Friedberg marque un réel changement de démarche en France, et se rapproche des études empiriques menées aux Etats- Unis. D’autre part, elle se démarque de l’approche structuraliste qui occulte la place prépondérante des individus. Cependant il convient de préciser que d’autres écoles de pensée ont également marqué un renouveau dans la sociologie des organisations : il s’agit de l’analyse culturaliste et du modèle écologique.
En effet, dans le prolongement des intérêts et des apports de l’anthropologie, de la psychanalyse et de l’ethnologie, des spécialistes de l’organisation ont mis en évidence la présence de mythes, de symboles et de rituels qui selon eux déterminent le fonctionnement quotidien des unités et modèlent leur évolution. Cette approche a été étayée par les travaux de comparaison internationale s’interrogeant sur les cultures nationales, les études plus anthropologiques et la réflexion managériale sur la culture d’entreprise. Dans cette ligne, citons les travaux de R. Sainsaulieu"Sociologie de l'entreprise, Organisation culture et développement" sur les nouvelles formes de participation et d’organisation dans les entreprises, et également "la logique de l’honneur" de P. d’Iribarne.
Les études suscitées par une conception "écologique" des organisations ont constitué un courant encore distinct. Ces travaux se situent à l’intersection de différentes disciplines (sociologie, écologie, démographie, économie, histoire, etc.). D’autre part l’unité d’analyse n’est plus une organisation ni même un échantillon d’unités mais une population d’organisations. Les changement étudiés ne sont plus microscopiques mais macroscopiques. Parmi de nombreux travaux ceux de H Aldrich (1979) et de J. Freeman (1988) illustrent parfaitement cette démarche.

 

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